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uc exécuté par ordre de l’Empereur Claude, 8c
placé proche du théâtre de Pompée ; 8c pour
cette raifon il fut appelé Jupiter Pompéien. Spu-
rius Carvilius , après la défaite des Samnites, fit
fondre toutes les armes de bronze qu’ il avoit pri-
fes fur eux, & en fit faire une ftatue de Jupiter ,
aux pieds de laquelle iTétoit repréfenté. Ce colojfe
fut mis aüfli dans le capitole.
Les Gaulois reçurent des Romains ce goût pour
les ftatues gigantefques 5 & Pline dit qu’un fculp-
teur appelé Zénodore , fabriqua à Clermont en
Auvergne un colojfe de Mercure de quatre cens
pieds de hauteur. Colosse de Rhodes. Après avoir fait l’admiration
des Grecs & des Romains , l ’étonnement
des Sarrafins & des Barbares, après avoir été
chantée par les poètes, & confacrée à l’immortalité
par les hiftoriens, cette prodigieufe ftatue a
été rejetée au nombre des fables. & des chimères
par Muratori J Annal, ital.t. ï v . p. i i r . ). Il ne
tient pas à cet illuftre Italien que les peuples les
plus célèbres de l’antiquité n’aient pris un pigmée
pour un géant. J’avoue que les contradi&ions apparentes
des hiftoriens qui ont décrit le colojfe , la
variété des proportions qu’ils nous ont tranf-
mifes 3 & de la durée qu’il lui ont aflîgnée, ont
pu jeter quelques nuages fur la réalité de fon exif-
tence. Mais s’i l eût comparé avec foin les réful-
tats de ces proportions 3 évalué & combiné les
différentes mefures, pefé le mérite & l’autorité
des écrivains qui nous en ont confervé le fou venir
, ce favant aurait eu fans doute plus de cir-
confpeétion 5 il aurait apperçu au travers de ces
brouillards une lumière fixe, qui, fuivie conftam-
ment 3 l’eût conduit à la vérité. Je vais parcourir
ce prérendu labyrinthe, 8c donner fur l’hiftoire &
les dimenfions du colojfe des détails qui porte-
ront fon exiftence à l’évidence la plus frappante.
Démétrius , fils d’Antigone, afliégea la ville de
Rhodes, à caufe du refus quelle avoit fait de renoncer
à l’alliance de Ptolémée. Une caufe fi honorable
mérita aux Rhodiens des fecours de la
part de tous leurs alliés, & en particulier de Ptolémée,
que leur reconnoiflanceaimmortalifé fous
le nom de Sauveur ou Soter. L’afliégeant fut
forcé de renoncer à fon entreprife 3 & bien loin
de conferver fa haine-pour ces généreux infuhi-
re s , il conçut pour eux la plus haute eftime : il
voulut à fon départ leur en iaiffer un témoignage
authentique ; ce qu’il fit en leur abandonnant fes
machines de guerre , vendues depuis trois cens
talens. La reconnoifîànce des Rhodiens éclata
avec la plus grande magnificence , à l’égard de
Ptolémée, leur allié, & d’Apollon, leur Dieu tutélaire.
Ils réfolurent d’élever à l’honneur du Soleil
un colojfe d’une grandeur extraordinaire.
Charès de Lyndes fut confuké fur ce projet.
Les Rhodiens lui demandèrent quelle fommc il
exigerait pour faire une ftatue de telle hauteur
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I ( S ex tus Empiricus adverf. Matkematicos , lib.
| v u . ) Sur fa rcponfe ils en voulurent une qui eût
le double de grandeur. Cet archkeéte n'exigea
qu’une fournie deux fois plus confidérable.^ Mais
à peine eut-il commencé fon travail, qu’il vit l’or
des Rhodiens dépetifé en entier. Le chagrin & le
défefpoir s’emparèrent de cet artifte ; il le pendit.
Lâchés, fon compatriote, acheva dans l'efpace
de trois olympiades, & plaça fur fa bafe le colojfe
fi vanté ( P lin. lib ix x x iv . cap. y. >. Pline,
dont les détails font d'ailleurs allez exafts, ne
fait aucune mention de Lâchés , & donne toute
la gloire au premier,
A peine cinquante-fix ans s’étoient écoules depuis
cette époque, que le colojfe fut renverfé pat
un violent tremblement de terre : il fe brifà aux
genoux, 8c demeura étendu jufqu’à ce -que les
Sarrafins s’emparèrent de Tille de Rhodes/Ces barbares
, que la hardieffe du- travail ne remplit pas
d’admiration , mais qui ne confidérèrent avec
étonnement que fa maffe énorme , le mirent en
pièces : ils le vendirent à un marchand Juif d’Emè-
fe. Que de morceaux d'une antiquité refpeéfcable
& d'un travail merveilleux ont été fondus par
cette nation avide du gain le plus fordide ! prof-
crite dans tous les climats, éloignée de tous les
arts honnêtes , elle étoit donc en poffeflion des
: le feptième fiècle , d’un commerce qui n’ a d’dbjec
que les effets dégradés ou hors de mode, & de
but que la deftru&ion 1
Dix-huit écrivains Grecs ou Latins, qui ont
parlé du colojfe , & dont je'rendrai compte plus
en détail , s’accordent en général fur ces faits.
