
que h vérité & le menfonge, fans que leur contrariété
le trahiffe ? A force d'accumuler faux
fur faux, l'impofteur fe décèle immanquablement.
Les chofes peuvent être confidérées fous tant de
faces , qu'il eft moralement impoflible qu'un ef-
prit borné pare à tout, prévienne tous lesincon-
véniens, réunifie tous les caractères de vérité en
faveur du menfonge. Cependant un feul caractère
effentiel manqué, voilà l'impolture découverte.
Epuifé par des efforts de tête employés pour
fubftituer le faux au vrai, ébloui par les apparences
de vérité qu'il a données à l'impolture,
l’auteur d'une pièce fabriquée eft moins capable
qu'un, autre d'appercevoir les endroits foibles >
par lefquels elle peut être entamée. L'impofteur
le plus artificieux ne fauroit porter les précautions
que jufqu’à un certain point. Les chofes
envifagées fous d'autres rapports dévoileront le
myftère. En effet, de tous ces rapports combines
, réfulte une foule de caractères de vérité ou
de faufleté qu'un feul homme ne peut faifir. C e ,
fera précifément ceux auxquels n'a pas penfé le
fauffàire , qui frapperont d'autres perfonnes,
quoiqu'on les fuppofe moins habiles que lui en
fait d'anciens ufages. Quelle force n'a pas cette
réunion de caractères pour décider du fort des
diplômes ! Quelles lumières n'offre-t-elle pas pour
en faire le difcernement! L ’impofture peut approcher
du vrai, mais jamais elle n'y parvient
tout à fait. La difficulté du difcernement eft
quelquefois grande, mais jamais elle n'eft infur-
montable. Si elle l'étoit, on ne pourroit pas plus
prononcer contre, que pour la vérité d'une
pièce. Celle-ci auroit même un grand avantage 5
c'eft qu'il eft très-permis de préfumer la vérité
d'ur. titre , & qu'il ne l’eft jamais d'en préfumer
la faufleté.
Au refte, fi du premier coup d'oeil on découvre
très - fouvent la faufleté des pièces fuppo-
jCees, combien en reliera-1 - il qui ne feront pas
convaincues de faux, lorfqu'elles auront fubi un
rigoureux examen, & que cet examen aura été
fait par des antiquaires fages & confommés dans
leur art? Leur jugement guidé par une longue
expérience , fixe les bornes de chaque ufage.
Voilà , diront-ils , l'écriture de ce fiècle. Telles
lettres n'étoient point ainfi figurées en tel temps.
Cette formalité étoit ' alors furannée. C e ftyle'
avoir ceffé d’avoir cours. Cette manière de fceller
n'a commencé à fe faire connoître que plufieurs
iîècles après. Au contraire, fi toutes les circonf-
tances fe réunifient pour quelques diplômes, après
un férieux examen 5 pourquoi ne prononceroit-
on pas en faveur de la fincérité ? A la bonne
heure qu'on déclare une pièce fauffe, parce
qu'elle pèche dans un feul caraCtère décifif, tandis
qu'on exigera le concours de toutes les circonf-
tances effentielles pour reconnoître la vérité d'un
a£te. Mais du moins ce concours étant bien conf-
taté, nul prétexte de foupçon ne fauroit fubfifter.
Enfin, puifqu'ii n'eft point de titre fabriqué
avec tant d'art, qui ne puiffe être démafqué,
il s'enfuit qu'il n'en eft point non plus de véritable
, qui ne puifle être reconnu pour tel.
Ainfi, de ce qu'un aCte ne fauroit être convaincu
de faux, ni même rendu fu fp e C t i l en réfulte
néceffairement qu'il eft fincère. Nous difons
rendu fufpett , parce que telle pièce qui n'eft pas
convaincue de faux, portera certaines apparences
de faufleté qui ne feront pas péremtoires, mais
qui n'étant pas détruites par des réponfes foli-
des , bifferont contre elles de fâcheufes imprefn
fions. Alors on ne doit pas prendre de parti fixe ,
qu'on n'ait acquis de plus grandes lumières. La
folution de ces difficultés peut dépendre de faits
& d'ufages locaux, que le temps feul éclaircira.
