» tues de marbre. C ’eft ce que les Grecs appellent
» eau fis, uftion »,
Voilà un vernis encaujlique Ôc à la cire, dans toute
la rigueur des termes. Cette manoeuvre, ignorée fans
doute des reftâurateurs de l ’ancien encaujlique, répand
, ce me femble, du jour fur l’obfeurité de Pline,
puifqu’elfe décide à-la-fois & la réalité de l’inuftion,
ôc fa maniéré. Elle s’applique d’elle-même à la Peinture
, ôc ne permet plus de difpute, ni au grammairien
fur le fens d’urere, ni au peintre fur le procédé.
Pline fait mention de ce vernis au Livre X X X I I I .
mais il ne dît pas un mot de l’uftion : or on s’en eft
rapporté à Pline, ôc voilà d’où eft venu l’embarras.
Ce n’eft qu’en fuppofant une uftion réelle, que le
dyftique fuivant a un fens net :
Encaufius Phaëton tabula depictus in ijlâ efi ;
Quid eibi vis , Dipyron qui Phdëtonta facis ?
Martial,, Liv. IV. Epigr. xlvij.
>/ Ce tableau eft un "Phaëton brûlé : pourquoi Phaë-
» ton eft-il brûlé deux fois ? »
Preuve que l’uftion ne fe faifoit qu’après la peinture.
Autre obfervation. Auffi-tôt qu’il s’agit des anciens,
on n’imagine que du parfait, lans fuivre les progrès
de l’art. Cela eft fort à leur honneur; mais ce n’eft
point la marche de l’eiprit humain, & il n’eft pas ab-
furde que les anciens, avec d’exeellens fculpteurs,
n’ayent eu que de médiocres peintres.
Us avoient un vernis encaujlique à la cire : ils imaginèrent
de teindre la cire , pour la fubftituer à la
détrempe ; mais il ne faut pas croire qu’ils en euffent
de trente-fix couleurs. Pline, liv. X X X V . chap. vij.
en nomme quelques-unes, & dit : Ceræ tinguntur iif-
dem his coloribus ad cas picluras, qua inuruntur. «C’eft
» avec ces couleurs qu’on teint les cires pour les
» peintures qui fe brûlent ».
Il dit plus pofitivement ailleurs, qu’autrefois les
peintres, & rolygnote entr’autres, n’employoient
que quatre couleurs, le blanc, le jaune, le rouge,
& le noir, ôc toutes très - communes. Ils n’avoient
ni bleu, ni verd.
Ce ne fut pas d’abord des peintures au pinceau ;
îls gravoient ; ils imaginèrent d’enluminer leurs gravures.
La détrempe avoit peu de confiftance; ils
employèrent leurs cires colorées, ôc I’uftion en fit
des encaufliques. Quelle que fût d’ailleurs leur manoeuvre
, car faute de guide on ne peut faire ici que
des conje&ures hafardées, on conçoit que ces maniérés
dûrent précéder Y encaujlique au pinceau, qui
évidemment étoit plus difficile. On conçoit encore
que ces peintures dévoient être affez grofïïeres, ôc
ceci n’eft point une idée de fyftème.
Quintilien en parle ainfi, liv. X . Primi quorum qui-
dem opéra non vetujlatis modo gratiâ vifenda funt, clari
piclores fuijfe dicuntur Polygnotus atque Aglaophon ,
quorum Jîmplex color tam fui fiudiofos adhuc habet, ut
illapropë rudia, ac velut futurce mox artis primordia
maxïmis qui pojl eos extlterunt auctoribus proeferantur,
proprio quodam intelligendi {ut mea fert opinio) amb’t-
tu. « Les premiers peintres célébrés dont on doit voir
» les ouvrages, non pas feulement parce qu’ils font
» anciens, font Polygnote ôc Aglaophon. Leur co-
» loris fimple a encore des partifans fi zélés, qu’ils
» préfèrent ces préludés greffiers de l’art qui alloit
» naître., aux ouvrages des plus grands maîtres qui
» ont paru-après eux ; & cela , je penfe, par une
»> certaine attestation d’intelligence qui leur eft par-
*> tiçuliere •».
