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158 NOUVEAUX VOY
pefant comme étoit le nôt re, dont le dedans
fut plus délicat & la croûte plus
ferme & plus naturelle.
La. table fur laquelle on pofa ce
pâté merveilleux étoit auffi extraordinaire
que lui. Quatre fourches de bonne
taille, enfoncées en terre, en faifoient
les quatre coins j elles avoient
deux pieds & demi hors de terre. Elles
foutenoient deux bonnes traverfes qui
y étoient fortement liées avec des effaces
d'entretoifes, afin quelequarréong
qu'elles formoient demeurât toujours
égal & immobile. Le dedans étoit
g/irni de liannes traverfantes & nattées,
mais peu tendues, couvertes de
feuilles & de fleurs, fur lefquelles on
mit la Tortue dans la même fituation
ou elle avoir repofé dans le four. Les
bouts des traverfes qui débordoient furent
garnis de petites gaulettes droites
ôc couvertes de feuilles & de fleurs,
iur lefquelles on étendit des nappes qui
faifoient le tour du parallelograme ,
& fur ces nappes on pofa~ les afliettes
& les autres chofes necelTaires à une table.
- J'oubliois de dire qu'on avoit nétoyé
avec foin la croûte du pâté, afin qu'il
n'y reliât ni ihble, ni cendre, ni charbon,
ni autre chofe qui eût pû gâter le
couvert, ou choquer la vue.
La Tortue étant en cet état, & tous
les conviez alîis fur des bancs de même
fabrique que la table ; on cerna
tout autour le plailron de la Tortue
afin de l'ouvrir ; 8c à peine l'eut-on
levé qu'il en fortit une odeur mille
iois meilleure que je ne le puis direj
en un mot jamais odeur de pâté ne
çhàtoiiilia l'odorat plus délicatement
que celle qui fe répandit de tous cotez
à cette ouverture. Outre la Tortue il
y avoit du poiiFon de diverfes fortes
en abondance qu'on ne daigna pas feii-
AGËS AUX ISLES
lemcnt regarder. On ne fongea qu'au
pâté. On en mangea beaucoup & de
grand appétit; 6c il étoit fi délicat &
fi bien aflaifonné qu'il fembloit exeiter
la faim, au lieu de l'appaifer. 1}
étoit tard quand nous nous mîmes à
table, ony fut long-tems; il étoit tard
par confequent quand nous en fortîmes.
On fit referver le plaftron & deux
autres plats du plus beau poiiTon pouï
ceux qui voudroient fouper, & on abandonna
le refte à ceux qui n'avoient
pas mangé avec nous, aux domeftiques
& aux Negres, 6c nous paflames le
refte du jour à nous promener fur cet
l i l e t , 6c à raifonner fur les établiffemens
qu'on pourroit faire dans ces endroits.
Nous nous rembarquâmes après le
coucher du folcii, 6c nous arrivâmes
aflez tard à nôtre gîte ordinaire. Comme
je n'avois pas befoin de fouper, &
que j'étois fatigué, j'allai achever mon
Breviaire, 8c je me couchai.
^ Le Samedi je pallài toute la matinée
a mettre au net les corretaions que j'avois
faites au plan deMonfieur Van Defpigue
, pendant que Monfieur Auger retourna
à la grande riviere de Goyaves
pourvoir les terres qu'on pourroitconceder,
8c de quelle maniere les habitations
chaflcroient pour avoir la commodité
de la riviere , 6c une hauteur convenable
fims préjudidcr aux terres déjà
concedées.
