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38 NOUVEAUX VOY
t e r r e j nôtre Médecin ne laiíTapas de le
faire faigner & purger au bout de dix ou
douze jours, 8c l'étant venu voir fur le
foir du jour qu'il avoit pris medecine,
il le trouva à table prêt à fouper. Ilnç
manqua pas à la ceremonie ordinaire
des Medecins, il lui tâta le pouls, dont
le mouvement extraordinaire lui ayant
fait connoître que ce Religieux étoit
très-mal, quoiqu'il ne fentît pour toute
incommodité qu'un grand appétit & un
petit mal de tête, qu'il prenoit pour
l'effet de la medecine, il l'empêcha de
fouper, & fans lui en dire la raifon, il
fit ôter ce qu'on lui avoit fervi, lui fit
^rendre feulement un boiiillon , avec
equel il lui ordonna de s'aller mettre
au lit. Il n'y eut rien à repliquer à cet
arrêt fouverain, il alla fecoùcher j pendant
que le Pere CabaiTon nôtre Supérieur
&: un autre Religieux allèrent reconduire
le Medecin, qui leur dit d'avertir
ce Religieux de fe préparer à la
m o r t , parce que fuivant les indices de
fon pouls, il ne feroit pas envie le lendemain
à midi. Cependant nos Peres ne
voyant point d'altération ni de changement
en lui, trois ou quatre heures apres
que le Medecin fut fort i , ils juge-
Jcnt qu'il pouvoir bien s'être trompe,
& qu'un avertiflement de cette nature
pouvoir lui faire une terrible imprefilon
j & comme ce Religieux s'étoit
confeiTé 6c avoit dit la Meiîè le jour précèdent
, ils crurent qu'il feroit aflez tems
deTui dire de penfer à la mort le lendemainmatin,
en cas qu'il fe trouvât plus
mal. Le Pere Supérieur fe leva effeétiv
cment le lendemain deux heures avant
le jour , & étant entré dans la chambre
de ce Religieux, il le trouva prefque
fins connoiiTance. Il appella auffi-tôt
fon Compagnon qui l'avoit confeiTé,
afin qu'il tâchât de le réconcilier pen-
• dant qu'ij fe prépareroit à lui donner
A G E S AUX ISLES
l ' E x t r ê n i e - O n a i o n , car pour le Viati- [{,,
que il n'étoit plus en état de le recevoir.
A peine cette fon6tion fut-elle achevée
qu'il entra en agonie, & mourut fur les
neufheures du matin. Dès qu'il fut expiré
il rendit une grande quantité de
lang par tous les conduits, & fon corps
devint en un moment tout noir & tout
livide. C'étoit une marque infiiillible
qu'il^ avoit été ataqué du mal d€ Siam qui
ne s'étoit point manifefté.Le Medecin ne
manqua pas de publier par toutlajufteffe
avec laquelleil avoit prédit cette mort,
qui nous fut d'autant plus fenfible, que
ce Religieux étoit un très-bon fujet.
Il ne fut pas le feul qui mourut de
cette forte. Un jeune homme qui étoit
arrivé dans le même bâtiment, étant ^„^
couché au Fort Royal chez un de Tes ¡1,
amis, s'éveilla en furftut, & fe mit ஫
crier que quelque chofe étoit tombé fur
fes j ambe s, & les lui avoit rompues. Ses dC
cri,s éveillerent toute la maifon, on fut™"
à lui, on alluma du feu, & on vit que'"""
ce n'étoit pas un fonge, & que réellen>
ent fes jambes étoient toutes noires
6c iîms aucun mouvement ni ièntiment.
On envoy e chercher le Curé 6c le Medecin,
6c cependant on chauffe des linges,
on le frotte d'eau de la Reine de
Hongrie, on lui fait avaler de l'élixir
de propriété, 6c tout cela inutilement;
il s'écrie qu'on lui rompt les genoux, un
moment après il fe plaint de fentir les
mêmes douleurs dans les cuiffes, &à
mefure que la noirceur montoi t , lapart
e devenoit infenfible. Le Curé & le
Medecin arrivent dans le tems que le
malade perd l'ufage des bras, Se s'écrie
qu'on lui brifoit l'épine du dos, de forte
qu'en moins d'une demie-heure, il perdit
la parole, la connoiflance6c la vie, fans
qu'on pût lui apporter aucun remede, &
fon corps devint en moins de r ien, comme
s'il fut mort depuis pluiîeurs jours.
Quoi-
F R A N C O I S E S t) È L'AMERIQ.UE.
