ture dont il'devint le chef, & conduifit les études,
d’Auguftin & d’Annibal Carrache fes coufins. Voilà
Y école de Bologne, dont les Carrache & leurs difci-
ples ont rendu le nom fx célébré dans la Peinture.
L’hiftoire de faint Benoît & celle de fainte C écile,
que Louis Carrache a peintes dans le cloître faint
Michelin Bofco k Bologne, forme une des belles fuites
qu’il y ait au mondes Ce grand maître avoit un
efprit fécond, un goût de deflein noble & toûjours
gracieux : il mettoit beaucoup de correûion dans fes
ouvrages ; fa maniéré eft non - feulement favante,
mais pleine de grâces, à l’imitation du Correge. Ses
deffeins arrêtés à la plume, font précieux ; il y régné
une agréable fxmplicité, beaucoup d’expreflion, de
correction, jointes à une touche délicate & fpiri-
tuelle.
Carrache , ( Augujlin) né à Bologne en 1 5 ç8, mort
à Parme en 1602. Il étoit frere aîné d’Annibal, ôc
coufin de Louis. Son goût le portoit également à
toutes les Sciences & à tous les beaux Arts, mais
il s’appliqua particulièrement à la Gravûre & à la
Peinture. Corneille Cort le guida dans la gravûre,
& il s’eft fait encore plus connoître en ce genre, que
par ies tableaux. Cependant fa compofition eft favante
; il donnoit à fes figures beaucoup de gentil-
lefl'e, mais fes têtes n’ont point la fierté de celles
d’Annibal. Ses grands ouvrages de peinture fe voyent
à Bologne, à Rome & à Parme.
Carrache, (Annibal) le grand Carrache, né à Bologne
en 1560, mort en 1609. Son pere le deftinoit
à fa profeiüon de Tailleur d’habits : mais la nature
l’avoit deftiné à en faire un des premiers peintres
de l’Europe. Louis Carrache fon coufin, lui montra
les principes de fon art. L’étude qu’Annibal Carrache
fit en même tems des ouvrages du Correge, du
Titien, de Michel-Ange, de Raphaël, du Parmefan,
& des autres grands maîtres, lui donna un ftyle noble
& fublime, des expreflions frappantes, un goût
de deflein correél, fier, & majeftueux, qu’il augmenta
même à mefure qu’il diminua dans le goût du
coloris : ainfi fes derniers ouvrages font d’un deflein
plus prononcé, mais d’un pinceau moins tendre,
moins fondu, & moins agréable.
Il a aufli excellé dans le payfage ; fes arbres font
d’une forme exquife, & d’une touche très - legere.
Les deffeins qu’il en a faits à la plume, ont un caractère
& un efprit merveilleux. Il excelloit encore à
defliner des caricatures, c’eft-à-dire des portraits,
qui en confervant la vraiffemblance d’une perfonne,
la repréfentent avec un air ridicule; & tel étoit fon
talent en ce genre, qu’il favoit donner aux animaux
& même à des vafes, la figure d’un homme qu’il-vou-
loit critiquer.
La galerie du cardinal Farnefe, ce magnifique
chef-d’oeuvre dé l’art, lui coûta huit années du travail
le plus opiniâtre, le plus pénible, & le plus fini ;
il .y prit des foins incroyables, pour mettre cet ouvrage
au plus haut point de perfeâion : cependant il
en fut récompenfé, non comme un artifie qui venoit
de faire honneur par fes rares talens à l’humanité &
à fa patrie, mais comme un artifan dont on toife le
travail. Cette efpece de mépris le pénétra de douleur,
& caufa vraisemblablement fa mort, qui arriva
quelque tems après.
Les deffeins d’Annibal font d’une touche également
ferme & facile. La correction eff la plus exaCte
dans fes figures ; la nature y eft parfaitement rendue.
Il avoit un deflein fier, mais moins gracieux
que celui de Louis Carrache. Ce célébré peintre a
gravé à l’eau-forte plufieurs fujets, avec autant d’ef-
prit que de goût. On a aufli gravé d’après lui. Ses
grands morceaux de peinture font à Bologne, à Parme
, à Rome. La chapelle de S. Grégoire in monte
Celio da Soria , eft de fa main. On admire la chambre
qu’il a peinte à Monte Cavallo, palais de Rome que
les papes habitent ordinairement l’été. On voit un
S. Xavier d’Annibal Carrache dans l’églife de la
maifon profeffe des Jéfuites à Paris. Le S. Antoine,
& le S. Pierre en pleurs de ce maître, font au palais
Borghefe.
