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3« NOUVEAUX VOYAGES AUX ISLES
i(J94- te-iix pieds de long fur vingt-quatre de
large : il comprenoit une falle de vingt
f)ieds de longueur fur feize de largeur j
es fenêtres étoient du côté de la cour,
une petite chambre à côté qui fervoit
d'office, deux chambres de douze pieds
de large fur feize pieds de long, ayant
vûë fur la mer avec un efcalier. Le haut
ne contenoit qu'un corridor avec deux
chambres que l'on pouvoit partager chacane
en deuxj le toit étoit enmanfarde
& fans lambris,
Ge bâtiment étoit joint à une cuifine
de maçonnerie par un magazin de douze
pieds de large fur vingt-quatre de
long, lacuiiîneavoitla même ongueur
fur feize pieds de largeur.
Entre la cuifine & le bâtiment qui
étoit au fond de la cour, il y avoit un
paiTage pour aller à la fucrerie.
Ce corps de logis étoit tout de bois
partagé en trois ou quatre parties, deftiné
à differens ufages} il étoit joint à la
Chapelle par un mur, au milieu duquel
étoit la porte qui domioit entréedansla
cour.
Tous ces bâtimens étoient auffi-délabrez
par dehors, que mal meublez au
Sumne dedans.... La fucrerie éroit derrierece
du fond dernier corps de logis, dont elle étoit
environ vingt-cinq toifes; un
petit ruiiTeau qu'on paflbit fur une planche,
couloit au milieu de cet efpace.
Cette fucrerie Scie moulin àeau qui lui
'etoit joint, avoient nonante-deuxpieds
de long, fur vingt-quatre pieds de large,
le tout de maçonnerie.
• C'étoit l'ouvrage que le Pere Jean
Temple avoit fait faire quand il étoit
Syndic, dans lequel on pouvoit plutôt
admirer fon zele que fon expérience 6c
fa conduite, puifque ayant le terrein
& la riviere à fa difpofition, il avoit
choiiî l'endroit le plus innondé, le plus
étroit & le plus difficile de l'habitation,
& qu'ayant oublié de faire dans la fucrerie
un nombre fuffifant d'ouvertures
pour y donner du jour & de l'air, on
n'y voyoït goûte en plein midi, &onn'y
pouvoit demeurer à caufe de la fumée.
II y avoit fix chauderies à fuere montees,
Sedes fourneaux préparez pour en
placer deux autres. Les cafes ou l'on
fert lesbagaces, c'eft-à-dire les cannes,
après qu'elles ont pafle au moulin,& dont
onfe fert pour cuire le fuere, étoient à
côté du moulin proche la riviere, avec
celle oiiU'on prépare le magnoc,, 6c où
on le fait cuire en farine , ou en caffave.
Les cafes de nos Negres étoient fur
une petite hauteur derriere la fucrerie;
le canal du moulin paflbit au milieu.
Nous avions pour lors trente-cinq Negres
travaillans, huit ou dix vieux ou
mfirmes, & environ quinzeenfans tous
en fi mauvais état faute de nourriture,
de vêtemens & de remedes, que cela
feifoit pitié. D'ailleurs nôtre maifon
etoit endettée de près de fept cens mille
livres de fuere, & n'avoit plus aucun
crédit : ces dettes avoient été contrac- Raifom
tees par la mauvaife économie des Re- '^«w«»-
ligieux qui avoient mal gouverné leurs >
aÔaires, par les dépenfes exhorbitan- hlkl
tes des Curez qui prenoient chez les biinà.