Zèuxis qu i, félon le même Quintilien., inventa le
premier l ’art des ombres,& des clairs, montra un
art qui vraiffemblablemerit ne fut pas fort cultivé ;
car le même auteur d it, liv. VIII. ch. y . N te pictura
in qua nihil circumlitum ejl, emintt, Idebque artifices ,
etiàm càmplura in unam tabulam opéra contultrufû '>
fpatiis difiingüunt, ne umbree in corpora cadant. « La
» peinture ne fort point, fi les entours, des corps ne
» font ombrés. Aufli les artiftes qui ont mis plufieurs
» figures dans- un tableau , laiffent entr’elles des in-
» tervalles, pour que les ombres ne tombent pas fur
» les figures ». C ’eft-à-dire qu’ils n’entendoient guere
ni le ciair-obfcur, ni les reflets, ni la dégradation des
teintes, ôc toutes les finettes de la perfpefrive, qui
font le charme de la peinture : aufli leurs compofi-
tions n’étoient pas chargées, ôc tout devoit y être
diftribué fur les devans, comme dans leurs bas-reliefs.
Cela devoit être encore plus dans Y encaujlique au
pinceau, par l’embarras de manier les cires. D e - là
vient que Paufias ne faifoit guere qué de petits tableaux
, ôc fur-tout des enfans. Ses envieux en don-
noientpour raifon, que cette efpece de peinture étoit
lente ; c’eft pourquoi voulant donner de la célébrité à
fon art, il acheva dans un jour un tableau qui repré-
fentoit encore un enfant. Cette produ&ion parut fin-
guliere, puifqu’on lui donna un nom, H/jttp»<rioi, peinture
d'un jour. Pline qui rapporte ces faits , livre
X X X V . chap. xj. ajoûte, comme quelque chofe de
remarquable, que Paufias peignit aufli de grands tableaux;
ôc il fait ailleurs la même obfervation fur.
Nicias : fecit & grandes picluras.
En effet la difficulté étoit toute autre. On conçoit
qu’en petit, le peintre pouvoit donner au bois par-
deffous , un degré de chaleur capable de maintenir,
à un certain point la liquidité des cires, pour fondre
fes feintes, ôc donner aux couleurs leur ton ; au lieu
qu’en grand il falloit travailler à grands coups de
broffe & avec une main fûre, comme dans la fref-
que , fans autre reffource pour retoucher fon tableau
, que le moment même de l’inuftion ; laquelle
ne pouvant fe faire que par-devant, devoit gêner la
main de l ’artifte.
Cet encaujlique étoit fans doute bien plus pratiqua-
ble dans les vaiffeaux, où il falloit plûtôt de grandes
ôc bonnes ébauches, que des peintures finies avec
le dernier foin ; car ce n’étoit pas feulemqsit dés couleurs
appliquées, mais des figures ; quand Pline ne
l’auroit pas dit, Ovide le prouveroit :
. . . . . Et pilla coloribus ufiis
Ccelefium matrem concava puppis habet.
Faß. liv. IV. verf. 274.’
» Et la pouppe repréfente la mere des dieux peinte
» en couleurs brûlées ».
Qu’on ne dife point que fi ces tableaux encaufii-
ques avoient été imparfaits , les Romains n’en auraient
pas fait fi grand cas. Ils étoient eftimables fans
doute ; mais c’étoit par la nobleffe des idées ôc l’élégance
du deffein, fur-tout dans un tems où le faux
brillant ôc le mauvais goût faifoiertt abandonner la
nature, au moment que les Grecs l’avoiefit à peine
faille. Je parle d’après V itruve, livre VII. ch. v. Et
de fon tems, avec des couleurs plus fines & plus
cheres, on ne voyoit que des idées fauffes ôc fans
art, telles à-peu-près que ces ornemens bifarres dont
font chargés nos anciens manuferits. Nous les traitons
de gothiques, ôc c’eft du goût romain, ôc du
meilleur fxecle. De plus, cette peinture avoit fur la
détrempe l’avantage d’une vigueur ôc d’une folidité
à l’épreuve de l’air, du foleil ôc des vers ; comme
elle en a un autre fort confidérable fur notre peinture
à l’huile, celui d’uh mat uniforme : d’où réfulte
une harmonie flateufe, & indépendante des jours.
