» tre , excitent en lui une fcnfation qui l ’anime &
» qui l’intérefle ».
■ Equus paratur in diem bdli, a dit le plus fage des
Tois. Prov. ch. xx j.
L’unanimité de fentiment qui régné à cet égard
chez tous les peuples, eft une preuve qu’elle a l'on
-fondement dans la Nature. Les principaux traits de
là defcription précédente fe retrouvent dans l’élégante
peinture que Virgile a tracée du même animal :
Condnuo pecoris generoji pultus in arvis
Aldus ingreditur, 6* mollia crura reponit ;
Primus & ire viam , & fluvios cent are minaces
Audet, & ignoto feft commictere pond , -Necvànos horret fhepitus. . . . ‘.
. . Tumjî quafonum procul arma dedêre, S tare loco nefeit, micat auribtiSy & t remit artus,
ColLeclumque premens volvit fub naribus ignem.
Virg. Georg. lib. III. verf. y5.
Homere (II. I. X I I I t) le plus célèbre de tous les
poètes, & le chantre des héros, dit que les chevaux
font une partie effentielle des armées, & qu’ils contribuent
extrêmement à la viftoire. Tous les auteurs
anciens ou modernes qui ont traité de la guerre, ont
penfé de même ; & la vérité de ce jugement eft
pleinement juftifiëe par la pratique de toutes les nations.
Le cheval anime en quelque forte l’homme au
moment du combat ; fes mouvemens, fes agitations
calment cette palpitation naturelle dont les plus braves
guerriers ont de la peine à fe défendre au premier
appareil d’une bataille.
A la noble ardeur qui domine dans ce fuperbe animal
, à fon extrême docilité pour la main qui le guide
, ajoutons pour dernier trait qu’il eft le plus fidele
& le plus reconnoiffant de tous les animaux, & nous
aurons raflemblé les puilTans motifs qui ont dû engager
l’homme à s’en fervir pour la guerre.
FiddiJJîmum inter omnia animalia , homini ejl canis
atque equus, dit Pline (/. VIII. c. xl.} Amijfos lugent
dominos, ajoûte-t-il plus bas ( ibid. c. xlij. ) , lacry-
mafque iriterdum dejidério fundunt. Homere (Iliade,
liv. XV II.} fait pleurer la mort de Patrocle par les
chevaux d’Achille. Virgile donne le même fentiment
au cheval de Pallas fils d’Evandre :
. . . . Pojids injignibus Æthon
It lacrymans , gutdfque humeclat grandibus ora.
Æneïd. I. X I . v. 8c).
L’hiftoire (b} n’à pas dédaigné de nous apprendre
que des chevaux ont défendu ou vengé leurs maîtres
à coups de pies & de dents , 6c qu’ils leur ont
quelquefois fauve la vie.
Dans la bataille d’Alexandre contre Porus ( Aul.
Gell. noclium Atdc. I. V. c. ij. & Q . Curt. I. V I I I .} ,
Bucéphale couvert de bleffures 6c perdant tout fon
fang, ramafTa néanmoins le refie de fes forces pour
tirer au plus vite fon maître de la mêlée, où il cou-
roit le plus grand danger : dès qu’il fut arrivé hors
de la portée des traits, il tomba, 6c mourut un inf-
tant après ; paroiflant fatisfait, ajoûte l’hifiorien,
de n’avoir plus à craindre pour Alexandre.
Silius Italicus (/. X .} & Jufte Lipfe (in epijlol. ad
JSelgas.} nous ont confervé un exemple remarquable
de l’attachement extraordinaire dont les chevaux
font capables.
A la bataille de Cannes un chevalier romain nommé
Clalius , qui avoit été percé de plufieurs coups,
fut laifle parmi les morts fur le champ de bataille.
Annibal s’y étant tranfporté le lendemain, Claelius,
X b ) Occifo Schytharum Regulo ex provocatione dimicante, hof-
tetn ( cum viflor ad fpoliandum veniffei) ab equo ejus ïÜibus morfuque
confeBum effe.......... Ibidem Phylarchus refert Centaretum è
Galatis in pralio , occifo Antiocho, potito equo ejus , confcendijfe
ovanlem ; at ilium indignaiione accenfum, demptis frémis ne régi
poftet , prikeipitem in abrupta ijfe exanimatumque unâ. Lib. VIII.
c. xlij.de Pline.
