504 NOUVEx^UX VOY
piler le Sucre, le rengent des deux cotez
du canot. On y jette les pains peu à peu
afin de les piler mieux, & plusaiiement,
&lorfque le canot eft plein, on le fouille
avec une hoiie de fer, & on prend avec
des coiiis le Sucre pilé pour le porter aux
barriques, fur chacune defquelles il y a
unhebichet, c'eft-à-dire, uneefpece'de
crible fait de côtes de latanier, ou de rofeaux
iC>i)6.
Coì»-
menl on
f ile le
Sucre.
refendus, ou on le met. Il y a une
perfonne à chaque hebichet qui remue,
& qui fait paiTer le Sucre à travers, 6c
lorfqu'il y en a la hauteur de fept à huit
pouces dans labarrique, ceux qui avoient
pilé dans le canot fe mettent trois à trois
à chaque barrique , & pilent de toutes
leurs forces le Sucre qui eft dedans, afin
d'y en faire entrer une plus grande quantité.
On recommence à paiîer par l'hebichet,
& à piler alternativement jufqu'à
ce que labarrique foit pleine, un peu audefllis
dujable, & que le Sucre foit bien
comprimé.On ne reconnoît qu'une barrique
eft bien foulée, qu'en la frapant avec
le doigt, elle rend un fon clair comme fi
c'étoit une piece de bois toute pleine &
entière.
Pour empêcher que les fonds des barriques
ne fautent par l'eiFort des pilons, .
on a foin avant d'y mettre du Sucre, de
cloiicr un cercle autour du jab!e, pour
. , , ....i- retenir les fonds, ôc les empêcher de tomlionpour
Précaufe
ber, s'il arrivoit que les cercles fe lâchafempêcher
fgn^ p^,!-[g quantité d tes barn- ^ r j 1e Si ucr•e , qu'on^ fait
(¡ues de entrer par force dans les barriques. Car
plus le Sucre eft fee, bien pilé, 8c bien
preiTé, mieux il feconferve dans le voyage,
fans prendre d'humidité qui le feroit
devenir gris. Une barrique bien foulée
doit coMenir fix à fept cent livres de Sucre
dé.
foncer.
net.
Les morceaux qui n'ont pû paOerpar
l'hebichetfontrejettez dans un autre canot,
ou IcsNegres qui ont pilé dans Its
barriques, les pilent pendant que les au-
A G E S AUX ISLES
très paflent parl'hebicher. Les Peres Je- if»/,.
fuites de la Martinique avoient un petit
MouHn compoféde deux meules de pier- Moulin
re pour moudre les morceaux qu'on appellc
des crotons. Cela avançoit beaucoup
le travail; mais pour peu que les deSuire.
meules s'égrenaflent, el es gâtoient le Sucre,
& c'eft ce qui a empêché bien des
gens de s'en fervir.
C'eft ainfi qu'on met en barriques tout
le Sucre qui fort del'étuve, obfervant de
ne travai 1er jamais la nuit, à caufe que
l'air étant pour lors fort humide, communique
fon humidité au Sucre, & le
gâte. Car il eft certain que plus il eft fee,
&bien pilé, plus il doitparoître blanc.
Il y a pouitant des cas qui obligent à chercher
d'autres moyens, pour lui donner
cette qualité, quand elle lui manque ^
dont j'ai été obligé de me fervir plus
d'une fois. '
Je me trouvai un jour chargé d'une
étuvéc de Sucre de près de fix cent formes,
qui ne promettoit pas de donner dans
la vûë des Marchands par fa blancheur.
Un Capitaine à qui je le fis voir étant encore
à l'étuve ne voulut jamais m'en donner
plus de dix-fept livres dix fols du cent,
pendant que le prix courant étoit vingtdeux
livres dix fols J e fis piler un peu de ce l'iven-
Sucre qui ne me contenta pas; je m'avifai 'f"
uTinn jionunrrr dl'f'e"nn rriaipnpneprr uiinn mmnorric^ie'oaiui , &Rr je t^Aru -
trouvai que la rappe lui donnoit tout un pour faiautre
oeil, parce que n'écrafant pas fes f^'""'-
parties comme le pilon, il leur reftoit
quantité de petites fuperficies qui refle- £llnc.
chiilbient la lumiere, & qui par confequent
augmentoient fa blancheur. Je fis
quelques épreuves qui achevèrent de me
convaincre. Mais comme je craignois que
mes yeux ne me trompafient, & qu'ils ne
fuflent pas de bons Juges, dans une caufe
oi^i ils avoient intérêt; j'envoyai deux paquets
de ce même Sucre, un pilé, &
rappé, à un de nos ^•oifinstrcs-bonc6nnoifleur
F R A N C O I S E S DE L'AMERICLUE. 50f
t-CffC. noiiTeur en cette marchandife, 5c je le Mais cette augmentation emportoit prefpriai
de me marquer le prix de chacun, que tout le profit qu'ils pouvoient fiiire.
