terminante de la dépravation de l’appétit, mais il ne
fera pas fuffifant pour la produire immédiatement.
Il n’y a vraisemblablement que la lélion de l’imagination
(d’où naît un defir ardent de telle ou telle
chofe, abfurde , nuifible, ou de quelqu’aliment de
bonne qualité, mais qui n’eft pas de faifon, qu’il eft
fouvent impoffible de trouver) que l?on puiffe regarder
comme la caufe prochaine de ce vice dans la
faculté eoncupifcible. L’expérience de perfonnes
qui ont été affeâées de cette indifpolition , l’obfer-
vation que l’on a faite de ce qui peut la produire,
prouvent conftamment que l’on ne peut en imputer
la caufe efficiente qu’à la léfion de l’imagination.
Il eft fouvent arrivé à des perfonnes fufceptibles
de la dépravation d’appétit, d’en contra&er le vice
& l’habitude même, d’après une trop forte application
à confidérer dans un tableau quelque chofe qui
pût être l’objet de cette dépravation. On ne peut pas
dire avec fondement, que dans ce cas l ’humeur viciée
reflue dans la bouche ou dans l’eftomac, préci-
fément à caufe de l’attention que l’on donne à regarder
une peinture. On ne peut pas dire non plus que
la caufe de cette affectation eft engendrée fubitement
à cette occafion , fi on la fait confifter dans le vice
de quelqu’numeur ou de quelqu’organe que ce puiffe
être ; l’imagination ne s’eft tournée à defirer ardemment
telle ou telle chofe, que conféquemment à ce
que cette chofe lui a été préfentée dans ce tableau.
Il ne paroit pas que l’on puiffe rendre autrement rai-
fon de ce phénomène, d’autant plus que ce defir immodéré
des .chofes abfurdes ou autres, qui conftitue
la dépravation de l’appétit, fubfifte quelquefois pendant
long-tems, comme un objet fixe de délire, qui
détourne l’efprit de toute autre penfée, qui ne l’occupe
que de la chofe defirée, foit pour fe la procurer,
foit pour s’en fournir & en continuer l’ufage ; -
enforte que cette affection peutfe faire fentirprefque
fans relâche, ou au moins par des retours très-fré-
quens.
Elle eft tellement de la nature des maladies qui
dépendent principalement du vice de l’imagination,
que l’on a fouvent guéri des perfonnes qui avoient
l ’appétit dépravé, en éloignant foigneufement tout
ce quipouvoit rappeller ou fixer l’idée de l’objet de
cet appétit ; en évitant même d’en faire mention, &
en ne préfentant que de bons alimens qui pûffent
effacer l’idée des mauvais dont on étoit occupé.
On ne doit pas être furpris de voir les femmes fur-
tout très-lujetes à cette efpece de maladie fpirituelle,
fi l’on fait attention à ce qu’elles ont des organes
beaucoup plus délicats Ôc plus fenfibles que les hommes
; qu’elles mènent ordinairement une vie plus
fédentaire ; qu’elles ont l’imagination plus vive ;
qu’elles éprouvent pour la plupart de fréquens dé-
rangemens dans leurs fondions, à caufe du flux
menftruel, dont la diminution & la fuppreffion, foit
à l’égard des filles par maladie , foit à l’égard des
femmes par. la groffeffe, font des changemens dans
la circulation du fang , qui, après avoir croupi dans
les vaiffeaux utérins, reflue dans la maffe des humeurs
, s’y mêle , & la corrompt de maniéré qu’il
s’enfuit bien des troubles dans l’économie animale,
que l’on ne fauroit attribuer à la feule quantité du
fang excédente par le défaut d’évacuation périodique
, puifque les faigriées répétées, qui en enlevent
plus qu’il n’en eft retenu de trop, ne font pas le plus
fouvent ceffer ces defordres. Voye^ Opilation,
Grossesse.
Il réfulte par conféquent de toutes ces difpofitions,
que les perfonnes du fexe font plus fufceptibles d’engendrer
de mauvaifes humeurs, & de fournir matière
aux caufes déterminantes & prochaines qui peuvent
produire la dépravation de l’appétit. C ’eft dans
cette idée que Riviere dit que les humeurs dominantes
peuvent être de nature à déterminer la fan-
taifie à defirer des chofes abfurdes, &c. ainfi il fem-
ble par-là reconnoître les mêmes caufes des envies,
que celles qui viennent d’être établies.