Marchands tout ce qui leur plaifoit, &
les payoient avec un billet de fuere, qui
étoit en ce temps-là la monnoye courante
des Mes à prendre fur l'habitation,
par les entreprifes ridicules de quelques
Syndics, & fur tout par les aumônes
que le P. Paul faifoit avec tant de
profufion, que les Gouverneurs & l'Intendant
furent obligez d'en écrire au
P. Carbonniere quand il étoit Supérieur
General, afin qu'il y mîtordre. Ce bon
Religieux étant Supérieur de laMiffion
de la Martinique, s'étoit mis en tête de
ietirer du libertinage plufieurs femmes
de
F R A N C O I S E S D
de mauvaife vie qu'on avoit envoyées de
France, en leur fourniflant de quoi vivre
i & pour cet effet, il leur faifoit des
billets de fucre à prendre fur l'habitation
, fans fe mettre en peine fi on
en pouvoit fabriquer aifez pour les acquitter
, ni où es Religieux trouveroientà
fubfifter. Il connut à la fin que
ces femmes l'avoient trompé, mais ces
billets qui étoient en trcs-grand nombre
, courroient chez les Marchands
qui nous tourmentoient pour en être
payez, & nous avoient décriez faute de
payement, d'une maniéré terrible, parce
que tout le monde n'étoit pas obligé de
fçavoir de quelle maniéré nous avions
contraflé tant de dettes. Il faut encore
ajoûter que la plûpart de nos beftiaux
étant morts fans qu'il fut poffible d'en
acheter d'autres , parce qu'on vouloit
de l'argent comptant pour cette marchandiie
, 8c nous n'en avions point.
Cette perte nous empêchoit de faire la
quantité de fucre quon auroit pû faire,
fi nos affaires avoient été en meilleur
état. D'ailleurs ce n'étoit que du fucre
brut, décrié pour fa mauvaife qualité.
Se que la guerre avoit réduit à fi bas
prix, que e cent ne valoit que cinquante
ou foixantefols, pendant que les vivres
& les autres denrées de France étoient
à un prix excelfif. Lcbaril de farine
coûtoit quinze cens livres de fucrej
le baril de boeuf falé autant j le baril de
lard deux mille cinq cens livres j la banque
de vin trois mille livres & fouvent
davantage j tout le fucre qu'on
pou voit fabriquer chez nousalloit à peine
à cent trente mille livres, fur quoi
i\ falloit entretenir les Negres, les beftiaux,
le moulin, 6c les autres dépenfes
d une habitation 8c nourrir lesReligieux
qui y étoient, ce qui ne donnoit pas un
petit embarras à ceux qui étoient chargez
de ce foin, f^ns compter les inquie-
E L 'AMERIQUE. 59
tudes qui accompagnent ceux qu'on
pourfuitpour le payement de très-groffes
dettes.
Tel étoit l'état de nos aiFaires à la
Martinique quand j'y arrivai. On en
verra la difference quand j'en fuis parti
en i/of.
Le R. P. Caumels Supérier General
de nosMiifions ôc Préfet Apoftolique,
revint du Bourg de la Trinité un peu
avant midi, il témoigna de la joye de
nôtre ârrivée, Se nous fit beaucoup
d'honnêteté. C'étoit un homme de mérite
6c de naiffance j fon pere étoit Ca^
pitouldeTouloufe, allié à quantité de
Maifons confiderables, Sc entre-autres
à celle de M. le Commandeur de Guitaut.
Il avoit été Prieur du couvent de
Touloufe, quoiqu'il n'eût encore que
trente cinq ans, après quoi il avoit été
nonimé Vicaire General 6c Préfet Apoftolique
de nos Miflions } on l'avoit
flatté que cette derniere qualité étoit
peu différente de celle des Vicaires Apoiloliques,
6c il s'étoit imaginé fur
cela que fa jurifdifton s'étendoit nonfeulement
fur lesReligieux de fon Ordre,
mais encore fur les Jefuites, les
Carmes 6c les Capucins, mais il s'étoit
trouvé bien loin de fon compte. Les
Supérieurs de ces Religieux, à l'exception
des Carmes, étoient munis de femblables
pouvoirs, 6c n'eurent garde de
le reconnoitre. Ce fut le premier chagrin
qu'il eût en arrivant, mais ce ne
fut pas le moindre, puifque le dérangement
de nos affaires temporelles, tant
à la Martinique qui étoit accablée de
dettes, qu'à a Guadeloupe qui venoic
d'être pillée 6c defolée par les Anglois,
qu'à Sainte Croix 8c à Saint Domingue,
lui en fourniffoient de bien plus confiderables.
Après dîner il me mena dans fa chambre
, où après que je lui eus rendu
compte