On doit voir à-préfent ce que c’étoifque Yencauf-
tique des anciens. Ceux qui ont travaillé à nous le
reftituer, paroiffent n’avoir pas feuletnent penfé aux:
deux premières efpeces', ôc vraiffemblablement il
n’y a pas grand mal, Ne nous occupons donc, comme
me eux, que de la troifiemë, de Yencaufiiqueaü’pinceau.
Voici le réfultatde tout ce qui précédé, & l’or»
dre des opérations.
i io. Il avoient des cires colorées, certe ùnguntut
iifdem 'his coloribus. Ces cires étoient peut-être mêlées
d’un peu d’huile, pour les rendre plus fufibles
ôc moins caffantes, paulà oleo temperatam i ôc ils les
confer voient dans des boîtes à compartimens, dit
Varron, liv. II. de re rufi. Piclores loculatas habenl
circulas, ubï difcolores funt cem ; fi cependant ces boîtes
n’étoient pas pour les tenir en fufion.
i° . Ils faifoient fondre ces cires , ôc les em-
ployoient au pinceau, refolutis igni ceris, penicillo
utendi; foit qu’ils fiffent leurs teintes dans des godets
chauds, foit au bout du pinceau, comme font quel*
quefois nos peintres.
30. Ils fixoient leur tableau par l’inuftion , piclu-
ram innrere. Je dis leur tableau , parce que le mot pic-
tura ne lignifie point des couleurs, mais ou Part de
peindre, ou le tableau. Us les fixoient avec un réchaut
plein de charbons, qu’ils promenoient à la furface :
carbonibus in ferreo vafe compofitis , comme dit Vitruve.
Ce ferreum vas, ce ïéchaut étoit fans doute
le même inftrument dont il eft fait mention dans le
digefte fous le nom de cauteria.
40. Enfin ils frotoient& poliffoient le tout avec des
linges nets, linteis puris fubigat; opération qui doit
donner l’éclat du vernis, fans eh avoir les défauts.
Toute peinture qui ne remplira pas ces conditions,
les trois premières fur-tout, ou qui ne les remplira
pas dans cet ordre, pourra égaler, fiirpaffer même
Yencaufiique des anciens , mais ne fera jamais leur
encaufiique.
C ’eft l’art de pèindre avec des cires colorées, &
de fixer la peinture par l’inuftion ; & ce n’eft que
cela.Cemême art qu’on appelloit communément en-
caufiique, inuftion, Callixene de Rhodes, dans Athénée
, le nomme unpoypcttpiav, peinture en cire. II n’y en
avoit qu’un.
Voilà, je crois, des principes incônteftables, &
fuffifans pour apprécier fûrement toutes les maniérés
de peindre à la cire connues jufqu’à préfent. Nous
les devons à M. le comte de Caylus, ôc à M. Bachelier
, peintre ; ce font les feüls qui puiffent prétendre
au titre d’inventeurs ou de reftaurateurs de
Yencaufiique. Ceux qui nous ont donné des ouvrages
dans ce genre, ne font que leurs difciples, puifqu’ils
n’ont travaillé que d’après eux.
M. le comte de Caylus a publié cinq maniérés,
dont les quatre premières font, félon lui, autant de
vrais encaufliques.
Premiere manieratde peindre en cire , félon M. de Caylus,
Couleurs, teintes, peinture, tout fe prépare & fe
finit au bain-marie.
i° . Au lieu de pierre à broyer, faites conftruire
une efpece de coffre de fer - blanc de feize pouces
quarrés fur deux & demi de hauteur, bien foudé partout
, & fans autre ouverture qu’un goulot un peu
élevé, pour le remplir d’eau. Sur la furface quarrée
du côté de laquelle le goulot s’élève, faites appliquer
& attacher avec huit tenons de fer-blanc, une glace
de l’épaiffeur ordinaire, qui ne foit qu’adoucie , &
qui conferve affez de grain pour broyer les couleurs :
elles glifferoient -fur une glace polie. Rempliffez à-
peu-près ce coffre d’eau, mettez-le fur le feu, chargez
la glace de cire & de couleurs ; la cire fondra,
& vous broyerez avec une molette de marbre, que
vous auréz eu la précaution de faire chauffer. Enlevez
la couleur broyée avec un couteau pliant d’ivoire
; mettez-la refroidir, & préparez de même les autres
couleurs.
i ° . Au lieu de godets ordinaires, ayez; un autre
Tome V,
côffre de Fer-blanc avec fon goulot, de là ïhêifte hau*
teur, & affez grand pour y percer fymmétriquement
dix-huit trous ronds , dè quinte lignés de diamètre.
