
poffédoit cet homme rare, font la recompenfe de
fes foins, de fes peines, 8c de fes travaux a Aldus,
plutôt que les fruits de fon génie ; mais travail ou
génie, ce que ce grand maître a exécuté fervira toujours
de modelé à tous les peintres à venir.
Les compagnons d’étude du Dominiquin, après
l’avoir méprife, devinrent fes rivaux, fes envieux,
8c furent enfin li jaloux de fon rare mérite , qu’ils
tâchèrent de détruire fes ouvrages par des moyens
auflî honteux, que ceux qui furent employés en
France dans le même fiecle contre les peintures de
le Sueur.
Le Dominiquin a parfaitement réufli dans les frefi
ques; fes tableaux à l’huile ne font pas pour la plupart
aufli bons ; le travail fe fait fentir dans les deffeins &
les études qu’il a fait à la pierre noire & à la plume ;
fa touche en eft peinée, 8c leur médiocrité donneroit
quelquefois lieu de douter du nom de leur auteur.
Guerchin, ( Jean-François Barbiéri da Cento , dit le )
né à Cento près de Bologne en 1 590 , mort en 1666.
Le furnom de Guercino ou de Guerchin lui fut donné
parce qu’il était louche. L’école des Carraches, la
vue des ouvrages des grands maîtres, 8c fon génie,
le firent marcher dans le chemin de la renommée.
Il s’attacha à la maniéré du Caravage , préférablement
à celle du Guide & de l’Albane, qui lui parut
trop foible. Quoiqu’il ait peint avec peu de correction
8c d’agrément, Ôc qu’il eût été à fouhaiter
qu’il eût joint à fon grand goût de compofition, à
fon deflein, à la fierte de fon f ty le , plus de nobleffe
dans les airs de tête, 8c plus de vérité dans les couleurs
locales ; cependant ces défauts ne peuvent empêcher
que le Guerchin ne paffe pour un grand maître
dans l’efprit des connoiffeurs.
Le nombre de fes ouvrages répandus dans toute
l’Italie, eft prefque incroyable ; perfonne n’a travaillé
avec plus de facilité 8c de promptitude ; il a
peint beaucoup à frefqiie ; il a fait aufli une quantité
prodigieufe de delfeins , qui font à la vérité de
Amples efquiffes, mais pleines de feu 8c d’efprit.
Mola, ( Pietro Franctjco) né dans le Milanès en
1621, mort à Rome en 1666. Il entra dans l’école
de l’Albane, & fe rendit enfuite à Venife, où il prit
du Baffan & du Titien le goût du coloris. Il étoit bon
defîinateur, 8c excellent payfagifte. On remarque
dans fes peintures du génie, de l’invention, & beaucoup
de Facilité- Ses principaux ouvrages font à
Rome.
Cignani, (Carlo) né à Bologne en 1628, mort à
Forli en 1719. Difciple de l’Albane, il acquit une
grande réputation dans fon art. La coupole de la
Madona del Fuoco de la ville de Forli, où cet artifte
a repréfenté le paradis, fait admirer la beauté de
fon génie. Il eut dix-huit enfans, dont un feul lui
furvécut, 8c aucun d’eux ne devint peintre. Le Cignani
étoit correft dans fon deflein, gracieux dans
Ion coloris, élégant dans fes comportions. Il pei-
gnoit avec facilité, drapoit avec goût, & manquoit
feulement de feu dans l’expreflion des pallions de
l’ame. Ses demi-figures font finies , 8c fes Vierges
très-belles. La douceur des moeurs, jointe à la bonté,
à l’humanité, & à la générofité, caradérifoient
fon arae. Ses principaux ouvrages font à Rome, à
Bologne, 8c à Forli. Article de M. le Chevalier DE
J AV COU RT.
Ecole Romaine, (Peinture.) On trouve dans
les ouvrages des habiles maîtres de cette école un
goût formé fur l’antique , qui fournit une fource
inépuifable de beautés du deflein, un beau choix
d’attitudes, la finefle des expreflions, un bel ordre
de plis, un ftyle poétique embelli par tout ce.qu’une
heureufe imagination peut inventer de grand, de
pathétique, & d’extraordinaire. La touche de cette
yole eft facile, fayante, çorrede Sc graçieufe; fa
compofition eft quelquefois bifarre, mais élégante.'
