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la précipitèrent du haut de Yagger* Toye^ CALA-
HORRA.
D e v o t ü s étoit auûi le nom de celui qui fe con-
facroit au fervice de quelque Divinité particulière
ou de quelque temple. On lit ces mots dans
une Jur, infcription qui eft à Rome ( Gutker, de F'et. E c r i t . i v , I J. ) :
DECRETUM
ITEM. DEDICATIONE. STATU ARUM
CÆSARUM. ET. AUGUSTARUM
MULSUM. ET. CRÜSTULA. PECUNIA
NOSTRA. BEVOTIS. OMNIBUS. ET
POPULO. DEDIMUS*
DÉVOUEMENT j a dion par laquelle on fai-
Foit le facrifice de Fa vie pour le fa lut de la patrie,
avec des cérémonies particulières , & dans certaines
conjondures.
L'amour de la patrie, qui étoit la bafe du ca-
radère des anciens Romains , n’a jamais triomphe
avec plus d’ éclat que dans le facrifice volontaire
de ceux qui fe font dévoués, pour cette patrie , a
une mort certaine. Traçons -en l’origine , les
motifs * les effets & les cérémonies^ d’apres les
meilleurs auteurs qui ont traité cette matière. Je
mets à leur tête Struvius dans fes antiquités romaines
j & Simon 'dans les Mémoires de l’Académie
des Belles-Lettres.
Les annales du monde fournifient plufieurs
exemples de cet enthoufiafme pour le bien public.
Je vois d’abord parmi les Grecs, plufieurs fiecles
avant la fondation de Rome , deux Rois qui répandent
leur fang pour l’avantage de leurs fujets.
Le premier eft Alénécée, fils de Créon, Roi de
Thèbes , de la race de Cadmus, qui vient s immoler
aux mânes de Dracon tué par ce Prince.
Le fécond eft Codrus, dernier Roi d’Athènes,
lequel ayant fu que l’Oracle promettoit la victoire
au peuple dont le chef periroit dans la
guerre que les Athéniens foutenoient' contre les
Doriens , fe déguife en payfan & va fe faire tuer
dans le camp des ennemis.
Mais les exemples de Dévouemens que nous
fournit l’Hiftoire Romaine, méritent tout autrement
notre attention ; car le noble mépris que
les Romains faifoient de la mort, paraît avoir
etc tout enfembîe un a&e de l'ancienne religion
de leur pays, & l’effet d’un zèle ardent pour leur
patrie*
Quand les Gaulois gagnèrent la bataille d’Allia,
l’an 363 de Rome, les plus confidérables du fénat
par leur âg e , leurs dignités, & leurs fervices, Se
dévouèrent folemnellement pour la république réduite
à la dernière extrémité. Plufieurs prêtres fe
joignirent à eux, & imitèrent cesilluftres vieillards.
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Les uns ayant pris leurs habits faints, 8c les autres
les robes confulaires avec les marques de leur
dignité, fe placèrent à la porte de leurs maifons*
dans des chaifes d’ivoire, où ils attendirent avec
fermeté & l’ennemi & la mort. Voilà le premier
exemple de Dévouement général dont 1 Hîftoire
faffe mention ; & cet exemple eft unique. ( Tite-
Live, /. v. e. xxxn. ).
L ’amour de la gloire & de la profeffion des armes
, porta le jeune Curtius à imiter le généreux de-
fefpoir de ces vénérables vieillards, en fe précipitant
dans un gouffre qui s’étoic ouvert au milieu
de la place de Rome, parce que les devins difoient
qu’il falloit y jeter ce que la ville avoit de plus
précieux, pour aflurer la durée éternelle de fon
empire ( Tite-Live 3 liv. v u . c. vi.').
Les deux Décius père & fils , ne fe font pas
rendus moins célèbres en fe dévouant dans une
occafion bien plus importante pour le falut des
armées qu’ils commandoient, l’un dans la guerre
contre les Latins , l’autre dans celle des Gaulois
& des Samnites, tous deux de la meme maniéré,
& avec un pareil fuccès ( Tite-Live, liv• v n i &
x 3 c. ix . y. Cicéron qui convient de ces deux
faits, quoiqu’il les place dans des guerres différentes,
attribue la même gloire au Conful Décius qui
étoit fils du fécond Décius, 8c qui commandoit
l’armée Romaine contre Pyrrhus à la bataille
d’Afcoli. r . .