Dans ces trous, foudèz autant de godets de fer-blanc
d un pouce de profondeur, de façon qu’ils plongent
dans le coffre. Dans ces gôdéts, mettez-en d’au»
très de cryftal, pour n’avoir rien à craindre dé l’é-
t-ain du fen*blanc-, Rempliffez le coffre d’eau bouil-
lante ; fes cires colorées fondront, & feront én état'
d etre employées. 3°* Au lieu de palette, ayez un troifiemë côffret
couvert d’une glace adoucie, & toute femblable à la
machine à broyer ; rempliffez-1e d’eau bouillante,
& formez vos teintes.
4°. Au lieu de chevalet, ayez encore un côffre de-
fer-blanc femblable au premier, mais plus grand, ôc
dont la face fupérieure foit de cuivre d’une ligne
d épaifleur, avec une eouliffe de chaque coté, pour
recevoir Ôc affujettirla planche fur laquelle vous allez
peindre (car il ne s’agit point ici de peindre fur
toile). Seulement à l’angle oppofé au goulot, vous
ferez fouder un robinet, pour pouvoir vuider & remplir
, quand il faudra renouveller l’eau bouillante
fans cependant expofer les cires à couler.
50. Enduifez 1e côté de la planche fur lequel vous1
devez peindre, de plufieurs couches de cire blanche,
dont vous fondrez les premières avec une poêle plei*’
ne d’un brafier ardent, pour les faire entrer dans le
bois, comme 1e pratiquent fes Ebéniftes. Pour plus
grande précaution, ôc de peur que la planche ne fe
voile par la chaleur, compofez-la de trois petites
planches d’une ligne d’épaiffeur , collées l’une fur
l’autre, de façon que leurs fibres fe croifent à angles,
droits.
6°. Enfin ajuftez la planche dans les couliffes, ÔC
peignez.
Voilà des cires côlôréès. Ôn peint avec ces cires
colorées, mais ôn iie brute point la peinture; il n’y
a point d’inuftion , la troifieme condition manque :
c’eft donc une peinture en cire , ôc non Yencaufiique
des Grecs.
D ’ailleurs la multiplicité des machines , d’une
part, de l’autre la difficulté d'avoir & d’entretenir
toûjours de l’eau au degté de chaleur convenable ,
rendent cette maniéré rebutante, ôc les effets ne fa-
tisfont point un goût difficile, quoique peut-être la
maniéré dés Grecs fût encore plus imparfaite.
Ajoûtez qu’on ne peut peindre qu’en bois, ôc en
petit, ce qui borne trop l’art. M. de Caylus, qui
porte lui-même ce jugement de cette première maniéré
de peindre, s’eft déterminé par ces raifons, à
chercher des moyens plus faciles & plus fûrs.
Seconde manière de peindre en cire , félon M. de Caylus*'
Prenez des cires colorées, préparées comme dans
là maniéré précédente : faites-les fondre dans l’eau
bouillante ; une once de cire, par exemple , dans
huit onces d’eau. Quand elles feront fondues , bat-
tez-les avec itne fpatule d’ivoire ou avec des ofiers
blancs , jufqu’à ce que l’eau foit refroidie. La ciré
par cette manoeuvre fe divifera en petites molécules,
ôc fera une efpece de poudre qui nagera dans l’eau ,
ôc que l’on confervera toûjours humide dans un yafe
bouché ; parce que fi elle étoit feche. les molécules
fe colleraient, ÔC ne pourroient férvir.
Ces cires ainfi préparées, mettez dans des godets
une portion de chacune, ôc travaillez avec des pinceaux
ordinaires, comme fi vous peigniez en détrempe.
Vous ne formerez cependant point fes teintes fur
la palette avec lë couteau, car la cire ferait expofée
à fe peloter; mais au bout du pinceau. Il convient
de peindre fur 1e bois à crû ; mais on peut aufli opérer
fur un enduit de cire.
Le tableau étant achevé, vous viendrez à l’inuf-
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