
en France plusieurs millions par an ; il n’eft cependant
d’aucune nécefïité , il y a même des contrées
dans le royaume où l’on n’en donne point du tout :
en un mot, il ne porte pas plus de bénédiûion que
l’eau qu’on employé pour le bénir; & par confé-
quent on pourroit s’en tenir à l’eau qui ne coûte rien,
& fupprimer la dépenfe du pain-beni comme oné-
feufe à bien du monde.
Après avoir indiqué la fuppreffion du pain-beni,
je ne crois pas devoir épargner davantage la plupart
des quêtes ufitées parmi nous, & fur-tout la location
des chaifes. Tous négoces font défendus dans le temple
du Seigneur ;lui-même les a profcrits hautement,
8c je ne vois rien dans l’évangile fur quoi il ait parlé
avec tant de force. Domus mea domus orationis eji,
vos autan fecijtis illam fptluncam latronum. Luc, xjx.
Il me femble que c’eft une leçon & pour les paf-
teurs 8c pour les magiftrats.
Rien de plus indécent que de vendre la place à
l’églife ; MM. les eccléfiaftiques ont grand foin de
s’y mettre à l’aife & proprement, affis 8c à genoux :
il conviendroit que tous les fideles y fufl'ent de même
commodément, & fans jamais financer. Pour cela
il y faudroit mettre des bancs appropriés à cette fin,
bancs qui rempliroient la nef & les côtés, & n’y laif-
feroient que de fimples paffages. J’ai vu quelque cho-
fe d’approchant dans une province du royaume ,
mais beaucoup mieux en Angletterre ôc en Hollande
, où l’on eft a fils dans les temples fans aucuns
frais, 8c fans être interrompu par des mendians, par
des quêteurs, ni par des loueurs de chaifes. En quoi
les Proteftans nous donnent un bel exemple à fiiivre,
fi nous étions affez raifonnables, allez defintéreffés
pour cela.
Mais, dira-t-on fans doute, cette recette retranchée
, comment fournir aux dépenfes ordinaires ? En
voici le moyen fur 8c facile, c’ell de retrancher tout-
à-fait une bonne partie de ces dépenfes, 8c de modérer
, comme il eft poffible, celles que l’on croit les
plus indifpenfables. Quelle néceflite d’avoir tant de
chantres 8c autres officiers dans les paroiffes? A quoi
bon tant de luminaire, tant d’ornemens, tant de cloches
, &c. Si l’on étoit un peu raifonnable faudroit-il
tant d’étalage, tant de cire & de fonnerie pour enterrer
les morts? On en peut dire autant de mille autres
fuperfluités onéreufes, & qui dénotent plus dans
les uns l’amour du lucre, dans les autres l’amour du
fafte, que le zele de la religion & de la vraie piété.
Au furplus , il n’eft pas poffible que de fimples
particuliers remédient jamais à de pareils abus ; chacun
fent la tyrannie de la coutume, chacun même
en gémit dans fon particulier ; cependant tout le
monde porte le joug. L’homme enfant craint la cen-
fure ôc le qu’en dira-t-on, & perfonne n’ofe réfifter
au torrent. C ’eft donc au gouvernement à déterminer
une bonne fois, fuivant la différence des conditions
, tous frais funéraires, frais de mariage 8c de
baptême, &c. 8c je crois qu’on pourroit, au grand
bien raju public, les réduire à-peu-près au tiers de ce
qu’il en coûte aujourd’hui ; enforte que ce fût une
réglé confiante pour toutes les familles, 8c qu’il fût
abfolument défendu aux particuliers & aux curés de
faire ou de fouffirir aucune dépenfe au-delà.
Quelques politiques modernes ont fagement ob-
fervé que le nombre furabondant des gens d’églife
étoit vifiblement contraire à l’opulence nationale,
ce qui eft principalement vrai des réguliers de l’un
& de l’autre fexe. En effet, excepté ceux qui ont
un miniftere utile 8c connu, tous les autres vivent
aux dépens des vrais travailleurs, fans rien produire
de profitable à la fociété ; ils ne contribuent pas même
à leur propre fubfiftance, fruges confumere nati;
Hor. /. I. ep. ïj. v. 2.g . 8c bien qu’iffus la plûpart des
conditions les plus médiocres, bien qu’affujettis par
état aux rigueurs de la pénitence,ils trouvent moyen
d’éluder l’antique loi du travail, 8c de mener une vie
douce 8c tranquille fans être obligés d’efliiyer la
fueur de leur vifage.
