De la philofophie en général. L’homme eft ne pour
penl'er & pour agir, & la Philofophie eft faite
pour régler l’entendement & la volonté de l’homme
: tout ce qui s’écarte de ce but, eft frivole. Le
bonheur s’acquiert par l’exercice de la r a i fo n la
pratique de la vertu, & l’ufage modéré des plaihrs ;
ce qui fuppofe la fant-é du corps & de l’ame. Si la
plus importante des connoiflances eft de ce qu’il faut
éviter & faire, le jeune homme ne peut fe livrer
trop1 tôt à l’étude de la Philofophie , & le vieillard
y renoncer trop tard. Je diftingue entre mes difci-
ples trois fortes de caraâeres : il y a des hommes,
tels que moi, qu’aucun obftacle ne rebute, & qui
s’avancent feuls & d’unmouvement qui leur eft propre
, vers la vérité, la vertu Sc la félicité ;, des hommes
, tels que Métrodore, qui ont befoin d’un exemple
qui les encourage ; & d’autres, tels qu’Herma-
que, à qui il faut faire une efpece de violence. Je
les aime & les eftime tous. Oh, mes amis>l y a-t-il
quelque chofe de plus ancien que la vérité ) la vérité
n’étoit-elle pas avant tous les Philofbphes ? Le
philofophe méprifera donc toute autorité & marchera
droit à la vérité , écartant tous les fantômes
vains qui fe préfenteront fur fa route, & l’ironie de
Socrate & la volupté dyEpicure. Pourquoi le peuple
refte-t-il plongé dans l’erreur ? c ’eft qu’il prend des
noms pour des preuves. Faites-vous des principes ;
qu’ils foient en petit nombre, mais féconds en conséquences.
Ne négligeons pas Fétude de la nature,
mais appliquons-nous particulièrement à la feience
des moeurs. De quoi nous ferviroit la connoiflance
approfondie des etres qui font hors de nous, fi nous
pouvions, fans cette connoiflance, difliper la crainte
, obvier à la douleur, & fatisfaire à nos befoins ?
L’ufage de la dialeftique pouffé à l’excès, dégénéré
dans l’art de femer d epines toutes les Sciences : je
hais cet art. La véritable Logique peut fe réduire à
peu de réglés. II n’y a dans la Nature que les chofes
& nos idées ; & conféquemment il n’y a que deux
fortes de vérités, les unes d’exiftence , les autres
d’indullion. Les vérités d’exiftence appartiennent
aux fens ; celles d’indu&ion, à la raifon. La précipitation
eft la fource principale de nos erreurs. Je ne
me lafferai donc point de vous dire , a tten d eSans
l ’ufage convenable des fens, il n’y a point d’idées
ou de prénotions ; & fans prénotions, il n’y a ni opinion
ni doute. Loin de pouvoir travailler à la recherche
de la vérité, on n’eft pas même en état de
fe faire des lignes. Multipliez donc les prénotions
par un ufage aflidu de vos fens ; étudiez la valeur
précife des Agnes que les autres ont inftitués, & déterminez
foigneufement la valeur de ceux que vous
inftituerez. Si vous vous refolvez à parler, préférez
les expreflions les plus Amples & les plus communes,
ou craignez de n’être point entendus , & de perdre
le tems à vous interpréter vous-mêmes. Quand vous
écouterez ,. appliquez-vous à fentir toute la force
des mots. C’eft par un exercice habituel de ces principes
que vous parviendrez à difcerner fans effort le
v r a i, le faux, l’obfcur & l’ambigu. Mais ce n’eft pas
affez que vous fâchiez mettrç de la vérité dans vos
raifonnemens, il faut encore que vous fâchiez mettre
de la fageffe dans vos allions. En général, quand
la volupté n’entraînera aucune peine à fa fuite, ne
balancez pas à I’embraffer ; A la peine qu’elle entraînera
eft.moindre qu’elle, embraflez-la encore : em-
braffez même la peine dont vous vous promettrez un
grand plaifir. Vous ne calculerez mal, que quand
vous vous abandonnerez à une volupté qui vous
caufera une trop grande peine, ou qui vous privera
d’un plus grand plaiflr.
