Les chefs-d’oeuvre qu’il y fit contribuèrent non feulement
à fa fortune par les bienfaits dont le prince
le combla, mais encore à fa sûreté par la puiffante
protection du due. Elle fauva Jules des recherches
qu’on faifoit de lui pour fes deffeirts des eftampes
diffolues, gravées par Marc Antoine, & que l’Arétin
accompagna de fonnets non moins condamnables.
L’orage tomba fur le graveur, qui auroit perdu la vie ;
fans la faveur 8c le crédit du cardinal de Medicis;
Les deffeins que Jules a lavés au biftre, font très-
eftimés ; on y remarque beaucoup de correction 8c
d’efprit. II y a aufli beaucoup de liberté & de har-
dieffe dans les traits qu’il faifoit toûjours à la plume,
de fierté 8c dé nobleffe dans fes airs de tête ; mais il
ne faut point rechercher dans fes deffeins des contours
coulans , ni des draperies riches & d’un bon
goût. Les batailles de Conftantin de ce grand maître
font dans la chapelle de Sixte au Vatican. Le martyre
de St Etienne qu’on voit à GeneS au maître autel de la
petite églife de faint Etienne, eft admirable pour
î ’obfervation de la vraiffemblanee poétique.
Perrin deL Vaga , né dans la Tofcane en 1 500,
mort à Rome en 1547. Il vint fort jeune dans cette
capitale par goût pour la peinture, & fe mit à defli-
ner avec beaucoup d’afliduité. Raphaël remarquant
fes talens & fon génie, en fit fon éleve, 8c lui procura
des ouvrages considérables. Après fa mort, Jules
Romain 8c François Penni partagèrent avec lui
les peintures, dont ils avoient la direction. La fale
d’audience du Vatican, célle où l’on reçoit les am-
baffadeurs des têtes couronnées, eft prefque entièrement
de ce maître ; mais il n’a pas peint lés trois
tableaux de cette même fale qu’on y voit toûjours,
& qui repréfentent l’affreux maffacre de la S. Bar-
thelemi.
Objeclare oculis mon (ira indignantibus aufo
Horruit afpeclu pietas, 8cc.
Perrin del Vaga s’eft diftingué particulièrement à
décorer les lieux félon leur ufage, genre dans lequel
il a excellé.
Nlcolo del Abbate, né à Modène en 15 1 1 , mort
à Paris vers l’an 1580. Eleve du Primatice, ce peintre
l’engagea de venir en France avec lu i, 8c ils travaillèrent
enfemble à peindre à frefque dans le château
de Fontainebleau là galerie d’Ulyffeainfi nommée,
parce que les avantures du roi d’Ithaque
étoient repréfentées dans cette galerie en cinquante-
huit tableaux. L’ouvrage eft prefque entièrement
détruit. Les feuls deffeins qui etoient de la main du
Primatice, doivent fubfifter encore ; du moins ils
faifoient un des ornémens du cabinet de M. Crofat
avant fa mort.
Baroche, ( Frédéric ) né à Urbin en 1518, mort
dans la même ville en 1612. Le cardinal délia Rover
e prit fous fa protection ce célébré artifte , qui
n’avoit encore que vingt ans, & l’occupa dans Ion
palais. C’eft un des plus gracieux, des plus judicieux,
8c des plus aimables peintres d’Italie. Il a fait
beaucoup de tableaux d’hiftoire, mais il a furtout
réufti dans les fujets de dévotion. Il fe fervoit pour
fes vierges d’une foeur qu’il avoit, 8c pour le petit
chrift d’un enfant de cette même lbeur.
L’ufage du Baroche étoit de modeler d’abord en
cire les figures qu’il vouloit peindre, ou bien il faifoit
mettre des petfonnes choifies de l’un 8c de l’autre
fexe dans les attitudes propres à fon fujet. On
reconnoît dans fes ouvrages le ftyle, 8C les grâces
du Correge ; mais quoiqu’il deffinât plus correctement
que cet aimable peintre, fes contours ri’é-
toient ni d’un fi grand goût ni fi naturels ; il ou-
troit les attitudes de fes figures, 8c prononçoit trop
les parties du corps.
L’on a gravé d’après lu i, & lui-même a gravé plu-
fieurs morceaux à l’eau-forte, qui pétillent de feu &
de génie. Ses tableaux font un des ornemensdes cabinets
des curieux.