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iir itïfijKce'
Qiioiqiie le vaiffeau le Pont d'or ne
fut pas attaqué du mal de Siam, il ne
fut pas plus heureux que ceux qu'il avoit
apportez aux Mes , dont plus des deux
tiers mouriirent, ou des fatigues d'un
très-long voyage, ou du mal de Siam.
Comme il avoit beaucoup fouffert dans
trois ou quatre tempêtes qu'il avoit effuyées
Manali
lias
«ÎBC-C?
îmi ifik'je
ikliiri
ml,
; on jugea que 1 es réparations qu'il
y faudroit faire excederoient fa valeur,
de forte qu'il fut condamné à être délagréé
dc échoiié; L e Procureur des biens
Viiequans s'en empara pour le compte
des AfTureurs, 6c es Propriétaires perdirent
peu de chofe : mais on murmura
beaucoup contre cette aélion. On la taxoit
ouvertement de mauvaife foi, 6c
on difoit que ce vaiffeau n'avoit d'autre
mal que celui d'avoir fait un longvoïage,
6c d'avoir trop de gages à payer à
l'équipage qui l'avoit conduit.
J'eus avis dana le même tems qu'on
avoit jugé au Confeil Supérieur del'Iile,
qui s'affemble au Fort Royal , un procès
où j'avois quelque intérêt, voici le
fait. Un certain Commandeur nommé
Dauphiné qui étoit aux Ifles depuis cinq
ou fix ans, après avoir fervi fort longtems
fur les Galeres, s'étoit amouraché
d'une Mulâtreffe de mon voiiîn le fieur
du Roy, il y en avoit des effets. Il
prétendoit l'époufer, mais comme une
efelave ne peut pas fe marier fans le
confentement de fon maî t re, 6c que les
maîtres ne donnent jamais ces fortes de
îermiiîîons, à moins qu'on ne leurpaye
eurs efclaves, ce Dauphiné étoit fort
embaraffé, il crût que le plus court étoit
d'enlever la Mulâtreffe 6c de l'époufer j
après quoi il efperoit que Monfieur du
Roy feroit ob igé de la lui ceder, au
moins pour peu de chofe. Il fit ce qu'il
avoit prémédité j la Mulâtreffe difparut,
& l'on fut cinq ou fix mois fans
fçavoir ce q¡.i'elle étoit devenue. On
apprit enfin que Dauphiné qui étoit
Commandeur chez un des principaux
habitans du quartier du Fort Roya l'avoit
époufée. Monfieur du Roy m'eh
parla, 6c mepria d'en écrireà M. l'Intendant
afin que fon efelave lui fit reftituée;
le mariage qu'elle avoit contraâré
étant nul de plein droit, 6c Dauphiné
devant être condamné à lui payer
fes dommages 6c interefis. Je ne manquai
pas d'en écrire, 6cauiîi-tôt M. l'Intendant
eut la bonté d'ordonner au Procureur
General de pourfuivre cette affaireau
Confeildireétement. Dauphiné
6c fa.prétendue femme furent emprifonnez,
6c le Pere Gabriel de Vi r e Cap
u c i n , CuréduFortRoyal, fut misen
caufe. Il fut dit par l 'Ar rêt , que le défaut
du confentement du maître de la
Mulâtreiîe 6c de la publication des bancs,
avoit rendu les Parties, incapables
de contrafter, 6c qu'ainfi il n'y avoit
point eu, 6c qu'il n'y avoit point de
mariage entre elles j que la Mulâtreiîe
feroit remife à fon maître aux frais de
Dauphiné, lui condamné à l'amende 6c
aux dépens > 6c fans la protection qu'il
trouva, 6c le tour qu'on donna à l'affair
e, il auroit été condamné à payera M.
du Roy une pifióle par jour pour tout
le tems que la Mulâtreffe avoit été abfente
du fervice de fon maître, felon
l'Ordonnance du Roi. Le Pere Gabriel
de Vire fut mandé au Confeil 6c réprimandéj
on lui enjoignit d'êtreplus circonfpeét
dans radminifl;ration de fa Paroiffe,
fous les peines portées par les
Ordonnances.
Dauphiné prit le parti de ramener
lui-même la Mulâtreffe à Monfieur du
Roy. Il fe munit de quelques lettres
pour moi, qui m'obligerent de porter
Monfieur du Roy à lui vendre la Mulâtreflè.
J'en fis le marché à dix-huit cens
francs, fçavoir trois cens écus pour el-
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