rir. Aptes la fanté de I’ame, il n’y a tien de plus précieux
que la famé du corps. Si la lànté du corps fe fait
fentir particulièrement en quelques membres, elle
n’eft pas générale. Si l’ame fe porte avec excès à la
pratique d’une vertu, elle n’eft pas entièrement ver-
tueule. Le muficien ne fe contente pas de tempérer
quelques-unes des cordes de fa lyre; il feroità feuhai-
ter pour le concert de la fociété, que nousl’imitaf-
fions, & que nous ne permiffions pas, foit à nos vertus
, foit à nos paffions, d’être ou trop lâches ou trop
tendues, 8c de rendre un fon ou trop fourd ou trop
aigu. Si nous faifons quelque cas de nos femblables,
nous trouverons du plailîr à remplir nos devoirs; parce
que c’eft un moyen sûr d’en êtrè confidérés. Nous
ne mépriferons point les plaifirs des fens ; mais nous
ne nous ferons point l’injure à nous-mêmes, de comparer
l’honnête avec le fenfuel. Comment celui qui
fe fera trompé dans le choix d’un état fera-1-il heureux
? comment fe choifir un état fans fe connoître ?
& comment.fe cbntenter dans fon état, li l’on confond
les befoins de la nature, les appétits de la paf-
fion, 8c les écarts de la fantaifie ? Il faut avoir un
but préfent à l’efprit, fi l’on ne veut pas agir à l’aventure.
Il n’eft pas toujours impoflible de s’emparer de
l ’avenir. Tout doit tendre à la pratique de la vertu ,
à la confervation de la liberté 8c de la v ie, 8c au mépris
de la mort. Tant que nous femmes, la mort n’eft
rien, 8c ce n’eft rien encore quand nous ne femmes
plus. O n ne redoute les dieux, que parce qu’on les
fait femblables aux hommes. Qu’eft-ce que l’impie,
finon celui qui adore les dieux du peuple ? Si la -véritable
piété confiftoit à fe proftemer devant toute pierre
taillée, il n’y auroit rien de plus commun : mais
comme elle oonfifte à juger fainementde la nature des
dieux, c’eft une vertu rare. Ce qu’on appelle le droit
naturel, n’eft quelefymbole d’une utilité générale.L’u-
tilité générale & le confentement commun doivent
être les deux grandes réglés de nos a fiions. Il n’y a jamais
de certitude que le crime refte ignoré : celui qui
le commet eft donc un infenfé qui joue un jeu où il y
a plus à perdre qu’à gagner. L’amitié eft un des plus
grands biens de la v ie , 8c la décence, une des plus
grandes vertus de la fociété. Soyez décens,parce que
vous n’êtes point des animaux, & que vous vivez
dans des villes, & non dans le fond des forêts, &c.
Voilà les points fondamentaux de la doârine à’E-
picurc, le feul d’entre tous les Philofophes anciens qui
ait fû concilier fa morale avec ce qu’il pouvoit prendre
pour le vrai bonheur de l’homme, 8c fes préceptes
avec les appétits & les befoins de la nature ; aufli
a-t-il eu 8c aura-t-il dans tous les tems un grand
nombre de difciples. On fe fait ftoïcien, mais on
naît épicurien.
Epicure étoit Athénien, du bourg de Gargêtte 8c
de la tribu d’Egée. Son pere s’appelloit Néoclès, &
fe mere Chércjlrata : leurs ancêtres n’avoient pas
été fans diftindion ; mais l’indigence avoit avili
leurs defeendans. Néoclès n’ayant pour tout bien
qu’un petit champ, qui ne fournifloit pas à fa fub-
fiftance, il fe fit maître d’école; la bonne vieille
Chéreftrata, tenant fon fils par la main, alloit dans
les maifons faire des luftrations, chaffer les fpeûres,
lever les incantations; c’étoitEpicure qui lui avoit
enfeigné les formules d’expiations, 8c toutes les fo-
tifes de cette efpece de fuperftirion.
« Epicure naquit la troifieme année de la cent neuvième
olympiade, le feptieme jour du mois de Ga-
milion. Il eut trois freres, Néoclès , Charideme 8c
Ariftobule : Plutarque les cite comme des modèles
de la tendreffe fraternelle la plus rare. Epicure demeura
à Téos jufqu’à l’âge de dix-huit ans : il fe rendit
alors dans Athènes avec la petite provifion de
connoiftances qu’il avoit faites dans l’école de fon
pere ; mais fon féjour n’y fut pas long, Alexandre
meurt; Perdiccàs defole l’Attique, & Epicure eft contraint
d’errer d’Athènes à Colophone , à Mytilene,
8c à Lampfeque. Les troubles populaires interrompirent
fes études ; mais n’empêcherent point fes progrès.