Si quelques hommes fe trouvent avoir des difpofitions
approchantes de celles que l’on obferve dans
les femmes, ils font auflifujets qu’elles à l’àffeétiorç
dont il s’agit ; c’eft pourquoi on en a vu d’un tempérament
délicat reffentir comme elles tous 'les effets
de la dépravation de l’appétit. C ’eft par la même
raifon que quelques jeunes garçons ont aufli des envies,
des fantaifies de manger certains alimens , ou
autres chofes qu’ils prennent comme alimentaires :
mais il n’eft pas aufli aifé de rendre raifon d’un pareil
vice dans les vieillards, qui n’eft pas fans exemple
: on en trouve un entr’autres dans Manget, Bibl.
med. pract. tom. III. à l’égard d’un artifan d’un âge
aflez avancé, à qui il étoit arrivé plufieurs fois d’éprouver
une dépravation d’appétit bien marquée,
& des vomiffemens très-fréquens & très-fatiguans ,
toutes les fois que fa femme devenoit enceinte. Ces
fymptomes ne pouvoient être vraiffemblablement
qu’une fuite de la léfion de l’imagination de cet homme
, dont la fenfibilité fur l’état de fa femme , qui
étoit fans doute la première affedtée , changeoit la
difpofition des fibres de fon cerveau , & établiffoit
la caufe prochaine d’une forte de délire mélancolique
concernant les alimens, tel que celui de fa femme.
Il n’eft pas d’ailleurs rare, quant au vomiffe-
ment de cet homme , que des perfonnes fe fentent
des naufées & vomiffent même en voyant vomir
quelqu’un.
La dépravation de l’appétit peut être facilement
diftinguée de toute autre maladie , par les lignes ca-
radtériftiques mentionnés dans la définition de cette
maladie, fous le nom d'envie. La différence des ef-
peces de cette affeétion a aufli été.fuffifamment établie
au commencement de cet article : ainfi Ioffque
des femmes gîoffes n’ont des envies que pour des
alimens d’ufage ordinaire, cette dépravation d’appétit,
qui ne confifte que dans le defir immodéré, &
fouvent hors de faifon, de ces alimens, doit être
diftinguée, par le nom de malade , du violent defir
des chofes abfurdes, qui conftitue la maladie appel-
lée pica : celle-là fe change fouvent en celle-ci. En
effet, on voit journellement des femmes enceintes
qui ont les fantaifies les plus fingulieres : plufieurs
fouhaitent de mordre des animaux, d’étrangler des
oifeaux avec les dents ; quelques-unes mangent même
des animaux vivans. Drincavel rapporte de fa
mere, qu’elle avoit mangé des écrevifles crues. Fo-
reftus, liv. VIII. obf. y. fait mention de plufieurs
femmes enceintes, qui avoient dévoré des anguilles
vivantes : il parle aufli d’une qui avoit mangé toute
la peau d’une brebis, avec fa laine. Il eft même arrivé
, félon Langius, lib. II. epijli 12. qu’une femme
groffe avoit eu une forte envie de mordre le bras
d’un jeune boulanger, & qu’il avoit fallu la fatif-
faire, à quelque prix que ce fût, pour éviter qu’elle
ne fe blefsât. Une autre, félon le même auteur ,
avoit eu une fantaifie de cette efpece, bien plus violente
encore ; c’étoit de fe nourrir de la chair de fon
mari : quoiqu’elle l’aimât tendrement, elle ne laiffa
pas de le tuer, pour affouvir fon cruel appétit ; &
après avoir mangé une partie de fon corps, elle fala
le refte, pour le conferver & s’en raffafier à 'plufieurs
reprifes. Ce font là des exemples très-rares,
au moins, s’ils font bien certains.
Mais ce qui arrive plus communément, c’eft que
les femmes groffes ayent des envies de manger des
chofes abfurdes & nuifibles, telles que du poivre en
grande quantité. Nicolas Florentin ,fermon. V. tracl.
