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JS NOUVEAUX VOY
1^94. cuir Be chair. Voici comme j e me fuis
convaincu de cette vérité } il cfl: vrai que
ce que je vais écrire n'eft arrivé que quelques
années après que j'eus achepté ces
pierres, maisjecroi que cette tranfpofîtion
ne gâtera pas beaucoup la fuite de
ces Mémoires, fi je la mets ici.
Etant à la Guadeloupe en 1700, un
de mes amis achepta d'un habitant une
famille de Negrea parmi lefquels il y
avoit un jeune homme de dix-neuf à
vingt ans, qu'il fit marier auffi-tôtavec
une de fes NegreiTes. On s'apperçut
peu de jours après que ce nouveau
marié avoit de frequens accidens que
les Chirurgiens jugèrent être d'épilep-
Exiie- fie. iVIon ami auroit pû obliger fou
Tlmur à reprendre fan Negre, & à
fiir'un'^ ^^^ payer la NegreiTe avec laquelle il
Negre étoit marié ï mais ayant fçû que j'avois
quitom- une pierre verte il m'en demanda un
mllM- petit morceau. Je fus bien aife d'avoir
duc. cette occafion de l'obliger & d'eprouver
ma pierre. J'en fis rompre un petit
éclat gros environ comme la moitié
d'une lentille, &le Chirurgien aïant
fait une ouverture au bras du Negre
entre le coude & l'épaule , y mit cet
éclat, & fit un point pour reiinir les
levres de la playe , avec un petit
emplâtre delTus pour la. confolider. JLa
playe futbien-tôt fermée,, mais il y refta
toûjours uneperitegallequitomboit de
tems en te.ms. Pendant plus de trois ans
qu'il porta ce petit éclat, il n'eut pas la
moindre atteinte de fon mal. A la fin il
fe fit une cicatrice fur la playe, elle s'ouv
r i t , la pierre tomba & fe perdit, & le
Negre retomba auffi-tôt dans f«s pre^
miers accidens.. Ou me le manda à la
Martinique. J'envoyai auffi-tôt un autre
petit éclat qu'on lui mit dansl'autrebras
a.vcc tant de fuccès que jufqu'à mon départ
des Ifles en i70):.iln'avoitpointété
A G E S AUX ISLES
attaqué de fon mal. J'ai donné de laméme
pierre à deux ou trois autres perfonnesfur
lefquelles elle à produit le même
effet; 8c c'efl: par-là que je me fuis convaincu
qu'elle étoit veritable & non contrefaite
comme il s'en trouve beaucoup
plus que de vrayes.
Les Portugais de la riviere des Amazones
, & les Hollandois qui font à
Surinam 6c à Barbiche, fçachant l'eftime
que les Indiens font de ces pierres, n'ont
pas manqué de les contrefaire, 6c d'ea
trafiquer avec eux avec un profit coniîderable.
Les véritables ne font gueres plus grau- Mirfi,
des qu'une piece de trente fols, de l'épaif- Mi
feur de trois écus ou environ, elles fontj*.
plates, rondes, ouprefquerondes, elles»^i/,,
font naturellement rudes 6c raboteufes j
ce n'eft qu'à force d'être portées ou d'àvoir
roullé dans les fables 6c les graviers yi,;''
des rivieres qu'elles deviennent unies 6c
liiTées. La fuperficie eft d'un verd pâle
tirant fur le b eu, le dedans eft un peu
plus coloré avec des ondes brunes ; elles
font fort dures. On remarque quand on
k s rompt que les éclatsiïiiventplûtôtla
longueur de la pierre que fon épaiiTeur.
Elles font fort compaftes , 6c on peut
dire très-pefantes par rapport à. leur volume.
Comme le fçavoir des Indiens ne va
)as jufqu'à les pouvoir percer comme
es autres Nations percent les pierres
precieufes & les perles j il faut fe défier
de toutes celles que l'on voit percées
ou travaillées avec quelque forte
de fimetrie. Car il eft très rare que les
Indiens libres de qui nos Caraïbes les
acheptent, ayent commerce avec les
Européens Efpagnois- ou Portugais qui
peuvent travailler de ce métier. Celles
que j'avois acheptées étoient entières ,
fans trous 6c fans avoir jamais été mifes
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F R A N C O I S E S DE L'AMERICLUE. ¿1
en ceuvre, elles étoient dans un petit
rezeau de pite, par le moyen duquel
on pouvoit les attacher aux trous des
oreilles ou de la levre.
