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52- NOUVEAUX VOY
^>94. parce qu'il eft couvert d'une écaille
aiTez mince, leche & très-dure. De la
queiie juiques à la tête qui eft jointe
au corps fans qu'il y paroifle aucune
diftinaion , il eft triangulaire, Se iiitête
a la même figure. Lorfqu'on ouvrit
par un des angles un de ceux qui avoient
été fervis fur le matàtou , on eût
dit que c'étoit un pâté chaud qu'on
venoit d'ouvrir} l't^deur ctoit bonne,
la chair blanche & bien cuite, & quoique
ce poiflbn ne pallé pas pour un des
meilleurs, peut être parce qu'il a plus
d'écaillé que de chair, je le trouvai trèsbon
& très fucculent.
C'étoit un vrai plaiiîr de voir cette
grande bande de Caraïbes accroupis
fur leur derriere comme des iînges,
manger avec un appétit qui en auroit
donné à un malade, fans dire une feule
parole, £k; épluchant avec une adrefle
& une vitelTe admirable les plus petits
pieds des crabes. Jls fe leverent avec
auffipeu de ceremonie qu'ils en avoient
fait pour s'aiTcoir; ceux quiavoient foif
allèrent fe defalterer avec de l'eau ,
quelques-uns fe mirent à fumer, une
partie femitau lit, & le refteentradans
uneconverHuion où je n'entendoisrien,
parce qu'elle étoit en Langue Caraïbe.
Lesfem- Lcs fcmmes vinrent ôter les maratous
«e & les coiiis, les filles nettoyerent le
^voit mangé, & toutes
%ais a- enfemble^ avec les petits enfans fe refcclcurs
tirèrent à la cuifine où nous allâmes
Uiiiia. ]es voij. manger en la même pofture
& d'auffi bon apetit que les hommes
venoient de faire. Je fus un peu furpris
que les femmes n'eulTent pas mangé
avec leurs maris, ou fi c'étoit une
règle chez la Nation, pourquoi Mada-
A G E S AUX ISLES
me la Rofe comme Chrétienne Se maîtreflé
de la maifon n'en eût pas été
exceptée. J'en dis ma penfée à fon
mari, qui me répondit que la coûtume
ne le permettoit pas ; que jamais les
femmes ne dévoient manger avec leurs
marisj & que quand même il eut été
feul, il n'eût mangé qu'avec fes grands
garçons, &. que la femme, fes filles,
& le refte^ dés enfans eût mangé a la
cuiline. Cette coûtume toute extraordir
aire qu'elle paroiiTe d'abord, n'eft
pas trop fauvagej après quelques reilexions
elle m'a paru remplie de bon
fen3, & fort propre pour contenir ce
fexe fuperbe dans les bornes du devoir,
& du refped qu'il doit aux hommes.
Les Caraïbes ne font pas les feuls qui
en ufent ainfi ; je rapporterai dans un
autre endroit quelques exemples fur lefquels
les Européens devroient fe realer
pour éviter bien des chagrins. °
Nous demeurâmes au carbet de la
Role jufques fur les trois heures après
midi. Le vents'étoit calmé tout-à-fait,
Il ne reftoit plus que la mer qui étoit
fort grolîej mais le fils aîné de la Rofe
s'etant o t e t de venir avec nous, 6c
trois autres Caraïbes attirez par l'efperance
d£ l'eau-de-vie, nous ayant fait
la meme avance , nous les primes au
mot } èc quoique nous euffions 'déjà
lept Nfgres dans le canot, nous jugeâmes
que ce fecours ne nous feioit
pas mutile; que le jeune la Rofe nous
piloteroit mieux que le NegredeMonfieur
Joyeux, & que le nombre de nos
nageuis étant augmenté de quatre perfonnes,
nous irions plus vite & plus
ieurement.
CHAF
R A N C . O I S E S DE L'AMERIQ.UE.
C H A P I T R E IV .
Vefcription du cul de fac Vrancois.
33
1694-
Ous partîmes du cul-de-fac
Robert fur les trois heures,
le fils de la Rofegouvernoit
le canot j nos fept Negres
& les trois Caraïbes nageoient
à l'envie les uns des autres,
Se noas firent pafler en moins de deux
heures les quatre lieues qu'il y a de
la pointe â la Rofe au cul-de-fac François.
Malgré la groiTe mer &un grain
de vent que nous eûmes en paifant le-
^^^¡.¿j. cul-de-fac ou la plaine aux rofeaux,
'u nous rie reçûmes aucun coup de mer,
ïMSfw & ne prîmes pas une feule g o u t t e d'eau.
Il étoit environ cinq heures qirand
nous arrivâmes au cul-de-fac François.
Il s'en faut bien qu'il foit auffi beau
que le cul-de-fac Robe r t , foit pour la
largeur, foit pour la profondeur j c'eftà
dire pour fon enfoncement dans les
terres; car pour la profondeur de l'eau
il y en a alîèz pour porter des vaiffeaux,
fi une barre de fable mouvant
qui eft à fon entrée ne les en empêchoit.
Cette barre change de fituation
felon le changement des marées, ou
felon qu'elle eft tranfportée çà & là
par la violence de la riviere quand elle
cft débordée. Il y a quelques Iflets qui
forment ce cul-de-fic, dans l'un defquels
on trouve des pierres de taille
blanches alTez tendres, dont on fe fert
pour faire les fourneaux des fucreries,
c'eft-à-dire qui refiftent aiTez bien au
feu, quoiqué beaucoup moins que les
pierres grifes de la Baûe-terre & les
rougeâtres qu'on trouve aux environs
du cul-de-fac de la Trinité. La riviere
porte le nom du cul-de-fac où elle fe
trouve; elle peut avoir .trente-cinq à
quarante toifes de large, elle eft très-
"tom. IL
profonde. La mer qui y monte la rend
fallée jufques à deux mille pas ou environ
de fon embouchûre. La pente
de fon lit la fait pour lors devenir en
torrent comme les autres rivieres de
r i f l e . Les arbres qu'on appelle Palétuviers
ou Mangles, qui la bordent
des deux cotez, rétreciiTent beaucoup
fon ht; mais ils y font un ombrage
des plus agreables, & rendenties bords
inacceifibles aux ennemis qui voudroient
y faire des defcentes : de forte
qu'on n'a à garder que les endroits ou
l'on a fait des ouvertures pour le
paiTage des canots , & pour la commodité
de charger les barques qui y montent
jufqu'à mille pas ou environ. Il eft
vrai qu'on paye un peu chèrement le
fervice que ces arbres rendent à ceux
qui paifent fur cette riviere, en les
defFendant de l'ardeur du foleilj car
ils entretiennent un fi prodigieux nombre
de mouftiques & de maringoins,
que l'air en eft quelquefois épaiffi,
d'où ces infe£tes fe répandent dans les
habitations voifines en fi grande quantité
qu'il feroit impoffible d'y demeurer
fi le vent ne les emportoit, ou û
on ne les chaiToit des maifons avec la
fumée, & par le foin qu'on a de fermer
les portes & les fenêtres des chambres
où l'on veut dormir avant le coucher
du foleil, & de n'y point porter
de lurâiere lorfqu'on fe retire. Cette
riviere eft fort poiflbnneuiê, parce que
le poiffon y eft en feureté, n'y ayant
pas moyen d'y jetter la fenne à caufe
des racines de palétuviers fous lefquelles
il fe retire; de forte qu'on n'y
peut pêcher qu'à la ligne & avec des
nailes. Ces deux expediens font bons,
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