l’apparence, ou pour fuivre la foule. S aM a je llë , pénétrée de la perte que Ton Royaume
alloit faire , en demanda plufieurs fois des nouvelles ; témoignage de bonté & de
iultice qui n’honore pas moins le Monarque que le Sujet. La fin de M. de Montefquieu
ne fut point indigne de fa vie. Accablé de douleurs cruelles , éloigné dune famille
à qui il étoit cher, & qui n’a pas eu la confolation de lui fermer les yeux , entoure de
quelques amis, & d’un plus grand nombre de fpeftateurs , il conferva jufqu'au dernier
moment la paix & l’égalité de fon ame. Enfin , après avoir fatisfait avec decence à tous
fes devoirs plein de confiance en l’Etre éternel auquel il alloit fe rejoindre , il mourut
avec la tranquillité d’un homme de bien, qui n’avoit jamais confacré les talens qu’à la -
vantage de la vertu & de l’humanité. La France & l’Europe le perdirent le io Février
17 s t à l’âge de foixante-fix ans révolus.
Toutes les Nouvelles publiques ont annoncé cet événement comme une calamite.
On pourrait appliquer à M. de Montefquieu ce qui a été dit autrefois d’un illuftre R o main:
que perfonne en apprenant fa mort n’en témoigna de joie , que perfonne même ne
l’oublia dès qu’il ne fut plus. Les Etrangers s’emprefferent de faire éclater leurs regrets ; &
Mylord Chefterfteld , qu’il fuffit de nommer , fit imprimer dans un des Papiers publics
de Londres un article en fon honneur, article digne de l’un & de l’autre ; c’e ftle portrait
d’Anaxaeore tracé par Périclès (a). L’Academie royale des Sciences & des Belles-Lettres
de Pruffe, quoiqu’on n’v foit point dans M a g e de prononcer l’éloge des Affocies etran-
gers a cru devoir lui faire cet honneur, quelle n’a fait encore qua 1 illuftre Jean Bernoulli
; M. de Maupertuis, tout malade qu’il é toit, a rendu lui-même à fon ami ce dernier
devoir & n’a voulu fe repofer fur perfonne d’un foin fi cher & fi trille. A tant de fuffrages
éclatans en faveur de M. de Montefquieu, nous croyons pouvoir joindre fans indifcretion
les éloges que lui a donnés , en préfence de l’un de nous , le Monarque même auquel
cette Academie célébré doit fon luftre, Prince fait pour lèntir les pertes de la Phuolophie ,
& pour l’en confoler. . . . , , .
Le 17 Février, l’AcadémieFrançoife lui fit, félon lu fa g e , un Service iolemnel^auquel
malgré la rigueur de la faifon, prefque tous les gens de Lettres de ce Corps, qui n’étoient
point abfens de Paris, fe firent un devoir d’affifter. On aurait d û , dans cette trille ceremonie
, placer l’Efprit des Lois fur fon cercueil, comme on expofa autrefois vis-à-vis le
cercueil de Raphaël Ton dernier Tableau de la Transfiguration. C et appareil fimple &
touchant eût été une belle Oraifon funebre. . . .
Jufqu’ici nous n’avons confidéré M. de Montefquieu que comme Ecrivain & Ftulolo-
phe ; ce ferait lui dérober la moitié de fa gloire que de paffer fous filence fes agrémens X
fes qualités perfonnelles. .
Il étoit dans le commerce d’une douceur & d’une gaieté toujours égales. Sa converlation
■ étoit légère, agréable, & inllruclive par le grand nombre d’hommes & de peuples qu’il
avoit connus. Elle étoit coupée comme fon f ty le , pleine de fel & de faillies, fans amertume
6c fans fatyre j perfonne ne racontoit plus vivement, plus promptement I avec plus
de grâce & moins d’apprêt. Il favoit que la fin d une hiftoire plailante^ en eft toujours le
but ; il fe hâtoit donc a y arriver, & produifoit l’effet fans l’avoit promis. ^
Ses fréquentes diftra&ions ne le rendoient que plus aimable ; il en lortoit toujours par
-quelque trait inattendu qui réveilloit la converfation languiffante -, d ailleurs elles n etoient
jamais, ni jouées, ni choquantes, ni importunes: le feu de fon efprit, le grand nombre d idees
dont il étoit plein , les faifoient naître , mais il n'y tomboit jamais au milieu d un entretien
intérefiant ou férieux ; le defir de plaire à ceux avec qui il fe trouvoit, le rendort
alors à eux fans affe&ation & fans effort.
