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 i rS  NOUVEAUX  V  O  Y  
 1694.  aiguës  &  tranchantes j  c'cft  un  animal  
 voracc,  hardi  &  dangereux,  qui  dépeupleroit  
 la  mer  fans  la  difficulté  qu'il  a  
 de mordre j  car  la difpofition  de  ia  gueule  
 eft  caufe  qu'il  faut  qu'il  fe  renverfe  
 fur  le  côté  pour  attraper  ce  qu'il  pouri  
 f u i t ,  &  ce  contre-tems  donne  très  fouvent  
 le  loiiîr  à  fa  proye  de  s'échapper.  
 O n  trouva  dans  fon  ventre  tout  ce  qu'on  
 avoitjetté  du  VailTeau  depuis  qu'il  nous  
 accompagnoit,  jufqu'à  un  marteau  du  
 Charpentier J  après  avoir  bien  rodé  autour  
 de  nous,  il  s'en  approcha  à  la  fin  
 ii  près,  que  nos  matelots  lui  jetterent  
 un  hameçon  gros  comme  le  pouce,  attaché  
 à une chaîne de fer &  à un bon  cordage  
 j  il  fut  quelque  tems  à  coniîderer  
 la piece  de lard  qui  couvroit  l'hameçon,  
 mais  comme  il  vit  qu'on  la  faifoit  remuer  
 comme  fi  on  eût  voulu  la  retirer,  
 il fe lança  deiTus  &  avala  l'hameçon  avec  
 tant d'avidi té,  qu'il  engloutit  en  mêmetems  
 une  partie  de  la  chaîne  j  on  tira  
 auffi-tôt  la  corde  afin  que  la  pointe  de  
 l'hameçon  s'acrochât,  ¿C'ce  fut pour  lors  
 que  nous  eûmes  bien  du  plaifir  a'voir  
 les  élans  Se  les  efforts  qu'il  faifoit  pour  
 fe  délivrer,  quand  il  fut  prefque  hors  
 de  l'eau  on  lui  jetta  une  corde  avec  un  
 noeud  coulant  qui  le  ferra à  la  naiiTance  
 de  la  queue,  &  avec  l'aide  des  palans  
 on  le  mit  fur  le  pont,  on  un  matelot  
 lui  donna  un  grand  coup  de  hache  finies  
 vertebres  pour  l'empêcher  de  battre  
 auiîi  furieufement  qu'il  faifoit  fur  le  
 pont.  On  falla  quelques  morceaux  du  
 ventre  pour  le  Vendredi  fuivant,  mais  
 nous  ne  le  trouvâmes  pas  bon 5  j e  croi  
 que  les  Dorades,  les  Germons  èc  les  
 autres  poiiîbns  que  nous  avions  en  abondance  
 nous  dégoûtèrent  de  celui-là.  A  
 nôtre  deiFauts  les  matelots  s'en  accommodèrent. 
   
 L e  Dimanche dixième  le vent de  Nord- 
 Eft commença  à  fe  faire  fentir  ,  &  comi 
 t é  il  y  avoiilieu  d'elperer  qu'il  devien- 
 A G E S  AUX  ISLES  
 droit  plus for t ,  &  qu'il  feroit  de  durée,  
 puifqu'il  commençoit  avec  la  pleine  Lune, 
   &  que nous  étions  dans  les  parages,  
 où  il  fe  trouve  ordinairement,  les  Capitaines  
 des  VailTeaux  marchands  vinrenc  
 prier  M.  de  la  Heronniere  de  leur  permettre  
 de  fuivre  leur  route,  fans  atten*.  
 dre  la  Tranquille  que  nous  étions  obligez  
 de  convoyer,  alléguant  qu'ils  commençoient  
 à  manquer  d'eau,  &  que  le  
 retardement  que  ce  Vaiileau  apporteroic  
 à  leur  voyage,  leur  feroit  d'un  grand  
 préjudice.  On  leur  permit  de  faire  cc  
 qu'ils  jugeroient  à propos'}  ils  commencèrent  
 auffi-tôt  à  s'éloigner  de  nous  après  
 avoir  falué  de  leur  canon.  