Les hommes de génie, tels qu'Epicure, perdent
peu de tems ; leur a&ivitéfe jette.fur tout ; ils
obfervent & sfinftruifent fans; qu’ils s’en apperçoir
vent ; & ces lumières, acquifes prefque fans_ effort,
font d’autant plus eftimables, qu’elles font relatives
à des objets plus généraux. Tandis que le Natura-
lifte a l’oeil appliqué à l’extrémité de l’inftrument
qui lui groflit un objet particulier, il ne joiiit pas du
lpeftacle général de la nature qui l’environne. Il en
eft ainfi du philofophe ; il ne rentre fur la feene du
monde qu’au fortir de fon cabinet ; & c’eft-là qu’il
recueille ces germes de connoiftances qui demeurent
long-tems ignorés dans le fond de fon ame, parce que
ce n’eft point à une méditation profondè & déterminée,
mais à des coups-d’oeil accidentels qu’il les
doit : germes précieux , qui fe développent tôt ou
tard pour le bonheur du genre humain.
Epicure avoit trente-fept ans lorfqu’il reparut dans
Athènes : il fut difeiple du platonicien Pamphile ,
dont il méprifa fouverainement les vifions : il ne put
fouffrir les fophifmes perpétuels dePyrrhon : il fprtit
de l’école du pythagoricien Naufiphanès, mécontent
des nombres & de la métempfycofe. Il connoifloit
trop bien la nature de l’homme & fa force, pour
s’accommoder de la févérité du Stoïcifme. Il s’occupa
à feuilleter les ouvrages d’Anaxagore, d’Arche-
laiis , de Metrodore-ÔC de Démocrite ; il s’attacha
particulièrement à la philofophie de ce dernier, &
il en fit les fondemens de la fienne.
Les Platoniciens occupoient l’académie, les Péri-
pathéticiens.lôLycée, les.Cyniques Le cynofarge, les
Stoïciens le portique ; Epicure établit fon école dans
un jardin délicieux, dont il acheta le terrein, 8c
qu’il fit planter pour cet ufage. Ce fut lui qui apprit
aux Athéniens à tranfporter dans l’enceinte de leur
ville le fpe&acle de la campagne. Il étoit âgé de
quarante-r quatre ans lorfqu’Athènes , afliégée par
Démétrius , fut defolée par la famine : Epicure, ré-
folu de vivre ou de mourir avec fes amis , leur dif-
tribuoit tous les jours des fèves, qu’il partageoit au
compte avec eux. On fe rendoit uans fes jardins de
toutes les contrées delaGrece , de l’Egypte & de
l’Afie : on y étoit attiré par fes lumières & par fes
vertus, mais fur-tout parla conformité de fes principes
avec les fentimensde la.nature.Tous les philofophes
de fon tems fembloient avoir confpiré contre
les plaifirs des fens 8c contre la volupté : Epicure en
prit la défenfe ; 8c la jeuneffe athénienne, trompéepar,
le mot de volupté, accourut pour l’entendre. Il ménagea
la foibleffe de fes auditeurs ; il mit autant d’art
à les retenir qu’il en avoit employé à les attirer ; il
ne leur développa fes principes que peu-à-peu. Les
leçons fe donnoient à table .ou à la promenade ; c’étoit
ou à l’ombre des bois, ou fur la molleffe des lits;
qu’il leur infpiroit l’enthoufiafme de la vertu, la
tempérance , la frugalité, l’amour du bien public ,
la fermeté de l’ame, le goût raifonnable du plaifir >
te le mépris de la vie. Son école, obfeure dans les.
commencemens, finit par être une des plus éclatantes
8c des plus nombreufes.
Epicure vécut dans le célibat : les inquiétudes qui
fuivent le mariage lui parurent incompatibles avec
l’exercice aflidu de la philofophie; il vouloit d’ailleurs
que lafemme du philofophe fûtfage, riche 8c belle. Il
s’occupa à étudier, à écrire 8c à enfeigner : il avoit
compofé plus de trois cents traités différens ; il ne
nous en refte aucun. Il ne faifoit pas affez de cas de
cette élégance à laquelle les Athéniens étoient fi fen-
fibles ; il fe contentoit d’être vrai., clair 8c profond.
