
ont leurs chevaux & leurs armes auprès d’eux : mais
les chevaux de Rhéfus font attachés à fort char, fur
lequel étoient fes armes : & c’eft-là le feul char qu’on
apperçoive dans cette troupe. D ’où l’on doit conclure
que les chefs des efcadrons étoient feuls fur
des chars.
Quelle eft l’occupation d’Ulyffe, pendant que
Diomede égorge les principaux d entre les Thraces ?
C ’eft d’en retirer les corps de côté, afin que le paf-
fage ne fût point embarrafie. Il l’eût été bien davantage
par des chars : cependant Homere n’en dit
rien. H
Penfc-t-on d’ailleurs qu’il eût ete poflible à ces
princes Grecs , de monter, & à p o il, des courfiers
fougueux, de les galoper à toute bride, de defcen-
dre & de remonter legerement fur e u x , li les hommes
& les chevaux n’avoient pas été de longue main
accoûtumés à cet exercice ? Trouverions-nous aujourd’hui
des cavaliers plus leftes & plus adroits ?
C ’eft aufli fur cela que madame Dacier fe fonde,
pour croire qu’il y avoit des gens de cheval dans les
tournois , pour fe fervir de fa même expreflion.
Le bruit fourd qu’entend Neftor, n’eft point un
bruit qu’il entende pour la première fois ; il diftin-
gue fort bien qu’il eft caufé par une marche de chevaux
, & n’ignoroit pas que le bruit des chars étoit
différent.
Qu’oppofe M. Freret à un récit qui parle d’une
maniéré fi pofitive en faveur de l’équitation ? « Le
» défaut de vraiffemblance, dit - i l , de plufieurs cir-
» confiances de cet épifode, eft fauvé dans le fyftè-
5> me d’Homere, par la préfence & par la proteéfron
» de Minerve, qui accompagne ces deux héros , &
» qui fe rend vifible, non-feulement pour foûtenir
i> leur courage, mais encore pour les mettre en état
» d’exécuter des chofes qui, fans fon fecours, leur
» auroient été impoflibles » : ainfi, félon lu i, le parti
que prennent Ulyffe & Diomede, de monter fur les
chevaux de Rhéfus, pour les emmener au camp des
Grecs, leur eft infpiré par Minerve : cette déeffe les
accompagne dans leur retour, & ne les abandonne
que lorfqu’ils y font arrivés ; & comme c’eft-là ,
a joû te-t-il, le feul exemple de Y équitation qui fe
trouve dans les poëmes d’Homere, on n’eft point en
droit d’en conclure qu’il la regardât comme un ufa-
ge déjà établi au tems de la guerre de Troye. ^
Il eft vrai qu’Homere « regarde quelquefois les
hommes comme des inftrumens dont les dieux fe
„ fervent pour exécuter les decrets des deftinées » ;
mais l’on doit convenir aufli que ce poëte, pour ne
point trop s’éloigner du vraiffemblable , ne les fait
jamais intervenir, & prêter aux hommes l’appui de
leurminiftere, que dans les aérions qui paroiffent au-
deffus des forces de l’humanité.
Le defir defe procurer d’excellens chevaux & des
armes couvertes d’o r , fut ce qui tenta Diomede &
U lyffe, & leur infpira le deffein d’entrer dans le
camp desThraces, & de pénétrer jufqu’à la tente de
Rhéfus. Deux hommes, pour réuflir dans une en-
treprife femblable, ont certainement befoin de l’af-
fiftance des dieux ; Ulyffe implore donc celle de Pal-
las, & la fupplie de diriger elle-même leurs pas jufqu’à
l’endroit où étoient les chevaux, le char, & les
armes de Rhéfus.
