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 i6çs.  mcOaobre,  mêlée de grains de  vent  furieux, 
   avec  de  grands  coups de  tonnerre} 
   elle dura  ainfi  fans prcfque  difcontinuer  
 jufqu'au Vendredy fepticme  qu'elle  
 celTa  tout  à  coup  fur  les  fix  heureç  du  
 matin.  
 Nous  crûmes alors que tout étoit  fini,  
 ecje me préparois  à  remettre mon  Eglife  
 enctat  d'ydirelaMeiîe.  CardèsleLundi^ 
 Papparence  d'un  ouragan  me  faifant  
 craindre que le comble de  l'Eglife  ne  fût  
 emporte,  parce  que  toute la  nef  &  une  
 partie  des  Chapelles  n'étoient  fermées  
 que par des baluitres fans contrevents,j'avojs  
 à  tout  hazard  retiré  le  Très  S.  Sacrement  
 du Tabernacle,  Scjel'avois ferre  
 le  plus  décemment  qu'il  m'avoit  été  
 poffibledans une  grande armoire que j'avois  
 couverte  avec  des  tapis,  & par deffus  
 avec  une  toile  cirée  bien  cloiiée.  
 J'avois  fait  contrebouter  l'armoire  avec  
 de  bonnes  pieces  de  bois,  Se  j'avois  
 ajuilé  des  planches  pardeiTus,  afin que  
 il  le  comble  venoit  à  tomber,  il  n'arrivât  
 aucun  accident  à  ce  que  j'y  avois  
 renfermé.  J'étois  donc  prêt  à  remettre  
 toutes  chofes  en  leur  place,  &  j'avois  
 déjà  fait  appeller  mon  Sacriftain  
 quand  j'entendis  que  le  vent  recommffiiçoit  
 à  fouffler avec  plus  de  violence  
 qu'il  n'avoit  encore  fait.  Pour  lors  
 on  ne  douta  plus  que  nous  n'eûffions  
 un  ouragan  de  vent  dans  toutes  les  
 formes,  après  avoir  eiTuyé  un  déluge  
 d'eau  avec  beaucoup  de  vent  &  de  
 tonnerre  les  cinq  jours  precedens.  Je  
 me  retirai  dans  ma  maifonj  mais  mon  
 voifin Monfieur  du Roi  m'envoya  prier  
 d'aller  paiTer  le  mauvais  tems  avec  lui,  
 parce  qu'il  me  croyoit  plus  en  feurcté  
 dans  fa maifon  que  dans  la  mienne.  Il  
 fallut  monter  à  cheval  pour  m'y  rendre, 
   &  m'y  tenir  en  embraiTant  le  col  
 du  cheval,  fans quoi  le  vent  m'auroit  
 emporté.  Jcn'aurois  pourtant  pas pris  
 A G E S  AUX  ISLES  
 de  voiture  pour  faire  un  trajet  d'en-  Jifes- 
 •  viron  trois  cens  pas  qu'il  y  ivof t 1  ^  ^  
 ma  ma.fon  à  la Tienne fi le chemin  avoit  
 ete  praticable  j  mais  la  favanne  quoi.  
 que  foitelevéefic  fort  en  pente,  étok  
 comme  une  mer,  oii  les  élévations  du  
 terrein  paroiiToient  comme  de  petites  
 liles,  tout  le reftc étant couvert  de  plus  
 de deux  pieds  d'eau  qui  couloir  conime  
 un  terrent  J'arrivai  enfin  chez  mon  
 voiiîn,  Sc  fypaiTai  le  refte^de  la  journée  
 &  toute  la  nuit.  Mes  gensfe baricaderentdeleur  
 mieux  dans  ma  maifon  
 ^ e  fort  du  vent  commença  furies deux  
 heures  après  midi  par le Sud,  il  vint  au  
 Sud-oueft,  puis  a  l'Oueft,  il  ihuta  au  
 Nord  fur  les  fept  heures,  &  acheva  le  
 tour  du  compas  avec  la même  violence  
 lur  les  quatre  heures après minuit,  à  ce  
 qu  on  me  dit,  car  je  m'étois  mis  dans  
 un  hamac  fur  les  dix  heures  ,  où  ie  
 m  endormis  fi  bien  que  je  ne  fentis  &  
 n'entendis  rien  de  tout  ce  qui  fe  pafloit  
 :  je  ne  me  réveillai  que  fur les cinq  
 heures,  quand  tout  étoit  prefqueachevé. 
   Il  eft  vrai  que  de  tems  en  tems  le  
 tonnerre  me  faifoit trefl'aillir,  &que  je  
 me  réveillois  quelquefois  en  furlault,  
 quand  le  changement  du  vent  faifoit  
 trembler  &  craquer  la  maifon  plus  qu'à  
 'ordinaire^  mais je  me rendormois dans  
 le moment ,  ce qui fit dire à tout le monde  
 quej'avoit peut-être  été le feul de toute  
 riile qui eût  dormi  pendant  cette  effroyable  
 nuit.  
