l’organe commun des fenfations dans le cerveau n’é-
toit pas fufccptible , par quelque caufe que ce lo it ,
<le recevoir les imprelïions qui lui feroient trans-
rnifes.
Il faut donc que du changement fait dans le nerf,
il s’enfuive un changement dans Je cerveau, pour
qu’il naiflë l’idée de la doulutr, qui peut même avoir
lieu en conféquence de cette derniere condition feule
, fans qu’aucun nerf loit affedé ; s’il le fait dans le
cerveau un changement femblable à celui qui a lieu
conféquemment à la difpofition d’un nerf, qui eft en
danger de le rompre : comme le prouvent les obfer-
vations de Medecine, &c entre autres cell.es qui fe
trouvent dans les oeuvres de Ruyfch, epijl. anatom.
problematica xjv. & rtfponf. par lefquelles il compte
qu’il arrive fouvent à ceux qui ont l’ouffert l’amputation
de quelque membre des extrémités fupérieu-
res ou inférieures, de reffentir des douleurs, qu’ils
rapportent, p. ex. aux doigts ou aux orteils du membre
qui leur manque, comme s’il failoit actuellement
une partie de leur corps ; ce qui a été obfervé
non-feulement peu après l’amputation, mais encore
après un long efpace de tems depuis l’opération :
d’où l’on peut conclure que la fenlation de douleur
excitée dans chaque partie du corps, fe tranfmet à
l’ame avec des modifications différentes, qui fem-
blent lui indiquer déterminément la partie qui fouf-
fre.S
i quelqu’une de ces différentes modifications affecte
le fenjbrium commune par une caulè intérieure,
indépendamment de l ’impreflion faite fur les nerfs
qui y prennent leur origine, il fe fera une perception
femblable à celle qui viendrait à l’ame par le
moyen des nerfs ; il y aura fentiment de douleur, „
tout comme fi une caufe fuffifante pour le produire,
avoit été appliquée à la partie à laquelle l’ame rapporte
la douleur.
C ’eft à la facilité qu’a le fenforium commune dans
bien des perfonnes, à être affeCté & à produire des
perceptions, que l’on doit attribuer plufieurs maladies
doloiifiques, que l’on croit être produites par
des caillés externes, & qui ne font réellement causées
que par la fenfibilité de l’organe commim des
fenfations. C’eft la réflexion fur ces phénomènes fin-
guliers, qui a donné lieu à Sydenham d’imaginer ,
pour en rendre raifon , fon homme intérieur. Voyez
fa differtation épiftolaire.
Il fuit donc de tout ce qui vient d’être Ait, que l’idée
de la douleur eft attachée à l’état de la fibre nerveufe,
qui eft en difpolition de fe rompre ; enforte cepen-r
dant que cette perception peut aufli avoir lieu probablement
, lorfque le cerveau feul eft affedé par
une caufe intérieure, tout comme il le feroit par la
tranfmiflion de l’affedion d’une ou de plufieurs fibres
nerveufes qui feroient dans cette difpolition.
On peut comparer cet effet à ce qui fe paffe dans
les délires de toute efpece, oh il fe fait des repré-
fentations à l’ame de différens objets , & il en naît
des idées & des jugemens aulîi vifs, que fi l’impref-
fion de ces objets avoit été tranfmife par les organes
des fens, quoiqu’il n’y ait réellement aucune
caufe extérieure qui l’ait produite.
On doit donc regarder généralement comme caufe
de la douleur, tout ce qui produit un allongement
dans le nerf, ou tout autre difpolition qui le met en
danger de fe rompre ; enforte cependant que l’impreflion
que le nerf reçoit dans cet état, foit tranfmife
à l’ame. On peut de même comprendre parmi
les caufes de la douleur, tout ce qui peut produire
un changement dans le cerveau, tel que celui qui
réfulteroitde l’impreflion tranfmife à cet organe d’un
nerf en difpofition de rupture prochaine : il n’importe
pas que la douleur foit produite par une caufe qui
comprime les nerfs, qui les tire trop, ou qui les
ronge , il en réfultera toujours l’idée de la douleur ;
elle ne fera différente qu’à proportion de l’inteniité
ou de la durée de l’adion de différentes caufes lur
les nerfs. D ’ailleurs le fentiment fera toujours le
même.
