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30 N O U V E A U X VOYAGES AUX ISLES
1694. que nous étions arrivez. Ils ont cette
bonne qualité qui leur manque en France
, qu'on en peut manger tant que l'on
veut fans craindre d'en être incommodé.
Nous allâmes voir une fucrerici
je vis auiïï faire de la cailàve & de la
farine de manioc. Je parlerai amplement
de tout cela dans la fuite.
Nous retournâmes au couvent fur
le foir. Je fus remercier M. Braguezj
lui 8c fon époufeme firent bien des honnêtetez
& des offres de fervice^ ils ont
toûjours eu beaucoup de bonté pour
moi. Ce M. Braguez étoit de Beziers,
il avoit un frere Religieux de nôtre Ordre,
Se qui après avoir fervi dans nos
Millions près de ving-cinq ans, avoit
obligé de repailer en France j quoira^
uix, ^^^ ^^ ^^^ ^^ Religieux fort fage, fort
fçavant, & fort éclairé dans toutes fortes
d'affaires, il n'avoit pû éviter de
tomber dans la difgrace du Comte de
Blenac, qui avoit enfin obtenu une Lettre
de Cachet qui l'appelloit à la Cour.
Sa goûte & les autres infirmitez qu'il
avoit contraftées dans les Miffions, ne
lui permettant plus de vivre dans l'abftinence
& l'aufterité de nos Provinces
réformées de France, il paffa avec la
permiiHon des Supérieurs dans le grand
Ordre de faint Benoît, où il refta quelques
années avec beaucoup de pieté j
mais la froidure du pays augmentant fa
goûte & fes autres maladies, les Médecins
lui confeillerent de retourner aux
Ifles, où ils prétendoient que la chaleur
du climat aideroit à diminuer fes douleurs.
Il revint en effet à la Martinique
dans le mois de Juin i5p8. il fut reçu
avec joie de fon frere & de fa bellefoeur;
les puiflances le virent avecplaii
î r , & nos Peres même, quoiqu'il ne
jortât plus leur habit, eurent pour lui
a même déference qu'autrefois, & faifoient
peu de chofes fans prendre fon
avis. Les Jefuites le prièrent d'accepter 1694Î
une Cure qu'ils deffervoient au quartier
du cul-de-fac à vache près le Fort
Royal} il y fut jufqu'à ce que la goûte
l'obligea de revenir chez fon frere, oii
je lelaiffai en 1705". honoré & eftimé de
de tout le m o n d e— Je reviens à mon
fujetque cette digreffion m'a fait quitter.
L e mardi jour de la Chandeleur j'affiilai
à l'Office, je confeffai beaucoup
de perfonne^, & je fus très édifié du
^rand nombre de perfonnes qui firent
eurs devotions. Le P. Martelly fit la
Prédication, dont il s'aquitta très bien.
L e lendemain le P. Gaffot 8c le P . du
Homeel revinrent de la Cabefterre. Lé
R . P. Caumels nôtre Vicaire General
les envoyoit à la Guadeloupe avec le
Frere du Mortier} il écrivoit au Peré
Cabaflbn de nous envoyer inceffamment
le P. Martelly & moi à nôtre habitation
, où il difpoferoit de nous. Nous
allâmes fur le foir prendre congé de
Meffieursdu Mets, de Gui taut , de Cabaret
8c de quelques autres perfonnes
de nôtre connoiffance.
L e jeudi quatrième Février nous dî- Départ
mes la Meffe de grand matin, 6c après d»
avoir pris le chocolat, nous montâmes
fur deux mauvais chevaux bien fatiguez
8c mal harnachez, avec deux Negres
pour nous conduire, qui étoient
chargez de deux matelats 8c d'autant de
couvertures, fans quoi nous courions
rifque de coucher très-mal où nous allions;
puifque nôtre maifon de la Cabefterre
étoit auffi dénuée de meubles
que le couvent du Mouillage où il n'y
en avoit point. On compte huit grandes
lieues du Fort faint Pierre, au fonds
faint Jacques où eft nôtre habitation.