II. fut chéri des grands , admiré de. fes rivaux, 8c,
adore
adoré de fes difciples : il reçut dans fes jàrdins plu-
fieurs femmes célébrés, Léontiurn, maîtreffe de Mé-
trodore ; Thémifte , femme de Léontius ; Philénide,
une des plus honnêtes femmes d’Athenes ; Nécidie,
Erotie, Hédie, Marmarie, Bodie, Phédrie, &c. Ses
concitoyens, les hommes du monde les plus enclins
à la médifance , 8c de la fuperftition la plus ombra-
geufe, ne l’ont accufé ni de débauche ni d’impiété.
Les Stoïciens féroces l’accablerent d’injuçes ; il
leur abandonna fa perfonne, défendit fes dogmes
avec force, & s’occupa à démontrer la vanité de
leur fyftème. Il ruina fa fanté à force de travailler :
dans les derniers tems de fa vie il ne pouvoit ni fup-
porter un vêtement, ni defeendre de fon lit , ni foufi
frir la lumière , ni voir du feu. Il urinoit le fang; fa
veflie fe fermoit peu-à-peu par les accroiffemens
d’une pierre : cependant il écrivoit à un de fes amis
que le fpe&acle de fa vie paffée fufpendoit fes douleurs.
Lorfqu’il fentit approcher fa fin, il fit appeller fes
difciples ; il leur légua fes jardins ; il affûra l’état de
plufieurs enfans fans fortune , dont il s’étoit rendu
le tuteur ; il affranchit fes efclaves ; il ordonna fes-
funérailles, & mourut âgé de foixante & douze ans,
la fécondé année de la cent vingt-feptieme olympiade.
Il fut univerfellement regretté : la république
lui ordonna un monument ; & un certain Théotime,
convaincu d’avoir compofé fous fon nom des lettres
infâmes , adreffées à quelques-unes des femmes
qui fréquentoient fes jardins, fut condamné à perdre
la vie. ...
La philofophie épicurienne fut profeffée fans interruption
, depuis fon inftitution jufqu’au tems d’Au-
gufte ; elle fit dans Rome les plus grands progrès.
La fefte y fut compofée de la plûpart des gens de
lettres & des hommes d’ état ; Lucrèce chanta l'épi-
curéifme, Celfe le profeffa fous Adrien, Pline le Na-
turalifte fous Tibere : les noms de Lucien 8c de Dio-
gene Laerce font encore célébrés parmi les Epieu-•
riens.
Uépicuréifme eut, à la décadence de l’empire romain
, le fort de toutes les connoiftances ; il ne for-
tit d’un oubli de plus de mille ans qu’au commencement
du dix-feptieme fiecle : le diferédit des formes
plaftiques remit les atomes en honneur. Ma-
gnene, de Luxeu en Bourgogne , publia fon democri-
tus revivifeens, ouvrage médiocre, où l’auteur prend
à tout moment fes rêveries pour les fentimens de
Démocrite 8c d’Epicure. A Magnene fuccéda Pierre
Gaffendi, un des hommes qui font le plus d’honneur
à la Philofophie & à la nation : il naquit dans le mois
de Janvier de l’année 1 592, à Chanterfier, petit village
de Provence, à une lieue de Digne, où il fit
fes humanités. Il avoit les moeurs douces, le jugement
fain , 8c des connoiftances profondes : il étoit
verfé dans l’Aftronomie, la Philofophie ancienne &
moderne , laMétaphyfique, les langues, l’hiftoire,
les antiquités ; fon érudition fut prefque univerfelle.
On a pu dire de lui que jamais philofophe n’avoit été
meilleur humanifte, ni humanifte fi bon philofophe :
fes écrits ne font pas fans agrément ; il eft clair dans
fes raifonnemens, 8c jufte dans fes idées. Il fut parmi
nous le reftaurateur de la philofophie d?Epicure :
fe vie fut pleine de troubles ; fans ceffe il attaqua
& fut attaqué : mais il ne fut pas moins attentif dans
fes difputes, foit avec Fludd, foit avec mylord Herbert
, foit avec Defcartes, à mettre l’honnêteté que
la raifon de fon côté.