Illeseftima, & j'eus le plaifir de Voir Ils avoient éprouvé pendant laGuerre que
qu'il avait eftimé mon Sucre rappé vingt- les fucres provenans des prifes qu'on faitroisfrancs,
& celui qui étoit pilé feule- foit fur les Anglois, réuiïïiToient très-bien
incntdix-fept. Il n'en fallut pas davantage aurafinage, parce qu'étant bien purgez,
pour me faire refoudre, à faire rapper près il n'y avoit plus qu'un beau grain terme
4e fix cent formes de Sucre, ôc quoique & bien préparé, qui diminuoit peu à la
ce travail dût être long & ennuyant, je
fonte, & qui étoit aifé à clarifier. Ils envoyèrent
crus que je ne devois pas négliger de
quelques Marchands aux Illes,
gagner cinq ou fix francs par cent.
qui propoferent aux Habitans de faire du
J'achetai donc une douzaine de grages,
fucre à la manière des Anglois, 8c les y
dont je fis un peu rabattre les pointes ,
encouragèrent par le prix confiderable où
afin qu'elles fiflènt le Sucre plus fin, &
ils le firent monter en peu de tems. Le
j'occupaipendantquatre jours quinze ou profit étoit grand pour les uns & pour
feizeNegresà rapper tout ce Sucre. Le les autres. Les Habitans qui n'avoient
même Capitaine étant revenu quelques point d'établiflement pour blanchir leur
jours après, &m'aïant demandé par rail- fucre, y trouvoient leur compte, parce
lerie, fi je voulois l'accommoder d'une qu'ils n'avoient point l'embarras de le
partie de Sucregris; je lui repondis que terrer, delefecher àl'étuve, 6cdelepijen'envendois
que de très-blanc, & que 1er pourle mettre en barriques. LesRafij'en
avois une partie qui contenteroit de neursygagnoientencoredavantage,parcc
plus difiîcile que lui. Ilcrutquejem'étois que ce fucre paflant pour fucre b rut , ils.
défait de celui qu'il avoit vû ; 6c quand nepayoient qu'un Ecu par cent de droit
je lui montrai mon Sucre rappé; il le d'entrée, quoiqu'il rendît à la fonte preftrouvatrès
beau, &leprîtfur lepied de que autant que le fucre terré : car il ne
doit y avoir aucune difference de l'un à
l'autre, finon qu'on met celui-ci dans des
barriques percées, & garnies de deux ou
trois Cannes, afin qu'il puifle purger plus
facilement} au lieu qu'on met dans des
formes celui qu'on doit terrer.
J'ay fait faire quelques parties de cette
forte de fucre, qui étoit plus de moitié
vingt-deux livres quinze fols le cent.
Quand nos affiiires furent terminées, je
lui dis que c'étoit le même Sucre, qu'il
avoit vû, 6c je lui en fis apporter quelques
Origine
de ce
Sucre,
pains qui reftoient. Avec tout cela,
i n'auroit jamais cru cette metamorphofe,
fi je n'en avois pas fait faire l'experienceenfaprefence.
D'autres gens aïant
appris ce fecret s'en font fervi avec le mê- blanc avant d'être livré aux Marchands ;
me fuccez. mais je ne trouvois pas que ce fût un profit
pour nous qui avions tout ce qui étoit
necefiaire pour le blanchir, 8c le vendre
une fois autant; outre qu'on perdoit les
firops fins, ce qui n'eft pas fi peu confiderable,
qu'on le doive négliger. Il eft
DU SUC RE P JS S E\
Ce Sucre doit fa naiflance à l'augmentation
des droits d'entrée dont le fucre
blanc fut chargé en i6î)8. LesRafineurs, vrai, qu'on peut profiter deî firops qu'ils
de France achetoient le fucre terré pour rendent, mais on ne peut jamais en faire
le refondre, 8c le mettre en petits pains d'auflî belle marchandife que de ceux qui.
qu'ils vendoient comme fucre Royal, font reçus dans des pots, qui font toû-
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