 Avant  que  -nôtre  flotte  nous  quittât  
 il  y  eut  un  petit  VailTeau  de  Nantes  qui  
 s'approcha  de  nous.  Le  Capitaine  étant  
 venu  à  bord  fit  prefent  au  nôtre  d'une  
 Dorade  qui  avoit  plus  de  fept  pieds  de  
 long,  &  le  pria  en  même  tems  de  lui  
 donner  un  peu  d'eau  &  de  bois,  fon  
 équipage  ayant  confommé  toute  la  provifion  
 qu'il  en  avoit  fiiite.  M.  de  la  Heronniere  
 lui  fit  donner  deux  groifes  futailles  
 d'eau  avec  la  moitié  d'un  mouton, 
   &  lui  confeilla  de  mettre  le  feu  
 à quatre  pieces  de  canon  de  bois  qu'il  
 avoit,  &  de  ne  garder  que  les deux  de  
 fer  qui  pouvoient  être  d'une  livre  de  
 balle.  Il  falloir  que  leurs  provifions  de  
 bois  5c  d'eau  fuffi;nt  bien  médiocres  ,  
 puifqu'ils  les  avoien:  confommées  en  lî  
 peu  de  tems,  n'étant  que  onze  perfonnes. 
   Ce  Bâtiment  appartenoit  à un  Marchand  
 nommé  Viau.  •  
 L a  Dorade  efl:  fans  contredit  le  plus  j.-,.,  
 beaupoiifonde  lamer;  quand  il  eft  dans  ¿a  
 l'eau  il  paroit  couvert  d'or  fur  un  fond  -DW?.  
 verd}  il a de grands yeux  rouges  &  pleins  
 de  feu,  il  eft  vif  &  très-gourmand}  fa  
 chair  eft  blanche,  ferme,  un  peu  feche  
 à  la  vérité,  mais  d'un  très-bon  goût,  
 elle  eft  meilleure  quand  elle  a  été  foupoudrée  
 de  gros  fel  pendant  cinq  ou fix •  
 heu- 
 Figtirê  
 F R A N C O I S E S  D  
 1Ó94.  heures,  que  quand  on  la  mange  toute  
 fraîche.  La  Dorade  eft  l'ennemie  mortelle  
 des  poiifons  volants,  elle  les  chaffe  
 avec  une  vivacité  fans  pareille,  elle  
 fe  laiiFe  prendre  fouvent  à  leur  apparence  
 ,  car  il  n'y  a  qu'à  lier  deux  plumes  
 de  pouk  ou  de  pigeon  à  l'hameçon  
 S'oijfons  qu'on  laiffe  traîner  à  l'arriéré  du  Navi- 
 -volants.  La  Dorade  qui  voit  ces  deux  ailles,  
 croit  que  c'eft un  poilTon  volant,  8c engloutit  
 l'hameçon  qui  eft  couvert  d'un  
 peu  de  toile  blanche,  &  fe  prend  ainfî  
 en  voulant  prendre  les  autres.  
 Nous  perdîmes  de  vûë  pendant  la  
 nuit  tous  nos  Bâtimens,  de  forte  que  
 nous  nous  trouvâmes  feuls  avec  nôtre  
 Tranquille,  qui  ne  pouvant  gouverner  
 faifoit des chapelles très-fouvent, &  nous  
 obligeoit  d'avoir  nos  baiTes voiles  ferlées  
 &  d'aller  feulement avec  nos  huniers  fur  
 Ce que  le ton.  On  appelle  faire Chapelle  quand  
 c-^eji^que  leVaifleau  vire  malgré  foi ,  cela peut  archapelle  
 ^iver  ou  par  l'imprudence  du  Timonier  
 qui  laiilë  venir  leVaiifeau  trop  auvent,  
 ou  parce  que  le  vent  faute  tout  à  coup  
 d'un  rhumb  à un  autre,  ou  parce que  le  
 gouvernail  eft  trop  foible  pour  le  Vaiffeau  
 en  fujettion}  de  que  que  maniere  
 que  cela  arrive,  on  cargue  l'artimon,  on  
 manoeuvre  fur  le  grand  hunier,  &  enfuite  
 on  évante  l'artimon  pour  aider  au  
 gouvernail.  Quoique  cette  voile  foit  la  
 plus  petite,  elle  n'eft  pas  la  moins  neceirairc} 
   fon  ufage eft très-ancien,  comme  
 nous  le  voïons  dans  les  A&es  des  
 Apôtres  chapitre  z j  verfet  4.0.  6c  fans  
 elle  un  VailTeau  qui  a  un  mauvais  gouvernail  
 ne pouroit manquer de fe perdre.  
