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fonde fe,s-prétentions . Les nôtres font dépofés dans
cet ouvrage ; la poftérité les jugera. •
J’ai dit qu’il n’appartenoit qu’à un liecle philofo-
phe, de tenter une Encyclopédie ; & je l’ai d it, parce
que cet ouvrage demande par-tout plus de har-
dieffe dans l’efprit, qu’on n’en a communément dans
les fieçles pufiïlanimes du goût. Il faut tout examiner
, tout remuer fans exception & fans ménageaient
: ofer voir, ainli que nous commençons -à nous
en convaincre, qu’il en eft prefque des genres de
littérature , ainli que de la compilation générale
des lo is , & de la première formation des villes ;
queç’eft à un hafard fingulier, à une circonftance
bifarre , quelquefois à un effor du génie, qu’ils ont
du leur naiffance ; que ceux qui font venus après les
premiers inventeurs , n’ont été , pour la plupart,
que leurs efclaves ; que des productions qu’on devoir
regarder comme le premier degré, pril'es aveuglément
pour le dernier terme, au lieu d’avancer
un art à fa perfection, n’ont fervi qu’à le retarder,
en réduifant les autres hommes à la condition fervi-
le d’imitateurs ; qu’auffi-tôt qu’un nom fut donné à
une compolition d’un caraCtere particulier , il fallut
modeler rigoureufement fur cette efquilfe , toutes
celles qui le firent ; que s’il parut de tems en tems
un homme d’un génie hardi & original ,'qui , fatigué
du joug reçû , ofa le fecoiier , s’éloigner de
la route commune, & enfanter quelqu’ouvrage auquel
le nom donné & les lois prefërites ne furent
Eoint exadement applicables, il tomba dans l’ou-
l i , & y relia très-long-tems. Il faut fouler aux
piés toutes ces vieilles puérilités ; renverfer les barrières
que là raifon n’aura point pofées ; rendre aux
Sciences & aux Arts une liberté qui leur eft li pré-
tieufe, & dire aux admirateurs de l’antiquité, appeliez
le Marchand de Londres , comme il vous plaira
, pourvu que vous conveniez que cette piece
étincelle de beautés fublimes. Il falloit un tems raisonneur,
où l’on ne cherchât plus les réglés dans les
auteurs , mais dans la nature , & où l’on fentît le
faux & le vrai de tant de poétiques Érbitraires : je
prends le terme de poétique dans fon acception là
plus générale , pour un fyftème de réglés données,
félon lefquelles, en quelque genre que ce foit, on
prétend qu’il faut travailler pour réuffir.
Mais ce fiecle s’eft fait attendre fi long-tems, que
j’ai penfé quelquefois qu’il feroit heureux pour un
peuple , qu’il ne fe rencontrât point chez lui un
homme extraordinaire , fous lequel un art naiffant
fît fes premiers progrès trop grands & trop rapides,
& qui en interrompît le mouvement infenfible & naturel.
Les ouvrages de cet homme feront néceffai-
rement des compofés monftrueux, parce que le génie
& le bon goût font deux qualités très-différentes.
La nature donne l’un en un moment : l’autre eft le
produit des fiecles. Ces monftres deviendront des
modèles nationaux ; ils décideront le goût d’un peuple.
Les bons efprits qui fuccéderont, trouveront
en leur faveur une prévention qu’ils n’oferont heurter
; & la notion du Beau s’obfcurcira , comme il
arriveroit à celle du Bien de s’obfcurcir chez des
barbares qui auraient pris une vénération exceffive
pour quelque chef d’un caraCtere équivoque, qui fe
ferait rendu recommandable par des fervices importais
& des vices heureux.. Dans le moral, il n’y
a que Dieu qui doive fervir de modèle à l’homme ;
dans les, Arts, que la nature. Si les Sciences & les
Arts s’avancent par des degrés infenfibles, un homme
ne différera pas affez d’un autre pour lui en im- ]
pofer, fonder un penre adopté, & donner un goût
à la nation ; confequemment la nature ôc la raifon
conferveront leurs droits. Elles les avoient perdus ;
elles font fur le point de les recouvrer ; & l’on va
voir combien il nous importoitde connoître & de
feifir ce “moment.