La protection de la déeffe fe fait bien-tôt fentir :
les héros grecs arrivent dans le camp des Thraces :
un filence profond y régné ; point de gardes fur les
avenues ; tous les cavaliers étendus par terre près de
leurs chevaux, font erifevelis dans le fommeil ; le même
calme & la même fécurité font autour de la tente
du chef. Alors U lyffe rie pouvant plus méconnoî-
tre l’effet de fa priere, & enhardi parle fuccès, pro-
pofe à fon compagnon de tuer les principaux Thra-
çe s, tandis qu’il ira détacher les chevaux de Rhéfus :
voilà une conjoncture où le fecours de la déeffe devient
encore très-néceffaire ; aufli Homere dit qu’elle
donna à Diomede un accroiffement de force & de
courage : douze Thraces périffent de fa main avec
leur roi. Les chevaux détachés par Ulyffe, Diomede
peu content de ces avantages, veut encore enlever
le char de Rhéfus ; mais la déeffe , juftement étonnée
de cette imprudence, fe rend vifible à lui, & le
preffe de retourner au plûtôt, de crainte que quelque
dieu ne reveille enfin les Troyens. Diomede re-
connoiffant la voix de Pallas, monte auffi-tôt à cheval
, & part fuivi d’Ulyffe. Jufque-là Homere a marqué
exactement toutes les circonftances de l’entre-
prife dans lefquelles la déeffe prêta fon fecours aux
héros Grecs : il confifte à les conduire fûrement à-
travers le camp, à favorifer le maffacre des Thraces
& l’enlevement des chevaux, à les obliger de
partir, lorfque l’appas d’avoir des armes d’or les retient
mal-à-propos , mais nullement à les placer fur
les chevaux ; & une fois fortis du camp, elle les quitte
, quoi qu’en ait dit M. Freret ; car dans Homere,
elle n’accompagne pas leur retour comme cet académicien
l’avance gratuitement. S’il étoit vrai cependant
, qu’ils euffent eu befoin d’elle la première
fois pour monter à cheval, fon fecours n’eût pas été
moins néceffaire à Diomede, quand il fut obligé de
fauter à terre pour prendre les armes de Dolon , &
de remonter tout de fuite ; & Homere n’auroit pas
manqué de le faire remarquer, car il ne devoit pas
ignorer qu’on ne devient pas fi vite bon cavalier.
Difons donc que c’eft uniquement parce qu’il étoit
très-ordinaire dans les tems héroïques de monter à
cheval, qu’Homere ne fait point intervenir le minif-
tere de Pallas dans une aérion ft commune.
Le XV. livre de l’Iliade nous offre un exemple de
Y équitation, dans lequel cet art eft porté à un degré
de perfeérion bien fupérieur à ce que nous oferions
exiger aujourd’hui de nos plus habiles écuyers. Le
poëte qui veut dépeindre la force & l’agilité d’A-
jax qui paffant rapidement d’un vaiffeau à l’autre ,
les défend tous à la fois , fait la comparaifon fui-
vante.
« Tel qu’un écuyer habile , accoutumé à manier
» plufieurs chevaux à la fois, en a choifi quatre des
» plus vigoureux & des plus v îtes, & en préfence de
» tout un peuple qui le regarde avec admiration ,
» les pouffe à toute bride , par un chemin public ,
» jufqu’à une grande ville où l’on a limité fa courfe :
» en fendant les airs 9 il paffe legerement de l’un à
» l’autre , & vole avec eux. Tel A ja x, &c. ».
(o) M. Freret veut qu’Homere, pour orner fa narration
, & la rendre plus claire , ait expliqué en cet
endroit des chofes anciennes par des images familières
à fon fiecle : tel e ft , ajoû te-t-il, le but de
fes comparaifons , & en particulier de celle - ci :
« tout ce qu’on en peut conclure , c’eft que l’art de
» Yéquitation étoit commun de fon tems dans l’Io-
» nie. Des feholiaftes d’Homere lui font un crime
»d’avoir emprunté des comparaifons de Yéquita-
» tion ; ils les ont regardé comme un anachronif-
» me, tant ils étoient perfuadés que cet art étoit en-
» core nouveau dans la Grece du tems d’Homere».
Mais ils ont crû, fans examen, & fans avoir éclairci
la queftion. Puifque dans toute l’économie de fes
poemes, Homere eft fi exaft, fi févere obfervateur
des ufages & des tems , qu’il paroît toûjours tranf-
porté dans celui où vivoient fes héros, & qu’on ne
(o) Au V. liv. de ÏOdyJJec, v. 366. un Cpup de vent ayant
brifé l’efquif qui reftoic à Ulyffe après la tempête qu’il effuya
en fortant de Pile de Calypfo, il en faifit une planche für laquelle
il fauta ,■ 8c s’y pofa comme un homme fe met fur un cheval
de felle. M. Freret feroit fans douce à cette comparaifoil
la même répoafe qu’à la précédente, quoique ayec aufli peu de
fondement.