. Pour arrêter un fi grand mal politique, il ne faudrait
admettre aux ordres que le nombre de fujets
néceffaires pour le feïvice de l’églife. À l’égard des
reclus qui ont un miniftere public, on ne peut que
louer leur zele à remplir leurs fondions pénibles,
& on doit les regarder comme des fujets précieux à
l’état. Pour les autres qui n’ont pas d’occupations
importantes, il paroîtroit à-propos d’en diminuer le
nombre à l’avenir, 8c de chercher des moyens pour
les rendre plus utiles.
Voilà plufieurs moyens d?épargne que les politiques
ont déjà touchés ; mais en voici un autre qu’ils
n’ont pas encore effleuré, 8c qui eft néanmoins des
plus intéreffans : je parle des académies de jeu, qui
font vifiblement contraires au bien national ; mais
je parle fur-tout des cabarets fi multipliés, fi nuifi-
bles parmi nous , que c’eft pour le peuple la caufe
la plus commune de fa mifere 8c de fes defordres.
Les cabarets, à le bien prendre, font une occafion
perpétuelle d’excès & de pertes ; 8c il feroit très-
utile , dans les vûes de la religion ôc de la politique,
d’en fupprimer la meilleure partie à melùre qu’ils
viendroient à vaquer. Il ne feroit pas moins important
de les interdire pendant les jours ouvrables à
tous les gens établis 5c connus en chaque paroiffe ;
de les fermer féverement à neuf heures du foir dans
toutes les faifons, 5c de mettre enfin les contreve-
nans à une bonne amende, dont moitié aux dénonciateurs,
moitié aux infpeûeurs de police.
Ces réglemens, dira-t-on, bien qu’utiles 5c raifonnables,
diminueroient le produit des aides ; mais
premièrement le royaume n’eft pas fait pour les aides
, les aides au contraire font faites pour le royaume
; elles font proprement une reffource pour fub-
venir à fes befoins : fi cependant par quelque oeça-
fion que ce puiffe être, elles devenoient nuifibles à
l’état, il n’eft pas douteux qu’il ne fallût les reâifier
ou chercher des moyens moins ruineux, à-peu-près
comme on change ou qu’on celle un remede lorfqu’il
devient contraire au malade.
D ’ailleurs les réglemens propofés ne doivent poiht
allarmer les financiers, par la grande raifonque ce
qui ne fe confommeroitpas dans les cabarets,fe con*
fommeroit encore mieux, & plus universellement,
dans les maifons particulières, mais pour l’ordinaire
fans excès & fans perte de tems ; au lieu que les ca-
. barets, toûjours ouverts, dérangent fi bien nos ouvriers
, qu’on ne peut d’ordinaire compter fur eux,
ni voir la fin d’un ouvrage commencé. Nous nous
plaignons fans celle de la dureté des tems ; que no
nous plaignons-nous plutôt de notre imprudence,
qui nous porte à faire & à tolérer des dépenfes 6c
des pertes fans nombre ?
Autre propofition qui tient à Vépargne publique,
ce feroit de fonder des monts de piété dans toutes
nos bonnes villes, pour faire trouver de l’argent fur
gage ôc fans intérêt ; fi ce n’eft peut-être qu’on pour-
rôit tirer deux pour cent par année, pour fournir
aux frais de la régie. On lait que les prêteurs-ufu-
raires font très-nuifibles au public, 5c qu’ainfi l’on
éviteroit bien des pertes fi l’on pouvoit fe palier de
leur miniftere. Il feroit donc à fouhaiter que les âmes
pieufes 8c les coeurs bienfaifans fongeaffent férieu-
fement à effectuer les fondations favorables dont
nous parlons.