Mais cette harmonie eft de peu de durée 5 8c le
chaos femble prendre fa place, lorfqu on cherche
par leurs témoignages à fixer les époques 8c les
dimenfions précifes de la ftatue. Trois des premières
vont nous arrêter: l’époque de fon érection,
celle de fa chûte, & enfin celle de fon anean-
tiffement. La fécondé fixera les deux autres ( Poly.
lib. Orof. lib. ïv . cap. I -. Paul, kifi. Mifcel. lib.
n i . Mari. lib. 1. ). Polybe , Orofe , l’Abbé d’Uf-
perg, le Diacre Paul, Marianus Scotus, 8c Gode-
froi de Viterbe , difent unanimement que le colojfe
fut renverfé dans le tremblement dé terre
qui ébranla l’Archipel & une partie de l’Afie. Eu-
sèbe le place à la première année de la exxxix®
olympiade , 224 ans avant J. C . , félon l ’Abbé
Lenglet. ( S. Jérôme, qui a copié a la lettre ce
texte d’Eusèbe, Ta changé pour l’époque , &
aflîgne mal-à-propos la c l x v i i i0 olympiade );
Voilà une époque précife ; fi on en retranche cinquante
fix ans , on trouvera avec Pline la première
année de la c x x v e olympiade, 280 ans
avant J. C . A fuivre les vifions & les erreurs de
I Cédrenus , on placerait Tannée de fa eonftru&ion
j dans la x v n c olympiade j ce qui eft hors de toute
| vraifemblance. Celle de fa deftruérion eft cer-
! raine. Quoique tous les peuples de la Grèce 8c le
j Roi d’Égypte çuffent offert aux Rhodiens des fe-
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cours considérables, pour réparer les dommages
©ccafionnés par le tremblement de terre, 8c fur-
tout pour relever le colojfe, ceux ci les employèrent
à d’autres ufages, 8c fupposèrent un- Oracle
qui défendoit le rétabiiffement de la ftatue du Soleil.
Ç’eft Strabon ( Strab. liv. x iv . ) qui nous
apprend cette particularité.
Pline dit quelle étoit couchée par terre dans le
temps qu’il écrivoit, 8c qu’on appercevoit dans
les frai5tur.es de vaftes cavités & de gros quartiers
de pierre renfermés pour Talïurer fur fa bafe. Elle
refta dans cet état jufqu’à Tannée 65 y de J, C.
temps auquel les Sarrafins la brisèrent. Nous fixons
cet inltant à la douzième année du règne de Conf-
tant II ( Confiant, de Adminifi. cap. 20. ) apres le
Diacre Paul , Conftantin Porphyrogénète , la
chronique de Théophane & Zonare ( Zonar. Ann.
lib.. //. ).• Tous s’accordent parfaitement fur le
temps de fa deftruétion, ils ne varient que fur fa
durée. On la trouve de 935 ans , en voyant^ la
ftatue fondue l’an 280 avant J. C . , & brifée Tan
oyy du- même. Paul 8c Conftantin lui donnent
1360 ans, & Cédrenus ajoute encore cinq ans à
cette fable.