La différente maniéré d’agir de ces caufes, établit
quatre efpeces de douleur ; lavoir la tenfive, la
gravative, la pulfative, & la pungitive : toute autre
douleur n’eft qu’une complication de ces différentes
efpeces ; l’hiftoire des douleurs n’en a pas fait con-
noître d’autre jufqu’à préfent.
i° . On appelle douleur tenfive, celle qui eft accompagnée
d’un fentiment de diftenfion dans la partie
fouillante ; elle eft caufée par tout ce qui peut
tendre au-delà de l’état naturel, les nerfs & les membranes
nerveufes qui entrent dans la compofition de
la partie, qui eft le fiége de la douleur. Tel eft l’effet •
de la torture que l’on fait fouffrir aux malfaiteurs,
pour leur faire confeffer leurs crimes, lorfqu’on les
fufpend par les bras, & qu’on attache à leurs piés
des poids , que l’on augmente peu à peu : ce qui allonge
toutes les parties molles par degrés, & y augmente
la douleur à proportion jufqu’a la rendre extrême
, en mettant les nerfs dans une difpofition de
rupture prochaine ; d’où réfulte une douleur d’autant
plus forte, qu’il y a plus de nerfs à la fois mis dans
cet état. C ’eft la même efpece de douleur qu’éprouvent
aufli ceux à qui on fait l’extenfion des membres
, pour réduire les luxations. La douleur qui fur-
vient, lorfqu’un nerf, un tendon font à demi-coupés
, ou rompus, ou rongés par différentes caufes,
eft aufli de cette efpece ; parce que les nerfs, comme
les tendons, ne font pas compofés d’une fibre
Ample : ils font formés d’un faifeeau de fibres contiguës
, qui ont un degré de tenfion, qu’elles concourent
toutes à foûtenir. Si le nombre vient à diminuer
, celles qui reftent entières foûtiennent tout
l ’effort : d’où elles feront plus tendues chacune en
particulier, & par conféquent plus difpofées à fe
rompre : d’où la douleur eft plus ou moins grande,
félon que le nombre des fibres retranchées eft plus
ou moins grand, refpedivement à celles qui con-
fervent leur intégrité. Ainfi la folution de continuité
ne fait pas une caufe de douleur dans les fibres coupées
, mais dans celles qui reftent entières & plus
tendues. La diftenfion des fibres nerveufes peut aufli
être produite par une caufe interne , qui agit dans
différentes cavités du corps, comme l’effort du fang
qui fe porte dans une partie, qui en dilate les vaifi-
féaux outre mefure , & en diftend les fibres quelquefois
jufqu’à les rompre : tant que dure l’adion
qui écarte les parois des vaiffeaux, la douleur dure
proportionnément à l’intenfité de cette adion. C ’eft
ce qui arrive dans les inflammations phlegmoneu-
fes, éréfipélateufes : une trop grande quantité de liquide
renfermé dans une cavité, dont les parois
réfiftent à leur dilatation ultérieure, produit le même
effet, comme dans la rétention d’urine dans la
veflie, comme dans l’hydrocele, dans la tympanite,
dans la colique venteufe, &c. La douleur tenfive prend
différens noms, félon fes différens degrés & les di-
verfes parties qui en font affedées ; elle eft appellée
divuljîve , fi la partie fouffrante eft tendue au point
d’être bien-tôt déchirée ; fi elle a fon fiége dans le
périofte, qui eft naturellement fort tendu fur l’o s ,
la caufe de la douleur augmentant, la tenfion rend
celle-là fi violente, qu’il femble à celui qui fouffre
que fes os fe rompent, fe brifent: dans ce cas elle eft
appellée ofleocope , &c.
