me il arrive quelquefois que les befoins préfens de
l’état & les circonftances particulières ne permettent
pas que l’on fuive cette réglé à la lettre , c’eft
une néceflité que le fouverain puiffe s’en écarter, &
qu’il foit en droit de priver les particuliers des cho-
fes qu’ils poffedent, mais dont l’état ne fauroit fe
paffer dans les conjonctures preffantes où il fe trouve
: ainli le droit dont il s’agit, n’a lieu que .dans de
telles conjonctures.
Pofons donc pour maxime, avec M. de Montef-
quieu, que quand le public a befoin du fonds d’un
particulier, il ne faut jamais agir par la rigueur de
la loi politique : mais c’eft - là que doit triompher la
loi civile, qui avec des yeux de mere, regarde chaque
particulier comme toute la cité même.
« Si le magiftrat politique veut faire quelque édi-
» fice public, quelque nouveau chemin, il faut qu’il
» indemnife noblement : le public eft à cet égard
» comme un particulier qui traite avec un particu-
» lier. C ’eft bien affez qu’il puiffe contraindre un ci-
» toyen de lui vendre fon héritage, & qu’il lui ôte
»> le grand privilège qu’il tient de la loi civile, de ne
» pouvoir être forcé d’aliéner fon bien.
» Beaumanoir, qui écrivoit dans le douzième fie-
» c-le, dit que de fon tems quand un grand chemin ne
» pouvoir être rétabli, on en faifoit un autre, le
» plus près de l’ancien qu’il étoit poflible ; mais qu’-
» on dédommageoit les propriétaires aux frais de
» ceux qui tiroient quelque avantage du chemin : on
» fe déterminoit pour lors par la loi civile ; on s’eft
» déterminé de nos jours par la loi politique ».
Il eft donc jufte que dans les rares conjonftures
où l’état a befoin de priver les particuliers de leurs
biens, alors i° . les propriétaires foient dédommagés
par leurs concitoyens, ou par le thréfor public,
de ce qui excede leur contingent, autant du moins
que la chofe eft poflible ; que fi les citoyens eux-
mêmes fe font expofés à fouffrir cette perte , comme
en bâtiffant des maifons dans un lieu où elles ne
fauroient fubfifter en tems de guerre, alors l ’état
n’eft pas tenu à la rigueur de les indemnifer, & ils
peuvent raifonnablement être cenfés avoir confenti
eux-mêmes aux rifques qu’ils couroient.
z°. Le droit éminent n’ayant lieu que dans une
nécelîité d’état, il feroit injufte de s’en fervir en tout
autre cas ; ainli le monarque ne doit ufer de ce privilège
fupérieur, qu’autant que le bien public l’y force
, & qu’autant que le particulier qui a perdu ce
qui lui appartenoit, en eft dédommagé, s’il fe peur,
du fonds public, ou autrement : car d’un côté la
loi civile , qui eft le palladium de la propriété, &
de l’autre la loi de nature, veulent qu’on ne dépouille
pèrfônne de la propriété de fes biens, ou de tout
autre droit légitimement acquis, fans y être autorifé
par des raifons grandes & importantes. Si un prince
en ufe autrement à l’égard de quelqu’un de fes fu-
je ts, il eft tenu fans contredit de réparer le dommage
qu’il lui a caufé par-là, puifqu’il a donné atteinte
à un droit d’autrui certain & inconteftable ; il le doit
même dans un gouvernement civil, qui quoique monarchique
& abfolu, n’eft point despotique, & ne
donne pas conféquemment au fouverain fur fes fujets
le 'mèmè pouvoir qu’un maître s’arroge fur fes ef-
claves. 3 Q; M s’enfuit de-là encore, qu’un prince ne peut
jamais difpenfer valablement aucun de fes fujets des
charges auxquelles ils font tous aftraints en vertu du
domaine éminent ; car tout privilège renferme une
exception tacite des cas de néceflité : & il paroît de
la contradiction à vouloir être citoyen d’un état
& prétendre néanmoins avoir quelque droit dont on
puiffe faire ufage au préjudice du bien public.