: Les dimenfions de cette énorme ftatue nous
arrêterons moins de temps que Ton hiftoire, quelque
contradiction qu'on trouve dans les hiftoriens
à leur fujet. Strabon, Pline, Ifidore de Séville
C-Ifid. Orig. lib. x iv . cap. 6. ) qui floriffoient pendant
que le colojfe exiftoit encore, ont pu le voir
ou apprendre de leurs contemporains les détails
qu’il nous en ont tranfmis. Ils lui donnent Toi-
xante & flix coudées de hauteur: le premier rapporte
même deux vers d’ un Simonide , autre que
le chantre des demi-Dieux, Caftor & Pollux 3 gravés
fur la bafe du colojfe, 8c portant expreffément
foixante & dix coudées. 11 eft vrai que Conftantin,
Théophane 8c Cédrenus font mention de quatre-
vingt coudées. Mais on obfervera qu’ils fontbien
postérieurs à la deltruétion du colojfe j que la dif
férence entre oxllcxis 8c e7rVc»ts eft allez petite
pour pouvoir être rejetée fur une faute decopifte
répétée par les deux autres hiftoriens calqués dans
cet endroit exactement fur le premier 3 8c que le
dernier en particulier n’eft célèbre que par Tes
erreurs de fait 8c de chronologie. Il s’eft cependant
rapproché par le nombre de cent vingt-fept
pieds de la véritable hauteur, qu’il abandonne en
lui donnant quatre - vingt coudées. En effet 3
1 foixante-dix coudées moyennes , chacune d’un
pied 8c dix pouces de r o i , donnent un peu plus
de cent vingt-huit pieds , hauteur la plus vraifem-
blable du colojfe. 1
Ne nous arrêtons cependant pas abfofument à
cette première détermination, 8c cherchons de
nouvelles mefures d;tns le paflage de Pline. Ce favant
naturafifte dit, i ° . que peu de perfonnes
pouvoient embraffer fon pouce 3 29. que la longueur
de fes doigts furpaftoit la hauteur des ftatues
•ordinaires: voilà deux proportions fixes & pré-
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ci fes. Pour trouver la première , on obfervera
d’abord que M. le Comte de Buffon place la grande
taille au-deffus de cinq pieds fix pouces, & que le
peu de perfonnes doit s’entendre par confequent
d’hommes ayant une taille plus elevee : je me
fuis attaché à neuf pouces. Perfonne n'ignore que
la diftance d’une main à l’autre dans un homme
dont les bras font étendus, eft égale à fa hauteur.
Ainfi donnant au pouce du colojfe cinq pieds
8c neuf pouces de circonférence, on aura, par
les proportions connues des fculpteurs, ( le pouce
d’un homme de cinq pieds neuf pouces de hauteur
, a trois, pouces de circonférence ) cent
trente-un pieds de hauteur : écart très-peu fen-
fibie.
La fécondé dimenfion donnée par Pline, achève
la conviction. L ’index d’un homme de cirîq
pieds neuf pouces, a communément trais pouces
de longueur : il eft donc la vingt-troifîème partie
de fa hauteur. Donnons aux ftatues ordinaires la
hauteur de l’homme qui nous fert de terme de
comparaîfon , 8c la proportion de l'index du colojfe
donnera cent trente-deux pieds. Nous avons
donc obtenu quatre nombres par des voies différentes
, 12 7, 128, 131 & 132, qui offrent pour
réfultat moyen cent vingt - neuf pieds. Ainfi on
peut hardiment fixer la hauteur approchée de cette
prodigieufe ftatue à cent vingt - nuit pieds. Il eft
fâcheux pour Muratori qu’on rencontre une harmonie
fi parfaite entre les hiftoriens qui nous en
ont tranfmis le fouvenir. Sans doute que dix-huit
écrivains de différens pays n’ont pu avoir entre-
eux de connivence réelle depuis le fiècle qui a précédé
la naiffance du Sauveur jufqu’au quinzième
qui Ta fuivi. Aufli terminerais - je ici cet article
, s’il ne reftoit encore quelques obfcurités
à difliper , 8c quelques détails à conferver fur
cette merveille.
Voilà le colojfe exiftant. Comment a - t ’on pu
remuer une maffe aufli confidérable ? Les vaif-
feaux paffoient-ils entre fes jambes à pleines voiles ?
Combien de chameaux ont été employés à en
tranfporter les débris ? Pour répondre à la première
queftion , recourons encore aux proportions
d’ un homme de cinq pieds neuf pouces de
hauteur, nous trouverons qu’il contient à peu-
près onze pieds cubes de matière. La folidité du
colojfe eft par confequent de deux cens trente
pieds cubes, lefquels fuppofés de cuivre ordinaire
, péfant (348 livres le pied cube, forment tirs
poids total de 148,900 livres , ou près de iyo o
quintaux. Les Annales dès Arts nous ont confervé
le poids de maffesplus confidérabîes , qu’ils ont
déplacé & élevé fur une bafe. L'obélifque de
Saint-Jean de Latran à Rome porte 112 pieds de
hauteur, fans la bafe fur laquelle il eft dreffé.
Les deux côtés du quarré qu’il forme à la naifc
fance font de huit 8c de neuf pieds 8c demi. Sup-
pofant cette maffe d’un marbre ordinaire , du
poids de 252 livres le pied cube , fon poids ratai