
mettant une différence entre le feu caché ou interne
8c le feu public ou extérieur .Selon lui, le premier
eft de nature nonffeulement à confumer, mais encore
à réparer ce qu’il confume. La fécondé difficulté
a été levée par S. Auguftin, qui prétend que Dieu ,
par un miracle, fournit de l’air au feu central. Mais
l’autorité de ces peres, fi refpeftable en matière de
do&rine , n’eft pas irréfragable quand il s’agit de
Phyfique : auffi Swinden continue à montrer que
les parties centrales de la terre font plutôt occupées
par de l’eau que par du feu ; ce qu’il confirme par
ce que dit Moyfe des eaux foûterraines, Exode ,
chap, xx, ÿ . 4. & par le Pfeaume X X I I I . jr . 2.
Quia J'uper maria fundavit eum ( orbtm ) , & fuper
fiuminaproeparavit eum. Il allégué encore qu’il ne fe
trouveroit point au centre de la terre affez de place
pour contenir le nombre infini de mauvais anges &
d’hommes réprouvés. Voye[ Abysme.
On fait que Drexelius , de damnatorum carcere &
rogo, a confiné l'enfer dans l’efpace d’un mille cubi-
’ que d’Allemagne, & qu’il a fixé le nombre des damnés.
à cent mille millions: mais Swinden penfe que
Drexelius a trop ménagé le terrein ; qu’il peut y
avoir cent fois plus de damnés ; & qu’ils ne pourvoient
qu’être, infiniment preffés, quelque vafte que
foit l’efpace.qu’on pût leur affigner,au centre de la
terre. Il conclut qu’il eft impoffible d’arranger une
fi grande multitude d’efprits dans un lieu fi étroit,
fans admettre une pénétration de dimenfion ; ce qui
eft abfurde en bonne philofophie, même par rapport
aux efprits : car fi cela étoit, il dit qu’il ne voit pas
pourquoiDieu auroitpréparé une prifon fi vafte pour
les damnés, puifqu’ils auroient pû être entaffés tous
dans un efpace auffi étroit qu’un four de Boulanger.
On pourroit ajouter que le nombre des réprouvés
devant être très-étendu , 8c les réprouvés devant
un jour brûler en corps & en ame, il faut néceffai-
rement admettre un enfer plus fpacieuxque celui qu’a
imaginé Drexelius, à moins qu’on ne fuppofe qu’au
jugement dernier Dieu en créera un nouveau affez
vafte pour contenir les corps & les âmes. Nous ne
fommes ici qu’hiftoriens. Quoi qu’il en foit, les ar-
gumens qu’allegue Swinden, pour prouver que le
Soleil eft Venfer local, font tirés :
i°. De la capacité de cet aftre. Perfonne ne pouvant
nier que le Soleil ne foit affez fpacieux pour
contenir tous les damnés de tous les fiecles, puifque
les Aftronomes lui donnent communément un million
de lieues de circuit : ainfi ce n’eft pas la place
qui manque dans cefyftème. Le feu ne manquera
pas non plus , fi nous admettons le raifonnement
par lequel Swinden prouve, contre Ariftote, que le
Soleil eft chaud , page 208 & fuiv. « Le bon-hom-
» me, dit-il, eft faifi d’étonnement à la vûe des Py-
*> rénées de foufre & des océans athlantiques de bi-
» tume ardent, qu’il faut pour entretenir î’immenfi-
» té des flammes du Soleil. Nos-Æthnas & nos Véfu-
» ves nç font que des vers luifans ». Voilà une phra-
fe plus digne d’un gafeon que d’un favant du nolrd.
z°. De la diftance du Soleil, & de fon oppofitiôn
à l’empyrée, que l’on a toûjours regardé comme le
ciel local. Une telle oppofition répond parfaitement
à celle qui fe trouve naturellement entre deux places
, dont l’une eft deftinée au féjour des anges 8c
des élûs, 8c l’autre à celui des démons 8c des réprouvés
, dont l’une eft un lieu de gloire 8c de bénédictions
, & l’ autre eft un lieu d’horreur & de blafphè-
mes. La diftance s’accorde auffi très-bien avec les
paroles du mauvais riche, qui dans S. Luc, chap.
xvj. ÿ . 23. voit Abraham dans un grand éloignement
, 8c avec la réponfe d’Abraham dans ce même
chap. ÿ . 26. & in his omnibus inter nos & vos chaos
magnum firmatum e f , ut hi qui volunt hinc tranfire ad
y os non pojjint, neque indï hue tranfmeare. Or Swinden,
par ce chaos ou ce folaire. gaufre, entend le tourbillon Voye^ Tourbillon.
