
parfaitement faifi, quoiqu’il fe détruire après la
mort par le defsèchement ,• comme on s’en a<p-
perçoit fur le cygne fauvage du cabinet du Roi.
Dans le cygne dorneftique, la bafe du bec eft
recouverte jufqu’ a l’oeil d’une.peau noire, tandis
que le refte du bec eft rougeâtre. Dans 1 »cygne
fauvage au contraire, la pointe du bec eft noire,
& la bafe jufqu’à l’oeil eft très-jaune. Willoughby,
Ray & plufieurs autres difent que le plumage
du cygne fauvage eft mêlé de gris, fur-tout
vers les ailes 8c le manteau. M. Briftbn, dans
fa defcription du cygne fauvage , faite fur un
individu du Cabinet de Madame de Bàndeville,
dit que ce cygne eft entièrement blanc, comme
le cygne dorneftique. Edwards eft du même avis,
féal conforme à la vérité $ mais tous s’accordent
a repréfenter le cygne fauvage comme plus petit
& plus léger que les cygnes de nos canaux 3 ce
qui n’eft pas vrai. . . . . Voilà dans la plus
grande exa&itude tout ce qu’on a écrit fur les
cygnes jufqu’à ce jotir. Je vais à préfefit rapporter
mes obfervations particulières.
• Ayant appris que l’on cônfervoit à la Ménagerie
de-Chantilly une efpèce de cygne chantant,
je m’y rendis le i$ Juillet 1783 ; 8c les ayant
long-temps' examinés avec un des Infpeéleurs ( M.
KEcailler ) , je recueillis les remarques & les ob •
fërvatipns qu’il me communiqua avec la plus
grande comptai fan ce .
En 1740 , un cygne y, de l’éfpèce du cygne
fauvage, s'abattit fur le grand canal de Chantilly,
y fut pris & cottfervé pendant trois ans, après
îefquels il mourut. La grande jeuneflè de l’ Infpec-
mir à l’iriftant de cette mort, l’a empêché d’en
cünfërver un fôuvënir diftinâ:. En 17 5 7 , un pareil
, âgé de trois ans, fe fixa fur le canal avec les
àygnes domeftiques , y vécut pendant fix ans.
Après ce temps, il les abandonna de lui-même,
& fe tranfporta dans un baffin qui eft placé au
milieu de là Ménagerie , & qui eft appelé le
baflin de la colonne, à caufe d’une colonne de
porphyre , élevée jadis dans le milieu de cette
pièce d’eau.-Un coup de tonnerre le tua en 1774;
de forte que ces deux premiers n’ont point été
©bfèrvés, ou l’ont été fi mal, que nous ne les
rappellerons plus dans ce Mémoire. Le chant de
celui que ,1a foudre écrafa , attira, pendant le
rigoureux hiver de 1 7% , les deux' cygnes chantans
a&uellement vivans, mâle or femelle. Ils fe
pqfère.nt fùr le canal, ou on les reconnut aüfli-
tôt pour des cygnes étrangers , à la couleur jaune
de la bafe de leurs becs. On chercha à les prendre,
en leur- /étant du grain , comme aux autres cy gnes
: ils s’accoutumèrent à le manger ; 8c après
quelques jours , ils s’approchèrent des perfonne-s
qui nourrifficnt ces oiféaux. Alors qn jeta du grain
fur l’eau du canal} fa pefanteur le' précipita -au
fon d , & les deux cygnes,étrangers plongèrent la
tête & le corps pour le ramaffer. Cet inftànt fût
faifi avec diligence, & ©n prit le-urs pieds dans
des noeuds tontans, Ils étoieftt âgés dPtroîs ans
à-peu près} c’eft-à-dire, qu’ils n’a voient plus dé
duvet gris, & n’oifroient qu’un plumage entière-*
ment blanc.
Les ayant mis feuls dans le baflin de la colonne,
on leur coupa, jufqu’à la peau , neuf plumes
des ailes. Malgré cette opération , ils profit
tèrent d’un coup de vent pour s’élever au-deiïus
de la haie.qui féparoit leur baflin du grand canal,
où ils fe mêlèrent avec les autres. Il fallut
recourir aux amorces 8c aux noeuds couîans pour
les reprendre. Voulant les fixer.feuls dans le baflin
de la colonne , l’Infpeéteur de là Ménagerie les
fit éjointer, c’eft-à-dire qu’avec des tenailles roit*
gies au feu, on leur abattit le fouet des ailes; Depuis
ce moment, ils n’ont plus quitté la colonne?
fans être'familiers j ils fe Juiflent approcher par
l’Infpeéteur, & prennent de fa main de-s laitues
& d’autres herbages. On leur a donné à Chantilly
le nom de cygnes pâles , à caufe de la peau
jaune qui recouvre la bafe de leur bec, 8c on les
y appelle Amplement les pâles.