On voit des pieri-cs vertes faites en
cilindre, de deux à trois pouces de longueur
6c percées dans leur longueur,
celles-cy font fort fujettes à être fauffes,
8c on ne doit jamais les acheter fans
ks avoir éprouvées auparavant.
Un Religieux de la Charité très-habile
Chirurgien, nommé le Pere Augufte,
m'aaiTuréque plufieurs experiences
l'avoient convaincu que ks éclats
de pierre verte mis entre cuir 6c chair,
perdoient à fa fin leur vertu, 6c que cela
n'arrivoit point à ceux qu'on portoit appliquez
immédiatement fur la peau,
comme dans une bague, ou d'uneauti'G
maniéré équivalente, quoiqu'ils produififlent
le même effet.
J'ai eu le malheur de perdre ou de me
lailTér dérober ma pierre verte, dont j'avois
fait lever cinq petits éclats.
Les fem mes Indiennes prétendent que
ces pierres font fpecifiques pôur les pertes
de fang. Comme je n'ai point fait
cette experience, j e me garderai bien de
rien dire pour ou contre.
La raffade dont les Caraïbes, les Nè -
gres, 6c même ks femmes blanches fe
lervent pour faire des braiTelets 8c autres
chofes de cette nature, eft une efpece
d'émail qui eft teint de différentes
couleurs. Il y en a qui font en cilindre,.
percées dans leur longueur pour être enfilées.
C'eft de celles-là dont on fait
ks ceintures des enfans mâles 8c des filles
Indiennes, julqu'à ce qu'elles prennent
le camifa. On en fait de toutes
fortes de groffeurs. C'eft une très-bonne
marchandife pour traitter avec les
Caraïbes qui en ufent beaucoup à leurs
Goliers 8c eurs bracelets, à broder leurs
camifas 6ca faire des glands 6c des franges
aux hamacs que k s meres donnent
à leurs filles quand elles ks marient.
Ces hamacs font bien plus longs 8c plus
larges que ks ordinaires, quoiqu'ils ne
fervent jamais qu'à une feule perfonne
à la fois, n'étant pas poffible que deux
perfonnes puiffent dormir commodé^
ment dans le même hamac.
C'étoit un hamac de mariage que je
voulois avoir, mais pour cela il falloit
attendre jufqu'au lendemain, ce qui m'obligea
de demeurer chez Monfieur Michel}
par fon confeil j'envoyai chercher
chez moi un vieux fufil, que j e fis
bien nettoyer 6c pol ir, parce que nous
avions remarqué que le Caraïbe à qui
appartenoit le hamac que je voulois avoir,
avoit envie d'un fufil. En effet,
nous defcendîmes le lendemain au matin
au bord de la mer ; je faifois porter
lefufîlpar mon Negr e qui en tira quelques
coups fur des aigrettes, qui font
des oifeaux d'une blancheur extraordinaire,
qui ont de très-belles 6c trèslongues
plumes à la queue. Le Caraïbe
qui vit tomber quelques-uns de ces oifeaux,
eut envie du fufil, 6c le demanda;
mais on lui refufa, à moins qu'il
n'eût beaucoup de traite, c'eft-à-dire,
de marchandife à donner en troque ; 8c
pour s'expliquer à fa maniere 8c lui faire
comprendre que ce fufil etoit d'une
grande valeur, on lui dit qu'il vaIJoic
plus de fols marquez, que fept ou huic
perfonnes qui étoient là prefens n'avoient
de cheveux à la tête, ce qu'on
fait en prenant les cheveux avec la main ,
8c difant mouche^ mouche^ feis marq^uez.
C'eft leur maniere de s'expliquer quand
ils font au bout de leur arithmétique,-
6c qu'ils veulent exprimer un très-grand'
nombre, pour lequel ils n'ont point de
termes, car ils ne fçavent compter que
jufqu'à d i x , 8c quand ils paffent ce nombre,
ils mettent des pois dans une ca-
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