IV. cap. xxxvj. dit en avoir vû une qui en avoit.
mangé près de vingt livres, fans que cet excès la
f î t avorter : d'autres frangent du litige, de la chaux,
du cuir, des excrémerts mêmes, félon I’obfervation
de Borelli, cent. I I I . obferV. i . d’autres des cendres
, du charbon, de la craie, du fel, du vinaigre,
■ &C-. Ôc ne prennent aucun bon aliment avec goût,
pendant qu’elles ufent avec avidité de ceS differéA-
ïes ordures.
.La plûpart de ces chofes font atifli l’objet de l’ap-
petit dépravé des filles ; mais il eft rare qu’elles
foient aufli exceflives dans leurs dèfirs déréglés que
les femmes groffes : la dépravation de l’appétit dans
les filles eft toujours accompagnée d’un vice des
humeurs, qui peche par fa quantité ou par fa qualité
, qui difpofe le plus fouvent à la fuppreffion. des
réglés, ou en eft une fuite. Ce vice eft différent, félon
la différence des objets abfurdes de l’appétit dépravé:
ce vice dominant fe fait connoître par les
naufées , les vomiffemens, les douleurs que les per-
ibnftes affrétées rapportent à l’eftonlac, la pâleur
PB v.^age » & autres fymptomes qui dépendent dé
ce v ice , dont il n’eft d’ailleurs pas poffible de dé- ,
terminer précifément la nature particulière, qui fait
Varier le goût pour lés différentes matières qui font
l’objet de l’appétit dépravé.
Il eft plus aifé de juger des fuites que peut avoir
cette affeétion, & de prévoir fi elle fe terminera
par le rétabliffement de la fanté, ou par la mort ; fi
elle dégénérera en quelqu’autre maladie. Lorfqu’eliê
eft fimple, il n’y a rien à en craindre, quand même
elle auroit dure depuis long-tems. Les obftrudtions,
la cachexie, les,pâles-couleurs, l’hydropifie, la fièvre
lente, &c. font les maladies auxquelles elle fe
Jtrouve fouvent jointe, & qu’elle peut auffi produire
par les effets de la mauvaife nourriture. Les femmes j
enceintes font ordinairement délivrées du malacia, j
& même du pica, environ le quatrième mois de leur :
groffeffe ; parce .que. l’enfant qu’elles portent dans
leur lein, a acquis alors aflez d’acCroiffement pour
confumer toute la partie furabondante des humeurs
qui fe portent à la matrice ; par conféqiiënt elle n’eft
plus dans le cas d’y engorger les vaiffeaux, d’y croupir
» de refluer dans la maffe & d’y produire les mauvais
effets mentionnés. Si la dépravation de l’appétit
fubfifte au-delà du quatrième mois, elle devient
dangereufe , parce qu’elle dépend d’une autre caufe
que la fimple groffeffe, & qu’elle privé le foetus dè
la nourriture ; alors elle ne peut qu’être extrêmement
nuifible à la mere & à l’enfant. On a vû différentes
fortes d’envies terminées par la mort : mais,
dans ces cas, elles n’étoient pas fimples ; elles n’é-
toient que des fymptomes de maladies plus confidé-
rables, qui font devenues mortelles, fans qu’on pût
.en acculer les envies dont elles étoient accompagnées.
On doit en général fe propofer deux objets dans
la curation cfe l’appétit dépravé; favoir,de corriger
l’erreur de l’imagination, & le vice dominant
du corps : fi c’eft l’elprit qui eft le plus affedté, lé
médecin doit y faire beaucoup d’atteAtiOn, & s’appliquer
particulièrement à le remettre eh bon état,
par des remedés moraux : s’il y â indice de mauvais
lues abondans dans, les premières ou dans les fécondés
voies, on doit faire enforte tju’ils foient évacués
, ou qu’ils changent de qualité & s’améliorent :
il faut prelque toujours, dans cette affedtion, traiter
en même tems le corps & l’efprit. Après avoir
employé les remedes généraux, félon qu’ils font indiqués
,j>n doit enfuite avoir recours aüX altérans
appropries au vice dominant des humeurs ; & comme
elles font le plus fouvent épaiffes, groffieres &
difpofées à former des obftrudtions, on fait ufage
avec fuccès de légers apéritifs, rendus plus adtifs
par degré, fous différentes formes. Les eaux minérales,
celles de Balaruc, fur tout, comme purgati-
Tome V*
v e s , & celles de Vais comme altérantes, ou toutes
autres de nature approchante, font très-recomman-
dees dans ce câs. Si le fang peche par acrimonie,
co2??le l°rfqu’il a contraire ce vice par ï’ufâge ex-
ceffif, qui a précédé, du poivre, du fe l, de la chaux,
& autres chofes femblables, après avoir rempli les
préalables convenables, On doit employer les hu-
medtans, les rafraichiffans & les àdoüciffans auxî 0
quels on pourra affocier efficacement les légers apéritifs
, les laitages, & les eaux minérales acidulés.