Schidone , ( Bartholomeo) né à Modene vers l’an
1560, mort à Parme en 1616. Il fe mit fous la difci-
pline d’Annibal Carrache, & s’attacha cependant à
imiter le ftyle du Correge, dont il a beaucoup approché.
Sa paflion pour le jeu , plaifir amer & fi fouvent
funefte, le réduifit au point de mourir de douleur de
ne pouvoir payer ce qu’il y perdit en une nuit. Les
tableaux de ce charmant artifte font très-rares ; ceux
qu’on voit de lui font précieux pour le fini, pour les
grâces & la délicateffe de fà touche, pour le choix
& la beauté de fes airs de têtes-, pour la tendreffe de
fon coloris, & la force de fon pinceau; fes deffeins
font pleins de feu & de goût. Il a fait en portraits une
fuite des princes de la maifon de Modene.
Michel Ange de Caravage, (appellé communément
Michel Ange Amérigi ) naquit en 1569 au château
de Caravage, fitué dans le Milanès, & mourut en
1609. Ce peintre s’eft rendu très-illuftre par une
maniéré extrêmement forte, vraie, & d’un grand
effet, de laquelle il eft auteur. Il peignoit tout d’après
nature, dans une chambre où la lumière venoit
de fort haut. Comme il a exactement fuivi fes modèles
, il en a imité les défauts & les beautés : car il
n’avoit point d’autre idée que l’effet du naturel pré-
fent.
Son deflein étoit de mauvais goût ; il n’obfer-
voit ni perfpeCtive , ni dégradation ; fes attitudes
font fans choix , fes draperies mal jettées ; il n’a
connu ni les grâces, ni la nobleffe ; il peignoit fes
figures avec un teint livide, des yeux farouches, &
des cheveux noirs. Cependant tout étoit reffenti ; il
détachoit fes figures, & leur donnoit du relief par
un favant artifice du clair-obfcur, par un excellent
goût de couleurs, par une grande vérité, par une
force terrible, & par un pinceau moelleux,.qui
ont rendu fon nom extrêmement célébré.
Le caraûere de ce peintre, femblable à fes ouvrages,
s’eft toûjours oppofé à fon bonheur. Il eut
une affaire fâcheufe à Milan ; il en eut une autre à
Rome avec le Jofépin ; il infulta à Malte un chevalier
de l’ordre ; en un mot il fe fit des affaires avec
tout le monde, fut miférable toute fa v ie , & mourut
fans fecours fur un grand chemin. Il mangeoit
feul à la taverne,- où n’ayant pas un jour de quoi.
payer, il peignit l’enfeigne du cabaret, qui fut vendue
une fomme confidérable.
Ses deffeins font heurtés d’une grande maniéré
la couleur y eft.rendue; un goût bifarre, la nature
imitée avec fes défauts, des contours irréguliers,
des draperies mal jettées, peuvent les caraôérifer.
Ses portraits font très-bons. Le roi de France a
celui du grand maître de Vignacourt que ce peintre
fit à Malte. Il y a , je crois, un de fes tableaux aux
Dominicains d’Anvers , que Rubens appelloit fon
maître. On vante fingulierement un cupidon du Caravage
, & fon tableau de l’incrédulité de S. Thomas
, qu’il a gravé lui-même. Mais que dirons-nous
de fon Promethée attaché au rocher ? on ne peut regarder
un moment cette peinture fans détourner la
vûe , fans friflonner,- fans reffentir une impreflion
qui approche de celle que l’objet même auroit produite.
Le Caravage a fait pendant fon féjour à Malte,
pour l’églife de ce lieu, la décollation de S. Jean. Le
grand autel de l’églife de S. Louis â Rome, eft peint
par le Caravage ; il a peint un Chrift porté au fé-
pulchre, dans l’églife de fainte Marie in Vallicella,
Tous ces morceaux ont un relief étonnant.
