homme d'ejprit ne peut être pris en mauvaife part, &
bel-ejprit eft quelquefois prononcé ironiquement.
D ’où vient cette différence? c’eft qxf homme d'efprit
ne fignifie pas efprit fupérieur , talent marqué., 8c que
Bel-ejprit le fignifie. Ce mot homme d’efprit n’annonce
point de prétention, -& le bel-èfprit eft une affiche ;
c’eft un art qui demande delà culture, c’eft une ef-
pece de profefîion , 8c qui par-là expofe à l’envie 8c
au ridicule.
C ’eft en ce fens que le P. Bouhours auroit eu raifon
de faire entendre, d’après le cardinal du Perron, que
les Allemands ne prétendoient pas à Y efprit; parce
qu’alors leurs favans ne s’occupoient guere que d’ouvrages
laborieux 8c de pénibles recherches, qui ne
permettoient pas qu’on y répandît des fleurs, qu’on
s’efforçât de briller, 8c que le bel-efprit fe mêlât au fanant.
Ceux qui méprifent le génie d’Ariftote au lieu de
s’en tenir à condamner fa phyfique qui ne pouvoit
être bonne, étant privée d’expériences, feroient bien
étonnés de voir qu’Ariftote a enfeigné parfaitement
dans fa rhétorique la maniéré de dire les chofes avec
efprit. Il dit que cet art confifte à ne fe pas fervir Amplement
du mot propre, qui ne dit rien de nouveau ;
mais qu’il faut employer une métaphore, une figure
dont le fens foit clair 8c l’expreffion énergique. Il en
apporte plufieurs exemples, & entre autres ce que
dit Periçlès d’une bataille où la plus floriffante jeu-
neffe d’Àthenes avoit péri, l’année a été dépouillée de
fonprintems. Ariftote a bien raifon de dire, qu’i/faut
du nouveau ; le premier qui pour exprimer que les
plaifirs font mêlés d’amertumes, les regarda comme
des rofes accompagnées d’épines,eut de Vefprit. Ceux
qui le répétèrent n’en eurent point.
Ce n’eft pas toujours par une métaphore qu’on
s’exprime fpirituellement ; c’eft par un tour nouveau
; c’eft enlaiffant deviner fans peine une partie
de fa penfée, c’eft ce qu’on appelle finejfe, délicatef-
fe ; 8c cette maniéré eft d’autant plus agréable, qu’elle
exerce 8c qu’elle fait valoir l’efprit des autres.
Les allufions, les allégories, les comparaifons, font
un champ vafte de penfées ingénieufes ; les effets de
la nature, la fable, l’hiftoire préfentes à la mémoire
, fourniffent à une imagination heureufe des traits
qu’elle employé à-propos.
II ne fera pas inutile de donner des exemples de
ces différens genres. Voici un madrigal de M. de la
Sablière, qui a toujours été eftimé des gens de goût.
Eglé tremble que dans ce jour
L ’hymen plus puiffant que l ’amour ,
N ’enlevé J es thréforsfans qu’elle ofs s’en plaindre.
Elle a négligé mes avis.
Si la belle les eut fuivis ,
Elle n’auroit plus rien à. craindre.
L’auteur ne pouvoit, ce femble, ni mieux cacher
ni mieux faire entendre ce qu’il penfoit, 8c ce qu’il
craignoit d’exprimer.
L e madrigal fuivant paroît plus.brillant 8c plus
agréable : c’eft une allufion à la fable.
Vous 'êtes belle & votre foeur ejl belle ,
Entre vous deux tout choix feroit bien doux ;
L’amour étoit blond comme vous,
Mais il aimoit une brune comme elle.
En voici encore un autre fort ancien ; il eft de
Bertaud évêque de Sées , & paroît au - deffus des
deux autres,. parce qu’il réunit ¥ efprit & le Sentiment.
Quand je revis ce que j'a i tant aimé ,
Peu s ’en fallut que mon feît rallumé
N ’en f i t le charme en mon ame renaître
Et que mon coeur autrefois fon captif
Ne reffemblât l'efclave fugitif,
A qui le fort fie rencontrer fon maître'.