Le coloris eft la partie qu’elle a négligée davantage,
défaut commun à prefque tous ceux qui ont
corredement defliné. Ils ont crû qu’ils perdroient le
fruit de leurs tableaux, s’ils laifloient ignorer au monde
à quel point ils pofiédoient cette partie, 8c qu’on
leur pardonneroit aifément tout ce qui leur manqùe-
roit d’ailleurs, quand on feroit content de la régularité
de leurs delfeins, de la corredion dans les proportions
, de l’élégance dans les contours, & de la
délicatefle dans les expreflions, objets effentiels de
l’art.
Mais les intentions de cet art ne fe trouvent pas
moins dans le coloris que dans le deflein ; car le
peintre qui eft L’imitateur de la nature, ne fauroit
imiter cette nature, que parce qu’elle eft vifible ; 8c
elle n’eft vifible, que parce qu’elle eft colorée. Di-
fons donc que fi le deflein eft le fondement du coloris,
s’il fubfifte avant lui, c’eft pour en recevoir fa
perfedion. Le peintre ébauche d’abord fon fujet par
le moyen du deflein ; mais il ne peut le finir que par
le coloris, qui, répandant le vrai fur les objets def-
finés, y jette en même tems toute la perfedion dont
la peinture eft fufceptible.
Les peintres de Y école romaine ont le bonheur de
nommer Raphaël à leur tête ; 8c il eft certain que fon
mérite éminent, 8c les difciples qu’il a formés, font
la plus grande gloire de cette ecole. D ’ailleurs les
plus célébrés artiftes du monde, à commencer par
Michel-Ange, ont embelli Rome de leurs chefs-d’oeuvre
, afin de s’immortalifer eux-mêmes. Fn effet toutes
les églifes 8c tous les palais de cette capitale font
ornés des merveilles de l’art 8c de la nature. On ne
peut voir fans étonnement la multitude de belles
chofes que Rome poifede, malgré la perte de celles
que les richefles des pays étrangers lui ont enlevées
8c lui enlevent journellement. Ses ruines feules lui
procurent fans ceffe d’admiràbles morceaux de fculp-
ture antique, des ftatues, des colonnes, des bas-
reliefs , &c. En un mot il n’y a qu’à profiter dans fon
féjotir pour ceux qui veulent s’inftruire des beaux
Arts ; aufli vient-on de toutes parts les y étudier.
C ’eft un noble hommage, dit M. de Voltaire, que
rend à Rome ancienne 8c moderne le'defir de Limiter
; 8c l’on n’a point encore ceffé de lui rendre cet
hommage pour îa peinture, quoiqu’elle foit dénuée
depuis un tems confidérable de peintres, dont les
ouvrages puiffent paffer à la poftérité. Plus cette
derniere réflexion eft vraie, plus ma lifte de Y école
romaine doit devenir moins nombreufe, en y comprenant
même le curieux Antoine de Meflîne, qui
porta de Flandres en Italie la découverte de la peinture
à l’huile.
Antoine de MtJJine, ainfi nommé de cette ville fa
patrie, floriflbit vers l’an 1430. Il a été le premier
des Italiens qui ait peint à l’huile. Ayant eu l’occa-
fion de voir à Naples un tableau que le roi Alphonfe
venoit de recevoir de Flandres, il fut fi furpris de la
vivacité, de la force, 8c de la douceur des. couleurs
de ce tableau, qu’il quitta toutes fes affaires pour
aller trouver Jean Van-Eyck, qu’on lui avoit dit être
l’auteur de ce bel ouvrage. On fait quelles furent
les fuites du voyage d’Antoine ; Van-Eyck lui communiqua
noblement fon iecret : de retour à Venife,
Bellin le lui arracha adroitement, 8c le rendit public
dans cette ville.___
Cependant Antoine -1-avoit confié à un de fes élevés
nommé Dominique. Ce Dominique appellé à Florence
, en fit part généreufement à André del Cafta-
gno, qui par la plus noire ingratitude 8c par l’avidité
du gain affaflina fon ami 8c fon bienfaiteur. Tous
ces évenemens arrivant coup fur coup, répandirent
promptement le myftere de la peinture à l’huile dans
toute l’Italie. Les écoles de Venife ÔC de Florence en
firent
firent ufage les premières ; mais celle de Rôihe rie
tarda pas long-tems à les imiter.