à qui il reftoit encore un fouffle de vie prêt à s’éteindre
, voulut, au bruit qu’il entendit, faire un effort
pour lever la tête, 6c parler ; mais il expira aufli-
tô t , en pouffant un profond gémiffement. A ce cri,
lbn cheval qui avoit été pris le jour d’auparavant,
6c que montoit un Numide de la fuite d’Annibal, re-
connoiflant la voix de fon maître, dreffe les oreilles ,
hennit de toutes fes forces, jette par terre le Numide,
s’élance à-travers les mourans 6c les morts , arrive
auprès de Clælius : voyant qu’il ne fe remùoit point,
plein d’inquiétude 6c dé trifteffe, il fe courbe comme
à l’ordinaire fur les genoux , & femble l’inviter
à monter. Cet excès d’affe&ion & de fidélité fut admiré
d’Annibal, & ce grand homme ne put s’empêcher
d’être attendri à la vue d’un fpe&acle fi touchant.
Il n’eft donc pas étonnant que par un jufte retour
(s’il eft permis de s’exprimer ainfi) d’illuftres guerriers
, tels qu’un Alexandre & un Céfar, ayent eu
pour leurs chevaux un attachement fingulier. Le premier
bâtit une ville en l’honneur de Bucéphale: l’autre
dédia l’image du fien à Vénus. On fait combien la.
pie deTurenne étoit aimée du foldat françois, parce
qu’elle étoit chere à ce héros (c}
Le peu de lumières que nous avons fur ce qui s’eft
paffe dans les tems voifins du déluge , ne nous permet
pas de fixer avec précifion celui Où l’on commença
d’employer les chevaux à la guerre. L’Ecriture
(Gen. ch. xjv.} ne dit pas qu’il y eût de la cavalerie
dans la bataille des quatre rois contre cinq, ni
dans la viftoire qu’Abraham bientôt après remporta
fur les premiers, qui emmenoient prifonnier Loth
fon neveu. Mais quoique nous ignorions , faute de
détails fuflifans , l’ufage que les patriarches ont pu
faire du cheval, il feroit abfurde d’en conclure qu’ils
eurent l’imbécillité, fuivant l’expreflion de S. Jérôme
( Comment. du chap. xxxvj. Ifaïe), de ne s’en
pas fervir.
Origene cependant l’a voulu croire. On ne voit
nulle part, d it - il, (Homélie xviij.} que les enfans
d’Ifraël fe foient fervis de chevaux dans les armées.
Mais comment a-t-il pû fa voir qu’ils n’en avoient
point} il faut, pour le prouver, une évidence bien
réelle 6c des faits conftans. La loi du Deutéronome
(ch. xvij. y . i <f.) dont s’appuie S. Jérôme, non mut
dplicabit Jibi equos, n’exclut pas les chevaux des armées
des Juifs ; elle ne regarde que le roi, Jibi, encore
(d} ne lui en défend-elle que le grand nombre,
non muldplicabit. C ’étoit une fage prévoyance de la
part de Moyfe, ou parce que le peuple de Dieu de-
voit habiter tin pays coupé, fec, aride, peu propre
à nourrir beaucoup de chevaux ; ou bien, félon que
l’a remarqué M. Fleury, pour lui ôter le defir & le
moyen de retourner en Egypte. C ’eft apparemment
par la même raifon qu’il fut ordonné à Jofué (II. 6 .}
de faire couper les jarrets aux chevaux des Chana-
néens ; ce qu’il exécuta après la défaite de Jabin roi
d’Azor (vers l’an du monde 2.559, avant J. C . 1445).
David (II. Reg. viij. 4.) en fit autant à ceux qu’il prit
fur Adavefer ; il n’en réferva que cent.
Quoi qu’il en foit du fentiment d’Origene, la dé-
fenle portée au dix - feptieme chapitre au Deutéronome
, le vingtième chapitre du même livre (e}, &
le quinzième de l’Exode (equum & afeenforem dejecit
(c) Chez les Scythes, Achéas leur roi panfoit lui-même fon
cheval, perfuadé que c’étoic-là le moyen de fe l’attacher davantage
, & d’en retirer plus de fervice : il parut étonné, lorf-
qu’il fut par les ambafladeurs de Philippe que ce prince n’en
ufoit pas ainfi. Vie de Philippe de Macédoine, liv. XIII. par M.
Olivier.
( d ) Salomon avoit mille quatre cens chariots & douze mille
cavaliers. III. des Rois , ch. x- verf. 26. II. Paralip. c.jv. v. 24.
( e) Si vous- allez au combat contre vos ennemis, & qu’ils
ayent un plus grand nombre de chevaux fie de chariots, fie plus
de troupes que vous, ne les craignez pas, &c. t , 1«
in mare}, font autant de preuves certaines que du
tems de Moyfe l’art de l’équitation 6c l’ufage de la
cavalerie dans les armées n’étoient pas regardés
comme une nouveauté.
