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d’érudition & dans les fciences dé raisonnement.
Foyer Science , D octe , &c. (O)
ERUDITION ; f. f. (Philofoph. & Lite.) Ce mot,
qui vient du latin erudire, enfeigner, lignifie proprement
& à la lettre , /avoir ^ connoiflance ; mais on l’a
plus particulièrement appliqué au genre de Savoir
qui confifte dans la connoiflance des Saits -, & qui eft
le fruit d’une grande leflure. On a réfervé le nom
de fcience pour les connoiflances qui ont plus immédiatement
befoin du raisonnement & de la réflexion,
telles que la Phyfique, les Mathématiques , &c. Sc
celui de belles-lettres pour les productions agréables
de l’efprit, dans lefquelles l’imagination a plus de
part, telles que l’Eloquence, la Poéfie, &c.
L’érudition, confidérée par rapport à l’état préSent
des lettres , renferme trois branches principales , la
connoiflance;de l’Hiflôire, celle des Langues, &
celle des Livres.
La connoiflance de I’Hiftoire Se Subdivile en plusieurs
branches ; hiftoire ancienne ôc moderne-; histoire
Sacrée, profane , eccléfiaftique ; hiftoire de no-
'tre propre pays & des pays étrangers ; hiftoire des
Sciences & des Arts ; Chronologie ; Géographie ;
Antiquités & Médailles , &c,
La connoiflance des Langues renferme les langues
Savantes1, les langues modernes, les langues orientales
, mortes ou vivantes-
La connoiflance des livres fuppofe, du moins juf-
qu’à un certain point , celle des matières qu’ils traitent,
& des auteurs ; mais elle confifte principalement
dans la connoiflance du jugement que les favans ont
porté de ces ouvrages, de l’eSpece d’utilité qu’on
peut tirer de leur leéture , des anecdotes qui concernent
les auteurs & les livres, des différentes éditions
& du choix que l’on doit faire entr’elles.
Celui qui pofféderoit parfaitement chacune de
ces trois branches, feroit un érudit véritable & dans
toutes les formes : mais l’objet eft trop vafte, pour
qu’un feul homme puiffe l’embraffer. Il fuffit donc,
pour être aujourd’hui profondément érudit, ou du
moins pour être cenfé t e l, de pofféder- feulement à
un certain point de perfe&ion chacune de ces parties:
peu de favans ont même été dans ce cas, & on paffe
poiir érudit à biejgi meilleur marché. Cependant, fi
l’on eft obligé de reftraindre la lignification du mot
érudit.,, &. d’en étendre l’application, il paroît %du
moins jufte de ne l’appliquer qu’à ceux qui embraf-
fent, dans un certain degré d’étendue, la première
branche de Vérudition, la connoiflance des faits historiques
, fur-tout des faits hiftoriques anciens , &
de l’hiftoire de plufieurs peuples ; car un homme de
lettres qui fe feroit borné, par exemple, à l’hiftoire
de France, ou même à l’hiftoire romaine , ne méri-
teroit pas proprement le nom d'érudit ; on pourroit
dire feulement de lui qu’il auroit beaucoup d’érudition
dans l’hiftoire de France, dans l’hiftoire romaine,
&c. en qualifiant le genre auquel il fe fetoit appliqué.
De même on ne dira point d’un homme ver-
le dans la connoiflance feule des Langues & des Livres
, qu’il eft érudit, à moins qu’à ces deux qualités
il ne joigne une connoiflance affez étendue de
l’Hiftoire.
De la connoiflance de l’Hiftoire,des Langues & des
Livres, naît cette partie importante de Vérudition,
qu’on appelle critique, & qui confifte ou à démêler le
fe'ns d’un auteur ancien, ou à reftituer fon texte, ou
enfin (ce qui eft la partie principale ) à déterminer le
degré d’autorité qu’on peut lui accorder par rapport aux faits qu’il raconte; Voye^ Critique. On parvient
aux deux premiers objets par une étude aflidue
& méditée de l’auteur, par celle de l’hiftoiré de fon
tèms & de fà perforine ; par le parallèle raifonné des
différens mànufçrits'qUi nous en reftent. A l’égard
de la critique, çonfidérée par rapport à la croyan-
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ce des fait s hiftoriques, en voici les réglés principales.'1
i° . On ne doit compter pour preuves que les té-
môignages des auteurs originaux, c’eft-à-dire de
ceux qui ont écrit dans le têms même, ou à-peu-
près ; car la mémoire des faits s’altere aifément, fi
on eft quelque tems fans les écrire : quand ils paffent
Amplement de bouche en bouche , chacun y ajoûte
du lien-, prefque fans le vouloir. « Ainfi, dit M.