F tti, ( Dominique ) né à Rôme en 1589, mort
à Venife en à la fleur de fon âge; fa paflion
pouf les femmes abrégea fa carrière. Il fut difciple
de CiVoli,mais il perfectionna fon goût par l’étude
des' ouvrages des premiers maîtres de Rome. Il avoit
une grande maniéré, de la finefie dans fes penfées,
une expreflion v iv e , unetouchepiquante, & quelr
que chofe de moelleux ; on lui defireroit feulement
plus de correction , 8c un ton de couleur moins
noir: fes tableaux font;fort goûtés des amateurs.
Le palais du duc de Mantoue a été embelli des peintures
du Feti. Ses deffeins font extrêmement rares ;
8c heurtés d’un grand goût. Il a fait des études admirables
peintes à l’huile fur du papier
Sacchi, ( André) né à- Rome en 1599, mort dans
la même ville en 1661. On retrouve dans fes ouvrages
les grâces & la tendreffe du coloris qu’on
admire dans les tableaux de l’Albane, dont il fut
éleve. Ses figures brillent par l’expreflion , fes draperies
par la fimplicité ; fes idées font nobles , 8c fa
touche finie fans être peinée. Ses deffeins font aufli
très - précieux ; une belle compofition, des expref-
fions vives, une touche facile, des ombres 8c des
clairs bien ménagés, en caraCtérifent le mérite.
Michel-Ange des Batailles, né à Rome en 1602 ,
mort dans la même ville en 1660. Son nom de
famille étoit Cerco^i. Son furnom des Batailles lui
vint de fon habileté à repréfenter ces fortes de fujets.
Il fe plaifoit aufli à peindre des fleurs, des fruits,
furtout des paftorales, des marchés, des foires, en
un mot des bambochades ; ce qui le fit encore ap-
peller Michel-Ange des Bambochades.
Il avoit une imagination v iv e , une grandeprejlejfe
de main, 8c mettoit beaucoup de force 8c de vérité
dans fes peintures ; fon coloris eft bon, & fa touche
très-legere; rarement il faifoit le deffein ou
l’efquiffe de fon tableau. On a gravé quelques batailles
d’après ce maître dans le Strada de Bello Bel-
gico de l’édition de Rome in-folio.
Maratte , ( Carie ) né en 162 5 à Camérano dans la
Marche d’Ancône, mort à Rome en 1713. André
Sacchi le reçut dans fon école, où Carie Maratte refta
19 ans. Il étudia les ouvrages de Raphaël, des Car-
raches, 8c du Guide, & fe fit d’après ces grands maîtres
, une maniéré qui le mit dans une haute réputation.
Il devint un des plus gracieux peintres de fon
tems, 8c fes tableaux très-recherchés pendant fa vie ,
n’ont point perdu de leur mérite depuis fa mort.
Ce maître a excellé à peindre des vierges ; il étoit
fort inftruit de toutes les parties de fon art, poffé-
doit bien la perfpeCtive, avoit un bon coloris, &
un deffein très-correft. On a de lui plufieurs planches
gravées à l’eau-forte, où il a mis beaucoup de
goût 8c d’efprit. Ses principaux ouvrages font à
Rome. La maifon profeffe des jéfuites de Paris a un
S. Xavier de ce maître, indépendamment de celui
d’Annibal Carrache ; on peut les comparer : mais
n’oublions pas un trait à fon honneur, rapporté par
l’abbé Dubos. Carie Maratteayant été choificomme
le premier peintre de Rome , pour mettre la main au
plafond du palais Farnefe, fur lequel Raphaël a re-
préfenté l’hiftoire de Pfyché , il n’y voulut rien retoucher
qu’au paftel, afin, dit-il, que s’il fe trouve
un jour quelqu’un plus digne que moi d’affocier fon
pinceau avec celui de Raphaël, il puiffe effacer mon
ouvrage pour y fubftituer le fien.