peut
peut, félon les mêmes feholiaftes, lui reprocher aucun
autre anachronifme : par quelle raifon croira-
t-on qu’il fe foit permis celui-ci ? Dira-t-on qu’il n V
voit pas affez de reffource dans fon génie pour varier
& ranimer fes peintures ? De plus , Homere n’a
vécu que trois cents ans (/*) après la guerre de
Troye : un fi court intervalle eft-il fufîifant pour y
placer à la fois la naiffance & les progrès de Y équitation
, & pour la porter à un degré de perfection duquel
nous fommes encore fort éloignés ? Cette réflexion
tire du fyftème deM. Freret une nouvelle forc
e , en ce qu’il ne place dans l’Ionie la connoiffance
de l’art de monter achevai, que 150 après la guerre
de Troye.
Homere à fuivi conftamment les anciennes traditions
de la Grece ; il dépeint toûjours fes héros,
tels qu’on croyoit qu’ils avoient été. Leurs cara&e-
res, leurs pallions, leurs jeux, tôut eft conforme au
fou venir qu’on en confervoit encore de fon tems.
C ’eft ainfi qu’il fait dire à Hélene, «je ne vois(/AW.
» liv. III. ) pas mes deux freres » , Caftor fi célébré
dans les combats à cheval, huôS'afeoç, & Pollux fi renommé
dans les exercices du celle. Ce paffage ne
fait aucune impreflion fur M. Freret. Le nom de dpm-
pteur de chevaux, 'm<rsèS<tp.oç, de conducteur, de cavalier,
ou encore celui de raxtuv tv/Cmopte ittutov , confcenfo-
res equorum, dont fe fert, en parlant de ces mêmes
Tyndarides , l’auteur des hymnes attribuées à Homere
; tous ces noms font donnés quelquefois à des
Grecs ou à des Troyens montés fur des chars, donc
ils ne lignifient jamais autre chofe dans le langage
de ce tems là. Ce raifonnement eft-il bien jufte ? il
le feroit davantage, fi l’on convenoit que ces mots
ont quelquefois eu l’une ou l’autre lignification :
mais en ce cas , M. Freret ne pourroit nier que le
titre de conducteur, de cavalier, éyn/eoY murav, que Neftor
{Iliad. X I. v. y45.) donne au chef des Eléens,
ne veuille dire ce qu’il dit effectivement. Parce que
ce chef combattoit fur un char, cela n’empêche pas
qu’il n’ait commandé des gens de cheval. On peut
dire la même chofe d’Achille & de Patrode, qu’Homere
( Iliad. iC. ) nomme des cavaliers, iV-oe-oxeXïv-9-*.
Plufieurs autres paffages de l’Iliade, femblent dé-
figner des gens de cheval ; mais ils n’ont fans doute
paru dignes d’aucune confidération à M. Freret, ou
bien il a craint qu’ils ne fuffent autant de preuves
contre fon fentiment {Iliad. liv. XVIIIY). On voyoit
fur le bouclier d’Achille , une ville inveftie par les
armées de deux peuples différens : l’un vouloit détruire
les afliégés par le fer & par le feu ; l’autre
étoit réfolu de les recevoir à compofition. Pendant
qu’ils difputoient entr’eu x, ceux de la ville étant
fortis avec beaucoup de fecret, fe mettent en em-
bufeade, & fondent tout-à-coup fur les troupeaux
des afliégeans : aufli-tôt l’allarme fe répand dansdes
deux armées ; tous prennent à la hâte leurs armes
& leurs chevaux , arma & equos propere arripiunt,
& l’on marche à l’ennemi. La célérité d’un tel mouvement
convient mieux à de la cavalerie qu’à des
chars : n’eût - elle pas été bien ralentie par le tems
qu’il auroit fallu pour préparer ces chars , & les tirer
hors des deux camps ?
Il eft dit dans le combat particulier de Ménelas
contre Paris {Iliad. liv. III. ) , que les troupes suffirent
toutes par terre , chacun ayant près de foi fes
armes & fes chevaux. Doit-on entendre par ce dernier
mot des chevaux attelés à des chars ? Celui
qui les conduifoit & celui qui combattoit deffus,
etoient l’un & l’autre d’un rang diftingué , & n’é-
toient pas gens à s’affeoir par terre, confondus avec
les moindres foldats : d’ailleurs ils euffent été mieux
{p J Selon les marbres d’Arondel, le P . Pétau place Homere
Jeux cents ans après la guerre de Troye.
