I N O U V E A U X VOYAGES AUX ISLES
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1^93. d'écrire à M. de Pontchartrain Secrétaire
d'Etat ayant le département de la Marine
, & des lilcs pour le fupplier de nous
faire donner la gratification que le Roi
avoittoûjours eu la bonté de nous accorder
pour nos embarquemens.
E n attendant la reponfe, j e donnai au
fieur Boudorun memoire de ce qui étoit
necciîaire à chaque Miflîonnaire , afin
qu'il y fît travailler, le payement lui en
étant afluré, foit par la gratification que
nous efperions du Roi , Ibit par les remifesquilui
feroientfaites parla Miffion.
L'équipage que j e demandois pour chaque
Religieux confiftoit en un matelas,
un traverfin, une paire de linceuls, une
couverture, un habit blanc, une cafaque,
ou manteau noir, fixchemifes, autant de
caleçons, douze mouchoirs, autant de
coëffes de nuit, de paires de bas de toile,
&de chauffons, un chapeau, trois paires
de fouliers, un coffre, à de deux en deux
une petite cannevette pour mettre des liqueurs
pour le voyage; & comme quelques
uns me dirent qu'ils auroient befoin
de livres, j'ajoûtai qu'ils avoient chacun
cinquante francs pour acheter ceux qu'ils
ugeoientà propos, pour les frais de leur
. îaptéme, & pour es menues dépenfes
qu'ils pourroient faire jufqu'à l'embarquement.
J e ne fus pas long-tems à m'appercevoir
que ce M • Boudor ne vouloit
pas être éclairé de prés, & qu'ayant fondé
de grandes efperances fur la commifllon
de nos Miffions, il vouloit regler
toutes chofes félon fes intérêts. En effet,
il perfuada à quelques-uns de nos Mifilonnaires
de porter des marchandifes
pour les négocier aux Mes, 6c s'oflfrit de
leur faire à chacun un coffre à peu près
comme on en fait aux matelots à moitié
profit. Je m'oppofai de toutes mes forces
à ce projet ridicule, & toutàfait indigne
de nôtre miniilere-, mais je n'en fus pas
- entièrement le maître. Trois ou quatre
de nos Peres donnèrent dans les idées de
cet homme, &fe chargèrent de boutons ^ iSjjj
d'épingles, d'aiguilles, & autres marchandifes
de Limoges dont il étoit bienaife
de fe défaire, qu'il leur vendit plus
cher qu'au marché, & dont il fe fit bien
payer dans la fuite par la Miffion avec les
intérêts.
J e reçûs le 20. une Lettre de M. de
Mauclerc qui me marquoit que je pouvoisvenirà
Rochefort recevoir45o. ecus
que le Roi avoit accordé pour neuf Miffionnaires
Prêtres qui devoientpaffer aux
Illes, maisqu'à l'égard du Frere Convers
il n'avoit que le paflàge. J e ne manquai
pas d'aller à Rochefort le iz. avec un
pouvoir en bonne forme de tous nos Peres
pour recevoir cette fomme, & pour
l'apporter plus (ïïrement j e pris avec moi
M. Guillaume. Nous rencontrâmes environ
à deux lieues de la Rochel le, deux
Capucins avec un païfan qui conduifoit
deux ânes chargez de bouteilles, & d'autres
munitions de boucJie. Ils prièrent
M. Guillaume de dire aux Capucins qu'il
trouveroit de ne fe point ennuyer, &
qu'ils faifoient toute la diligence poffiblc
pour les joindre.
Nous arrivâmes au Rocher , c'eft un
Cabaret fur le bord de la mer à moitié
chemin de la Rochelle à Rochefort. J'y
defcendis pour m'y raffraîchir, & laiffer
repofer nos chevaux qui étoient venus
fort vite. Je fus furpris de trouver dans
la premiere falle quinze ou feize Capucins
affis avec beaucoup de modeftie, &
en filence. Ils fe levèrent pour me faluer.
Une cafaque de camelot noir qui couvroit
en partie mon habit blanc, avec un
homme de fervice à ma fuite!, les trompèrent.
Ils me prirent tout au moins pour
quelque Abbé de Prcmontré. J'entrai
dans la fécondé falle, où je trouvai un
venerable Capucin à barbe longue &
b-lanche, la tête &l e cou enveloppez de
ferviettes, qui fe promenott tout feul.
Nous nous Ciluâmes : on apporta du vin,
j e
F R A N C O I S E S DE
1693 je lui en fis prefenter par Guillaume, il
but après quelques ceremonies, & nous
liâmes enfemble une converfation latirie.