Gaffendi eut pour difciples ou pour feftateurs, plufieurs
hommes qui fe font immortalifés, Chapelle,
Moliere, Bernier, l’abbé de Chaulieu, M. le grand-
prieur de Vendôme, le marquis de la Fare, le chevalier
de Bouillon, le maréchal de Catinat, 8c plufieurs
autres hommes extraordinaires, qui, par un
Tome K
contrafte dô qualités agréables & fublimes, ré'ühif-
foient en eux l’héroïfme avec la molieffe, le goût de
la vertu avec celui du plaifir, les qualités politiques
avec les talens littéraires, 8c qui ont forriié pat-mi
nous différentes écoles d'épicuréifme moral dont
nous allons parler.
La plus ancienne & la première de cés écoles OÙ
l’on ait pratiqué & profeffé la morale d'Epicure,
étoit rue des Tourhellês , dans la maifort de Ninon
Lenclos ; c’eft-là que cette femme extraordinaire
raflembjoit tout ce que la cour & la ville- avoient
d’hommes polis, éclairés & voluptueux : on y viÉ
madame Scarron ; la comteffe de la Suzé, célébré
par fes élégies ; la comteffe d’Olonne, fi vantée1
par fa rare beauté & le nombre de fes amahs ; Saint*
Evremônt, qui profeffa depuis Yépicuréifthe à Lon-»
dreSjOÙileut pour difciples le fameux comte de
Grammont, le poète Waller, & madahie de Mâza-^
rin ; la ducheffe de Bouillon Mancini, qui fut de*
puis de l’école du Temple; des Yvetaux* (voyeç Ar*1
cadiens) , M» deGourville, madame de la Fayette,
M. le duc de la Rochefoucault, 8c plufieurs autres *
qui avoient formé à l’hôtel de Rambouillet une éco*
le de Platonifme , qu’ils abandonnèrent pour allef
augmenter ,1a fociété 8c écouter les leçons de Y épi*
curicnne.t
Après ces premiers épicuriens, Bernier , Chapelle
& Moliere difciples de Gaffendi, transférèrent l’école
(YEpicure de la rue desTournelles à Auteuil : Ba*
ehaumont, le baron de Blot, dont les chànfons font
fi rares & fi recherchées , 8c Desbarreaux , qui fut
le maître de madame Deshouilleres dans l’art de la
poéfie 8c de la volupté, ont principalement illuftré
l’école d’Auteuil.
L’école de Neuilly fuccéda à celle d’Auteuil : eilé
fut tenue, pendant le peu de tems qu’elle dura, par
Chapelle 8c MM. Sonnings ; mais à peine fut-elle
inftituée, qu’elle fe fondit dans l’école d’Anet & du
Temple.
Que de noms célébrés nous font offerts dans
cette derniere ! Chapelle & fon difeiple Chaulieu ,
M. de Vendôme, madame de Bouillon, le chevalier
de Bouillon, le marquis de la Fare, Rouffeau, MM*
Sonnings, l’abbé Courtin, Campiftron, Palaprat,
le baron de Breteuil, pere de I’illuftre marqüife du
Châtelet ; le préfident de Mefmes , le préfident Ferrand
, le marquis de Dangeau, le duc de Nevers, M*
de Catinat, Le comte de Fiefque, le duc de Foix ou
de Randan, M. de Périgny, Renier, convive aima*
b le , qui chantoit 8c s’accompagnoit du luth, M. de
Laffere , le duc de la Feuillade, &c. cette école eft
la même que celle de St. Maur ou de madame la ducheffe.
L’école de Seaux raffembla tout ce qui reftoit
de ces fe&ateurs du luxe, de l’élégance, de la poli*
teffe, de la philofophie, des vertus , des lettres &
de la volupté , & elle eut encore le cardinal de Po*
lignac, qui la fréquentoit plus par goût pour IeS
difciples dû Epicure, que pour la doftrine de leur,
maître, Hamilton, St Aulaire, l’abbé Gênet, Ma-
lefieu, la Motte, M. de Fonfenelle, M. de Voltaire ,
plufiéurs académiciens, & quelques femmes illu-
ftres par leur efprit ; d’où l’on voit qu’en quelque
lieu & en quelque tems que ce foit, la fefte épicurienne
n’a jamais eu plus d’éclat qu’en France, &
fur-tout pendant le fiecle dernier. Koy&i Brucker %
Gajfendi, Lucrèce, &c.
EPICYCLE, f. m. en AJlronomie » cercle dont le
centre eft dans la circonférence d’un autre cercle ,
qui eft cenfé le porter en quelque maniéré*
Ce mot eft formé des mots grecs, tVi, fuprà, fur;
& de xvxAoç , cercle , comme fi l’on difoit cercle fur
cercle.
De même que les anciens aftronomes ont invent GCggg