Le premier endroit où ce Iégiflateur en ait parlé
avec une forte de détail, eft au quatorzième chapitre
de l’Exode, où il décrit le paflage de la mer rouge
par les Ifraélites (ans du monde 2513 , avant J. C.
1491, félon M. Bofliiet). Pharaon qui les pourfui-
v o it , fut englouti par les eaux avec fes chariots de
guerre, fes cavaliers, 6c toutes les troupes qu’il avoit
pû raflembler. Son armée , fuivant Jofephe, étoit
compofée de 200 mille hommes de pié, 50 mille cavaliers
, 6c 600 chars ( ƒ )
Si les livres du Pentateuque n’offrent point de
preuve plus ancienne de l’ufage de la cavalerie dans
les armées, c’eft que conformément au plan qué
Moyfe s’étoit tracé, il n’a pas dû nous inftruire des
guerres que les Egyptiens avoient eues contre leurs
voifins avant la délivrance des Juifs , & qu’il s’eft
borné feulement à raconter les faits eflentiellement
liés avec l’hiftoire du peuple de Dieu.
Mais outre qu’il feroit abfurde de prétendre établir
en Egypte l ’époque de Véquitation par une cavalerie
fi nombreufe qu’elle égale ce que les plus grandes
puiflances de l’Europe peuvent en entretenir aujourd’hui
, on doit encore obferver que les chevaux
ont toûjours fait une des principales richefles des
Egyptiens (g}. D ’ailleurs le livre de Job (h} , probablement
écrit avant ceux de Moyfe , parle de l’é-
quitadon 6c de chevaux employés à la guerre, comme
de chofes généralement connues.
L’hiftoire profane eft fur ce point entièrement conforme
à l’Ecriture-fainte. Les premiers faits qu’elle
allégué, 6c qui ont rapport à l’équitation, fuppofent
tous à cet art une antiquité beaucoup plus grande :
difons mieux, on ne découvre en nul endroit les premières
traces de fon origine. -
On vo yo it, félon Diodore de Sicile, liv. I. gravée
fur dé la pierre dans le tombeau d’Ofimandué,
l’hiftoire de la guerre que ce roi d’Egypte avoit fait
aux peuples révoltés de la Ba&riane : il avoit mené
contre eu x, difoit-on, quatre cents mille hommes
d’infanterie , 6c vingt mille chevaux ( i) . Entre cet
Ofimandué & Séfoftris, qui vivoit long-tems .avant
la guerre de Troye, & avant l’expédition des Argonautes
, Diodore compte vingt - cinq générations
voilà donc la cavalerie admife dans les armées, bien
peu de fiecles après le déluge.
Séfoftris, le plus grand 6c le plus puiflant des rois
d’Egypte, ayant formé le deflein de conquérir toute
la terre , aflembla, dit le même hiftorien ( Diodore
de Sicile, l. /.) , une armée proportionnée à la grandeur
de l’entreprife qu’il méditoit : elle étoit comr
pofée de fix cents mille hommes de pié, vingt-quatre
( f ) L’Exode die de même, fix cens chars. Le nombre de
l’infanterie 6c de la cavalerie n’y eft point fpécifié. . ;
( g ) 11 y a apparence que au tems du patriarche. Jofeph,
les rois d’Egypte avoient des gardes à cheval, 8c que ce font
eux qui courent après Benjamin, 8c qui l’arrêtent. Hifl. des Juifs
par Jofephe 3 lib. 1.
• ( h ) On peut en conclure que les chars font poftérieurs à la
{impie cavalerie : Job ne parle que de celle-ci, c. xxxjx. v.18.
10. &fuiv. Au verf t8. il eft ait que l’autruche fe moque ,‘du
cheval 8c de celui qui le monte : les verfets fuivans contiennent
la belle defcription’du cheval qu’on a vûe ci-devant.
( i) Le fentiment de Marsham 8c de Newton qui a fuivi le
premier eft infpûtenable , fuivant M. Freret même. Ces deux
Anglois font Séfoftris poftérieur à la guerre de Troye -; mais il
eft évident, par tous les anciens, que ce roi d’Egypte a vécu
long-tems avant le fiege de Troye 8c l’expédition des Argonautes.
Mèm. de litt. de i’acad. des Infcript. to. VII. p. 14 j. Dé
cette expédition à la guerre de Troye, il y a au moins foixante-
dix ans d’intervalle. En fuppofant Séfoftris antérieur aux Argonautes
du même nombre d’années ; 8c en comptant trois générations
par fiécle, il n’y auroit qu’un petit nombre de fiécles
d'intervalle entre le déluge fie Ofimandué.
mille chevaux, 6c vingt-fept mille chariots de guerre.
