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40 N O U V E A U X VOYAGES AUX ISLÉS
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ÎÎ94. compte de ce que j'avois fait à la Rochel
e pour nôtre embarquementj il me
fit un ample détail de l'état de nos Miffions,
Se des chagrins que cela lui donnoit,
dont le plus grand étoit de n'avoir
pas un Religieux de co nfiance qu'il
pût mettre à la tête des affaires. I me
dit que ce qu'on lui avoit écri t , & qu'il
a voit appris des Religieux avec lefquels
j'étois venu, l'av oit déterminé àfefervirdemoi,
8c qu'il le feroit des ce moment,
fi j'étois un peu plus inftruitdes
maniérés du pays, mais qu'en attendant,
il me delHnoit une Paroifle qui
ne me donneroitpas beaucoup de fatir,
à condition que j'étudierois avec
labitans fe conduiïue,
foin, comment les
foient dans le gouvernement de leurs
habitations, de leurs Negres , deleurs
manufaélures, afin d'être bien-tôt en
étatde fairece qu'ilfouhaittoit de moi.
Quelquerépugnance que j'eufle pour ces
fortes d'emplois, qui entraînent avec
eux) une grande perte de tems , qui
me détourneroient de mes études, ôc
du motif principal qui m'avoit appellé
aux Miffions, je fus obligé de
lui promettre ce qu'il voulut, & je
puis dire lui avoir tenu parole trop
exadement.
L e Dimanche feptiéme Février j e dis
la Mefîe à nôtre Chapelle domeitique,
& je fis le Catéchifme à nos Negres j
le Pere Supérieur General qui étoit prefent
me témoigna qu'il étoit content,
& que ma maniéré d'enfeigner luiplaifoit.
J'accompagnai enfuite le Pere du Mai
à iaPareille du Marigot , où il alla dire
laMeiTe & prêcher j après la Mefle on
fit la Prbceffion ordinaire du Rofaire ,
parce que c'étoit le premier Dimanche
eu mois qui eft deftiné à cette devotion.
Je ne manquai pas de remercier M.
le Comte de l'honnêteté qu'il avoit eue lip^,
de nous renvoyer nos Matelots avec
une lettre fi obligeante. Il me dit fort
civilement, qu'il ne croiroit pas que
nous lui euffions pardonné la faute de
fes gens, fi je ne lui en donnois une
preuve en venant dîner chez lui; Nous
en fîmes difficulté, parce que nous n'en
avions pas demandé a permiffion à nôtre
Supérieur, il nous répondit qu'il civilh
s'attendoit bien à cette réponfe , mais
qu'il y avoit pourvû , ayant envoyé
pendant la MeiTe un de fes Negres avec
une lettre pour la demander, ôc nous
prcfentant en même -tems cellè que lui
écrivoit le Supérieur qui nous laiiToit
une liberté toute entiere là deiTus : nous
acceptâmesfonoffre} M. delà Chardonniere
Capitaine de Milice du quartier
avec deux ou trois autres des principaux
&leurs femmes furent dudîner, qui fut
fervi avec toute l'abondance & toute k
politelTe imaginable.
Ce fut a cette occaiîon quejefisconnoiiTance
avec M. de laChardonniere}
nous entrâmes chez lui en nous en retournant,
& nous commençâmes à lier
enfemble une amitié qui à duré jufqu'à
fa mort.
M. de la Chardonniere etoit un des FamUlï
anciens habitans de l'Ifle, fon nom eft diMéfie
VaiTor. Il avoit deux frères établis f'""' ''
dans la même Ifle. L'aîné étoit ce M. le '''
VaiTorConfeillerauConfeil, dont l'habitation
eft à côté de celle de Madame la
Marquifed'Angennes. Il étoit Capitaine
de Milice du Fort Saint Pierre. Il
étoit venu fort jeune aux Mes, s'étoit
trouvé à la guerre contre les Sauvages,
& aux entreprifes que les François avoient
faites furies Anglois & fur les Ef -
pagnols : il avoit toûjours fervi avec
diftinétion. Il avoit époufé une veuve
riche. Scie bonheur l'accompagna tellement,
que peu d'années après il fc vit
en
F R A N C O I S E S D
en état de faire une fucrerie. Sa femme
en mourant le laiila héritier & fans enfans.'