E cole VÉNITIENNE, (Peint.) Un favant coloris,
une grande intelligence du clair-obfcur, des touches
gracieufes & fpirituelles, une imitation fimple &
fidele de la nature, qui va jufqu’à féduire les yeux ;
voilà en général les parties qui caraCtérifent lpécia-
lement les beaux ouvrages ae cette école On reproche
à Y école romaine d’avoir négligé le coloris, on
peut reprocher à l'école vénitienne#avoir négligé le
deflein 8c l’expreflion. Comme il y a très-peu d’antiques
à Venife, & très-peu d’ouvrages du goût romain,
les peintres vénitiens fefont attachés à repréfenter le
beau naturel de leur pays ; ils ont caraCtérifé les
objets par comparaifon, non feulement en faifant
valoir la véritable couleur d’une chofe , mais en
choififfant dans cette oppofition, une vigueur har-
monieufe de couleur, 8c tout ce qui peut rendre
leurs ouvrages plus palpables , plus vrais, & plus
furprenans.
Il eft inutile d’agiter ici la queftion fur la prééminence
du coloris, ou fur celle du deffein & de l’ex-
prefîion ; jamais les perfonnes d’un fentiment op-
pofé ne s’accorderont fur cette prééminence, dont
on juge toûjours par rapport à foi-même : fuivant
que par des yeux plus ou moins voluptueux, on eft
plus ou moins fenfible au coloris, ou bien à la poé-
fie pittorefque par un coeur plus ou moins facile
à être ému, on place le colorifte au-deffus du poete,
ou le poète au-deffus du colorifte. Le plus grand
peintre pour nous, eft celui dont les ouvrages nous
font le plus de plaifir, comme le dit fort bien l ’abbé
du Bos. Les hommes ne font pas affeCtés également
par le coloris ni par l’expreflion, parce qu’ils n’ont pas
le même fens également délicat, quoiqu’ils fuppofent
toujours que les objets affectent intérieurement les
autres, ainfi qu’ils en font eux-mêmes affeCtés.
Celui, par exemple, qui défend la fupérioritédu
Pouflïn fur le Titien, ne conçoit pas qu’on puifle
mettre au-deffus d’un poète , dont les inventions
lui donnent un plaifir extrême , un artifte qui n’a
fu que difpofer les couleurs, dont l’harmonie & les
richeffes, lui font un plaifir médiocre. Le partifan
du Titien de fon cô te , plaint l’admirateur du Pouf-
fin , de préférer au Titien, un peintre qui n’a pas
fu charnier les y eu x, & cela pour quelque invention
, dont il juge que tous les hommes ne doivent
pas être touchés, parce que lui-même ne l’eftque
foiblement. Chacun opine donc, en fuppofant comme
une chofe décidée , que la partie de la peinture
qui lui plaît davantage, eft la partie de l ’art
qui doit avoir le pas fur les autres. Mais laiffons les
hommes paflionnés, s’accufer refpeCtivement d’erreur
ou de mauvais goût, îl fera toûjours vrai de dire,
que les tableaux les plus parfaits 8c les plus précieux.,
feront ceux qui réuniront les beautés de
Y école romaine & florentine à celles de Y école lombarde
8c vénitienne. Je vais préfentement nommer les
principaux artiftes de cette derniere école.
Les Bellino, freres, ( Gentil & Jean ) en jette-
rent les fondemens ; mais c’eft le Titien 8c le Gior-
gion qu’il faut mettre à la tête des célébrés artiftes
de cette école : ce font eux qui méritent d’en être
regardés comme les fondateurs.
. Bellin, ( Gentil ) né à Venife en 1411 , mort
en 1501 fit beaucoup d’ouvrages, la plupart à détrempe
, qu’on recherchoit alors avec empreffement,
8c qui ne fubfiftent plus aujourd’hui. Mais on n’a
point oublié ce qui fe paffa entre Bellin 8c Mahomet
II. Ce fameux conquérant qui deflinoit & qui ai-
moit la peinture, ayant vu des tableaux du peintre
de Venife, pria la république de le lui envoyer.
Gentili partit pour Conftantinople, 8c remplit l’idée
que fa hauteffe avoit conçue de fes talens. Il
fit pour ce prince la décollation de S. Jean-Baptifte,
où le grand feigneur remarqua feulement, que la
peau du cou dont la tête venoit d’être féparée, n’é-
toit pas exactement rendue ; & pour prouver, dit-
on , la jufteffe de fa critique, il offrit de faire décapiter
un efclave. » Ah feigneur, répliqua vive-
» mènt Bellin, difpenfez - moi d’imiter la nature ,
» en outrageant l’humanité. « Ce trait d’hifloire
• Tome'V.
pourroit h’être pas vrai ; mais il n’cn eft pas de mê^
me de la maniéré dont le fultan paya Bellin ; il le
traita comme Alexandre avoit fait Apelles. Tout le
monde fait qu’il le congédia en lui mettant une couronne
d’or lur la tête, une chaîne d’or au co l, 6c
une bourfe de trois mille ducats d’or entre les mains.