 _  Le  vent  &  la  pluye  durèrent  encore  
 jufqu'a neuf  heures,  mais  d'une  manière  
 moderée,  ce  qui  ne  paroiiToit  rien  en  
 comparaifon  de  ce  qu'on  avoit  reflenti  
 pendant  la  nuit.  A  midi  l'horifon  fur  
 clair  de  tous  côtez.  Le  vent  ordinaire  
 d'Eft  commença  a  fouffler,  &  le  plus  
 beau  tems  du  monde  fucceda  au  plus  
 affreux  que  l'on  eût  vû  depuis  bien  des  
 années.  Mais  il  ne  repara  pas les  domma 
 F R A N C O I S E S  DE  L'AMERIQUE.  i p  
 mages  infinis  que  l'ouragan  avoit caufé,  long,  fut tellement  ruinée qu'on ne  pou- 
 C'étoit  une  chofe  pitoyable  de  voir  les  
 arbres  abbattus  les  uns  fur  les  autres,  
 ceux qui étoient  demeurez  fur  pied  fans  
 feiiilles &  fans-branches,  les  cannes  &  
 les  maniocs  arrachez  ,  les  cacoyeres  
 prefque ruinées,  les  maifons  renverfées  
 ou  découvertes,  les  chemins  rompus .}  
 lesendroits  les  plus  unis  réduits  en  fondrières  
 &  en  ravinages  }  les  animaux  
 fauvages,  ils  regardoient  avec  eft'roi  de  
 tous  côtez,  &  fembloient  ne  plus  reconnoitre  
 les  lieux  où  ils  étoient  tous  
 les jours,  & véritablement  ils  n'étoient  
 plus  reconnoiiiàbles  ,  car  on  ne  pouvoit  
 rien  ajouter  à  la  dcfolation  qu'on  
 voyoit  de  tous  côtez.  Dieu  conferva  
 mon  Eglife  pour  laquelle  je  craignais  
 extrêmement}  elle  en  fut  quitte auffibicn  
 que  ma  maifon  pour  quelques  
 rangs  d'eiTentes  qui  furent  emportées  
 avec  les  planches  du  faitage.  La  Cabefterre  
 fouffrit beaucoup,  mais  ce  fut  
 encore  toute  autre  chofe  à  la  bafleterre  
 Se au Fort  Royal.  Nôtre  Couvent  
 du  Moiiillage  qui  en  ce  tems-là  n'étoit  
 que  de  bois,  Se  fort  vieux,  penfa  
 être  emporté  par  une  ravine  d'eau  qui  
 tomboit du morne au pied duquel  il étoit  
 bâti,  il fut  prefqueemierementdécou-  metre  coupez  par  la  moitié,  &cmpor- 
 '  •  '  tez  à  plus  de  mille  pas  du  refte  de  leur  
 vert  auffi-bien que  l'Eglife.  
 Pendant  que  le  vent  étoit  à  l'Oueft  
 il  fit  tellement  enfler  la mer  Se la  porta  
 avec  tant  de  violence  contre  la  terre,  
 qu'elle  emporta  une  batterie  de  huit  
 canons qui  étoit  à  l'embouchure  de  la  
 riviere  S. Pierre,  elle  ruina  une  partie  
 des murailles  du  For t ,  les  logemensdu  
 General, avec l'angle du coté de l'Oueft.  
 Six  ou  fept  vaiiTeaux  Se quantité  de  ba-  Se  dégradé  les  chemins,  qu'ils  étoient  
 riques  vinrent  à  la côte,  oii  la  plûpart  impraticables,  
 furent mis en piece.  Toute  cette gran-  Tout  le  bien  que  produifit  cet  ouile  
 Se longue  vûë  qu'on appelloit la Gai-  ragan  à  ceux  qui  n'avoient  pas  grand'- 
 lercj  de  plus  de  fept  à  huit  cens  pas de  chofe à perdre comme moi ,  futquepert- 
 tronc.  
 La  premiere  chofe  à laquelle  il  fallut  
 penfer,  fut  la  reparation  des  chemins.  
 Ma  Paroifle eut  beaucoup  à  travailler  ,  
 parce  que prefque  toutes  les  habitations  
 étant  féparées  les unes  des  autres  par des  
 rivieres ou par  des  ravines  extrêmement  
 profondes,  la  pluye avoit tellement  gât é  
 K  3  dans  
 iCiiîi  
 voit  pas  connoître  le  lendemain  les lieux  
 où  il  y  ayoit  eu  des  maiions,  tant  la  
 mer  y  avoit  apporté  ou  découvert  de  
 grofles  roches.  De toutes  les maifons qui  
 formoient ce quartier,  il  n'en  refta  que  
 trois  ou  quatre,  avec  le  magafin  de  la  
 Compagnie  de  Guinée,  Se  un  autre  
 qui  aïant  de  gros  murs  en  forme  d'éperons'pour  
 foûtenir  les  terrafles  qui  éles  
 plus  domeftiques  étoient  devenus  toient  devant  leurs  portes,  rompirent  la  
 '  •  -  .  violence  de  la  mer.  Se  fe  garantirent  
 ainfi  de  fa  fureur  Se  de  fon  impetuofité. 
   
 Il  me  femble  avoir  déjà  remarqué  
 que  la  plûpart  des  arbres  de  l'Amerique  
 ont  peu de racines  enterre,  Se qu'ils  
 ne font foûtenus que par  degi'andes cuiffes  
 dont  les  extrêmitez  femblent  plûtôt  
 ramper  fur  la  terre  que d'y pénétrer  fuffifamment  
 pour  y  prendre  de  la  nourriture} 
   en  e f e t ,  elles  n'y  entrent  pas  de  
 la  profondeur  d'un  pied.  Il  y avoit  une  
 infinité  d'arbres de cette forte que le vent  
 avoit  arrachez,  qui  étant  renverfées  fur  
 le  côté  faifoient  comme  des  murailles  ,  
 tant  ces grandes  cuifiês remplies de  terre  
 entre  les  fentes  des  racines  étoient  droites  
 Se  hautes.  J'ai  vû  avec  étonnemenc  
 des  arbres  de  plus  de^deux  pieds  dediai. 
 l  
 ifs.  
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