» F leury, premier difcours fur Thijl. ccd. les tradi-
» tions vagues dés faits très-anciens, qui n’ont jamais
» été écrits, ou fort tard*, ne méritent aucune créan-
» c e , principalement quand elles répugnent aux faits
» prouvés : & qu’on ne dife pas cfrie les hiftoires
>> peuvent avoir été perdues;; ca r, comme on le dit
» fans preuve, on peut répondre aufli qu’il n’y en a
» jamais eu ».
i° . Quand un auteur grave & véridique d’ailleurs
cite des écrits anciens que nous n’avons plus , on
doit, ou on peut au moins l’en croire : mais fi ces
auteurs anciens exiftent, il faut les comparer avec
celui qui les cite, ftir-tout quand ce dernier eft moderne
; il faut de plus examiner ces auteurs anciens
eux-mêmes, & voir quel degré de créance on leur
doit. « Ainfi, dit encore M. Fleuri, on doit conful-
» ter les fources citées par BarOnius , parce que fou-
» vent il a donné pour authentiques des pièces fauf-
» fies ou fufpeftes, & qu’il a fuivi des traductions peu
» fideles des auteurs grecs >>.
3°. Les auteurs, même contemporains, ne doivent
pas être fuivis fans examen : il faut favoir d’abord
fi les écrit? font véritablement d’eux ; car on
n’ignore pas qu’il y en a eu beàucoup de fuppofés,
Voye^ D ecretales , &c. Quand l’auteur eft certain
, il faut encore examiner s’il eft digne de f o i ,
s’il eft judicieux, impartial, exempt de crédulité &;
de fuperftition, affez éclairé pour avoir fû démêler
le vrai, & affez fincere pour n’avoir pas été tenté;
quelquefois de fubftituer au vrai fes conjectures,
& des foupçons dont la fineffe pouvoit le féduire. i
Celui qui a vu eft plus croyable que celui- qui a feu-
lement otii dire, l’écrivain du pays plus que l’écrivain
étranger, & celui qui parle des affaires de f a ,
doCtrine, de fa feCte, plus qiïe les perfonnes indifféré
rentes, à moins que l’auteur n’ait un intérêt vifiblè
de rapporter les ehofês autrement qu’elles ne font.
Les ennemis d’urie feCte,-d’un pays, doivent fur-tout
être fufpeCts ; mâis on prend droit fur ce qu’ils difent
de favorable au parti contraire. Ce qui eft contenu
daris les lettres du tems/& les aCtes originaux, doit
etre préféré au récit des hiftoriens.: .s’il y a entre les
écrivains de la diverfité g il faut les concilier ; s’il y
a de la contradiction, il fatttchôifir; Il eft vrai qu’il
feroit bien plus commode pour l’écrivain de fe bor-:
ner à rapporter les différentes opinions, & de laiffer
le jugement au leCteim; mais il eft plus agréable pour
celui-ci, qui aime mieux favoir que douter , d’être
décidé par le critique.
Il y a dans la critique deux excès à fuir également
, trop d’indulgence, & trop de févérité. On
peut-être très-bon chrétien fans ajoûtèr foi à une
grande quantité de faux àCtes dés Martyrs, de fauffes:
vies des Saints, d’évangiles & d’épîtres apocryphes;;
à la legende dorée de Jacques de Voragine, à la fable
de la donation dé Coriftaritin, à celle de la pa-*
peffe Jeanne, à plufieurs même dès miracles rap->
portés par Grégoire de Tours & par d’autres écrivains
crédules ,• &c. niais ori ne pourroit être chré-
tién en rejettant les pfodiges ; les révélations &: les
autres faits extraordinaires què rapportent S. Irenée r
S. Cyprien, S. Auguftin, &c. auteurs refpe&ables
qu’il n’eft pas permis de regarder Corinne des vifion-
naires.