De pareils traits plaifent à tout le monde, & ca-
raôérifent Y efprit délicat d’une nation ingénieufe. Le
grand point eft de favoir jufqu’où cet efprit doit être
admis. Il eft clair que dans les grands ouvrages on
doit l’employer avec fobriété, par cela même qu’il
eft un ornement. Le grand art eft dans Và-propos.
Une penfée fine, ingénieufe, une comparàifon jufte
& fleurie, eft un défaut quand la raifon feule où la
paflion doivent parler, ou bien quand on doit traiter
de grands intérêts : ce n’eft pas alors du faux bel-
efprit, mais c’eft de Y efprit déplacé ; & toute beauté
hors de fa place ceffe d’être beauté. C ’eft un défaut
dans lequel Virgile n’eft jamais tombé, & qu’on peut
quelquefois reprocher auTaffe, tout admirable qu’i!
eft d’ailleurs : ce défaut vient de ce que l’auteur trop
plein de fes idées veut fe montrer lui-même , lorf-
qu’il ne doit montrer que fes perfonnages. La'meilleure
maniéré de èonnoître l’ufage qu’on doit faire
de Y efprit, eft de lire le petit nombre de bons ouvra-
vfages de génie qu’on a dans les langues favantes &
dans la nôtre.
L tfaux-efprit eft autre chofe que de Y efprit déplacé:
ce n’eft pas feulement une penfée fauffe, car elle
pourroit être fauffe fans être ingénieufe ; c’eft une
penfée faillie & recherchée. Il a été remarqué ailleurs'
qu’un homme de beaucoup d’efprit qui tradui-
fit, ou plutôt qui abrégea Homere en vers ffançois é
crut embellir ce poète dont la fimplicité fait le cara-
ttere, en lui prêtant des ornemens. Il dit au fujet de
la réconciliation d’Achille :
Tout le camp s’écria dans une joie extrême ,
Que ne vaincra-t-il point ? I l s’ejl vaincu lui-mêmel
Premièrement, de ce qu’on a dompté fa colere, il ne
s’enfuit point du tout qu’on ne fera point battu : fe-r
condement, toute une armée peut-elle s’accorder
par une infpiration foudaine à dire une pointe ?
, Si ce défaut choque les juges d’un goût févere,'
combien doivent révolter tous ces.traits forcés, toutes
ces penfées alambiquées que l’on trouve en foule
dans des écrits, d’ailleurs eftimables ? comment fup-
porter que dans un livre de mathématiques on dife,
que « fi Saturne venoit à manquer, ce feroit le der-
» nier fatellite qui prendroit fa place, parce que les
» grandsfeigneurs éloignent toûjours d’eux leurs fuc-
» ceffeurs »? comment fouffrir qu’on dife qu’Hercule
favoit la phyfique, 8c cju ’on ne pouvoit réfifler à un phi-
lofophe de cette force ? L’envie de briller 8c de furpren-
dre par des chofes neuves, conduit à ces excès.
Cette petite vanité a produit les jeux de mots dans
toutes les langues ; ce qui eft la pire efpece du faux
bel-efprit.
Le faux goût eft différent du faux bel-efprit ; parce
que celui-ci eft toûjours une affe&ation, un effort de
faire mal : au lieu que l’autre eft fouvent une habitude
de faire mal fans effort, & de fuivre par inftinû
un mauvais exemple établi. L’intempérance 8c l’in-
cohérance des imaginations orientales, eft un faux
goût ; mais c’eft plûtôt un manque d'efprit, qu’un
abus d’efprit. Des étoiles qui tombent, des montagnes
qui fe fendent, des fleuves qui reculent, le Soleil
8c la Lune qui fe diffolvent, des comparaifons
faillies 8c gigantefques, la nature toûjours outrée,
font le carattere de ces écrivains, parce que dans
ces pays où l’on n’a jamais parlé en public, la vraie
éloquence n’a pu être cultivée, & qu’il eft bien plus
aifé d’être empoulé, que d’être jufte, fin, 8c délicat.