Alafortiedu Bourg faint Pierre nous
entrâmes dans une belle allée d'orangers
qui a un bon quart de lieuë de longueur,
F R A N C O I S E S DE L'A M E R I a .UE. ^r
1694. g u e u r , quifepare l'habitation de Mada- fucreries de ce Juge, avoient appartechmin
la Marquife d'Angennesde celle du nu cy-devant à un Juif nomme Benja-
^^ " -"rn- min d'Acofta, qui faifoit un très-grand
commerce avec les Efpagnols, Anglois
8c Hollandois. Il crûtfe faire un appui
Gonfiderable en s'aflbciant avec quelques
unes des puiffances des Ifles, fous le
nom defqucls il acheta les terres que
poiTede le fieur Bruneau. 11 planta la
cacoyere qui eft une des premieres qu'on
ait faites dans les Mes, 8c fit bâtir les
deux fucreries que l'on voit encore à
prefent. Mais la Compagnie de 1664.
ayant peur que le commerce des Juifs
ne nuisît au fien, obtint un ordre de la
Cour pour les chaffer des liles -, 8c les
affociez de Benjamin ne firent point de
difficulté del e dépoüillerpour fe revêtir
de fes dépoiiilles.
Après la paix de Rifvick les héritiers
de Benjamin d'Acofta, 8c quelques autres
reprefentans eurent permiffion du
Roi de venir aux Ifles pour demander
ce qui leur étoit dû j mais leur voyage
fut auffi inutile que celui d'un Agent des
Hollandois, à qui il eft dû des fommes
très - confiderables pour les avances
qu'ils ont faites aux habitans dans les
commencemeris de la Colonie.
La cacoyere du fieur Bruneau eft environnée
d'une doublehayed'orangers,
qui forme une allée qui fe termine a un
petit morne affez roide, au haut duquel
nous trouvâmes un parapet, compofé
de paliffades remplies de terre 8c de fafcines.
Ce parapet couvre une porte qui
eft percée dans un petit pan de mur,
appuyé d'un côté à la montagne qui eft
taillée auffi à plomb qu'un mur, 8c de
l'autre il porte par encorbellement fur
un précipice très-roide 8c ti-ès profond.
L e chemin eft taillé à mi-côté dans la
montagne : il eft encore fermé par deux
autres portes comme la premiere, avec
des meurtrieres : il eft arge de quinze'
à feize
delca-fieur le Vaffor, Conlèiller au Confeil
heßine. de cette Ifle. Jeparlerai de ce M. le Vaffor
dans un autre endroit.
Pour Madame la Marquife d' Angennes,
elle eft fille du fieur Girault, Capitaine
de Milice de l'ifle faint Chrifto*
phle; qui s'étant diftingué avec quelques
autres Officiers quand on chaffa
les Anglois de cette Ifle en 1666. avoit
obtenu des Lettres de Noblçffe.
L e Marquis de Maintenon-d'Angennes
étant venu aux Ifles avec la Fregate
du Roi la Sorciere, pour donner chaffe
aux Forbans qui defoloienttoutle commerce
: il époufa une des filles du fieur
Girault qui étoit d'une beauté achevée :
il fut fait enfuite Gouverneur de Mariegalante
, mais quelques années après il
céda ce Gouvernement à M. Auger, en
faveur du mariage de fa foeuravec ledit
fieur Auger; 8c s'étant retiré fur habitation
qu'il avoit achetée des héritiers
de feu. M. le General du Parquet, il y
cft mort en laiflant deux enfans, le
Marquis d'Angennes Capitaine au Re-»
giment de la Couronne, 8c une fille
parfaitement belle qui n'étoit pas encore
mariéeen 1705-. Il y a fur cette habitation
plus de trois cens efclaves, deux
fucreries j une dont le moulin va par le
moyen del'eau , Sc l'autre avec des chevaux;
une raffinerie dans le Bourg, &
une très-belle cacoyere. Au bout de cette
allée nous trouvâmes le moulin à eau,
j 'y entrai pour en voir la difpofition. Je
ferai dans un autre endroit la defcriptionde
tous les moulins différents dont
onfe fertauxifles, ou dont on pourroit
fe fervir.
Nous vîmes à une demie lieuë plus
loin la maifon 8c la cacoyere du fieur Bruneau,
Juge Royal de l'ifle. Cette cacoyere
8c les terres où font les deux
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