z°. La douleur gravative eft celle qui eft accompagnée
d’un fentiment de pefanteur, qui occafionne la
diftenfion des fibres de la partie fouffrante , comme
fait l’eau ou tout autre liquide dans la cavité de la
poitrine, du bas-ventre, du ferotum, ou dans le tiffu
cellulaire de Quelque autre partie : comme font Un
foetus trop grand ou mort dans la matrice, un calcul
dans les reins ou dans la veflie : comme on l’e-
prouve par le poids des vifeeres enflammés., ob-
ftriiés, skirrheux ; ou par celui du fang, lorfqu’il eft
ramaffé en allez grande quantité & fans mouvement
dans quelqu’un de fes vaiffeaux. C’eft à cette efpece
de douleur que l’on doit rapporter celle qu’éprouvent
les voyageurs à p ié , qui après s’être arrêtés,
reffentent une iaflitude gravative, occafionnée par
une fuite du relâchement qui fe fait dans toutes lés
fibres charnues , pour avoir été trop tiraillés par
l’adion mufculaire trop long-tems continuée ; d’où
réfultent des engagemens dans tous les membres,
qui ne retenant pas ordinairement tant de fluides,
éprouvent un fentiment de pefanteur extraordinaire
parla diftradion des fibres des vaiffeaux engorgés.
Oû appelle ftupeur gravative, le fentiment que l’on
éprouve après l’engourdiffement d’un membre par
compreflion d’un nerf qui s’y diftribue, ou par quel-
qu’autre caufe que ce foit.
3°. La douleur pulfative eft produite par une difi-
tenfion de nerfs, augmentée par un mouvement di-
ftradile, qui répond à la pulfation des artères, c’eft-
à-dire à leur dilatation : celle-ci en eft effectivement
la caufe immédiate, parce que le plus grand abord
des fluides augmente le volume de la partie fouffrante
, lui donne plus de tenfion, & par conféquent
diftend aufli davantage les nerfs qui fe trouvent dans
fon tiffu. Cette efpece de douleur a principalement
lieu dans les parties où il fe fait une grande diftri-
bution de nerfs, comme dans la peau, les membranes
, les parties tendineufes, rarement & prefque
point du tout dans les vifeeres mous, comme la rate
, les poumons, &c. On appelle lancinante, la douleur
pulfative, lorfqu’elle eft augmentée au point de
faire craindre à chaque pulfation que la partie ne
s’entr’ouvre par une folution de continuité.
4°. Enfin la douleur pungitive eft accompagnée d’un
fentiment aigu, comme d’un corps dur & pointu qui
pénétré la partie fouffrante ; ainfi elle peut être caufée
par tout ce qui a de la difpofition à piquer, à percer
les parties nerveufes ; foit au-dehors par tous les
corps ambients, tant méchaniques que phyfiques ;
Toit au-dedans par l’effet des humeurs âcres , ou de
celles qui réunifiant leur adion vers un feul point,
enfuite du mouvement qui leur eft communiqué
dans un lieu refferré, écartent les fibres nerveufes,
& produifent un fentiment approchant à la piquûre,
comme il arrive dans l’éruption de certaines pullules.
On donne aufli différens noms à la douleur punitiv
e ,* on l’appelle terebrante, fi la furface de la partie
fouffrante eft plus étendue qu’une pointe, & que
l’on fe repréfente la douleur comme l’effet d’une tar-
riere qui pénètre bien avant dans le fiége de la douleur;
c’eft ce qui arrive lorfque les furoncles font fur
le point de fuppurer. La matière qui agit contre la
pointe & tous les parois de l’abcès, caufe un fentiment
douloureux qui fait naître l’idée dans l’ame
de l’adion du trépan, appliqué à la peau dans toute
fon épaiffeur. On appelle fourmillement, le fentiment
qu’excite une piquùre legere, multipliée, & vague,
qui a rapport à l’impreflion que peuvent faire des
fourmis en marchant fur Une partie fenfible : on
éprouve cette efpece de fentiment defagréable, à
la fuite des engourdiffemens des membres, par le
retour du fang & des autres liquides dans les vaiffeaux
, d’où ils avoient été détournés par la compreflion
, &c. il fe fait un écartement de leurs parties
tefferrées, qui en admettant les humeurs, éprouvent
un leger tiraillement dans leurs tuniques nér-
veufes, contre lefquelles elles heurtent, pour les dilater.