Les agrémens de fon commerce tenoient non feulement à fon caractère Cx a Ion elpnt >
mais à l’efpece de régime qu’il obfervoit dans l’étude. Quoique capable d une méditation
profonde & long-tems foûtenue, il n’épuifoit jamais fes forces, il quittoit toujours le travail
avant que d’en reffentir la moindre impreflion de fatigue.
(a) Voici cet éloge en anglois, tel qu’on le lit
dans la gazette appellée Evening-pojl ou Pojlc du
Joir -
On the io* o f this month, died at Paris, uni-
verfally and fincerely regretted, Charles Secondât
, Baron o f Montefquieu, and Prefident a mortier
o f the Parliament of Bourdeaux. His virtues
did honour to human nature, his writings juftice. A
friend to mankind, he afferted their undoubted and
inalienable rights with freedom , even in his own
country, whofe prejudices in matters o f religion
and govemement ( il faut fe reffouvenir que c’eft
un anglois qui parle ) he had long lamented , and
endeavoured (not without fome fucceff) to remove.
He well knew, and juftly admired the happy
conftitution o f this country,where fix’d and known
Laws equally reftrain monarchy from Tyranny ,
and liberty from licentioufneff. His Works will il-
luftrate his name, and furvive him, as long as right
reafon, moral obligation , and the true fpint of
laws, shaUbe undemood,refpefted and maintained,,1
D
D E MONT ES Q U IEU\ xvij
Il étoit fenfible à la gloire , mais il.ne vouloir y parvenir qu’en la méritant ; jamais' il
n’a cherché à augmenter la Tienne par ces manoeuvres lourdes, par ees voies obfcures &
honteufes, qui deshonorent la perfonne fans ajoûter au nom de l’auteur.
Digne de toutes les diftinftions & de toutes les reeompenfes, il me demandoit rien, 8c
ne s’etonnoit point d’être oublié ; mais il a o fé , même dans des circonftances délicates,
protéger à la Cour des hommes de Lettres perfécutés, célèbres & malheureux , & leur a
obtenu des grâces. , r . r ,
Quoiqu’il vécût avec les grands, foit par neceffite, foit par convenance, loir par goût,
leurfociété n’étoit pas nécellàire à fon bonheur. 11 fuyoit dès qu’il le pouvoir à fa Terre}
il V retrouvoit avec joie fa Philofophie, fes Livres , & le repos. Entouré de gens de la
campagne dans fes heures de loifir, après avoir étudié lhomme dans de commerce du
monde & dans l’hiftoire des Nations, il l’étudioit encore dans ces âmes (impies que la Nature
feule a inllruites, & il y trouvoit à apprendre ; il converfoit gaiement avec eux, il
leur cherchoit de l’efprit comme Socrate ; il paroiffoit fe plaire autant dans leur entretien
que dans lesTociétés les plus brillantes, fur-tout quand il terminoit leurs différends & foulageoit
leurs peines par.fes bienfaits. . ,, .1 .. . . H ,
Rien n’honore plus fa mémoire que l’économie avec laquelle il v iv o it , & qu on. a oie
trouver exceffive dans un monde avare 6c fallueux, peu fait pour en pénétrer les motifs,
8c encore moins pour les fentir. Bienfaifant, 6c par conféquent ju lle , M. de Montefquieu
ne vouloit rien prendre fur fa famille, ni des fecours qu’il donnoit aux malheureux, ni des
dépenfes confiderables auxquelsTes longs voyag es , la foibieffe de fa vue 6c 1 impreliion de
fes ouvrages l’avoient obligé. Il a tranlmis à fes enfans Ifans diminution ni augmentation,
• l’héritage qu’il avoit reçu d e fe s pères ; il n’y a rien ajouté, que la gloire de fon nom &
’ T a v m t épofoé en 1715 Demoifelle Jeanne de Lartigue, fille de Pierre de Lartigue,
Lieutenant-Colonel au Régiment de Maulévrier ; il en a eu deux filles ôc un fils , qui par
fon caractère , fes moeurs-8c fes ouvrages s’eft montré digne d’un tel pere.