Un autre excès de critique eft de donner trop aux
conjectures : Erafme,par exemple, a rejette témé-î
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virement, félon M. Fleury, quelques écrits défairif
Auguftin', dont le ftyle lui a pàrii différer dè celui
des autres oiivrages de ce pere ; d’àütres ont corrigé
des motsiqifils n’entendoienf pas, !oü nié des faits!;
parce qu’ils nepouvoient pas lesâecorder avec d’au-
tres d’une égale ori d’une moiridre atitorité, ou parefr
qu’ils ne pouvoient les concilïèr àVec là chrOriold-
gie dans laquelle ils fé troftipqient. On a voulu tout'
lavoir & tout deviner ; chacun à rafiné fur les criti^
ques précédens; pour ôter quelque fait aux hiftpifës1
reçues, & quelque ouvragé aüx auteurs-connus :
critique-•dangereuiè & dédàigneufë:, qüi éloigné fa
vérité en paroiflant la chercher; Foye^Eleury, premier
difcours fur Vhifi. eccl. ch . Ï î j ï & v . N çjus en avons'
extrait ces réglés de critique, qui y lont très-biën'
développées , & auxquelles nous renvoyons lé leè-'
teur.
Vérudition eft un genre de connoiflance oîf lés riio-'
dernes fe font diftingués par deux raifons : plus1 lè
monde vieillit, plus la matière de Vérudition augmente
, & plus par conféquent il doit y avoir d’érudits ;-
comme il doit y;avoir plus de fortunes lorfqu’il y à-
plus d’argent. D ’ailleurs l’ancienne Grece ne faifoît:
cas que de fon hiftoire & de fa langue , & lés Romains
n’étoient qu’orateurs & politiques : ainfi Vérité
dition proprement dite n’etoit-pas- extrêmement cul-:
tivee par les anciens. Il fe trouva néanmoins à Ro-» j
me, fur la fin de la republique; & enfuitedu tems.
des empereurs , un petit nombre d’érudits, tels qu’un
Varron, un Pline le Naturalifte, & quelques autres.
La tranftation de l’empire à ‘Conftantinople, & '
enfuite la deftruClion de l’empiré d’Occicfent anéan-1
tirent bien-tôt toute efpece de connoiflances dans
cette partie du monde : elle fut barbare jufqu’à la
fin du xv. fiecle ; l’Orient fe foûtint un peu plus
Jong-tems; la Grece eut des hommes favans dans la
connoiflance des Livres & dans l’Hiftoirc. A la vérité
ces hommes favans ne lifoient & ne connoiffoient
que les ouvrages.grecs, ils avoient hérité du mépris
de leurs ancêtres pour tout ce qui n’étoit pas écrit
en leur langue: mais comme fous les empereurs romains
, & même long-tems auparavant, plufieurs
auteurs grecs, tels que Polybe, Dion, Diodore de Sicile
, Denis d’Halicarnaffe, &c. avoient écrit l’hiftoi-
re romaine & celle des autres peuples, l'érudition historique
& la connoiflance des livres, même purement
grecs , étoit dès-lors un objet confidérable
d’étude pour les gens de lettres de l’Orient. Conftantinople
& Alexandrie avoient deux bibliothèques
confiderables ; la première fut détruite par ordre
d’un empereur infenfé, Léon l’Ifaurien : les favans
qui prefidoient à cette bibliothèque s’étoient déclares
contre le fanatifme avec lequel l’empereur per-
fécutoit le culte des images ; ce prince imbécille &
furieux fit entourer de fafeines la bibliothèque, &
la fit brûler avec les favans qui y étoient renfermés.
A l’égard de la bibliothèque d’Alexandrie, tout le
monde fait la maniéré dont elle fut brûlée par les
Sarrafins en 640, le beau raifonnement fur lequel le
calife Omar s’appuya pour cette expédition, & l’u-
fage qu’on fit des livres de cette bibliothèque pour
chauffer pendant fix mois quatre mille bains publics.
Voye^ Bibliqtheque.
Photius qui vivoit fur la fin du jx. fiecle, lorfque
l’Occident étoit plongé dans l’ignorance & dans la
barbarie la plus profonde, nous a laiffé dans fa fa--
meufe bibliothèque un monument immortel de fa
vafte érudition : on voit par le grand nombre d’ouvrages
dont il juge, dont il rapporte des fragmens
& dont une grande partie eft aujourd’hui perdue,
que la barbarie de Léon & celle d’Omar n’avoiènt
pas encore tout détruit en Grece ; ces ouvrages
font au nombre d’environ 280..