Ces deux cygnes firent, en 1775)', une première
couvée de fix oeufs, dont il naquit un feul petit*
mâle, actuellement vivant. Ce jeune individu,
parvenu à l’ adolefcence, rechercha la compagnie
des oies & des canards femelles} mais il en fut
rebuté. 11 a confervé depuis cette époque une fi
forte antipathie pour les canards, qu’ il court fut
eux, & veut les tuer- Il a l’air fort trifte.: cetté
mélancolie étoit peut-être produite par un accident
qui le faifoit boiter depuis quelques jours.
En 1780, fes- père & mère firent leur fécondé
couvée de fept oeufs Quatre petits vinrent à
terme , mais ils vécurent peu de jours. La troi-
fième ponte de 1781 fut aufli nombre-ufè 8c aufli
malheureufe 5 les cinq petits qui vinrent feuls à
éclore, moururent .bientôt. Celle de 1782 a bien
réufli ; il en eft forti quatre, jeunes cygnes , qui
font bien portans-, & couverts d’un duvet gris
cendré , plus clair que le gris des jeunes cygnes
domeftiques} ils font aufli plus forts & plus gros
que les jeunes du canal, leurs contemporains*
L’Infpeéfeur croit les reconnoître pour deux mâles
& deux femelles, & il penfe' qu’ils feront plus
gros 8c plus forts que leur père 8c mère.
Ceux-ci o n t, comme le cygne fauvage , la
bafe du bec jaune 8c la partie cornée noire. La
pointe du bec eft beaucoup plus effilée que dans
Je cygne dorneftique. Le tubercule qui eft placé à
la bafe du bec de ce dernier, eft entièrement
oblitéré dans les cygnes qui chantent , comme le
repréfentent aufli les deffins de Willoughby &
d’Edwards 3 leur col eft plus délié , 8c paroît
n’avoir que la moitié de la grofleur du col des
cygnes domeftiques } ce qui leur donne une grâce
fingulière. L’envergure des cygnes chamans eft
plus grande , les plumes plus groffies, la taille
plus haute, le col plus long de quatre doigts, &
les genoux plus élevés de fix lignes au moins que
dans le cygne dorneftique. Quand ils nagent, ils
ne balancent point leur tête 8c leur col comme
les autres, dont le mouvement reffëmble à celui
'des barques} mais ils paroiflent immobiles, &
fendent l ’eau comme un vaifteau. L ’Infpeéteur
qui à voit examiné, fans diflèétion anatomique,
les fquelettes des deux premiers morts, leur a
confia minent trouvé les os plus gros ; il en conclut
que les cygnes chantans doivent voler beaucoup
mieux & plus long-temps que les autres.
L ’expérience a confirmé ce foupçon ; car nous
les avons déjà vu s’élever par-deflus des haies,
pour rejoindre les cygnes du canal, quoiqu’on
leur eût coupé neuf plumes des ailes : d’ailleurs
ils volent bien au-delà de la portée du fufil, & j
s’élèvent à la plus grande hauteur. Leur chant,
donc je parlerai toùt-à-l’heure, les fait diftinguer
dans les airs à cette élévation. Tout le monde
fait en effet que le cygne dorneftique , pofé ou
Volant, ne fait entendre aucun cri j il rend feulement’
un l'on étouffé 8c aufli foible que le roucoulement
des pigeons, lorfqu’il eft molefté, ou
qu’ il appelle fa femelle. Le chant en fit reconnoî-
tr'e cinq qui paffèrent au deflus de Chantilly, 8c
s’y arrêtèrent quelques heures pendant l’hiver de
-1768. Cette famille étoit compofée du mâle , de
trois petits 8c de la femelle 3 ils voloient dans
l’ ordre, où je viens de les énoncer. Le mâle
alloit le premier, à la diftance de 80 à 100 toiles;
il fembloit indiquer la route aux autres} il
étoit fuivi par les petits, qui paroifîoiént n’avoir
que deux ans ; n’etant pas encore tout blancs; la
femelle fermoir la marche. Toutes les eaux de
Chantilly étoient gelées, à l’exception d’une petite
portion du canal , où elles font vives 8c très-
coulantes.'} ce fut-là que s’abattit la caravape,
preflee par la foif. I?e mâle s’approcha de l’eau
courante avec -précaution , en but , & par un
petit cri étouffé, répété plufieurs fois , couq,
couq, couq , il invita fa famille à fe défaltérer
fans crainte : elle lui ob é it, & le mâle fit le guet
pendant ce temps-là. Dès qu’un objet nouveau
ou effrayant frappoit fa vue ou fon ouie , il
avertiflbit la troupe par fon chant ordinaire 8c
perçant, 8c ils s’enfuyoient de concert; de forte
qu’ on ne put jamais les joindre , & qu’ils dif-
parurent après quelques courtes ftations :
Cette viulànce 8c cette tendreffe pour leurs
petits, les rendent d’un accès difficile. Dans les
premiers jours où les petits actuellement vivans
furent éclos , les père 8c mère chofloient loin
d’eux 8c battoient même leur premier, enfant,
âgé de trois ans , oui vir feul 8c trift .'Ils ont cependant
foùffert depuis quelques canards dans
leur baffin. Le jeune cyg ne n’ a pas la même com-
'plàifance pour ces oifeaux 8c il les pourfuit fou-
vent avec co’ère- On plaça , il y a quelquès
années, une oie du Canada dans le baffin de là
colonne avec les cygnes chantans ; ce. fut une
fource perpétuelle de difputes 8c de combats.