Perugin , (Pierre) né à Peroufe en 1446, mort dans
la même ville en 1524. Elevé dans la pauvreté, il
réfolut, pour s’en tirer, de s’attacher à la peinture,
dont les merveilles occupoient l’Italie, fur-tout depuis
la divulgation du fecret de la Peinture à l’huile.
Le Perugin , après avoir étudié le deflein*, fe rendit
à Florence où il prit des leçons avec Léonard de
Vinci d’André Verrochio, qui floriflbit • alors • dans
cette ville. Une longue vie lui permit de faire un
grand nombre d’ouvrages ; 8c d’un autre côte beaucoup
d’oeconomie, le mirent dans l’opulence, dont
l’avarice l’empêcha de joiiir. Enfin un filou lui ayant
dérobé fa caffette, dans laquelle il portoit toujours
fon argent avec lui , la douleur de cette perte caufa
fa mort. L’incendie du bourg de S. Pierre.repréfen-
tée dans la chapelle de Sixte au Vatican ,.-pafle -pour
le chef-d’oeuvre du Perugin. Mais fa plus grande
gloire eft d’avoir eu Raphaël pour difciple : je dis
encore que c’eft fa plus grande gloire, parce qu’il
en profita lui-même, & qu’il devint le difciple à fon
tour. On voit par les tableaux que le Perugin a faits
à la chapelle de Sixte au Vatican, qu’il avoit appris
de Raphaël. : ,
Raphaël San fto :, né à Urbin en 1483 , mort à Rome
en 1520. Voilà le roi de la peinture depuis le
rétablifîement des beaux Arts en Italie ! Il n’a point
encore eu d’égal, quoique l’art de la Peinture renferme
préfentement une infinité d’obferv.ations 8c de
connoiffances, qu’il ne renfermoit pas du tems de
ce grand génie. Ses ouvrages ont porté fon nom par
tout le monde ; ils font prefque aufli connus que
l ’Enéide de Virgile. Voye^ ce que dit l’abbé Dubos
du tableau de Y ecole d’Athènes, de celui d’Attila, de
celui où Jefus-Chrift donne les clés à S. Pierre, du
tableau- appellé la mejfe du pape Jules ; enfin du tableau
de la transfiguration de Notre-Seigneur qu’on
regarde comme le chef-d’oeuvre de ce peintre; j’al-
lois dire de la Peinture, fi le fouvenir des ouvrages
de l’antiquité 8c le jugement du Pouflin n’avoient arrêté
mon erithoufiafme.
Digne rival de Michel Ange, jamais perfonne ne
reçut peut-être en naiffant plus de goût, de génie,
ni de talens pour la peinture que Raphaël; 8c peut-
être perfonne n’apporta-t-il jamais plus d’application
à cet art; Perugin n’eft connu que pour avoir été
maître de Raphaël. Mais bien-tôt cet artifte laiffa le
Perugin 8c fa maniéré, pour ne prendre que celle de
la belle nature. Il puifa les beautés 8c les richefles
de fon art dans les chefs-d’oeuvres de fes prédécef-
fieurs. Sur le bruit des ouvrages que Léonard de Vinci
faifoit à Florence , il s’y tranfporta deux fois pour
en profiter. Il continua de former la délicatefle de fon
goût fur les ftatues 8c fur les bas - reliefs antiques,
quil deflina long-tems avec l ’attention 8c l’afliduite
la plus foûtenue. Enfin il joignit à cette délicatefle
de goût portée au plus haut point, une grandeur de
maniéré, que la vûe de la chapelle de Michel Ange
lui infpira tout d’un coup. Le pape Jules IL le fit travailler
dans le Vatican fur la recommandation de
Bramante ; & c’eft alors qu’il peignit les ouvrages
immortels dont j’ai parlé ci-deflus, outre ceux que
fes difciples firent fur fes delfeins. -
Indépendamment de l’étude que Raphaël faifoit
d’après les fculptures 8c les plus beaux morceaux de
l’antique qui étoient fous fes yeux, il entretenoit des
gens qui deflinoient pour lui tout ce que l’Italie 8c la
Grece poffédoiént de rare 8c d’exquis. ;
On remarque qu’il n’a laiffé que peu ou point d’ouvrages
imparfaits, 8c qu’il les finifloit extrêmement,
quoique promptement. C’eft: pour cela qu’on yoit
de lui un crayon de petites parties, comme des mains,
des pies, des morceaux de draperies, qu’il deflinoit
Tome K»
trois ou quatre fois pour un même fujet., afin d’en
faire un choix convenable,
r II mourut à la fleur de fon âge, n’ayant que trente-
fept ans, épuifé par l’amour qu’il avoit pour les femmes
, 8c mal gouverné par les médecins à qui il avoit
caché la caufe de fon mal. Les grands peintres ne
font pas ceux qui ont couru la plus longue carrière ;
le Parmefan, “Watteau, le Sueur, Lucas deLeyden,
le Çorrege, font morts entre trente-fix 8c quarante
ans ; Vandyck à quarante-deux ans, Je Valentin 8c le
Giorgion à trente-deux 8c trente-trois ans.