Tandis que les fiecles s’écoulent, la mafle des ou-
; yrages s’accroît fans celle , & l’on prévoit un mo-
i ment où il ferait pfefqu’auffi difficile de s’inftruire
; dans une bibliothèque , que dans l’univers, & pref-
qu’auffi court de chercher une vérité fubfiftante dans
la nature , qu’égarée dans une multitude immenfe
de volumes ; il faudrait alors fe livrer, par nécef-
fité, à un travail qu’on auroit négligé d’entrepren-,
dre , parce qu’on n’en auroit pas fenti le befoin.
■ Si l’on fe repréfente la face de la Littérature dans
les tems où l’impreffion n’étoit pas encore, on verra,
un petit nombre d’hommes de génie occupés à com-
pofer , ôc un peuple innombrable de manouvriers
Occupés à tranferire. Si l’on anticipe fur les fiecles à
venir, & qu’on fe repréfente la face de la Littérature,
lorfque l’impreffion, qui ne ferepofe point, aura rem*
pli de volumes d’immenfes bâtimens ; on la trouvera
partagée derechef en deux claffes d’hommes. Les uns
liront peu & s’abandonneront à des recherches qui
feront nouvelles ou qu’ils prendront pour telles, (car
fi nous ignorons déjà une partie de ce qui eft contenu
dans tant de volumes publiés en toutes fortes de
langues , nous faurons bien moins encore ce que renfermeront
ces volumes augmentés d’un nombre d’autres
cent fois, mille fois plus grand) ; les autres , manouvriers
incapables de rien produire, s’occuperont
à feuilleter jour & nuit ces volumes, & à en feparer
ce qu’ils jugeront digne d’être recueilli & confervé.
Cette prédiction ne commence-t-elle pas à s’accomplir
? & plufieurs de nos littérateurs ne font-ils pas
déjà employés à réduire tous nos grands livres à de
petits où l’on trouve encore beaucoup de fuperfiu?
Suppofons maintenant leurs analyfes juen faites , &
diftribuées fous la forme alphabétique en un nombre
de volumes ordonnés par des hommes intelligens,
& l’on , aura les matériaux d’une Encyclopédie.
Nous ayons donc entrepris aujourd’hui pour le
bien des Lettres, & par intérêt pour le genre humain,
un Ouvrage auquel nos neveux auraient été forcés
de fe livrer, mais dans des circonftances beaucoup
moins favorables ; lorfque la furabondance des livres
leur en auroit rendu l’exécution très-pénible.
Qu’il me foit permis, avant que d’entrer plus avant
dans l’examen de la matière encyclopédique, de jet-
ter un coup d’oeil fur ces auteurs qui occupent déjà
tant de rayons dans nos bibliothèques , qui gagnent
du terrein tous les jours, & qui dans un fiecle ou
deux rempliront feuls des édifices. C’eft , ce me
femble, une idée bien mortifiante pour ces volumi- .
neux écrivains , que de tant de papiers qu’ils ont
couverts d’écriture, il n’y aura pas une ligne à extraire
pour le dictionnaire univerfel de la connoiffance
humaine. S’ils ne fe foûtiennent par l’excellence du
coloris , qualité particulière aux hommes de génie,
je demande ce qu’ils deviendront. I Mais il eft naturel que ces réflexions qui nous-
échappent fur le fort de tant d’autres, nous faffent
rentrer en nous-mêmes, & confidérer le fort qui
nous attend. J’examine notre travail fans partialité ;
je vois qu’il n’y a peut-être aucune forte de faute que
nous n’ayons commife, & je fuis forcé d’avoiierque
d’une Encyclopédie telle que la nôtre, il en entrerait
à peine les deux tiers dans une véritable Encyclopédie.
C’eft. beaucoup, fur-tout fi l’on convient qu’en
jettant les premiers fondemens d’un pareil ouvrage,
l’on a été forcé de prendre pour bafe un mauvais
auteur, quel qu’il fut, Chambers, Alftedius, ou un
autre. Il n’y a prefqu’aucun de nos collègues qu’on
eût déterminé à travailler, fi on lui eût propofé de
compofer à neuf toute fa partie ; tous auroient été
effrayés , & l'Encyclopédie ne fe feroit point faite,,
Mais en préfentant à chacun un rouleau de papiers
, qu il ne s’agiffoit que de revoir , corriger ,
augmenter; le travail de création, qui eft toujours
celui
usma&*
celui qu’ôrt redoute , difparoiffoit, & l’on fe laïf*
foit engager par la.confidéralion la plus chimérique.