La république de Venife contente de la conduite de
Bellino, lui aflïgna une forte penfion à foft retour ,
& le nomma chevalier de S. Marc.
Bellin, (Jean) né à Venife en 1412, mourut dans
la même ville en 1512. Curieux de lavoir le nouveau
fecret de la peinture à l’huile , il s’habilla en noble
vénitien, vint trouver fous ce déguifement Antoine
de Mefline qui ne le connoiffoit pas, 8c lui fit faire
fon portrait : après avoir ainfi découvert le myItère
que ce peintre cachoit avec foin, 8c dont il ti-
roit toute fa gloire, il le rendit public dans fa patrie.
On voit encore par quelques ouvrages de Jean 8c
de Gentil Bellin , qui font à Venife, que Jean ma-
nioit le pinceau plus tendrement que fon frere ,
quoiqu’il y ait beaucoup de féchereffe dans fes peintures
; mais il a travaillé le premier à joindre l’union
à la vivacité des couleurs , & à donner un
commencement d’harmonie , dont le Giorgion 8c
le Titien fes éleves ont fçu faire un fi bel ufage.
Le goût du deffein de Bellin eft gothique , 8c fes a ttitudes
font forcées, il ne s’eft montré que fervile
imitateur de la nature ; cependant il a mis de la nobleffe
dans fes airs de têtes. On n’apperçoit point
de vives expreflions dans fes tableaux ; aufli la
plûpart des fujets qu’il a traités, font des vierges.
Le roi a le portrait des deux Bellino freres.
Titien Vecelli, naquit à Cador , dans le Frioul
l’an 14 7 7 , & mourut en 1576. Ce peintre, un
des plus célébrés du monde, étoit occupé depuis
long - tems chez Bellin à copier fervilement le
naturel , lorfqu’entendant Ioiier de toutes parts
le coloris des ouvrages du Giorgion , qui avoit été
fon ancien camarade , il nefongea plus qu’à cultiver
fon amitié , pour ' profiter de fa nouvelle maniéré.
Le Giorgion le reçut d’abord fans défiance :
s’appercevant enfuite des progrès rapides de fon
émule , 8c du véritable fujet de fes fréquentes vifi-
tes, il rompit tout commerce avec lui. Cependant
le Titien eut peu de tems après le champ libre dans
la carrière de la peinture , par la mort prématurée
de fon rival de gloire. Ce fut alors que redoublant
fes foins , fes réflexions & fes travaux, il parvint à
furpaffer le Giorgion dans la recherche des délica-
teffes du naturel, 8c dans l’art d’apprivoifér la fierté
du coloris, par la fonte 8c la variété des teintes.
On fait quels ont été fes fuccès.
On le chargea des ouvrages les plus importans à'
Venife, à Paaoiie, à Vicence 8c à Ferrare. Il fe distingua
prefqu’également dans tous les genres, traitant
avec la même facilité les grands 8c lés petits
fujets. Perfonne en Italie n’a mieux entendu le pay-
fage, ni rendu la nature avec plus de vérité. Son
pinceau tendre 8c délicat repréfente encore fi bien
les femmes 8c les enfans , fes touches font fi fpirituelles
8c fi conformes au caraCtere des objets
qu’elles piquent le goût des connoiffeurs beaucoup
plus que les coups fenfibles d’une main hardie.
Le talent fingulier qu’il avoit pour le portrait y
augmenta fa renommée auprès des fouverains 8c des
grands feigneurs , qui tous ambitionnèrent d’être
peints de fa main. Le cardinal Farnèfe l’engagea de
venir à Rome pour faire le portrait du pape. Pendant
fon féjour dans cette ville, il y fit de petits tableaux
qui furent admirés de Vafari, 8c même de
Michel-Ange. Le Titien peignit trois fois Charles
V. qui difoit à cë fujet, qu’il avoit reçu trois fois
l’immortalité du Titien.
Ce prince le çombla de biens 8c d’honneurs ; il le
T t ij