4°. Enfin, puifque le droit dont il s’agit ici eft un
droit malheureux & onéreux aux citoyens, on doit
bien fe garder de lui donner trop d’étendue ; mais il
faut au contraire tempérer toujours les privilèges de
ce droit fupérieur, par les réglés de l’équité, & c’eft
d’après ces réglés qu’on peut décider la plus grande
partie des queftions qui fe font élevées entre les
politiques , au fujet du domaine éminent. Mais comme
ces queftions nous meneroient trop loin, & qu’elles
font d’une difcuflion trop délicate pour cet ou-
vrage, je renvoyé le lefteur aux favans jurifconful-
tes qui les ont traités ; par exemple, à M. Buddoeus
dans fon hijloire du droit naturel ; à M. Boehmer ,
dans fon droit public univerfel ; à Grotius & à Puf-
fendorff. Hîc jura regum extremis digitis attigijfe fat
ejl. Article de M. le Chevalier d e J AU COURT.
D om a in e , (Jurifpr.) en latin dominium, lignifie
ordinairement propriété d’une chofe. Il fe prend
aulfi quelquefois pour un corps d’héritages , & fin-
gulierement pour une métairie & bien de campagne
tenu en roture.
Le domaine en tant qu’on le prend pour la propriété
d’une chofe , eft un droit qui dérive en partie
du droit naturel, en partie du droit des gens , & en
partie du droit civil, ces trois fortes de lois ayant
établi chacune diverfes maniérés d’acquérir le domaine
ou propriété d’une chofe.
Ainli, fuivant le droit naturel, il y a certaines
chofes dont le domaine eft commun à tous les hommes
, comme l’a ir, l’eau de la mer, & fes rivages ;
d’autres, qui font feulement communes à une fo-
ciété particulière ; d’autres , qui font au premier
occupant.
Les conquêtes & le butin que l’on fait fur les
ennemis, les prifonniers de guerre, & la plupart
de nos contrats, tels que l’échange, la vente, le
loiiage, font des maniérés d’acquérir le domaine d’une
chofe, fuivant le droit des gens.
Enfin il y a d’autres maniérés d’acquérir introduites
par le droit civil, telles que les baux à rente
& emphitéotiques, la prefcription, la commife , &
confifcation, &c.
On diftingue deux fortes de domaine ou propriété
, favoir le domaine direct & le domaine utile.
Le domaine direct eft de deux fortes ; l’une qui ne
confifte qu’en une efpece de propriété honorifique,
telle que celle du feigneur haut-jufticier, ou du feigneur
féodal & dire&, fur les fonds dépendans de
leur juftice ou de leur feigneurie : l’autre efpece
de domaine direct eft celle qui confifte en une fimple
propriété féparée de la joüiffance du fond, & celle-
ci eft encore de deux fortes ; favoir celle du bailleur
à rente ou à emphytéofe, & celle du propriétaire
qui n’a que la nue propriété d’un bien , tandis qu’un
autre en a l’ufufruit.
Le domaine utile eft celui qui confifte principalement
dans la joüiffance du fonds, plûtôt que dans
une certaine fupériorité fur le fonds , & ce domaine
utile eft aufli de deux fortes, favoir celui de l’em-
phytéote ou preneur à rente, & celui de l’ufufrui-
tier.
Il y a différentes maniérés d’acquérir le domaine
d’une chofe, qui font expliquées aux injlit. de rer.
divif. & acq. earum dominio. Voye£ les mots ACQUISITION
& Pro priété. (A )
D omaine ancien , eft le domaine du roi, con-’
liftant en feigneuries, terres, bois, forêts, & autres
héritages, & en droits domaniaux ; tels que les tailles,
gabelles, doiiannes, droits d’entrée & autres |
qui font aufli anciens que la monarchie, ou du moins
qui de tems immémorial appartiennent à la couronne
; à la différence du domaine, qui confifte dans ce
qui y eft uni ou réuni nouvellement, foit par droit
de conquête, foit par aubaine, confifcation, bâtar-
dife & déshérence : ce qui forme d’abord un domaine
cafuel & nouveau, leguel par fucceflion de tems
devient ancien. (A )
D omaine casuel, eft tout ce qui appartient au
Roi par droit de conquête, ou par acqùifition ; comme
par fucceflion, aubaine, confifcation, bâtardi-
fe , & déshérence.