Car ces lambeaux découfus fe font trouvés fi incomplets
, fi mal compofés, fi mal traduits, fi pleins
d’omiffions, d’erreurs , & d’inexaCtitudes , fi con*-
traires aux idées de nos collègues , que la plupart
les ont rejettés. Que n’ont-ils eu tous le même courage
? Le feul avantage qu’en ayent retiré les premiers
, c’eft de connoître d’un coup d’oeil la nomenclature
de leur partie, qu’ils auroient pû trouver du
moins aüfli complété dans des tables de différens ou*
yrages , ou dans quelque dictionnaire de langue.
Ce frivole avantage a coûté bien cher. Que de tems
perdu à traduire de mauvaifes chofes ? que de dépens
fes pour fe procurer un plagiat continuel? combien
de fautes & de reproches qu’on fe feroit épargnés avec
une fimple nomenclature ? Mais eût-elle fuffi pour déterminer
nos collègues ? D ’ailleurs cette partie mèmè
ne pouvoit guere fe perfectionner que par l’exécution.
A mefure qu’on exécute un morceau, la nomencla*
ture fe développe, les termes à définir fe préfentent
en foule ; il vient une infinité d’idées à renvoyer fous
différens chefs; ce qu’on ne fait pas eft du moins in*
diqué par un renvoi, comme étant du partage d’un
autre : en un mo t, ce que chacun fournit & fe demande
réciproquement, voilà la fource d’où découlent
les mots.
D ’où l’on voit i° . qu’on ne pouvoit, à une première
édition, employer un trop grand nombre de
collègues ; mais que fi notre travail n’eft pas tout-à-
fait inutile, un petit nombre d’hommes bien choifis
fuffiroit à l’exécution d’une fécondé. Il faudrait les
prépofer à différens travailleurs fubalternes , auf-
quels ils feroient honneur des fecours qu’ils en auroient
reçus, mais dont ils feroient obligés d’adopter
l’ouvrage, afin qu’ils ne puffent fe difpenfer d’y mettre
la derniere main ; que leur propre réputation fe
trouvât engagée, & qu’on pût les acculer directement
ou de négligence ou d’incapacité. Un travailleur
qui ofe demander que fon nom ne foit point mis
à la fin d’un de fes articles, avoue qu’il le trouve mal
fait, ou du moins indigne de lui. Je crois que, félon
ce nouvel arrangement, il ne feroit pas impoffible
qu’un feul homme fe chargeât de l’Anatomie, de la
Medecine, de la Chirurgie, de la Matière médicale,
& d’une portion de la Pharmacie ; un autre de la Chimie,
de la partie reliante de la Pharmacie, & de ce
qu’il y a de chimique dans des Arts , tels que la Métallurgie
, la Teinture, une partie de l’Orfèvrerie,
une partie de la Chauderonnerie, de la Plomberie ,
de la préparation des couleurs de toute efpece, métalliques
ou autres, &c. Un feul homme bien inftruit
de quelque art en fer , embrafferoit les métiers de
Cloutier, de Coutelier, de Serrurier, de Taillandier,
&c. Un autre verfé dans la Bijouterie fe chargerait
des arts du Bijoutier, du Diamantaire, du Lapidaire
du Metteur en oeuvre. Je donnerais toûjours la
préférence à un homme qui auroit écrit avec l'uccès
fur la matière dont il lé chargeroit. Quant à celui qui
préparerait actuellement un ouvrage fur cette matière,
je ne l’accepterais pour collègue que s’il étoit
déjà mon ami, que l’honnêteté de fon caraCiere me
fût bien connue, & que je ne puffe, fans lui faire l’injure
la plus grande, le foupçonner d’un deffein fecret
de facrifier notre ouvrage au lien.
z°. Que la première édition d’une Encyclopédie ,
ne peut être qu’une compilation très-informe & très-
incomplete.
Mais, dira-t-on, comment avec tous ces défauts
vous eft-il arrivé d’obtenir un fuccès qu’aucune production
auffi confidérable n’a jamais eu ? A cela je répons
, que notre Encyclopédie a prefque fur toutautre
ouvrage, je ne dis pas de la même étendue, mais quel
qu’il foit, compofé par une fociété ou par un feul
Tome V,
hômffië, davantage de contenir une infinité dé cho*
fes. nouvelles, & qu’on chercherait inutilement ailleurs.