Outre la commodité générale d’un emprunt gratuit
5c facile pour les peuples, je regarde comme
l’un des avantages de ces établiffemens, que ce feroit
autant de bureaux connus où l’on pourroit
dépofer avec confiance des fommes qu’on n’eft pas
toûjours à portée de placer utilement, & dont on
eft quelquefois embarraffé. Combien d’avares qui,
craignant pour l’avenir, n’ofent fe défaire de leur
argent ; 6ç qui malgré leurs précautions, ont toujours
à redouter les vols, les incendies, les pillages
, &c. Combien d’ouvriers, combien de domefti-
ques 6c d’autres gens ifolés, qui ayant épargné une
petite fomme, dix piftoles, cent écus, plus ou moins,
ne fa vent actuellement qu’en faire, 8c appréhendent
avec raifon de les diffiper ou de les perdre ? Je trouve
donc qu’il feroit avantageux dans tous ces cas de pouvoir
dépofer fûrement une fomme quelconque, avec
liberté de la retirer à fon gré. Par-là on feroit circuler
dans le public une infinité de fommes petites où
grandes qui demeurent aujourd’hui dans l’inaétion.
D ’un autre GÔté, les particuliers dépofans évite-
roient bien des inquiétudes 8c des filouteries ; outre
qu ils feroient moins expofés à prêter leur argent
mal-à-propos, ou à le dépenfer follement. Ainfi chacun
retrouverait les fonds ou fes épargnes, lorfqu’il
fe préfenteroit de bonnes affaires, 5c la plûpart des
ouvriers 5c des domeftiques deviendroient plus économes
6c plus rangés.
Cette habitude d’économie dans les moindres fujets
eft plus importante qu’on ne croit au bien général
; & c’eft en quoi nous fommes fort au-dèffous
des nations voifines, qui prefque toutes font plus
accoutumées, que nous à Y épargne ôc aux attentions
économiques. Voici fur cela un trait qui eft particulier
aux Anglois, 8c qui mérite d’être rapporté. On affûre
donc qu’il y a chez eux, dans la plûpart des grandes
maifons, ce qu’ils appellent a faving-man, c’eft-à-
dire un domeftique attentif 5c ménager qui veille
perpétuellement à ce que rien ne traîne, à ce que
rien ne fe perde ou ne s’égare. Son unique emploi
eft de roder à toute heure dans tous les recoins d’une
grande maifon, depuis la cave jufqu’au grenier, dans
les cours, écuries, jardins, ôc autres dépendances,
de remettre en fon»lieu tour ce qu’il trouve déplacé, 5c d’emporter dans fon magafin tout ce qu’il rencontre
épars 8c à l’abandon, de la ferraille de toute
efpece, des bouts de planche & autres bois, des cordes
, du cuir, de la chandelle, toute forte de hardes,
meubles, uftenfiles, outils, &c.
Outre une infinité de chofes., chacune de peu de
valeur, mais dont l’enfemble eft important, ôc dont
cet économe prévient la perte, il conferve aufli bien
fouvent des chqfes de prix, que des maîtres, des domeftiques
ou des ouvriers laiffent traîner par oubli,
ou par quelque autre raifon que ce puiffe être. Sa
vigilance réveille l’attention des autres, & il devient
par état l’antagonifte de la friponnerie 5c le réparateur
de la négligence.
J’ai déjà marqué ci-devant qu’il n'étoit ici quef-
tion que d'épargne publique, ôc que je ne touehois
prefque point à la conduite des particuliers. Plufieurs
néanmoins ne m’ont Qppofé que de prétendus
inconvéniens contre la fuppreffion totale de notre
luxe , ce qui n’attaque point ma thèfe, ôc porte
par conféquent à faux : cependant je tâcherai de répondre
à.l’objeâipn , comme fi je lui trouvois quelque
fondement fo'lide.
Si l’on fuivoit, dit-on, tant de projets de perfection
Se de réformes ; que d’un côté l’on fupprimât
les dépenfes inutiles ; que de l’autre, on fe livrât
de toutes parts à-des entreprifes fruftueufes; en un
mot, que l’économie devînt à la mode parmi les
François, on verroit bien-tôt, à la vérité , notre
opulence fenfiblement accrue ; mais que feroit-on
de tant de richeffes accumulées ? D ’ailleurs la plûpart
des fujets, moins employés aux arts dè fomp-
•tüofité, n’auraient guere de part à tant d’opulence,
8c languiraient apparemment au milieu de l’abondance
générale.