Souvent les lumières ne manquent pas, maison
manque de perfonnes affez éclairées pour en faire
l'application.
Il eft abfolument néceffaire dans la vérification
des chartes, d'être éclairé par des règles
sûres. Mais comment pourra-t-on y recourir au
befoin, fi l’on ignore les fources où elles doivent
être puifées ? C ’eft donc à les découvrir
ces fources , ou plutôt à les mettre, autant qu’il
eft poflible, à portée de tout le monde, que nous
devons donner notre principale attention.
Elles fe réduifent à fep t, la matière fur laquelle
, les inftrumens & l’encre avec lefquels les
diplômes font. écrits; la figure des lettres qui y
font employées ; les fceaux, le fty le , & les formules
qu’on y met en ufage. Nous nous arrê-5
terôns moins fur les trois premiers caractères,
parce qu’ils font incomparablement moins féconds
que les autres. Les écritures nous offrent des
richeffes de toutes les efpèces, & femblent même
nous promettre des découvertes intéreffantes. Les
critiques qui ne font point antiquaires fe renferment
exactement dans l'examen des fceaux , du
ftyle & des formules ; quoique les quatre premiers
caractères, & celui des écritures ne puiffent
être difcutès avec trop de foin. C'eft particulièrement
fur ce dernier caraCtère diplomatique 3 8c
fur les trois fuivans , que nous tâcherons de répandre
toutes les lumières dont ils font fufcepti-
bles. Contens de traiter ce qui concerne la matière
, les injlrumens & l'encre dans un petit nombre
de chapitres, nous confacrerons des feCtions
entières à la difcuflion des écritures, des fceaux
& des formules.
Les fept caractères généraux, dont on vient de
faire l'énumération, peuvent être envifagés fous
deux faces différentes. Les cinq premiers font
extrinsèques, & les deux autres intrinsèques.
Nous entendons par caractères intrinsèques ceux
qui font înhérens à chaque aCte, qui en font
inféparables, qui s'y retrouvent toujours fous
quelque forme qu'il fe reproduife, & qui par
conféquent ne font pas moins propres aux copies,
qu'aux originaux. Au contraire, les caractères
extrinsèques font tellement attaches à ces derniers,
quils ne paffent jamais aux copies. Si
quelques-uns d'entr'eux femblent s 'y montrer,
c'eft toujours d'une manière imparfaite, & qui
les met beaucoup au-deffous des autographes.
| Quelque efficaces que puiffent être les caractères
intrinsèques pour le difcernement du vrai
& du faux, les extrinsèques ont ordinairement
quelque chofe ^qui frappe les antiquaires d'une
manière plus sûre & plus prompte, foit en faveur,
foit au défavantage des pièces qu'on expofe à
leur examen.
M. Heuman, profeffeur en Droit dans l'Uni-
verfité d'Altorf, moins par prévention contre
les caractères extrinsèques des chartes , qu'il n’a
pu ( J oh. Heumanni cotnmentarii de re diplom.
prafat. pag. y .) approfondir, à fon grand regret,
que par une certaine prédilection pour les caractères
intrinsèques fur lefquels il a eu toute la
liberté poflible d'exercer fon génie, demande en
grâce que perfonne ne fe fâche contre lu i, s’il
penfe^ que les caractères extérieurs des chartes
( les intérieurs mis à part ) peuvent en impofer
plus fréquemment.^ Nous n'avons garde de nous
mettre eu colère contre un homme qui mérite
des égards par le bon ufage qu’il fait d'une vafte
érudition, & par la modeftie dont il l'affaifonne.
Mais nous le prierons de nous dire fi par caractères
internes mis a quartier, il entend une fimple
abftraCtion faite de ce.s caractères, ou s'il fuppofe
des circonftances où iis feroient peu favorables
à quelque titre. Dans le premier cas, nous
nefaurions fouferire à fa propofition. Car ils'en-
fuivroit que les caractères extrinsèques feroient
des moyens très-peu sûrs entre les mains des
antiquaires, pour juger de la vérité ou de la
faufleté des diplômes. Dans le fécond c a s , la
réunion de tous les caractères intrinsèques contre
une charte, s'ils conftatoient .»es défauts ef-
fentiels, lui porteroient fans doute un coup qui
ne fauroit être paré par les caractères extrinsèques,
dont il paroîtroit revêtu, fans l'être véri-
tablemént.