C’eft la fuite naturelle de l’heureux choix de
ceux qui s’y font confacrés.
Il ne s’eft point encore fa it, & il né fe fera de
long tems une collection auffi confidérable & âuffi
belle de machines-. Nous avons environ mille plan*
ches. On eft bien déterminé à ne rien épargner fur
la gravure. Malgré le nombre prodigieux de figures
qui les rempliffent, nous avons eu l’attention de n’en
admettre prefqu’aucune qui ne repréfentât une machine
fubfiftante & travaillant dans la fociété. Qu’on
compare nos volumes avec le recueil fi vanté de Ra-
melli, le théâtre des machines de Lupold, ou même
les volumes des machines approuvées par l’acadé*
mie des Sciences, & l’on jugera fi de tous ces volumes
fondus enfemble, il étoit poffible d’en tirer vingt
planches dignes d’entrer dans une colleClion telle
que nous avons eu le courage de la concevoir & le
bonheur de l’exécuter. Il n’y a rien ici ni de fuper*
flu, ni de furanné, ni d’idéal : tout y eft en aCtion
& vivant. Mais indépendamment de ce mérite , 6t
quelque différence qu’il puiffé & qu’il doive nécef*
fairement y avoir entre cette première édition & les
fuivantes, n’eft-ce rien que d’avoir débuté ? Entré
une infinité de difficultés qui fe préfenteront d’elles-
mêmes à l’efprit, qu’on pefe feulement celle d’avoir
raffemblé un affez grand nombre de collègues, qui,'
fans fe connoître, femblent tous concourir d ’amitié
à la production d’un ouvrage commun: Des gens dé
Lettres Ont fait pour leurs femblables & leurs égaux,
ce qu’on n’eût point obtenu d’eux par aucune autre
confidération. C’eft là le motif auquel nous devons
nos premiers collègues ; & c’eft à la même caufé
que nous devons ceux que nous nous affocions tous
les jours. Il régné entre eux tous une émulation, des
égards, une concorde qu’on auroit peine à imagù*
ner. On ne s’en tient pas à fournir les fecours qu’on
a promis, on fe fait encore des facrifîces mutuels ,
chofe bien plus difficile i D e - là tant d’articles qui
partent de mains étrangères, fans qu’aucun de ceux
qui s’étoient chargés des feiences auxquelles ils ap*
partenoient en ayent jamais été offenles. C’eft qu’il
ne s’agit point ici d’un intérêt particulier ; c’eft qu’il
ne régné entre nous aucune petite jaloufie perfon-
nelle, & que la perfection de l’ouvrage & l’utilité
du genre humain, ont fait naître le fentiment général
dont on eft animé.
Nous avons joui d’un avantage rare & prétieux
qu’il ne faudrait pas négliger dans le projet d’une
fécondé édition. Les hommes de Lettres de la plus
grande réputation, les Artiftes de la première force
, n’ont pas dédaigné de ncus envoyer quelques
morceaux dans leur genre. Nous devons Eloquence*
Elégance, Efprit, &c. à M. de Voltaire. M. de Mon-
tefquieu nous a laiffé en mourant des fragmens fui*
l’article Goût; M. de la Tour nous a promis fes idées
far la Peinture; M. Cochin fils ne nous refuferoit pas
l ’article Gravure , fi fes occupations lui laiffoient le
tems d’écrire.
Il ne feroit pas inutile d’établir des correfpOndan-
ces dans les lieux principaux du monde lettré, & jë
ne doute point qu’on n’y réufsît. On s’inftruira des
ufages, des coûtumes, des productions , des travaux
, des machines, &c. fi on ne néglige perlbnne ;
& fi l’on a pour tous ce dej>ré de confidération quô
l’on doit à l’homme defintéreffé qui veut fe rendré
utile. ^ ,
Ce feroit un oubli inexcufable, qüe dë rie fe paà
procurer la grande Encyclopédie allemande* le recueil
des réglemens fur les Arts & Métiers de Loridres ôt
des autres pays ; les ouvragés appellés en anglois the
myjleries * le fameux réglement des Piémontois fur
leurs manufactures, des regiftres des douanes, plu-
IIe* M M m m