Cuido Réni, que nous appelions lé Guide, naquit
à Bologne en 1575, & mouru^dans la même ville
en 1642^ Denis Calvart fut fon premier maître ; il
paffa enfuite fous la difcipline des Carraches , & ne
fut pas long-tems fans fe diftinguer parla fupériorité
de fon génie. Le pape Paul V. exerça fes talens, qu’il
ne pouvoit fe laffer d’admirer. Il lui donna pour
preuve de fon eftime particulière, un équipage &
une forte penfion.
Alors le Guide vivoit honorablement, & joiiiffoit
de fa renommée ; mais femblable au Schidone, l’amour
du jeu vint par malheur s’emparer de fon ame :
il y faifoit des pertes confidérables, qui le mettoient
continuellement dans l’indigence , & qu’il réparoit
néanmoins par fa facilité prodigieufe à manier le
pinceau : obligé de fatisfaire aux ouvrages qu’on lui
demandoit de tous côtés, il reçut long-tems un prix
confidérable des chefs*d’oeuvre, qui fortoient de fon
attelier avec une promptitude étonnante. Enfin devenu
vieux, & ne trouvant plus dans fon pinceau
la même reffource qu’il lui procuroit dans le fort de
l’âge, d’ailleurs pourfuivi par fes créanciers, abandonné
, comme il eft trop ordinaire, par ceux même
qu’il mettoit au nombre de fes amis, ce célébré artifte
mourut de chagrin.
La grandeur, la nobleffe, le goût, la délicateffe,
& par - tout une grâce inexprimable, font les marques
diftinâives qui caraâérifent toutes les productions
de cet aimafile peintre, & qui les rendent l ’objet,
d’une admiration générale.
Les ouvrages que le Guide a laiffés à Rome & à
Bologne, font ce qu’il a fait de plus confidérable.
On vante beaucoup fon crucifix, qui eft dans la chapelle
de l’Annonciade ; S. Laurent in Lucina, fon
Ariane, fa Vierge qui coud, David vainqueur de
Goliath, & l’enlevement d’Helene par Paris: ces
deux derniers tableaux font à l’hôtel de Touloufe,
& pechent néanmoins du côté de l’expreflïon, qui
n’eft point affez vive ni affez animée. Mais le couvent
des Carmélites du fauxbourg Saint - Jacques
poffede un admirable tableau du Guide, dont le fu-
jet eft une Annonciation. Son martyre des Innocens
eft connu de tout le monde. La famille Ludovifio à
Rome poffede quatre beaux tableaux du Guide, une
.Vierge, une Judith, une Lucrèce, & la converfion
de S. Paul. Enfin le tableau de ce grand maître, qui
a fait le plus de bruit dans Rome ,<eft celui qu’il peignit
en concurrence du Dominiquin dans l’églife de
S, Grégoire.
Il travailloit également bien à huile & à frefque.
Il fe plaifoit à la mufique, & à fculpter. Il a gravé à
l ’eau-forte beaucoup de fujets de piété, d’après Annibal
Carrache, le Parmefan, &c. On a aufli beaucoup
gravé d’apfès le Guide. ;
Ses deffeins fe font connoître par la franchife de fa
main, par la legereté de fa touche, par un grand
goût de draperies joint à la beauté de les airs de têtes.
Il ne faut pas croire, dit M. Mariette à ce fujet,
que le Guide fe foit élevé fi haut, fans s’être affujetti
à un travail opiniâtre : l’on s’en apperçoit aifément,
& fur-tout dans les deffeins qu’il a faits en grand
pour fes études. Tout y eft détaillé avec la derniere
précifion; l’on y voit un artifte qui confulte perpétuellement
la nature , & qui ne fe fie point à l’heureux
talent qu’il a de l’embellir.
Albane, ( François) né à Bologne en 1578, mort
dans la même ville en 1660. Son pere , marchand
de foie, voulut inutilement le faire de fa profeflion.
La paflion dominante du fils, le décida pour la Peinture.