30. De ce que l’empirée eft le lieu le plus haut,
8c le Soleil le lieu le plus bas de l’univers, en con-
fidérant cette pianete comme le centre de notre fyf-
tème, 8c comme la première partie du monde créé
8c vifible ; ce qui s’accorde avec cette notion, que
le Soleil a été deftiné primitivement non-feulement
à éclairer la terre, mais encore à fervir de prifon &
de lieu de fupplice aux anges rebelles, dont notre auteur
fuppofe que la chute a précédé immédiatement
la création du monde .habité par les hommes.
40. Du culte que prefque tous les hommes ont
rendu au feu ou au Soleil ; ce qui peut fe concilier
avec la fubtilité malicieufe des efprits qui habitent
le Soleil, 8c qui ont porté les hommes à adorer leur
throne , où plûtôt l’inftrument de leur fupplice.
Nous laiffons au leéleur à apprécier tous ces fyf-
tèmes ; & nous nous contentons de dire qu’il eft bien
fingulier de vouloir fixer le lieu de l’enfer, quand
l’Ecriture, par fon filence, nous indique affez celui
que nous devrions garder fur cette matière.
III. Il ne conviendroit pas également de demeurer
indécis fur une queftion qui intéreffe effentielle-
ment la foi': c’eft l’éternité des peines que les damnés
fouffriront en enfer. Elle paroît expreflément débridée
par les Ecritures, 8c quant à la nature des peines
du fens, & quant à leur durée qui doit être interminable.
Cependant, outre les incrédules modernes
qui rejettent l’un & l’autre point, tant parce
qu’ils imaginent l’ame mortelle icomme le corps ,
que parce que l’éternité des peines leur femble in-
compatible avec l’idée d’un Dieu effentiellement &
fouverainement bon & miféricordieux ; Origene,
dans fon traité intitulé, mpi a.py.âv, ou de principiis ,
donnant aux paroles de l’Ecriture une interprétation
métaphorique , fait confifter les tourmens de
Yenfer, non dans des peines extérieures ou corporelles
, mais dans les remords de la confidence des pécheurs
, dans l’horreur qu’ils ont de leurs crimes, &
dans le fouvenir qu’ils confervent du vuide de leurs
plaifirs paffés. S. Auguftin fait mention de plufieurs
de fes contemporains qui étoient dans la même erreur.
Calvin & plufieurs de fes fe&ateurs l’ont foû-
tenu de nos jours; 8c c’eft le fentiment général des
Sociniens , qui prétendent que l’idée de Yenfer, admis
par les Catholiques , eft empruntée des fidions
du paganifme. Nous trouvons encore Origene à la
tête de ceux qui nient l’éternité des peings dans la
vie future : cet auteur, au rapport de plufieurs peres,
mais fur-tout de S. Auguftin, dans fon traité de la cité
de Dieu, liv. X X I . chap. xvij. enfeigne que les
hommes, 8c les démons même, après qu’ils auront
effuyé des tourmens proportionnés à leurs crimes,
mais limités toutefois quant à la durée, en obtiendront
le pardon 8c entreront dans le ciel. M. Huet,
dans fes remarques fur Origene, conjedure que la lecture
de Platon avoit gâté Origene à cet égard.
L’argument principal fur lequel fe fondoit Origene
, eft que toutes les punitions, ne font ordonnées
que pour corriger, 8c appliquées comme des reme-
des douloureux, pour faire recouvrer la fanté aux
fujets à qui on les inflige. Les autres objections fur
lefquelles infiftent les modernes font tirées de la dif-
proportion qui fe rencontre entre des crimes paf-
lagers & des fupplices éternels, &c.
Les phrafes qu’employe l’Ecriture pour exprimer
l’éternité, ne lignifient pas toûjours une durée infinie
, comme l’ont obfervé plufieurs interprètes ou
critiques, & entre autres Tillotlon, archevêque de
Cantorbéry.