On appelle enfin prurigineufe, l’efpece de douleur
qui reprefente à l’ame i’adion d’une puiffanee,
qui caufe une efpece d'érofion fur la partie fouffrante
: lorfque l ’érofion eft legere, on la nomme deman-
geaifon : lorfc/u’elle eft plus forte, & accompagnée
d un fentiment de chaleur , on la nomme douleur
âcre : lorfqu’elle eft très - violente, on lui donne le
nom de douleur mordicante , corrofive.
On peut aifément rapporter toute forte de douleur
à quelqu’une de celles qui viennent d’être mentionnées
, lelon qn’elle participe plus ou moins des unes
ou des autres efpeces, dans lefquelles la douleur peut
être, ou continue ou intermittente, égale ou inégale
, fixe ou erratique, &c.
Après avoir expofé les caufes & les différences do
la douleur, l’ordre conduit à dire quelque chôfe de
fes effets, qui font proportionnés à fon intenfité &C
aux circonftances qui l’accompagnent.
Gomme il eft de l’animal de faire tous fes efforts
pour faire ceffer un fentiment defagréable, fur-tout
lorfqu’il tend à la deftrudion du corps , c’eft ce qui
fait que les hommes qui fouffrent dans quelque partie
que ce foit, cherchent par différentes,fituations
& par une agitation continuelle à diminuer la caufe
de la dou leu r, dans l’efpérance de trouver une attitude
qui en empêche l’effet en procurant le relâchement
aux parties trop tendues ; c’eft pourquoi on fe
tient, le tronc plié, courbé dans la plupart des coliques,
'&€. de-là les inquiétudes & les mouvemens
continuels de ceux qui éprouvent de grandes doubleurs
: de-là les infomnies, tout ce qui affede vivement
les organes des fens, empêche le fommeil ; à
plus forte raifon ce qui affede le cerveau, pour y
imprimer le fentiment de la douleur : toute irritation
des nerfs peut produire la fièvre ; ainfi elle fe joint
fouvent aux douleurs confidérables, même dans les
maladies qui par leur nature peuvent le moins y donner
lieu, telles que les affedions arthritiques, véné*
riennes, &c. parce que la trop grande tenfion des
nerfs dans les parties fouffrantes fe communique à
tout le genre nerveux, d’où il fe fait un refferrement
dans les vaiffeaux qui gêne le cours des humeurs ; ce
qui fuflit pour établir une caufe de fièvre, 6c des
lymptomes qui en font une fuite, tels que la chaleur,
la foif, la féchereffe. Les violentes douleurs
donnent aufli très-fouvent lieu aux convulfions, fur-
tout dans les perfonnes qui ont le genre nerveux fuf-
ceptible d’être facilement irrité ; comme dans les en-
fans , les femmes, & particulièrement dans celles
qui font fujettes aux affedions hyftériques. Le délire
, la fureur, font fouvent les effets des grandes
douleurs ; l’érétifme de tout le genre nerveux, dont
elles font fouvent la caufe, fuîpend aufli toutes les
fecrétions & excrétions, trouble les digeftions, l’é*
vacuation des matières fécales, des urines, la tran-
fpiration.La gangrené même eft fouvent une fuite de
la douleur y lorfque la caufe de celle-ci agit fi fortement
, qu’elle parvient bien-tôt à déchirer, à rompre
les fibres nerveufes de la partie fouffrante, ce
qui y détruit le fentiment & Je mouvement : cet
effet conftitue l’état d’une partie gangrenée , mortifiée
; c’eft ce qui arrive fur-tout à la fuite des violentes
inflammations accompagnées defeevre, comme
dans la pleuréfie, &c.
Le figne de la douleur eft le fentiment même que
la caufe excite ; il ne peut y avoir de difficulté, que
pour connoître le fiége de cette caufe, parce que la
douleur eft quelquefois idiopatique , & quelquefois
fympathique ; quelquefois elle affede certaines par-»
ties, que l’on ne diftingue pas aifément des parties
voifines. L’hiftoire des maladies dolorifiques apprend
à connoître les différens Agnes qui caradérifent les
différens lièges de la douleur y & les divers progrtof-
tics que l’on peut en porter»
On peut dire en général -, que comme rien de ce
qui peut eaufer de la douleur n’eft falutaire , elle doit