L*oie du Canada, dont les ailes n’avoient point
été rognées, àttaquoit le cygne mâle avec avantage
>'il voloit 8c fondoit fur lui : celui-ci fe dé-
fendoit vigoureufement > mais ne pouvant s’élancer
hors de l ’eau, il combattoit toujours avec un
défavantage marqué. Il eut enfin l'adrefle de fai—
fir , avec le b e c , le col de fon ennemi : il l’attira
vigoureufement à lui; 8c le plongeant dans l’eau
à plufieurs reprifes, il chercnoit à l’étouffer. On
s’aperçut de cette manoeuvre meurtrière, 8c o n
dégagea l’oie de Canada. Celui ci fut fi honteux
de fa défaite, qu’il s’enfonça fous des pierres qui
font placées en. faillie autour de la' colonne. Il
fallut l’en arracher de force, pour le tranfporter
ailleurs. Ce combat fait connoïtre la force extraordinaire
du cygne ch-mtant, qui contenoit l’oie
malgré fa défenfe , quoiqu’un homme ait de la
peine à retenir ce palmipède. Un cygne domefti-
que n’en feroit jamais venu a bout ; j’ai même
vu celui-ci battu 8c bleffé par le cygne chantant,
dans les expériences faites par les ordres 8c fous
les yeux de S. A. S. Mon feigne u:r le Prince de
Condé 8c de MM. les Députés de l’Académie
des Infcriptions.
Voilà affiez de caraélères particuliers pour faire
diftinguer 11 cygne chantant du cygne dorneftique.
II en eft cependant encore Un mieux prononcé :
c’eft le chant On employa , pour me le faire
entendre, un ftratagême bien imaginé. On apporta
une oie dorneftique, 8c on la pofa fur le
gazon qui entoure , le baflin de la colonne. A
peine cet oifeau eut-il touché la terre , que les
cygnes s’avancèrent fièrement à la file l’un de l’autre
, le mâle le premier, pour combattre ce nouvel
hôte. Ils approchèrent de lui lentement, en
enflant leur c o l, lui donnant un mouvement d’ondulation
femblable à celui des reptiles, 8c rendant
des Tons étouffés. La fcène alloit être enfang5alitée
, lorfqu’on reprit l’ oie par les ailes on
l’emporta hors de l’enceinte : alors les deux cygnes
fe placèrent vis-à-vis l’un de l’autre fe dref-
fèrent fur leurs'jambes , étendirent leurs ailes.,
élevèrent la tête , 8c fe mirent à chanter’ leur
prétendue viéto.ire à plufieurs reprifes Pendant
ce temps, ils avoient l’àir de fe pavaner, de fis
donner des grâces, à-peu-près comme le pigeon
mâle fait auprès de fa femelle. Ils marquent chaque
ton par une inflexion dë tête Leur chant
eft compofé de deux parties alternatives très-di-
ftinétes. Ils commençent par répéter à mi-.voix
un fon pareil à celui qui eft exprimé par ce
monofyllabe, \couq , couq,, couq, toujours fur le
même ton : oh l’entendoit à peine, à cinquante
toifes. Ils élèvent enfuite la vo ix ,.en fuivant,
félon Tobferyation de l’Abqé Arnaud , les
quatre notes mi , fa ; r e , m i , dom* les deux
le mâle ; la fem.
premières font du mâle:, 8c les deux autres de la
femelle.
Quoique leur chant ait quelque analogie, pour