Le domaine cafuel eft oppofé au domaine fix e , qui
eft l’ancien domaine -, lequel de fa nature eft inaliénable
& imprefcriptible ; au lieu que le domaine cafuel
peut être aliéné par le ro i, & par une fuite de
ce principe il peut être prefcrit. La raifon eft que le
domaine cafuely tant qu’il conferVe cette qualité, n’eft
pas confidéré comme étant véritablement annexé à
la couronne : c’eft pourquoi nos rois en peuvent dif-
pofer par donation, vente, ou autrement.
Mais le domaine cafuel devient fixe après dix années
de joüiffance, ou bien quand il a été joint au
domaine ancien ou fixe par quelque édit, déclaration
, ou lettres patentes. (A )
D omaine congéable : on appelle àinfi en Bretagne
un héritage dont le poffeffeur eft obligé de fe
deffaifir à la volonté du fejgneur, comme fi on di-
foit que le feigneur en peut donner congé au poffeffeur.
Ces fortes de domaines font fur-tout communs
dans la baffe Bretagne. Leur origine vient de ce
que dans cette province il y avoit beaucoup de landes
ou terres en friche & en bois, fahs aucuns habi-
tans , que les feigneurs concédèrent à divers particuliers
pour les défricher, à la charge d’une redevance
annuelle, & à condition que le feigneur pour-
roit les congédier, c’eft-à-dire reprendre ces héritages
, en leur rembourfant la valeur des impenfes
utiles qu’ils y auroient faites.
Ces conceflions de domaines congéables ne font
pas tranflatives.de propriété, comme les inféodations
& baux à cens, attendu la faculté que le feigneur
s’y referve de dépofféder le tenancier à fa volonté
; il ne le peut faire néanmoins qu’en lui rembourfant
la valeur des bâtimens, foffés, arbres fruitiers
, & autres impenfes utiles & néceffaires.
On doutôit autrefois fi ces fortes de domaines, Ou
les rentes qui en tiennent lieu , étoient réputés nobles
à caule que ces conceflions font d’une nature
finguliere, qui ne reffemble point aux fiefs ; cependant
l’article 541 de la coutume de Bretagne, décide
que ces biens fe partagent noblement. Voye^Per-
chambaut fur cet article, &Belordeau, lett. D. art.
29* (^ )
D omaine de la C ouronne. Le domaine de la
couronne , qu’on appelle aufli domaine du roi, ou par
excellence Amplement le domaine, eft le patrimoine
attaché à la couronne, Se comprend toutes les parties
dont il eft compofé.
Origine du domaine. Le domaine de la couronne a
commencé à fe former aufli anciennement que la monarchie
, dès le moment de l’entrée des Francs dans
les Gaules. Ces peuples qui habitoient au-delà du
Rhin dans l’ancienne France, fe rendirent d’abord
les maîtres de quelques contrées en-deçà de ce fleuve
qui lesféparoit de ce qu’ils poffédoient au-delà: les
villes de Cambrai & de Tournai fe foûmirent à eux,
& cette derniere ville fut quelque tems la capitale de
leur empire.