L ’amour de la patrie ou le zele de la religion
s’étant ralenti dans la fuite, les Décius n eurent que
peu ou point d’imitateurs, & la mémoire do ces
fortes de monumens ne fut confervée dans 1 Hif-
to ire , que comme une ceremonie abfofument
hors d’ufage. U eft vrai que fous les Empereurs U
s’eft trouvé des particuliers , q u i, pour leur faire
baflement la cour , fe font dévoués pour eux.
C’étoit autrefois la coutume en Efpagne, que
ceux qui s’ étoient attachés particulièrement au
Prince ou au Général, mourulfent avec lu i, ou
fe tuaffent après fa défaite. Voye% Ca l a h o r r a .
La même coutume fubfiftoit auffi dans les Gaules
du temps de Céfar. Dion rapporte a ce fujet que
le lendemain qu’on eut donné à OCtave le furnom
d’Augufte, Sextus Pacuvius, Tribun du peuple >
déclara en plein fénat, qu a fexemple. des barbares,
il fe dévouait pour l’Empereur, & pramet-
toit de lui obéir en toutes chofes aux dépens de
fa vie jufqu’au jour de fon dévouement. Augulte
fit femblant de s’oppofer à cette infâme flatterie ,
& ne laifla pas d’en récompenser l’auteur.
L ’exemple de Pacuvius fut imité. On vit fous
les Empereurs fuivans des hommes mercenaires
qui fe dévouèrent pour eux pendant leurs maladies >
quelques-uns même allèrent plus lo in , & s engagèrent
par un voeu folemnel à fe donner la
mort, ou à combattre dans 1 arene ^ entre les
Gladiateurs,.s’ils en réchappoient. Suétone nous
apprend que Caligula reconnut mal le zèle extravagant
de deux flatteurs de cet ordre, qu il
0 obligea
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obligea impitoyablement, foit par une crainte
fuperftitieufe, foit par une malice affeCtee, d accomplir
leur promeffe. Adrien fut plus recon-
moiffant : il rendit des honneurs divins a Ancinoüs
qui s’étoit, dit-on, dévoué pour lui fauver la
vie.O
n pratiquoit à Marfeille, au commencement
de.cette république, une coutume bien fingu-
jiôre. Celui qui, en temps de perte, s’ étoit
dévoué pour le falut commun, étoit traité fort
délicatement aux dépens du public^ pendant un
an, au bout duquel onde conduifoit à la mort,
après l’avoir fait promener dans les rues, orné de
feftons & de bandelettes comme une vi&ime.
Le principal motif du Dévouement des Payens,
étoit d’appaifer la colère des Dieux malfaifans 8c
fanguinaires, dont les malheurs & les difgraces
que l’on éprouvoit, donnoient des preuves convaincantes
: mais c’étoit proprement les puil-
fances infernales qu’on avoit deffein de fatisfaire.
Comme elles paffoienr pour impitoyables lorfque
leur fureur étoit une fois allumée, les prières, les
voeux , les viCtiines ordinaires paroifToiènt trop
foibles pour la fléchir 5 il falloit du fang humain
pour l ‘éteindre.
Ainfi dans les calamités publiques, dans l’horreur
d’une fanglante déroute, s'imaginant voir les
furies le flambeau à la main, fuivies de l’ épouvante,
du défefpoir & de la mort, portant la
défolation par tout, troublant le jugement de
leurs chefs, abattant le courage des foldats,
renverfant les bataillons, & conspirant à la ruine
de la république, ils ne trotivoient point d'autre
remède pour arrêter ce torrent, que de s’expofer
à la rage de ces cruelles divinités, & d’attirer
fur eux mêmes, par une efpèce de diverfion, les
malheurs de leurs citoyens.
Ainfi ils fe chargeoient d’horribles imprécations
contre eux-mêmes, de tout le venin de la malédiction
publique , qu'ils croyoient pouvoir communiquer
comme par contagion aux ennemis,
en fe jetant au milieu d’eux , s’imaginant que
les ennemis accompliftbient le facrifice 8c les
voeux faits contre eux, en trempant leurs mains
dans le fang de la viCtime.