Ainfi dans l’ancien Teftament, ces mots, à jamais,
ne fignifient fouvent qu'une longue durée, & en particulier
jufqu’à la fin de la loi judaïque. Il eft dit, par
exempté, dans YEpttre de S. Jude, ÿ . y . que les villes
de Sodome & Gomorre ont fervi d’exemple , &
qu’elles ont été .expolées à la vengeance d’un feu
éternel, ignés ceterni pçenàmfujlinentes, c’eft-à-dire
d’un feu qui ne pouvoit s’éteindre avant que ces villes
fuffent entièrement réduites en cendres. Ileft dit
auffi, dans l’Ecriture, que. les générations feiùcce-
dent, mais que la terre demeure à jamais ou éternellement;
terra autem in oeternum jlat.Én effet,M .le Clerc
remarque qü’il n’y a point de mot hébreu qui exprime
proprement Y éternité; le terme holam n’exprime
qu 'un tems dont le commencement ou la fin font inconnus,
8c fe prend dans un fens plus ou moins etendu , fui-
vantla matière dont il eft queftion. Ainfi quand Dieu
dit, au fujet des lois judaïques, qu’elles doivent etre
obfervées laholam , à jamais, il faut fous-entendre
qu’elles le feront auffi long - tems que Dieu le jugera
à propos, ou pendant un efpace de tems dont la fin
étoit inconnue aux Juifs avant la venue du Meliie-
Toutes les lois générales, oü celles qui ne regardent
pas des efpeces particulières, font établies à perpétuité
, foit que leur texte renferme cette expreiiion,
foit qu’il ne la renferme pas ; ce qui toutefois ne fi-
gnifie pas que la puiffance légiflatnce & fouverame
ne pourra jamais les changer ou les abréger. .
Tillotfon foûtient, avec autant de ^ force que de
fondement, que dans les endroits de l’Ecriture où il
eft parlé des tourmens de l’enfer, Ws expreffions dot-
vent être entendues: dans un fens étroit & d une durée
infinie ; & ce qu’il regardexomme une raifon de-
cifive c’eft que dans un feul 8c meme paflage (en
S. Matth. chap.xxv.'),^ durée de la punition des médians
fe trouve exprimée par les memes termes dont
on fe fert pour exprimer la durée du bonheur des jul-
tes, qui, de l’aveu de tout le monde, doit etre éternel.
En parlant des réprouvés, il y eft dit qu’ils iront
au fupplice éternel, ou qu’ils feront livres à des tourmens
éternels : 8c en parlant des juftes, il eft dit
qu’ils entreront en poffèffion de la vie eternelle ; &
ibunt hi in fupplicium oeternum , jujli autem m vitam
oeternam. • ,
Cet auteur entreprend de concilier le dogme de
l’éternité des peines avec ceux de la juftice 8c de
la miféricorde divine ; 8c il s’en tire d’une maniéré
beaucoup plus fatisfaifante que ceux qui avoient
tenté avant lui de fauver les contrariétés apparentes
qui réfultent de ces objets de notre foi.
En effet , quelques Théologiens, pour refoudre
ces difficultés, avôient avance: que tout péché eft
infini , par rapport" à l’ôbjet contre lequel .1 eft
commis , c’eft-à-dire par rapport à Dieu ; mais
il eft abfurde de prétendre que tous les crimes font
aggravés à ce point par rapport à 1 objet offenle,
puifque dans ce cas le mal & le démente de tout
pécKé feroient néceffairement égaux en ce qu il
ne peut y avoir rien au- deffus de 1 infini que le péché
ofFenfe. Ce feroit renouveller un des paradoxes
des Stoïciens ; & par conféquent on ne pourroit
fonder fur rien les degrés dè punition pour la vie à
venir • car quoiqu’elle doive etre eternelle dans la
durée il n’eft pas hors de vraiffemblance qu’elle ne
fera p’as égale dans fa violence , St qu’elle pourra
être plus ou moins v iv e , à proportion du caraaere
ou du degré , de malice qu’auront renfermé tels .ou
tels péchés. Ajoutez que pour la meme raifon le
moindre péché contre Dieu étant infini, par rapport
à fon o b j» ; on peut dire que la moindre punition
que Dieu inflige eft infinie par rapport à fon auteur,
& par conféquent que toutes les punitions que Dieu
infligeroit feroient égales, comme tous les péchés
commis contre Dieu leroient égaux ; ce qui répugne.