C e qui fait plus de peine, c'eft que notre
auteur fernble fuppofer, pour ne pas dire qu'il
fuppofe en effet.qu'une pièce pourroit être fauffe,
quoique le parchemin , l'écriture, le monograme,
le fceau fuffent exempts de toute fufpicion, &
quoiqu’ils .euffent la vérité en partage. Si le parchemin
eft bon & véritable, membranaproba : c'eft-
à - d i r e , ancien, par exemple de cinq ou fix
fiecles & peut-être davantage j comment après
tant d’années aura - 1 * on trouvé du parchemin
vierge de cet â g e , pour forger le faux titre?
Si 1 écriture eft fincère, fi elle eft irréprochable,
feriptura reâla, c'eft-à-dire, non - feulement du
caraCtere, & avec les traits convenables à l'are-
uquite de fa date, mais encore de cette antiquité
meme; comment a - 1 - elle été contrefaite longtemps
apres? Si le monograme eft véritable,
monogramma verum : c'eft-à-dire J s’il eft delà main
du prince , de fon chancelier, ou de quelque
officier à fes ordres, comment fe peut-il faire
qu il ne foit pas' de leur façon ? Comment peut-
il etre vrai & faux tout à la fois ? enfin, fi le
fceau n’a rien de fufpt & 3ftgillumhaudfufpeclum3
pas même dans la manière dont il eft attaché au
diplôme comment ne. biffe-t-il pas d'être faux,
fuppofe fur-tout que fa fabrication foit poftérieure
de plufieurs fiecles ? Eût-on actuellement le type
d'un fceau du X I I e fiècle, par quel artifice
donneroit-on à une cire récente la qualité d'une
cire ancienne jufqu'a faire illufion à la fagacité
des plus fages & des plus habiles antiquaires ?
Répondre que tous les âges ont produit des
hommes fort exercés dans l'art d imiter ; ce
n'eft point fatisfaîre. On pej.it contrefaire les
antiques & jufqu’à un certain point en at te ire-
la v érité, mais le peut-on jufqu'à ne laiffer fubfifter
entre b copie & l'original nulle différence
qui puifle être faifie par les connoiffeurs les plus
experts? Quand on y parviendrait, il n'en
feroit pas encore ainfi des anciennes écritures. II
ne Suffit pas de rendre une lettre de tel alphabet
qu’on voudra, il . eft ici queftion de 1a totalité
des caractères d'une pièce d'écriture ; & cette-
pièce dans fon tout n'eft point un modèle placé
fous les yeux du fauffaire ,. comme le tableau l'effe
fous ceux du peintre ; • car fi l'impofteur avoiten.
fa difpofition un charte vraie qui remplît fon
objet dans toute fon étendue, à quoi bon en
forgerait-il une fauffe ? Il eft donc alors néceffaire
qu'il travaille d'imagination. Or c'eft ici
qu'il eft forcé de fe déceler, malgré tous fes efforts;
1 air antique qu il faut de plus ajouter à la naïveté
des traits & des caractères , met un obftacle
invincible à toutes les reffources de la main h
plus hardie & la mieux exercée, pourvu que fes.
productions foient jugées au tribunal de quelque:
antiquaire bien expérimenté, 8c. qui foit fur fes-
gardes.
Si les Mabillon, les Baluze, les Mar tên e ,.&
les Muratori n avoient pas été en état de porter'
ordinairement un jugement certain des originaux:
qu ils ont eu fous les yeux , fur leurs caractères^
extrinsèques ; mal à propos M . Heuman exhor-
teroit-il fes leCteurs à s'en rapporter à leur auto*
r ité , puifque chacun peut juger par foi-mêraç des*
cara&èrçs intrinsèques des chartes,