J e crûs que c'étoit quelque Provincial
étranger, mais j e ne m'imaginai jamais
que ce flit le General des Capucins. Nous
montâmes à cheval après nous être rcpofez
près d'une heure. Nous trouvâmes
des Capucins qui venoientde Rochefort;
;tc m'ji-inl-il-pnf nnf» r'/^fnir Ifiir Ofiopral
L ' A M Ë R K l U E . f
tre troupe de neuf ou dix Capucins tnarchans
fans ordre, fermoit la marche.
J e me difpenfai de luivre ces bons Peres
} mais j'appris de M. Guillaume qui
eut la curiofité de les accompagner, que
le General étant defcendu a la porte de
leur Eglife, on lui prefenta la Croix 5c
l'Eau-benîte, 8c qu'après avoir adoré le
S. Sacrement, il s'étoit affis fur un fauils
m'apprirent que c'étoit leur General teiiil devant le grand Autel, oii tous les
que j'avois vû au R o c h e r , ils alloient au Capucins lui vinrent baifer les mains, &
devant de lui, & il devoit faire ce jour- après eux quantité de dévots 6c de devolàfon
entrée dans la ville. tes defon Ordre.
J'allai faluer M. de Mauclerc auffi-tôt J'allai le lendemain matin à bord de
que je fus arrivé ; il me donna l'ordon- I'Oj^iniatre faluer M . de Sainte Marie qui
nance de 450 écus, 6c les ordres necef- en étoit Capitaine, 6c le prier d'agréer
faires pour nous embarquer; fçavoir, le que j e paffaffe fur fon Vaiffeau avec mon
P. Dallez Se moi fur le Vaiffeau du Roi compagnon. Il me dit que cela luifaifoit
l'Opiniâtre: les Peres RomanetSc Char- plaifir; 6c que quoiqu'il y eût déjà beaules
fur la Flute du Roi la Loire : les Peres
Martelli, Seré 6c du May fur une autre
Flute du Roiappellée la Tranquille,
& les Peres Gaffot 6c du Homed avec le
Frere du Monier fur un Vaiffeau marchand.
J'allai enfuite chez le Tréforier,
qui me remit au lendemain ; de-là j e fus
Siftrêt un peu hors de la porte voir l'entrée du
duGene- General des Capucins, en voici l'ordre.
ral dts Dou2;e Capucins étoient à la tête , ils
marchoient deux à deux le bâton à la
6c le capuchon de campagne au
Caputins
à
Kschenrt.
mam,
pucms qui entouroient la mule blanche
fur laquelle étoit le General, la bride 6c
les étrivieres étoient de corde, avec deux
petites planchettes qui fervoient d'éy
venoient attendre leur embarquement.
Les Supérieurs y firent enfin attention
après beaucoup d'années, 6c on convint
que la Miffion lui payeroit douze fous
triers : cette mule étoit conduite par deux par jour pour chaque Miffionnaire qui s'y
Freres au chapeau, qui furent les pre- arrêteroit, outre la Meffe qu'il devoitdique
j'euffe vûs de cette efpece. reàla décharge du Couvent. Depuis huit
oudixansquece regkmentavoitétéfait,
on avoit toûjours été affez d'accord. Mais
les vivres étant devenus fi chers cette année
que le pain valoir jufqu'à cmq 8c fix
fous la livre, levin 6c les autres denrées
i^in.jLv-auA i 110 v,iwiv-iiL ..un- a propotti on, la dcvotion du peuple ie
duits par deux Freres Capucins ; une au- trouva tellement refroidie qu'il ne venoit
point
miers que j'eulle vus
L e Provincial marchoit enfuite entre les
deux Secretaires de campagne du General,
dix Capucins deux à deux lesfuivoient,
8c étoient fuivisde deux mulets
dont les couvertures
fervi à des manteaux
fembloient avoir
ils étoient concoup
de paffagers, il feroit fon poffiblc
afin que nous fuffions bien. Je fus enfuite
recevoir mon argent \ 6c après avoir
remercié M. de Mauclerc, je montai à
cheval pour retourner à la Rochelle. J'y
arrivai d'affez bonne heure, fort content
de mon voyage ; mais j e trouvai tous nos
Miffionnaires en defordre; ils avoient eu
un different avec les Religieux du Couvent
pendant monabfence, dont voici le
fujet.
. „ Le Couvent étant pauvre fe trouvoit
bras ; fuivoît un gros de fept ou huit Ca- fort incommodé par les Miffionnaires qui