De la phyjiologie en général. Quel but nous pro-
poferons-nous dans l’étude de la PhyAologie ? A ce
n’eft de connoîtye les caufes générales des phénomenes,
afin que délivrés de toutes vaines terreurs
, nous nous abandonnions fans remords à nos
appétits raifonnables ; & qu’après avoir joiii de la
v ie , nous la quittions fans regret. Il ne s’eft rien fait
de rien. L’Univers a toujours été , & fera toûjours.
11-n’exifte que la matière & le vuide ; car on ne conçoit
aucun être mitoyen. Joignez à la notion du vuide
l’impénétrabilité , la figure & la pefanteur, &c
vous aurez l’idée de la matière. Séparez de l’idée de
matière les mêmes qualités, & vous aurez la notion
du vuide. La Nature eonfidérée, abftrallion faite de
la matière, donne le vuide ; le vuide occupé donne
la notion du lieu ; le lieu traverfé donne l’idée de
région. Qu’entendrons-nous par l’efpace, finon le
vuide confidéré comme étendu ? La néceflité du
vuide eft démontrée par elle - même ; car fans
vuide, où les corps exifteroient-ils? où fe mou-
veroient-ils? Mais qu’eft-ce que le vuide? eft-ce
une qualité ? eft-ce une chofe ? Ce n’eft point une
qualité. Mais fi c’eft une chofe, e’eft donc une chofe
corporelle ? il n’en faut pas douter. Cette chofe
uniforme, homogène, immenfe, éternelle, traverfe
tous les corps fans les altérer, les détermine, marque
leurs limites , & les y contient. L’Univers eft
l’aggrégat de la matière & du vuide. La matière eft
infinie, le vuide eft infini : car fi le vuide étoit infini
& la matière finie, rien ne retiendroit les corps & ne
borneroit leurs écarts : les percuflions & les réper-
cuflions cefferoient ; & l’Univers , loin de former
un tou t, ne feroit dans quelqu’inftant de la durée
qui fuivra , qu’un amas de corps ifolés , & perdus
dans l’immenfité de l’efpace. Si au contraire la matière
étoit infinie & le vuide fini, il y auroit des
corps qui ne feroient pas dans l’efpace , ce qui eft
abfurde. Nous n’appliquerons donc à l’Univers aucune
de ces expreflions par lefquelles nous diftin-
guons des dimenfions & nous déterminons des points
dans les corps finis. L’Univers eft immobile, parce
qu’il n’y a point d’efpace au-delà. Il eft immuable,
parce qu’il n’eft fufceptible ni d’accroiffement ni de
diminution. Il eft éternel, puifqu’il n’a point commencé,
& qu’il ne finira point. Cependant les êtres
s’y meuvent, des lois s’ÿ exécutent, des phénomènes
s’y fuccedent. Entre ces phénomènes les uns fe
produifent, d’autres durent, & d’autres paffent ;
mais ces vieifîitudes font relatives aux parties, Sc
non au tout. La feule eonféquence qu’on puifîe tirer
des générations & des délimitions, c’eft qu’il y a
des elémens dont les êtres font engendrés, & dans
lefquels ils fe réfolvent. On ne conçoit ni formation
ni refolution, fans idée de compofition; & l’on n’a
point l’idée de compofition, fans admettre des par-
cucules Amples, primitives & conftituantes. Ce font
ces particules que nous appellerons atomes. L’atome
ne peut ni fe divifer, ni fe Amplifier, ni fe réfoudre ;
il eft effentiellement inaltérable & fini : d’où il s’enfuit
que dans un compofé fini, quel qu’il foit, il n’y
a aucune forte d’infini ni en grandeur, ni en étendue,
ni en nombre. Homogènes, eu égard à leurfolidité
& à' leur inaltérabilité , les atomes ont des qualités
fpécifiques qui les différencient. Ces qualités font la
grandeur, la figure, la pefanteur, & toutes celles
qui en émanent, telles que le poli & l’anguleux. Il
ne faut pas mettre au nombre de ces dernieres, le
chaud , le froid , & d’autres femblables ; ce feroit
confondre des qualités immuables avec des effets
momentanés. Quoique nous aflignions à l’atome toutes
les dimenfions du corps fenfible , il eft cependant
plus petit qu’aucune portion de matière imaginable
: il échappe à nos fens, dont la portée eft la
mefure de l’imaginable, foit en petitefle, foit en
grandeur. C ’eft par la différence des atomes que s’expliqueront
la plupart des phénomènes relatifs aux
leofations & aux pallions. La diverfité de figure
étant une fuite néceflaire de la diverfité de grandeur,
il ne feroit pas impoflible que dans tout cet Univers
il n’y eût pas un compofé parfaitement égal à un autre.