Il fe mit d’abord chez Denis Calvart dont nous
avons parlé çi-deffus, & pour fon bonheur il y trouva
le Guide. Ils fe lièrent d’une étroite amitié, & ne
tardèrent pas à paffer enfemble dans l’école des Car-
raches ; enfuite ils fe rendirent à Rome, où l’Albane
perfèftionna fes talens, & devint un des plus agréables
& des plus favans peintres du monde. II cultiva
toute fa vie l’étude des belles-lettres, ôt fe fer-
vit utilement & ingénieufement des lumières qu’elles
lui fournirent, pour enrichir fes inventions des
ornemens de la Poéfie.
Il epoufa en fécondés noces une femme qui lui ap-
porta en, dot peu de richeffes, mais une grande beauté.
Elle fervit plus d’une fois de modèle à l’Albane,
qui la peignoit tantôt en nymphe, tantôt en Vénus ,
tantôt en déeffe. Il en eut douze enfans, & prit le
même plaifir à les peindre en amours ; fa femme les
tenoit dans fes bras, ou les fufpendoit avec des bandelettes
, & les lui préfentoit dans toutes les attittt-,
des touchantes qu’il a fi bien exprimées dans fes petits
tableaux. D e - là vient qu’ils fe font difperfés
comme des pierres précieufes par toute l’Europe,
& ont été payés très-chèrement : il ne faut pas s’en
étonner ; la legereté, l’enjouement, la facilité, & la
grâce, caraâérifent les ouvrages d e l’Albane.
Lanfranc , ( Jean) né à Parme de parens pauvres
en 15 8 r , mort à Rome dans l ’opulence en 1647.
Difciple des Carraches,il fit des progrès rapides qui
lui acquirent promptement de la célébrité, des richeffes
, & beaucoup d’occupation. Il excelloit dans
les grandes machines, fe montra dans ce genre
un des premiers peintres du monde. La voûte de la
première chapelle de l’églïfe de S. Pierre, & la coupole
de S. André délia Vallé à Rome, juftifierent la
hardieffe & l’étendue de fon génie.
Les papes Paul V. & Urbain V I I I . comblèrent
Lanfranc de biens Sc d’honneurs ; mais fur-tout un
cataâere doux & tranquille, une femme aimable,
& des enfans qui réuniffoient tous les talens d’agrément
, le rendirent heureux.
Ses principaux ouvrages font à Rome, à Naples
& à Plaifance. Toute la chapelle de S. Jean-Baptifte
à Rome, eft de fa main.
Dominiquin , (.Dominique Z amp iéri, dit le) né à
Bologne en 1581, mort en 1641. Il fe mit tous la
difcipline des Carraches , & remplit la prophétie
d’Annibal fon maître, qui prédit que le Dominiquin
nourriroit un jour la Peinture. Cependant fes études
furent tournées en ridicule, fes premières productions
méprifées, fa perfévérance traitée de tems
perdu, ôc fon filence de ftupidité.
En effet la nature lui donna un efprit pareffeux,’
pefant, & ftérile ; mais par fon opiniâtreté dans le
travail, il acquit de la facilité, de la fécondité, de
l’imagination , j’allois prefque dire du génie : du
moins fa perfévérance opiniâtre , la bonté cachée
de fon efprit, & la folidité de fes réflexions, lui tenant
lieu du don de la nature, que nous appelions génie,
ont fait produire au Dominiquin des ouvrages
dignes de la poftérité.
Abforbé dans fon art, il amafla peu-à-peu un thré-
for de fcience, qui fe découvrit en fon tems. Son e fprit
enveloppé comme un ver à foie l’eft dans fa coque
, après avoir long-tems travaillé dans la folitude ,
le développa, s’anima, prit l’effor, & fe fit admirer
non - feulement de fes confrères qui avoient tâché
de le dégoûter, mais des Carraches même qui l’a-
voient Joûtenu. En un mot, les penfées du Dominiquin
s’élevèrent infenfiblement au point qu’il s’en
faut peu qu’elles ne foient arrivées jufqu’au fublime,
fi l’on ne veut pas convenir qu’il y a porté quelques
uns de fes ouvrages ; comme le martyre de S.
André, la communion de S. Jerôme, le S. Sébaftien
qui eft dans la fécondé chapelle de l’églife de faint
Pierre, le Mufée , & autres morceaux admirables ,
qu’il a faits à Rome à la chapelle du thréfor de Naples
, & à l’abbaye de Grotta Ferrata ; monumens
éternels de fa capacité.
Je-crois bien que les parties de la peinture que