Le faux efprit eft précifément le contraire de ces
idées triviales 8c empoulées; c’eft une recherche fatigante
de traits trop déliés , une affeâation de dire
en énigme ce que d’autres ont déjà dit naturellement,
de rapprocher des idées qui paroiffent incompatiblés,
de divifer ce qui doit être réuni, de faifir de
faux rapports, de mêler contre les bienféances le
badinage avec le férieux, & le petit avec le grand.
Ce leroit ici une peine fuperflue d’entaffer des citations,
dans lefquelles le mot d’efprit fe trouve. On
fe contentera d’en examiner une.de Boileau ,>qui eft
rapportée dans le grand diftionnaire de Trévoux :
C'efl le propre des grands efprits, quand ils commencent
à vieillir & à décliner , de fe plaire aux contes & aux fables.
Cette réflexion n’eft pas vraie. Un grand efprit
peut tomber dans cette foibleffe, mais ce n’eft pas le
propre des grands efprits. Rien n’eft plus capable d’égarer
la jeuneffe, que de citer les fautes des bons
écrivains comme des exemples.
Il ne faut pas oublier de dire ici en combien de
fens differens le mot d1efprit s’employe ; ce n’eft
point un défaut de la langue, c’eft au contraire un
avantage d’avoir ainfi des racines qui fe ramifient en
plufieurs branches.
Ejprit d’un corps , d'une fociété, pour exprimer les
ufages, la maniéré de penfer, de fe conduire, les '
préjugés d’un corps.
Ejprit de parti, qui eft à Y efprit d’un corps ce que
font les pallions aux fentimens ordinaires.
Efprit d’une loi , pour en diftinguer l’intention ;
c’eft en ce fens qu’on a dit, la lettre tue 8c Y efprit vi-
vifie.
Efprit d’un ouvrage9 pour en faire concevoir le ca-
râftere & le but.
Efprit de vengeance , pour fignifier defir & intention
de fe vanger.
Efprit de difcorde , efprit de révolte , 8cc.
On a cité dans un di&ionnaire, efprit de polîtefje;
mais c’eft d’après un auteur nommé Bellegarde, qui
n’a nulle autorité. On doit choifir avec un foin fcru-
puleux fes auteurs & fes exemples. On ne dit point
efprit de politeffe , comme on dit efprit de vengeance ,
de dijfention, de faction ; parce que la politeffe n’eft
point une paflion animée par un motif puiffant qui
la conduife, lequel on appelle efprit métaphoriquement.
Efprit familier fe dit dans un autre fens, '& fignifie
ces êtres mitoyens, ces génies, ces démons admis
dans l’antiquité, comme Yefprit de Socrate, &c.
Ejprit fignifie quelquefois la plus fubtile partie
de la matière : on dit efprits animaux, efprits vitaux,
pour fignifier ce qu’on n’a jamais vû , & ce
qui donne le mouvement & la vie. Ces efprits qu’on
croit couler rapidement dans les nerfs, font probablement
un feu fubtil. Le dofteur Méad eft le premier
qui femble en avoir donné des preuves dans la
préface du traité fur les poifons.
Efprit, en Chimie, eft encore un terme qui reçoit
plufieurs acceptions différentes; mais qui fignifie toûjours
la partie fubtile de la matière. Voye^plus bas Esprit, en Chimie.
Il y a loin de Y efprit, en ce fens, au bon efprit, au
bel efprit. Le même mot dans toutes les langues peut
donner toûjours des idées différentes, parce que tout
eft métaphore fans que le vulgaire s’en apperçoive.
Voyez Eloquence, Elégance, &c. Cet article ejl
de M. de Vo ltaire.
Esprit , {Chimie.') ce nom a été employé dans fa
lignification propre, par les Chimiftes côihme par
les Philofophes 8c par les Médecins, pour èxprimer
un corps fubtil, délié, invifible, impalpable, une vapeur,
un fouffle, un être prefque immatériel.
Tous les chimiftes antérieurs à Stahl & à la naif-
fance de la Chimie philofophique, ont été grands
fauteurs des agens de cette claffe, qui ont été mis en
jeu dans plufieurs fyftèmes de phyfique. Un efprit du
monde, un efprit univerfel, aérien, éthérien, ont
été pour eux des principes dont ils fe-font fort bien
accommodés, & ils ont enrichi eux-mêmes_la Phyfique
de plufieurs fubftances de cette nature : l’ar-
chee, le Slas, la magnale de Vanhelmont, les ens dé
Paracelfe , &c. font des phantômes philofophiques
de cette clafle, fi ce ne font point cependant des ex-
pretfions énigmatiques, ou Amplement figurées.