Nous partîmes après dîné pour nous
rendre à la nouvelle habitation que
Monfieur Houel faifoit faire a la pointe
d^Antigues. Monfieur Van Defpigiie
nous y accompagna. On fonda tout le,
long de la côte depuis la riviere falée,
ce qui fit que nous arrivâmes afièz
tard. Nous foupâmes d'abord que
nous eûmes mis pied à terre , aïant
porté avec nous un plallron de Tortue
F R A N C O I S E S DE L' A M E R I Q L U E . t} 9
il étoît aifé de conclure que le fucre i6(j&.
brut qu'on en feroit, pourroit être beau,
comme il l'étoit en effet dans tout le
quartier du grand cul-de-fac, mais qu'il
feroit difficile de réuffir en fucreblanc,
comme il eft arrivé. Il eft à éfpérer
ifod ^ pofflbn roti. Mais il nous fut
' impoffible de dormir. Il fembloit que
tous les atomes de l'air fe fuiTent convertis
en mouftiques, en maringouins,
froiii- 8c en une autre efpece de bigaille qu'on
i/î ii« appelle des Vareurs ; ce font des cou-'
fins de la grande efpece qui ont urt aim,.
guillon fi fort 8c fi long qu'ils percent
(jjwwles hamacs caraïbes les mieux peints
S c i e s plus forts, 8c caufent par leurs
piqueures autant dedouleur qu'un coup
de lancette qui vous perce la chair ; de
forte que nous fûmes contraints d'abandonner
la maifon, 6c de nous retirer
dans nos canots remplis de feiiilles, 8c
bien couverts de leurs voiles où nous allâmes
pafler la nuit à cinq ou fix cens
pas au large, aïant nos armes auprès
de nous, 8c deux canots armez pour
nous garder. Cette importune foule
de coufins nous accompagna une centaine
de pas à la mer, après quoi ils
s'en retournèrent à terre, 8c nous laiilerent
en repos.
Le Dimanche zp Avril je dis laMefle
de bon matin. On avoit eu foin d'apporter
les ornemens de la Chapelle de
Monfieur Van Defpigue, 8c pendant que
Monfieur Houel expedioit les affaires,
pour lefquelles il étoit venu, je fus me
promener avec Monfieur Auger le long
delà côte. Ce païs nous parut très-beau,
8c quoique la terre foit blanchâtre, legere
6c fabloneufe, elle ne laiiTepasd^être
bonne, du moins autant qu'on en
peut juger par la hauteur ôc la groiTeur
des cannes à fucre, des arbres 8c des maniocs.
Une chofe me furprit dans tout ce
quartier-là. C'étoit d'y voir les cannes
plantées jufques au bord de la mer. Je
goûtai de ce les-ci commej'avois goûté
de celles de Monfieur Van Defpigue, 8c
je les trouvai toutes un peu fommaches,
c'eft-à-dire un peu faléesj d'oii
que ce deffaut ceiTera quand les terres
feront plus ufées , 6c que le nitre dont
elles abondent à prefent, fera diffipé.
Les habitans de ces quartiers prétendent
que le terrein du bord de la mer
eft meilleur que celui qui en eft plus
éloigné, parce qu'il ett plus gras 6c moins
pierreux. Je fuisperfuadé qu'ilsfetrompent,
6c les experiences que j'ai faites
depuis ce tems-là, 6c dont je ferai parc
au Leéteur quand je parlerai de la fabrique
du fucre, m'ont convaincu que
j'avois raifon de penfer comme je penibis.
J e n'avois jamais tant vû de crabes
que j'en vis dans ce quartier-là. Les
Cannes, les fa vannes, es maniocs, les
bois 6c les chemins en étoient pleins.
Elles étoient blanches, 6c avoient de
fi prodigieux mordans que je paflbis
mon pied au travers , quand el es les
prefentoient pour fe defftndre. C'eft
un grand fecours pour les Negres, 6c
pour les habitans. La chaiTe 8c la pefche
y font abondantes , de forte que
la vie coûte peu , ce qui invite bien
du monde à demander des concefijons
pour y faire des établiiTemens. Mais
à mon avis ces avantages font furieufement
balancez par le deffaut d'eau za
douce dont cette liîe, c'eft-à-dire la ¿ei'w
grande terre, eft abfolument dépourvûë,
pendant que la Guadeloupe en a
pour fournir toutes les Ifles voifines.
On ne trouve à la grande terre que
quelques mares d'eau croupie 8c gâtée
par les crabes, 6c quelques mauvais
muits d'eau à demi falée, qui encore
le plus fouvent fe trouvent infeétées
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