D ’autres ont prétendu que fi les méchanâ- pou-
voient vivre toujours, .ils ne cefferoient jamais de
pécher. « Mais c’eft là , dit Tillotfon, une pure fpé-
» culatiôjn, & non pas un raifonriementEc’êft une
» fuppofition gratuite & dénuée de fondement. Qui
» peut affûrer * ajoûte-t-il, que fi un homme vivoit
» fi long-tems, il ne fe repentiroit jamais » ? D ’ail*
leurs la juftice vengereffe de Dieu ne punit que les
péchés commis par les hommes, 8c non pas ceux
qu’ils auroient pû commettre ; comme fa juftice ré-
munérative ne couronne que les bonnes oeuvres
qu’ils ont faites réellement, & non celles qu’ils
auroient pû faire , ainfi que le prétendoient les Sé-
mi-Pélagiens. Voye^ Sémi-Pélagiens.
' C ’eft pourquoi d’autres ont foutenu que Dieu laif-
fe à l’homme le choix d’une félicité ou d’une miferô
éternelle , 8c que la récompenfe promife à ceux qui
lui obéifl’ent, eft égale à la punition dont il menace
ceux qui refufent de lui obéir. On répond à cela ,
que. s’il n’eft point contraire à la juftice dé porter
trop loin la récompenfe , parce que cétté matière
eft de pure faveur, il peut être contraire à la justice
de porter la punition à l’excès. On ajoute que
dans ce cas l’homme n’a pas fujet de fe plaindre ,
puifqu’il ne doit s’en prendre qu’à fon propre choix»
Mais quoique cette raifon fuffife pourimpofer filen-
ce au pécheur, & lui arracher cet aveu., qu’il eft la
caufe de fon malheur, perditio tua ex te,Ifrael; on
fent qu’elle ne réfout pas pleinement l’obje&iôn tirée
de la difproportion entre le crime 8c le fupplice*
Voyons comment Tillotfon , mécontent de toüâ
ces fyftèmes, a entrepris de réfoudre cette difficulté.
Il commence par obferver que la mefure des punitions
par rapport aux crimes, ne fe réglé pas feulement
ni toûjours fur la qualité 8c fur le degre de
l’offenfe , & moins encore lur la durée & fur la continuation
de l’offenfe, mais fur les raifons d’oecono-
mie ou de gouvernement, qui demandent des punitions
capables de porter les hommes à obferver
les lois , & de les détourner d’y donner atteinte*
Parmi les hommes, on ne regarde point comme une
injuftice de punir le meurtre & plufieurs autres crimes
qui fe commettent fouvent en un moment, par
la perte ou privation perpétuelle de l’etat de citoyen
, de la liberté, 8c même de la vie du coupable
; de forte que l’objeftion tirée de la difproportion
entre des crimes paffagers 8c dès tourmens éternels
, ne peut avoir ici aucune force.
En effet, la maniéré de regler la proportion entre
les crimes 8c les punitions, eft moins l’objet de la
juftice, qu’elle n’eft l’objet de la fageffe & de la prudence
du légiflateur, qui peut appuyer fes lois par la
menace de telles peines qu’il juge à propos , fans
qu’on puiffe à cette occafion l’accufer de la plus le-
gere injuftice : cette maxime eft indubitable*
La première fin de toute menace n’eft point de pu-*
nir, mais de prévenir ou faire éviter la punition*
Dieu ne menace point afin que l’homme peche 8c
8c qu’il foit puni, mais afin qu’il s’abftienne de pécher
8c qu’il évite le châtiment attaché à l’infraéHori
de la loi ; de forte que plus, la menace eft terrible
8c imposante, plus il y a de bonté dans l’auteur de
' la menace.
Après tout, il faut faire attention, ajoûte le même
auteur, que celui qui fait la menace fe refetve le
pouvoir de l’exécuter lui-même. Il y a cette diffé-
ce entre les promeffes 8c les menaces, que celui qui
promet donne droit à un autre, 8c s’oblige à exécuter
fa parole , que la juftice 8c la fidélité ne lui
permettent pas de violer : mais il n’en eft pas de même
à l’égard des menaces; celui qui menace fe re-*
ferve toûjours le droit de punir quand il le voudra ,
& n’eft point obligé à la rigueur d’exécuter fes menaces,
ni de les porter plus loin que n’exigent 1 économie
, les raifons, & les fins de fon gouvernement.
G’eft ainfi que Dieu menaça la ville de Ninive d’une
deftruftion totale, fi elle ne faifoit pénitence dans un