. Raphaël refufa de fe marier avec la nieced’un
cardinal, parce qu’il feflatoitde le devenir,fuivant
la promeffe que Léon X. lui en avoit faite.
_ Un heureux génie, une imagination féconde, une
compofition fimple, 8c en même tems fublime, un
beau choix, beaucoup de corredion dans le deflein,
de graçes 8c de nobleffe dans les figures, de finefle
dans les penfées, de naturel 8c d’expreflion dans les
attitudes ; tels font les traits auxquels on peut recon-
noître la plûpârt de fes ouvrages. Pour le coloris, il
eft fort au-deffous du Titien ; 8c le pinceau du Corre-
ge eft fans doute plus moelleux que celui de Raphaël.
Ce célébré maître manioit parfaitement le crayon;
fes deffeins font fingulierement recherchés : on peut
les diftinguer à la hardieffe de fa main, aux contours '
coulans de fa figure, 8c fur-tout à ce goût élégant 8c
gracieux qu’il mettoit dans tout ce qu’il faifoit.
Le Roi poffede quelques tableaux de chevalet de
Raphaël, entr’autres une vierge connue fous le nom
de la belle jardinière. Il y a deux beaux morceaux de
ce favant maître au palais royal : favoir une fainte
famille, tableau d’environ deux piés 8c demi de haut
fur vingt’pouces de large, 8c S. Jean dans le defert ;
M. le duc d’Orléans régent du royaume paya vingt
mille livres ce dernier tableau de Raphaël. Enfin on
a beaucoup gravé d’après ce grand homme. Voye£
fa vie , vous y trouverez bien d’autres détails.
On compte parmi fes difciples, Jules Romain ,
Perrin del Vaga, 8c plufieurs autres ; mais on doit
compter pour peintres tous ceux qui ont su profiter
des ouvrages de Raphaël.
Primatice, né à,Bologne en 1490, mort à Paris en
j 570. Jules Romain perfectionna fes principes ; le
duc de Mantoue l’employa à décorer fon beau château
du T . Les ouvrages de ftuc qu’il y fit donnèrent
une fi grande idée de fes talens, qu’il fut appellé à
la cour par François I. Il a embelli Fontainebleau de
ftatues qui furent jettées en bronze, de fes peintures
, 8c de celles que Nicolo, 8c plufieurs autres élevés
, ont faites fur fes deffeins ; mais le peu d’ouvrages
qui nous reftent de cet artifte (car la plupart ne
fubfiftent plus), méritent feulement d’être loués pour
le. coloris 8c les attitudes des figures. On voit fans
peine qu’ils font peints de pratique, 8c manquent de
corredion ; cependant c’eft réellement à lui 8c à maître
Roux, que la France eft redevable du bon goût
déjà peinture.
Jules Romain (fon nom de famille eft Julio Pippt)'t
né à Rome en 1492, mort à Mantoue en 1546. Il a
été le premier 8c le plus favant des difciples de Raphaël.
Sujets d’hiftoire, tableaux de chevalet, ouvrages
à frefque , portraits, payfages ; il excella
dans tous ces genres. 11 fe montra un peintre égaler
ment fage, fpirituel 8c gracieux, comme fimple imitateur
de Raphaël. Enfuite fe livrant tout à coup à
l’effor de fon génie, 8c fe traçant une route nouvelle
il ne mérita pas de moindres éloges. Aucun maître
n’a mis dans fes tableaux plus d’efprit 8c de favoir;
en un mot fes ouvrages, malgré.les défauts
qu’on peut leur reprocher, feront toûjours l’admiration
du public. _
C é célébré a r t ifte embellit le chateau du T du duc
de Mantoue, comme archite&e 8c comme peintre,
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