Il eft aifé de répondre à cefte difficulté. En effet,
fi Y épargne économique s’établiffoit parmi nous ;
qu’on donnât plus au néceffaire ôc moins au fuperflu,
il fe ferait, j’en conviens, moins de dépenfes frivoles
8c mal-placées , mais aufli s’en feroit-il beaucoup
plus de raifonnables 8c de vértueufes. Les riches 5c
les grands, moins obérés, payeraient mieux leurs
créanciers : d’ailleurs plus puiffans 5c plus pécui-
nieux, ils auraient plus de facilité à marier leurs en-
fans ; au lieu d’un mariage,1 ils en feroient deux ; au
lieu de deux, ils en feroient quatre, 5c l’on verroit
ainfi moins de renverfement 5c moins d’extinttions
dans les familles. On donnerait moins au fafte, au
caprice, à la vanité ; mais on donnerait plus à la
juftice, à la bienfaifance, à;là véritable gloire ; en
un mot, on employeroit beaucoup moins dè fujets
à des arts ftériles, arts d’amufement 6c de frivolité,
mais beaucoup plus à des arts avantageux 8c nécel-
faires; ôc pour lorsys’il y avoit moins d’artifans du
luxe 8c des piaifirs, moins de domeftiques inutiles 8c
defoeuvrés , il y aurait en récompense plus de cultivateurs
, 8c d’autres précieux inftrumens de la véritable
richeflë.
Il eft démontré, pour quiconque réfléchit, que la
différence d’occupation dans les fujets produit l’opulence
ou la difette nationale, en un mot le bien ou
le mal de la fociété. On fent parfaitement que fi
quelqu’un peut tejiir un homme à fes gages, il lui
fera plus avantageux d’avoir un bon jardinier que
d’entretenir un domeftique de parade. Il y a donc
des emplois infiniment plus utilés les uns que les
autres ; 8c fi l’on ôccupoit la plûpart des hommes
avec plus d’intelligence 8c d’utilité, la nation en ferait
plus puiffante, ôc les particuliers plus à leur aife;
D ’ailleurs la pratique habituelle de Yépargne pro-'
duifant, au moins chez les riches, une furabondance
de biens qui ne s’y trouve prefque jamais, il en ré-
fulteroit pour les peuples un foulagement fenfible,
en ce que les petits alors feroient moins inquiétés Ôc
moins foulés par les grands. Que le loup ceffe d’avoir
faim, il ne defolera plus les bergeries.
Quoi qu’il en foit, les propofitions 5c les prati-
qùes énoncées ci-deffus nous paraîtraient plus inté-
reffantes, fi une mauvaife coûtume , fi l’ignorance
8c la molleffe ne nous avoient rendus indifférens fur
les avantages de Y épargne y 5c fur -tout fi cette habitude
précieufe n’étoit confondue le plus fouvent
avec la fordide avarice. Erreur dont nous avons un
exemple connu dans le jugement peu favorable qu’on
a porté de nos jours d’un citoyen vertueux 8c defin-
tereffé, feu M. Godinot, chanoine de Reims.
Amateur paflionné de l’Agriculture, il confacroit
à l’étude de la Phyfique ôc aux occupations champêtres
tout le loifir que lui laiffoit le devoir de fa
place. Il s’attacha fpécialement à perfeûionner la
culture des vignes, ôc plus encore la façon des vins,
8c bién-tôt il trouva l’art de les rendre fi fupérieurs
8c fi parfaits, qu’il en fournit dans la fuite à tous les
potentats de l’Europe ; ce qui lui donna moyen dans
le cours d’une longue v ie , d’accumuler des fommes
prodigieufes, fommes dont ce philofophe chrétien
médirait de longue-main l’ufage le plus noble 8c le
plus digne de fa bienfaifance.
Du refte, il vivoit dans la plus grande fimplicité,
dans là pratique fidele 5c confiante d’une épargne
vifible, ôc qui fembloit même outrée. Aufli les ef-
prits vulgaires qui ne jugent que fur les apparences,
ôc qui ne connoiffoient pas fes grands deffeins , ne
le regardèrent pendant bien des années qu’avec une
forte de mépris ; ôc ils continuèrent toûjours fur le
même ton, jufqu’à ce que plus inftruits 8c tout-à-fait
fubjugués par les établiffemens ôc les conftruétions