Ceux qui aiment la véritéScla patrie ne feront pas.fâchës de trouver ici quelques-unes
de fes maximes : il penfoit, B H B . . . , .
Oue chaque portion de l’Etat doit être également foumife aux lois ; mais que les privilèges
de chaque portion de l’Etat doivent être refpèftés,- lorfque leurs effets n ont rien
de contraire- au droit naturel, qui oblige tous les citoyens à concourir egalement au bien
public : que la poffeffion ancienne étoit en ce genre le premier des titres 6c le plus inviolable
dès droits, qu’il étoit toûjours injufte & quelquefois dangereux de vouloir ebranler ;
Que les Magiftrats, dans quelque circonllance 6c pour quelque grand interet de Corps
q u e c e p u iir e ê le , nedoiven? jamais être que Magiftrats, fans paru & fans pafiion comme
les lois, qui abfolvent & puniffent fans aimer m haïr. . ' . —
Il difoit enfin à l’occafîon des difputes Eccléfiaftiques qui ont tant occupe les Empereurs
& les Chrétiens Grecs, que les querelles Théologiques, lorfqu elles ceflent d etre renfermées
dans les E coles , deshonorent infailliblement une Nation aux yeux des autres : en
effet le mépris même des fages pour ces querelles ne ia julhfie pas ; parce que les fages
faifant par-tout le moins de bruit 8c le plus petit nombre, ce n eft jamais fur eux qu une
NaL°mpeortin«desouvragesdontnousavonseuàparlerdansCetEloge nousen afaitpalTer
fous filence de moins confidérablés, qui fervoient à l’auteur comme de delaffemenr, & qui
auraient fuffi pour l’éloge' d’un autre ; le plus remarquable eft le Temple de Gmde, qui finvit
d’affez près les Lettres Perfannes. M. de Montefquieu, apres avoir ete dans celles-ci Horace,
Théophrafte, 8c Lucien , fût Ovide 8c Anacréon dans-ce nouvel effai : ce n eft plus
l’amour defpotique de l’Orient qu’il fe propofe de peindre,’ c e ft ladebcateffe & la naivete
de l’amour paftoral, tel qu’il eft dans une ame neuve que le commerce des hommes n a
point encore corrompue. L’Auteur craignant peut-être qu‘iw tableau fi etranger à nos moeurs
ne parût trop languiffant 8c trop uniforme, a cherche à laminer par les peintures les plus
riantes- iltranfporte le leaeur dans des lieux enchantés, dont , a la vente , le fpeéla-
d e intéreffe peu l’Amant heureux , mais dont la defcnption flate encore Imagination
quand les defirs font fatisfaits. Emporté par fon fujet, il a répandu dans la profe ce ftyle
animé figuré , 8c poétique, dont le roman de Télémaque a fourni parmi nous le premier
modelé. Nous ignorons pourquoi quelques cenfeurs du Temple de Gmde ont dit à cette
occalion qu’il aurait eu befoin d’être en vers. Le ftyle poeticjue, fi on entend, comme on
le doit, par ce mot, un ftyle plein de chaleur 8c d’images, n a pas befoin, pour être agréable
, de la marche uniforme 8c cadencée de la verfification ; mais fi on ne fait confifter ce
ftyle que dans une diélion chargée d’épithetes oifives, dans les peintures froides & triviales
des ailes 8c du carquois de l’Amour, 8c de femblables o b je ts , la verfification n ajoutera
T om eV .