Avec ce nombre prodigieux de troupes de terre, 6c
Une flotte de quatre cents navires, ce prince foûmit
les Ethiopiens, fe rendit maître de toutes les provinces
maritimes, 6c de toutes les îles de la mer-rouge,
pénétra dans les Indes, où il porta fes armes plus loin
que ne fit depuis Alexandre : revenant fur fes pas, il
conquit la Scythie, fubjugua tout le refte de l’Afie
& la plûpart des Cyclades, pafîa en Europe ; 6c après
avoir parcouru la Thrace, où fon armée manqua de
périr, il retourna au-boütde neuf ans dans fes états,
avec une réputation fupérieure à celle des rois fes
prédécèfleurs. 4
Ce prince avoit fait dreffer dans les lieux qu’il a-
voit foûmis, des colonnes avec l’infcription fuivanté
en eara&eres égyptiens (k} : Séfoflris, roi des rois y a
conquis cette province par fes armes. Quelques-unes de
ces colonnes s’étoient confervées jufqu’au tems
d’Hérodote, 6c cet hiftorien ( l. II. ) ajoûte qu’il
y avoit encore alors fur les frontières de ITonie deux
ftatues en pierre de Séfoftris , l’une fur le chemin
d’Ephefe à Phocée, l’autre fur celui de Sardis àSmir-
ne. Un rouleau portant une infeription, fa i conquis
cette terre avec mes épaules , peu differente de celle
qu’on vient de lire, traverfoit la poitrine de ces
ftatues.
Niiiüs -roi des Aflyriens fit une première entrepri-
fe contre la Baftriane, qui ne lui réuflit pas. Il réfo-
lut quelques années après d’en tenter un fécondé ;
mais connoiffant le nombre 6c le courage des habi-
tans de ce pays, que la nature avoit dWleurs rendu
inacceflible en plufieurs endroits, il tâcha de s’en
aflurer le fuccès en mettant fur pié une armée à laquelle
rien ne pût réfifter : elle montoit, pourfuit
Diodore, félon le dénombrement qu’en a faitCtéfias
dans fon hiftoire, à dix-fept cents mille hommes d’infanterie,
deux cents dix mille de tavalerie, & prè»
de dix mille fix cents chariots armés de faulx.
Le régné de Ninus , en fuivant la fupputation
d’Hérodote que l’on croit la plus exatte, 6c qui
rapproche beaucoup de nous la fondation du premier
empire des Aflyriens , doit fe rencontrer avec
le gouvernement de la prophétefie Débora ,5 14 ans
avant Rome, 1267 ans avant Jefus-Chrift, e’eft-à-
dire qu’il eft antérieur à la ruine deTroye, au moins
de 80 (/) ans. L’on conviendra aifément qu’une fi
grande quantité de cavalerie en fuppofe i’ulage établi
chez les Aflyriens plufieurs fiecles auparavant.
Tout ce qui nous reftè dans les auteurs fur l’hif-
toire des differenspeuples d’Afie, démontre l’ancienneté
de Y équitation: elle étoit ( dit Hérodote,/. IV.}
connue chez les Scolothes, nation Scythe, qui comp-
toient mille ans depuis leur premier r o i, jufqu’au
tems où Darius porta la guerre contre eux.
Par un ufage aufli ancien que leur monarchie, le
roi fe rendoit tous les ans dans le lieu où l ’on con-
fervoit une charrue, un joug, une hache 6c un vafe ,
•le tout d’or maflif, 6c que l’on difoit être tombés du
ciel ; & il fe faifoit en cet endroit de grands facrifi-
ces. Le Scythe à qui pour ce jour la garde du thré-
for étoit confiée, ne voyoit jamais, difoit-on, la fin
de l’année: en récompenfe on aflïiroit à fa famille
autant de terre qu’il en pouvoit parcourir dans un
jour, monté fur un cheval.
Que ce fait foit véritable ou non , il eft certain
que les Scythes en général, eux qui fous des noms
differens occupoient en Afie & en Europe une étendue
immenfe de pays, qui firent plufieurs irruptions
(k) In cippis illis pudendum viri, apud sentes quidem flrenuas 6*
pugnaces, apud ignaves autem & timidas, femir.ee, exprejjit : ex prte-
cipuo hbminis membro, animàrum in fingulis affcflionem , pofteris
evïdentiffmamjbre ratas. Diod. lib. I. apud Rhodanum.
•• ’-(/) M. Bofluec, qui fuie cette chronologie, place le fiége de
Troye l’an 1184, avant J. C.