 L a  Flute la  Tranquille  étoit  très-bonne  
 voiliere.  Quand  on  la  prit  fur  les  
 Hollandois,  il y  avoit  environ  deux  ans,  
 on  avoit  crû  la  rendre  excellente  en  
 augmentant  fes  mats  &  fa  voilure}  on  
 fe  trompa,  on  en  fit  une  charette  qui  
 nous  donna  bien  de  l'exercice  8c retarda  
 beaucoup  nôtre  arrivée  à  la Martini que,  
 ^rom./.  
 E  L ' AME R i a U E -  '7  
 J'ai  vû  en  1701.  cette  pauvreTranquille  1694- 
 échouée &  abandonnée  au Cap  François  
 de  Saint  Domingue.  
 Depuis  ce jour jufqu'au  i6  il ne fe paiTa  
 rien de confiderablc}  tout  nôtre  foin  ét oit  
 de  conferver  nôtre  compagne,  de  l'attendre, 
   ou  de  courir  après  elle  tous  les  
 matins quand  les marées  ou  les  chapelles  
 l'avoient  effloté  de  nous.  
 Quoique  ce  retardement  augmentât  
 beaucoup  la dépenfe  de nôtre  Capitaine,  
 il  ne  diminua  rien  de  fon  ordinaire}  8c  
 ' quand  nous  le  lui confeillions,  il  répond 
 o i t ,  qu'il  lui  fuffifoitd'avoir une  poule  
 de refte quand  il  arriveroit  aux  Ifles.  Il  
 avoit  été  autrefois Commiflaireen  Canada; 
  une  affaire qu'il  eut avec quelques  Ecclefiaftiques  
 de  cepaïs-lâ,  lui  fit  perdre  
 fon  emp  oi.  Le  crédit  de fa parente  Madame  
 dcFromont ,  mere  de  Madame  la  
 Maréchale de Lor g e ,  lui  procura  leCommandement  
 de la Loire  pour  le  faire  rentrer  
 dans le fervice de la marine, où fon  inclination  
 le  portoitplus  qu'à celui  de  terre. 
   
 J'ai  dit  ci-devant  que  nous  avions  
 quatre  pailagers  ,  Meffieurs  R o i ,  Kercoue, 
   Ravari  ,  8c  Gagni .  Ce  dernier  
 étoit  un  Gentilhomme  Picard  ,  brave  
 8c  bien  né,  que la  pauvretéavoit  réduit  
 à  fervir  dans  les Compagnies  de  la  Marine  
 en  qualité  de  Capitaine  d'Armes.  
 Une  de  fes  foeursReligieufe  à  Saint  Cir  
 lui  avoit  enfin procuré  une  Lieutenance  
 aux Me s ,  oii  il  étoit  venu  avec  le  Marquis  
 de  Ragni  Gouverneur  Général.  
 Qiielques  diffîcultez  qu'il  eut  avec  M.  
 le  Comte  de  Blemaç  fucceflëur  de  M.  
 de  Ragni  l'obligèrent  de  partir  fans  
 congé  pour  venir  porter  fes  plaintes  en  
 Cour}  il  fut  heureux  d'y  trouver  de la  
 proteâion,  car  fans  cela  il  auroit  été  
 cafle,  8»  peut-être  puni.  On  accommoda  
 fon affaire,  il s'en  retournoit  avec  
 promeiTe  d'être  avancé,  comme  en  effet  
 il  le  fut  l'année  fuivante j  on  le  fit  
 C  Ca -