Quoiqu’il y ait des atomes, les uns anguleux,
les autres crochus , leurs pointes ne s’émouffent
point, leurs angles ne fe brifent jamais. Je leur attribue
la pefanteur comme une qualité effentielle ,
parce que fe mouvant altuellement, ou tendant à
fe mouvoir, ce ne peut être qu’en eonféquence
d’une force intrinfeque, qu’on ne peut ni concevoir
ni appeller autrement que pondération. L atome a
deux mouvemens principaux ; un mouvement de
chute ou de pondération qui l’emporte ou qui l’em-
porteroit fans le concours d’aucune allion étrange- |
re ; & le choc ou le mouvement de réflexion qu’il ;
reçoit à la, rencontre d’un autre. Cette derniere efpece
de mouvement eft variée félon l’infinie diverfité
des maffes & des direâions. La première étant une
énergie intrinfeque de la matière, c’eft elle qu’il faut
regarder comme la confervatrice du mouvement
dans la Nature, & la caufe éternelle des compofi-
tions. La direHiôn générale dès atomes emportés par
le mouvement de pondération, n’eft point parallèle ;
elle eft un peu convergente ; c’eft à cette convergence
qu’il faut rapporter les chocs, les cohérences,
les compofitions d’atomes, la formation des corps,
l ’ordre de l’Univers avec tous fes phénomènes. Mais
d’où naît cette convergence? de la diverfité originelle
des atomes , tant en maffe qu’en figure, & qu’en force
pondérante. Telle eft la vîteffe d’un atome & la non-
réfiftance du vuide, que fi l’atome n’étoit arrêté par
aucun-obftacle, il parcourroit le plus grand efpace
intelligible dans le tems le plus petit. En effet , qu’eft-
ce qui le retarderoit? Qu’eft-ce que le vuide, eu
égard au mouvement? Aufli-tôt que les atomes
combinés ont formé un compofé ils ont dans ce
compofé, & le compofé a dans l’efpace différens
mouvemens, différentes allions, tant intrinfeques
qu’extrinfeques, tant au loin que dans le lieu. Ce
qu’on appelle communément des élcmens, font des
compofés d’atomes; on peut regarder ces compofés
comme des principes , mais non premiers. L’atome
eft la caufe première par qui tout eft, & la matière
première dont tout eft. Il eft allif effentiellement &
par lui-même. Cette allivité defceiid de l’atome à
l ’élément, de l’élément au compofé, & varie félon
toutes les compofitions poflibles. Mais toute aHi—
vité produit ou le mouvement local, ou la tendance.'
,Voilà le principe univerfei des délimitions & des
régénérations. Les viciflitudes des compofés ne font
que des modes du mouvement, & des fuites de l’activité
effentielle des atomes qui les conftituent. Combien
de fois n’a-t-on pas attribue à des caufes imaginaires
, les effets de cette aftivité qui peut ^ félon
les occurrences, porter les portions d un etre à
des diftances immenfes , ou fe terminer à des
ébranlemens , à des tranflations imperceptibles?
C ’eft elle qui change le doux en acide, le mou en
dur, &c. Et même, qu’eft- ce que le deftin, finon
l’univerfalité des caules ou des allivités propres de
l’atome , confidéré ou fôlitairement, ou en compofition
avec d’autres atomes? Les qualitéseffentiel-
les connues des atomes, ne font pas en grand nombre
; elles fuffifent cependant pour l’infinie variété
des qualités des compofés. D e la féparation des atomes
plus ou moins grande, naiffent le denfe, le rare,
l ’opaque, le tranfparent: c’eft de - \k qu’il faut déduire
encore la fluidité, la liquidité, la durete, la
molleffe, le volume, &c. D’où ferons-nous dépendre
la figure', finon des parties compofantes ; & le
poids, finon de la force intrinfeque de pondération ?
cependant à parler avec exaltitude, il n y a rien qui
foit abfolument pefant ou leger. Il faut porter le mer
me jugement du froid & du chaud. Mais qu’eft-ce
que le tems ? C ’eft dans la nature une fuite d’évene-
mens ; & dans notre entendement, une notion qui
eft la fource de mille erreurs. Il faut porter le même
jugement de l’efpace. Dans la nature,fans corps point
d’efpace ; fans évenemens fucceflifs, point de tems.