Mais comme tous les aétes de religion ont leurs
cérémonies propres à exciter la vénération des
peuples, 8c à repréfenter fesimyftèrês; il y en
avoit de finguliers dans les Dévouemens des Romains,
qui faifoient une fi vive impreflion fur
les efprits des deux partis, qu’elles ne contri-
bnoient pas peu à la révolution fubite qu’on s’en
promettoit.
11 étoit permis , non-feulement aux raagiftrats,
mais même aux particuliers, de fe dévouer pour le
falut de l’état ; mais il n’v avoit que le général
qui pût dévouer un foldat pour toute l'armée ;
encore falloit-il qu’ il fût fous fes aufpices , &
enrôlé fous fes drapeaux par fon ferment militaire,
£ Tite-Live, /. vrn , c. x. ).
Antiquités , Torn
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Lorfqu’H fe dévouoit lui-même, il. étoit obligé
en qualité de magiftrat du peuple Romain, de
prendre les marques de fa dignité , c’eft-à-dire, la
toge bordée de pourpre, dont une partie rejetée
par derrière , formoit autour du corps un"ma-
nière de ceinture ou de baudrier appelée cinclus
Gabimts, parce que U mode en étoit venue des
Gabiens. L ’autre partie de la toge lui couvrait la
tête. Il étoit debout , le menton appuyé fur fa
main droite par tleffous fa rob e , & un javelot
fous fes pieds. Cette attitude marquoic l ’offrande
qu’il faifoit de fa tête ; & le javelot fur lequel iï
marchoit, défîgnoit les armes des ennemis qu’il
confacroit aux Dieux infernaux, & qui feraient
bientôt renverfés par terre. Dans cette fituation ,
armé de toutes pièces , il fe. jetoit dans le fort de
la mêlée, & s’y faifoit tuer. On appeloit cette
aCtion fe dévouer à la Terre & aux Dieux infernaux.
C’eft pourquoi Juvénal, en faifaat l ’éloge
des Décius, a dit :
PKo legionibus , auxiliis & plebe Latina
Sujpciunt dis infernis , terr&que parenti.
Le grand prêtre faifoit la cérémonie du dévouement.
La peine qu’ il prononrçoit alors, étoit
répétée mot pour mot par celui qui fe dévouoit,
Tite-Live, ( liv. vm , c. i x . ) nous l’a confervée
, 8c elle eft trop curieufe pour ne pas l’inférer
ici.
« Janus, Jupiter, Mars, Quirinus, Bellone»
» Dieux domeftiques, Dieux nouvellement reçus ,
” Dieux du pays j Dieux qui difpofez de nous
» 8c de nos ennemis, Dieux Mânes, je vous
» adore, je vous demande grâce avec confiance ,
*> & vous conjure de favorifer les efforts des
» Romains, & de leur accorder la victoire; de
» répandre la terreur, l’épouvante , la mort fut
» les ennemis. .C’eft le voeu que je fais en dévouant
» avec moi aux Dieux Mânes 8c à la terre , leurs
légions & celles de leurs alliés , pour la ré-
« publique Romaine. Macrobe l’exprime ( Sat,
« i n , 9. ) en d’autres termes, que voici ».
« Dis le père, ( c ’etoit Pluton ) , Jupiter, Mânes,
»V ou de quelque nom qu’on vous puiffe appeler,
» je vous prie de remplir cette ville ennemie ,
» 8c l’armee que nous allons combattre , de
» crainte & de terreur : faites que ceux qui por-
» teront les armes contre nos légions & notre
» armée, foient mis en déroute avec ceux qui
» habitent leurs villes & leurs campagnes : qu’ils
» foient privés de la lumière célelle ; que les
» villes & les campagnes avec les habitans de
» tout âge, vous foient dévoués, félon les loix
» par lefquelles les plus grands ennemis font
» dévoués. Je les dévoue, fuivant l’autorité de
»• ma charge , pour le peuple Romain , pour
» notre armée, pour nos légions, afin que
» vous conferyiez nos commandans & ceux qui
combattent fous leur ordre. y r