Le roi Clovis monté fur le throne, jetta dès fon-
demens plus folides de la grandeur de cette couronne
: à l’aide des troubles de l’empire, fécondé de fon
courage & de la valeur de fa nation., & plus encore
à la faveur du Chriftianifme qu’il embraffa, il devint
maître d’abord des provinces- qui étoient demeurées
fous l’obéiffance des Romains, enfuite des
provinces confédérées qui s’en étoient fouftraites,
& chaffa les Oftrogots. Clovis devenu ainfi le fou-
Verain des Gaules, entra aufli-tôt en poffeflion des
droits de ceux qui en étoient les maîtres avant lui,
& de tout ce dont y joiiiffoient les Romains, qui con-
fiftoit en quatre fortes de revenus.
La première efpece fe droit des fonds de terre,’
dont la propriété appartenoit à l’état.
. La fécondé étoit l’impofition annuelle que chaque
citoyen payoit à raifon des terres qu’il pofledoit,
ou de fes autres facultés.
La troifieme, le produit des péages & des traites
oü doiianes.
La quatrième, les confifearions & les amendes.
Ces memes revenus qui ne furent point détachés
de la fouverainete, formèrent la dot de la couronne
naiffante de nos rois, comme ils avoient formé
le patrimoine de la couronne impériale -, & telle fut
l ’origine de ce que nous appelions domaine de la cou-
tonne.
Ce domaine s’eft augmenté dans la fuite ; & les
lois qui lui font propres, fe font établies peu-à-peu.
Les objets les plus importans à confidérer par rapport
au domaine, font la nature & les différentes ef-
peces de parties qui le compofent, fes privilèges, la
maniéré dont il peut être eonfervé, augmente ou diminué,
les formes fucceflîves de fon adminiftration,
& fa jurifdi&ion.
Nature du domaine , &fes differentes efpeces. Polir
bien connoître la nature du domaine , il faut d’abord
diftinguer tous les revenus du Roi en deux efpecesi
La première aufli ancienne qiie la monarchie, &
connue fous le nom de finance ordinaire, comprend
les revenus dépendans du droit de fouveraineté, là
feigneurie, & autres héritages dont la propriété appartient
à la couronne, & les droits qui y font attachés
de toute ancienneté, tels que les confifcations,
amendes, pqâgës, & autres.
La fécondé efpece plus récente comprend fous le
nom de finances extraordinaires, les aidés, tailles,
gabelles, décimes, & autres fubfideS-, qui dans leu,r
origine ne fe levôient point ordinairement, mais
feulement dans certaines occaûons, & pour les befoins
extraordinaires de l’état.
Les Romains avoient deux natiires de fife alla
reipublica , alia prineipis , le public & le privé. Ce
dernier qui appartenoit perfonnellement à l’empereur
, étoit tellement féparé de l’autre, qu’il y avoit
deux procureurs différens chargés d’en prendre le
foin.
On faifoit en France la même diftinéfion fous les
deux premières races de nos rois. Le domaine public
étoit compofé de poffeflîons attachées à leur couronne
, des tributs ou impofitions réelles qui fe
payoient alors en deniers, ou en fruits & denrées en
nature, des péages fur les marchandifes, des amendes
dûes , foit par ceux qui n’alloient point' à là
guerre, ou par composition pour les crimes dont les
accufés avoient alors la faculté de fe racheter par
argent. Le domaine privé étoit le patrimoine perfon-
nel du roi qui lui appartenoit lors de fon avenement
à la couronne, ou qui lui étoit échû depuis par fuc-
ceflîon, acqùifition, ou autrement,
Cette diftinfrion du domaine public & privé eft
aujourd’hui inconnue , comme l’obferve Lebret en
fon traité de la fouveraineté, liv. III, chap.j. mais on
fait plufieurs divifions du domaine pour diftinguer les
différens objets dont il eft compofé, & leur nature.
Entre les différentes fortes de biens qui compofent
le domaine , les uns font domaniaux par leur nature ,
tels que la mer, les fleuves, & rivières navigables,
les grands chemins , les murs, remparts, foffés, &
contrefcarpes de villes ; les autres ne font domaniaux
, que parce qu’ils ont fait partie du domaine
dès le commencement de la monarchie, ou qu’ils y
ont été unis dans la fuite.
De cette première divifion du domaine 3 il en naïf