Tome V.
aflîs dans leurs chars ; c’é toit, pendant ce combat,
la fituation la plus avantageufe, pour mieux remarquer
ce qui s’y paffoit. Les gens de cheval, au contraire
, en defeendent fort fouvent pour fe délaffer,
eux & leurs chevaux.
Dans le combat d’Ajax contre He&or ( Iliad. liv.
V i l . ') , on trouve encore une preuve de Y équitation.
Le héros troyen dit à fon adverfaire : je fais
manier la lance ; & foit à p ié , foit à cheval, je fais
pouffer mon ennemi.
Ne femble-t-il pas dans plufieurs combats généraux
, 'que l’on voye manoeuvrer de véritables
troupes de cavalerie }
» Chacun fe prépare au combat ( Iliad. liv. II. ou
» bien X I. ) , & ordonne à fon écuyer de tenir fon
» char tout prêt, & de le ranger fur le bord du fof-
» fe : toute l’armée fort des retranchemens en bon
» ordre : l’infanterie fe met en bataille aux premiers
» rangs, & elle eft foûtenue par la cavalerie qui dé-
» ployé fes aîles derrière les bataillons.............Les
» Troyens de leur côté étendent leurs bataillons ÔC
» leurs efcadrons fur la colline ».
Ici le mot chacun ne doit s’appliquer qu’aux chefs z
pour peu qu’on life Homere avec attention, on verra
qu’il n’y avoit jamais que les principaux capitaines
qui fuffent dans des chars. Le nombre de ces chars
ne devoit pas être bien confidérable , puifqu’ils peuvent
être rangés fur le bord du foffé. Quant à l’infanterie
& la cavalerie, la difpofition en eft fimple ,
& ne pourroit pas être autrement rendue aujourd’hui
, qu’il n’y a plus de chars dans les armées.
Si les Troyens n’euffent eu que des efcadrons de
chars , ce n’eft pas fur une colline qu'ils les euffent
placés ; Sc l’on doit entendre par efcadrons, ce que
les Grecs ont toûjours entendu, & ce que nous comprenons
fous cette dénomination.
La defeription du combat ne prouve pas moins
que l’ordre de bataille, qu’il y avoit & des chars &
des cavaliers. « Hippolochus fe jette à bas de fon
» char, & Agamemnon, du tranchant de fon épée ,
» lui abat la tête , qui va roulant au milieu de fon
» efeadron ». On lit dans le même endroit, que l’écuyer
d’Agaftrophus tenoit fon char à la ,queue de
fon efeadron.
Neftor renverfe un troyen de fon char, & fautant
legerement deffus, il enfonce fes efcadrons {liv. XI.').
Ne peut-on pas induire de-là , avec raifon, que les
chefs étoient fur des chars à la tête de leurs efcadrons?
Cela n’eft-il pas plus vraiffemblable que des
efcadrons de chars ?
« L’infanterie enfonce les bataillons troyens , &
» la cavalerie preffe fi vivement les efcadrons qui lui
» font oppofés , qu’elle les renverfe : les deux ar-
» mées font enfevelies dans des tourbillons dé pouf*
» fiere , qui s’élève de deffous les piés de tant de
» milliers d’hommes & de chevaux ».
M. Freret, lui-même, auroit-il mieux décrit une
bataille, s’il eût voulu faire entendre qu’il y avoit de
la cavalerie diftiriguée des chars, ou des chars à la
tête des efcadrons de gens de cheval ?
Il eft dit, dans une autre bataille , que « Neftor
» plaçoit à la tête fes efcadrons, avec leurs chars
» & leurs chevaux. . . . derrière eux , il rangeoit fa
» nombreufe infanterie pour les foûtenir. Les ordres
» qu’il donnoit à fa cavalerie , étoient de retenir
» leurs chevaux, & de marcher en bon ordre, fans
» mêler ni confondre leurs rangs {Iliad. liv.IV. ).
Si Homere n’eût voulu, parler que de chars , auroit
il ajoûté au mot efeadron, avec leurs chars & leurs
chevaux ?
Que peut-on entendre par mêler & confondre des
rangs ) Pouvoij-il y avoir plufieurs rangs de chars ?
A quoi eût été bon un fécond rang ? le premier victorieux
, le fécond ne pouyoit rien de plus ; le pre»
V V y v y