Monfieur le Vaflbr de la Chardonniere
Capitaine du Marigot qui étoit fon
cadet, étoit venu auxilies quelques années
après fon aîné qui l'avoit d'abord
employé fur une de fes habitations à côté
de la nôtre, qu'il vendit enfuite au
fieurBirot de la Pomeraye, Notaire 8c
Arpenteur Royal. Il lui fit époufer la
veuve d'un nommé Jolly habitant du
quartier, appellé le fond du Charpentier,
laquelle étant morte quelque temps
après leur mariage, elle laiiTa iês biens
àpartager par moitié entre fon mari Se
un fils qu'elle avoit eu de fon premier
lit. Le fieur de la Chardonniere traita
avec ce fils. Se moyennant certaines
conditions, il demeura maître de l'habitation
où il étoit encore. J'ai connu
le fieur Jolly fon beaufils à la Guadeloupe,
où il étoit établi au quartier de la
pointe noire.
Monfieur de la Chardonniere étoit
brave, civil, bon Chrétien, bon ami ; il
étoit riche Se fe faifoit honneur de fon
bien, fes enfans très-bien élevés, Se fa
maifon une des mieux réglées de l'Iile. Il
avoit montré beaucoup de courage Se
de prudence dans une infinité d'entreprifes
fur les ennemis où il s'étoit trouvé.
Il eft mort Lieutenant Colonel du Regiment
de Milice de la Cabefterre.
Monfieur le VaiTor fe voyant riche,
veuf, ScCapitaineduFortS.Pierre, fit
un voyage à Paris, où il ^oufa une des
filles du fieur le Quo y , Officier de l 'Hôtel
de V i l le, Se emmena en même temps
une des foeurs de fa femme pour la marier
avec fon frere la Chardonniere.
Madame le Vaflbr étoit belle étant jeune,
l'âge l'avoit fait groffir extraordinairement,
Se la lefture de quelques livres
lui avoit tellement gâté l'efprit,,
qu'on difoit qu'elle étoit une copie aiTez
Tom. L ^
E L ' AME R IQUE . 4»
achevéedes Précieufcsde Moliere.Monfieur
le Vaflbr avoit euplufieurs enfans
de fon fécond mariage, Se entre autres
une fille qui époufa en 1699- le Marquis
de la Rofa, Vice-amiral des Gallions
d'Efpagne. J'en parlerai dans un
autre endroit.
Pour Madame de la Chardonniere
c'étoit une femme d'un très-bon efprit.
Ellefe piquoit de régularité Se de politefle.
Se avec raifon; car fa conduite
étoit également fage, Chrétienne Se civile,
fon unique défaut étoit de parler
beaucoup. Madame***. Se une certaine
Madame ***. étoir les feules dans
toute l'Ifle qui pouvoient parier avec
elle. Je me fouviens qu'étant allé un
jour chez elle avec le Pere Martelli,
nous y trouvâmes ces deux femmes;
nous eûmes la patience de demeurer
près d'une heure à les entendre parler
toutes trois fans avoir jamais pû trouver
le moment de dire une leule parole.
Je fortis enfin avec Monfieur de
la Chardonniere pour aller voir fa fucrerie
, Se quelque temps après le Pere
Martelli ayant pris congé nous montâmes
à cheval, Se nous nous retirâmes
: mais comme ce Pere aimoit à
parler à peu près autant qu'une femme,
il ne pût digerer le chagrin qu'il
avoit eu de garder le filence pendant
une fi longue converfation. Ils'en plaignit
dans quelques endroits. Se ajoûtant
quelque chofe de fon invention à
la vérité qu'il pouvoit rapporter, il
afliira que ces trois Dames pour conferver
la paix Se l'union qui étoient entre
elles. Se ne pas s'interrompre, avoient
fait apporter une bougie, Se y avoient
fCi^chUéA Ad^e^sÀ é^p:i n i J-FjirL
Se que quand
épingle, cel
gles à des diftances égales,
a flâme étpitarrivée aune
equi tenoit le bureau le
cedoit a une autre, 8c ainfi de fuite jufqu'a
la fin de la bougie ^ mais que
F com