Quoique les favans qui fuiyirent Photius n’ayent
Tome V, J
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pas è ti àÿtànt a*értidieton quëalm 9 deperi^ânt long-
: tetris -Photius , & même;jufqu’à' la^pirifë -dé-
. Conftäritihöplfe par les TürCs ^ en 1453 ; la Grèce
: eut tôiijorirS'quelques hommes inftruits Si véries
• ( du moins potir leur tems^-dans l’Hiftoire^&! dans
; les Lettres, 'Pfellus, Suidàs, Euftathe commenta-»
: tëur d’Homère,-Tzetzes, Beffarien, Genriàdkis
Ori cfoit Communément - que la ‘’deftrù&iôri de
; l’empiré d Orierit- fut la caufo -du renouvellement
dés Lettrés én Europe ; qüedes favans de la Grece ,
; chàfles de' Conftantinople par lesTurcs, & appelles
par les Medrcis en Italie, rapportèrent la lumière en;
^ Occident : cela eft vrai jufqu’à un certain pointé
mais Farriyée des favans de la Grece avoit été pré-
cédée de l’invention de l’Imprimerie, faite quelques
années auparavant, des ouvragés du Dante ; de Pé-.
tfarqué & de Bocace , qui-avoient ramérié en Italie
; l’àurorei'du bon goût; enfin d’iin petit nombre de
| favans qui avoient commencé à débrouiller & même!
; à cultiver avec fuccès la littérature latine', tels que
; le Pogge, Lâurent V alla, Philelphe & quelques au-
: très. LeS grecs de Gonftantinople ne furënt vraiment
' utiles' aux gens de lettres d’Occident, que pour là
! cönnoiffänce de la langue greque qu’ils leur apprirent
à étudier : ils formèrent des éleves, qüi bientôt
égalèrent ou fprpafferent leurs maîtres. Ainfi ce
fut par l ’étude des langues greque & latine que l'eru»
, ditioh renaquit: 1 [étude approfondie de cés langues
& des- auteurs qui les avoient parlées;, prépara in-
fénfiblement les efprits au goût de là: faine littérature;
on s’âpperçut que les Démofthènes & les
î Gicérons* les Homeres & les Virgiles, les Thucydides
& lès Tacites avoient fuivi les mêmes principes
dans-1 art d’ecrire , & on .en conclut: que ces
principesétoient les fondemens de l ’art. Cependant,
par les raifons que nous avons expofées dans le Difcours
préliminaire de cet Ouvrage, les vrais principes
du goût ne furent bien connus & bien développés
que lorfqu’on commença à les appliquer aux
langues vivantes.
Mais le premier avantage que produifit l ’étude des
Langues fut là’tritique, dont nous avons déjà-parlé
plus haut : on purgea les anciens textes des fautes
que l ’ignorarice ou l ’inatterition des copiftes y a-
voient introduites ; on y reftitua ce que l’injure des
tems avoit défiguré ; on expliqua par de favans commentaires
les endroits obfcurs ; on fe forma des réglés
pour diftinguer les écrits vrais d’avec les écrits
fuppofés, réglés fondées fur la connoiflance de l’Hif-
toire, de la Chronologie, du ftyle des auteurs, du
goût & du caraâere des différens fiecles. Ces regle*'
furent principalement utiles lorfque rios favans ,
après avoir comme épuifé la littérature latine &
greque, fe tournèrent vers ces tems barbares & ténébreux
qu’on appelle le moyen âge. On fait? combien
notre nation s’eft diftinguée dans ce genre d’étude
; les noms des Pithou, des Sainte-Marthe., des
Ducange , des Valois, des Mabillon, &c. fe font immortalités
par elle.
Grâces aux travaux de ces favans hommes, l’an--
tiquité & les temspoftérieurs font non-feulement défrichés
, mais prefque entièrement connus, Ou du
moins aufli connus qu’il eft poflible, d’après les mo-
numens qui nous reftent. Le goût des ouvrages de
bel efprit & l ’étude des fciences exactes a fuccédé
parmi nous au goût de nos peres pour les matière*'
d'érudition. Ceux de nos contemporains qui culti-j
vent encore ce dernier genre d’étude, fe plaignent;
de la préférence exclufive & injurieufe que nous
donnons à d’autres objets; yoye1 Tfdfloire de VAcad,
des B elles-Leur es., tome XVI. Leurs plaintes font rai-:
fonnables & dignes d’être appuyées ; mais.quelques^
unes des raifons qu’ils apportent de cette préférence
ne paroiffent.pas aufli inçônfeftables. La culture de*
Z Z z z z i j