Le mouvement & le repos font des états dont la notion
eft inféparable en nous de celles de l’efpace &
du tems. Il n’y aura de produllions nouvelles dans
la nature, qu’autant que la compofition diverfe des
atomes en admettra. L’atome incrée & inaltérable
eft le principe de toute génération & de toute corruption.
Il fuit de fon allivité effentielle & intrinfeque
, qu’il n’y a nul compofé qui foit éternel : cependant
il ne feroit pas abfolument impoflible qu’après
notre diffolution, il ne fe fît une combinaifon
générale de toute la matière, qui reftituât à l’Univers
le même afpell qu’il a , ou du moins une combinaifon
partielle des élémens qui nous conftituent,
en eonféquence de laquelle nous reffufeiterions ;
mais ce feroit fans mémoire du paffé. La mémoire
s’éteint au moment de la deftrullion. Le monde n’eft
qu’une petite portion de l’Univers, dont la foibleffe
de nos fens a fixé les limites ; car l’Univers eft illimité.
Confidéré relativement à fes parties & à leur
ordre réciproque, le monde eft un ; il n’a point d’a-
me : ce n’eft donc point un dieu ; fa formation n’exige
aucune caufe intelligente & fuprème. Pourquoi
recourir à de pareilles caufes dans la Philofophie
, lorfque tout a pû s’engendrer & peut s’expliquer
par le mouvement, la matière, 8c le vuide ?
Le monde eft l’effet du hafard, 8c non l’exécution
d’un deffein. Les atomes fe font mus de toute éternité.
Confidérés dans l’agitation générale d’où les
êtres dévoient éclore dans le tems , c’eft ce que
nous avons nommé le chaos ; confidérés après que
les natures furent éclofes, 8c l’ordre introduit dans
cette portion de l’efpace, tel que nous l’y voyons ;
c’eft ’èë que nous avons appelié le monde : ce feroit
un préjugé que de concevoir autrement l’origine
de la terre, de la mer, 8c des cieux. La combinaifon
des atomes forma d’abord les feménees générales
; ces femences fe développèrent, & tous les
animaux, fans en excepter l’homme, furent produits
feuls, ifolés. Quand les femences furent épuifées, la
terre cefla d’en produire, & les efpeces fe perpétuèrent
par differentes voies de génération. Gardons
nous bien de rapporter à nous les tranfla&ions
de la nature; les chofes fe font faites,*fans qu’il y
eût d’autre caufe que l’enchaînement univerfei des
êtres matériels qui travaillât, foit à notre bon?«
heur, foit à notre malheur. Laiffons - là auflï les génies
& les démons ; s’ils étoient, beaucoup de chofes
, ou ne feroient pas, ou feroient autrement. Ceux
qui ont imaginé ces natures n’étoient point philofo-
phes, 8c ceux qui les ont vûes n’étoient que des vi-
fionnaires. Mais fi le monde a commencé, pourquoi
ne prendroit-il pas une fin ? n’eft-ee pas un tout compofé?
n’eft-ce pas un compofé fini? l’atome n’a-t-il
pas confervé fon allivité dans ce grand cbmpofé ,
ainfi que dans fa portion la plus petite ? cette aâivi-
té n’y eft-elle pas également un principe d’altération
& de deftrullion ? Ce qui révolte notre imagination,
ce font les fauffes mefures que nous nous fommes
faites de l’étendue & du tems ; nous rapportons tout
au point de l’efpace que nous occupons, 8t au court
inftantde notre durée. Mais pour juger de notre monde
, il faut le comparer à l’immenfité de l’Univers, &
à l’éternité des tems : alors ce globe eût-il mille fois
plus d’étendue, rentrera dans la loi générale, & nous
le verrons foûmis à tous les aecidens de la molécule.
Il n’y a d’immuable, d’inaltérable, d’éternel, que
l’atome ; les mondes pafferont, l’atome reliera tel
qu’il eft. La pluralité des mondes n’a rien qui répugne.
Il peut y avoir des mondes femblables au ng