Des êtres très-exiftans qui mériteroient éminemment
la qualité d’efprit. ce font les exhalaifons qui
s élevent des corps fermentans & poürriffans de cer.
tames cavités foûterraines, du charbon embrafé &
de plufieurs autres matières. Ces corps font véritablement
incoercibles, invifibles, & impalpables ;
mais on n a pas coutume dans le langage chimique,
de les defigner par ce nom. Nous les connoiffons fous
Celui de gas. Voye\-L Gas.' '
Depuis que notre maniéré plus fage de philofopher
nous a fait rejetter tous ces efprits imaginaires dont
nous avops- parle au commencement dé cet article ,
nous ne donnons plus ce titre qu’à différentes fubftances
beaucoup plus matérielles même que les gas ;
favoir à certains corps expanfibles ou volatils, dont
1 état ordinaire fous la température de nas climats
elt celui de liquidité, & dont les différentes efpeces
qui font claffées parce petit nombre de qualités communes
, font d’ailleurs éffentiellement différentes ,
enforte que c’eft ici une qualification très-générique,
exprimant une qualité tres- extérieure très - vaguement
déterminée.
X.es diverfes fubftances qu’on trouve défignées
dans les ouvrages des Chimiftes, par le nom d’efprit,
font :
Premièrement, un être fort indéterminé, connu
plus généralement fous le nom de mercure, qui eft
compte dans 1 anciehne Chimie parmi les principes
ou produits généraux de l’analyfe des corps. Voyer Mercure & Princ ipe.
^ Secondement, la plupart des liqueurs acides retirées
des minéraux, des végétaux, des animaux, par
la diftillation. Voye[ Vitriol, Nitre, Sel marin,
Analyse v égétale, au mot Végétal , Vinaigre
, Substances animales, & Fourmi.
Troifiemement, les fels alkalis volatils finis forme
liquide. Voyei Sel alkali volatil.
^ Quatrièmement, les liqueurs inflammables retirées
des vins. Voye^ Esprit de Vin à Carticle Vin.
Cinquièmement, les eaux effentielles ou efprits
refteurs. Vaye^ Eaux distillées.
Sixièmement, les huiles effentielles trè's-fubtiles
retirées des baumes par la diftillation- à feu doux.
Voyez^HUILE & TEREBENTHINE.
Septièmement, enfin les efprits ardens chargés par
la diftillation de la partie aromatique, ou alkali volatil
de certains végétaux. Voy. Eaux distillées
Esprit ardent, Cit r ô n , Cochléaria, & Esl
PRIT VOLATIL AROMATIQUE HUILEUX.
Nota. Que dans le langage ordinaire, on ne dëfigne
le plus fouvent les efprits particuliers que par le nom
de la fubftance qui les a fournis, fans déterminer par
une qualification Ipécifique la nature de chaque tf-
prit, Ainfi on dit efprit de vitriol, 8c non pas efprit
acide de vitriol; efprit de foie, 8c non pas efprit alkali
de foie; efprit-de-vin, (c’eft-à-dire de fuc de raifin
fermenté, félon la lignification vulgaire du mot vin),
8c non pas efprit ardent de vin de raifin ; efprit de térébenthine,
8c non pas efprit huileux de térébenthine; efprit
de citron, 8c non pas efprit-de-vin chargé deVa-
romate du citron. Ainfi toute cette nomenclature eft
prefque abfolument arbitraire ; & d’autant plus que
diverfes fubftances, comme le fel ammoniac, la te-
rebenthine, le citron, &c. peuvent fournir plufieurs
produits qui mériteroient également le nom d’efprit
quoiqu’il ne foit donné qu’à un feul dans le-Jangage
reçii : on fe familiarife cependant bien-tôt avec ces
dénominations vagues ; on les apprend comme des
mots d’une langue inconnue, {b) - - -