Au refte, on doit avoir beaucoup égard dans lé
traitement de la dépravation de l’appétit, à la.différence
de l’âge, du fexe & du tempérament des perfonnes
qui en font affedtées; Il eft de la prudence du
médecin de varier les remedes j conféquemment à
ces diverfités ; & dans le cas où cette affedtion né
dépend que de la groffeffe, il doit fe tenir oifif, ou
au moins né donner des fecours qu’avec un extrèmé
ménagement ; car il y a à craindre qu’en travaillant
à guérir le pica ouïe malacia des femmes groffes*
on ne leur faffè faire des fauffes couches, comme
il eft arrivé quelquefois : d’ailleurs il eft très-rare
que les chofes dont elles ufent, pour fatisfàire leur
appétit dépravé, leiir foient nuifibles, félon ce qué
montre l’expériencé journalière.
On peut prefque dire la même chofe des filles ;
dont les envies ridicules les portent à manger des
chofes fi peu propres à être digéréès, qui ne paroif-
fent cependant pas produire les mauvais effets qu’elles
produiroiént, fi elles en mangeOiént en fanté de
même qualité, ou en aufli grande quantité : elles
prennent avec une extrême avidité du mortier, des
feories de fer , ou feulement des croûtes de pain en
abondance. Tout cela eft extrêmement fec ; cependant
quçlques-ünés ne boivent préfqUe point, pour
détremper ces matières dans l ’eftomac : c’eft que
ce vifeere eft plus copieufement abreuvé dans ces
cas des fucs falivans, que dans l ’état naturel ; ce
qui fupplée au défaut de la boiffon, diffout ces matières
concreffibles, & les empêche de fe former ert
maffe, qiii fortiroit difficilement du ventricule le
tirailleroit par fon poids > le blefferoit par fes afpéri-
tés, & produisit les mêmes effets flans les boyaux,
fi elle pouvoit y être portée en détail. Ces filles,
ainfi affe&ées, n’ont de l’appétit que pour des chofes
de cette efpece, & leur appétit eft exceffif à cet
égard : ce dont elles fe raffaflient femble eA être
le remede ; car Celles qu’on empêche de fe fatif-
fàire, en fuivant leur goût dépravé, ne font qué
très-difficilement guéries, & l’auroient été beaucoup
plûtôt, fi on les avoit Iaiflees libres k cet
égard.
Boerhaave rapporte , pralecl. ih injlu. § . S o j i
qu’un habitant d’Amftërdam, extrèmemeftt riche ,
qui avoit un dégoût infurmontable pour toutes fortes
d’alimens, & menoit une vie miférable avec tous
fes biens , les remedes n’étant d’aucun effet, eut enfin
idée de manger dés anchois ; il s’en raffaffia &
recouvra la fanté. Les poules , qui ne fe nourriffent
que de grains , engendrent beaucoup d’acides ; ce
qui lès porte à manger fouvent du gravier, & elles
périfferit fi elles n’en trouvent pas : la raifon en eft
évidente. Les enfans & les filles cachedtiques débiles
, font fort fujets à engendrer des fucs acides flans
les premières voies ; c’eft ce qui ies porte naturellement
à manger des matières terreufes, crétacées , & autres propres à abforber les acides & à en corriger
la mauvaife qualité, en fiiifant par ce mélange
un corps neutre : & céS matières ne nuifent point,
tant que l’acide eft le vice dominant. Les Médecins
fe propofent la même indication à remplir, lorf-
qu’ils employent les abforbans, furtout dans les maladies
des enfans, &c. Tout cela prouve que les envies
, qui portent k franger des chofes qui paroiffens A A ___