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la qualité du fon, avec le cri déchirant du paon*
il ne 1 aille pas de plaire à roreille. Je ne me
M o is point de l'entendre , & je le leur ai fait^ recommencer
trois ou quatre fois par le meme
ftratagême. Il eft étonnant que ce chant foit
agréable ; car il elt fi perçant * quon l’entend le
fqir de la butte d’Apremont, monticule éloignée
d’une lieue de la Ménagerie. Le fait m'a été
attefté non-feulement par l ’Infpecteur & autres
prépofés à la ménagerie , mais encore par des
habitans de Chantilly. Les cygnes font entendre
leur voix le matin., le foir , & îorfqu'ils font
affe&és de quelques, fenfations fortes ou extraordinaires
: auili eft-elle plus méîodieufe dans le
printemps , faifon de leurs amours. Je ne les ai
entendus que dans le. mois de Juillet, au .commencement
de la mue , crife qui rend les oifeaux
plus ou moins malades; & j’ ai trouvé encore agréable
ce chant , que je leur ai fait Couvent répéter.
Flufieurs Curieux 8z Etrangers, à qui les Inspecteurs
de la Ménagerie les ont fait entendre
depuis que je leur ai appris l’ intérêt que l’on
pouvoir y prendre , ont été furpris de la force
& de la douceur de ce chant. Il eft moelleux,
& remplit flatteufement l’oreille. Obfervons encore
que la femelle ne commence à chanter que
quelques fécondés après le mâle : tel eft un musicien
, q u i, voulant accompagner une première
v o ix , obferve des filçnçes 5 celle-ci d’ailleurs n’a
pas la voix aufli forte que le mâle ; elle ne m’a
pas paru chanter à l’uniflon , mais un ou plufieurs
tons plus bas. Le male chante d abord mi , fa ,•
g.; pendant qu’ il pourfuit re, mi , elle commence
mi, f a , & toujours de même 5 ce qui produit un
accord qui doit être agréable , quand une troupe
nombreufe de cygnes eft reunie 8z chante en
même-temps. Au refte, ce chant n eft pas aufti
varié que celui des oifeaux chantans ; mais il l’eft
tin peu , principalement dans la dernière note,
fur laquelle ils font une longue tenue. La nuit pendant
laquelle les petits, actuellement vivans, for-
tirent des oeufs, fut célébrée par des chants très-
variés & très-fréquens ; de forte que llnfpeéteur
les entendant, dit à fa femme q uil etoit sûrement
arrivé aux cygnes quelque événement extraordinaire.
Il les trouva effectivement à la pointe
du jo u r , accompagnés de plufieurs petits.
•Après ce récit fidèle de mes obfervations,
j’examinerai à quelle efpèce de cygne on doit
rapporter le cygne chantant, & quelle eft fa
patrie. Quant à la nomenclature , je crois, après
un mur examen, qu’on peut l’affocier au cygne
fauvage , & n’en faire qu’une feule & même efpèce.
J'avoue que ma première idée etoit de le
placer feul en troifième ligne , parce qu’ayant la
baie du bec jaune comme le cygne fauvage, il n’eft
cependant pas gris comme fui, mais tout blanc
comme le cygne domdlique. Le cygne chantant eft
d'ailleurs plus haut & plus gros que ce dernier ,
2Jç tous les Ornithpiogiftps s’accordent à reprec
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Tenter le cygne fauvage comme plus mince &r plus
petit que le cygne d’omellique. Mais on explique
facilement ces apparentes variétés, en obfetvant
que les cygnes fauvages décrits par ces auteurs
& qui étoient des individus ifolés ou égarés par
des coups de v e n t , marquoient encore ; c’eft-à-
dire, qu’ils étoient jeunes, & avoiènt encore
des plumes grifes. Tel eft celui du cabinet du
Roi. L ’individu du cabinet de de Bande ville ,
décrit par M. Briffon, & celui d’ Edwards , font
tout blancs, ainfi que les cygnes chantans de la
ménagerie de Chantilly.
Nous avons vu que Ray accordoit au cygne fauvage
une voix forte & un cri perçant ; ce qui
prouve qu’il en avoit entendu parler vaguement :
du moins ce paffage nous autorife-t’il à ne faire
qu’ une feule efpèce du cygne fauvage & du cygne
chantant. Lorfqu’on pourra difféquer quelqu’ un
de ces derniers, on verra fi fa trachée artère eft
conformée comme celle du cygne fauvage 5 ce
fera la vraie caraétériftique, & Je temps la fera
çonnoître. En attendant, fi l’analogie peut être
de quelque utilité dans l’Hiftoire Naturelle, elle
nous porte à croire que le cygne chantant doit
avoir la trachée-artère repliée dans une cavité
particulière du fternum 5 car ©n a obfervé qu’il
porte , en nageant, la tête beaucoup plus en
arrière que les cygnes domeftiques. D’après toutes
ces considérations, on ne peut encore établir que
deux .efpèces de cygnes , lé cygne domeftique &
le cygne fauvage, auquel fe joint & avec lequel
1 fe confond le cygne chantant. ( La diffe&ion qu’ a
faite M. Vie d’Azir d’un de ces cygnes morts depuis
peu a confirmé ma conjecture ).
On eft plus embarralfé fur la patrie qu’on çloit
affigner à ce dernier. Les anciens Naturaliftes
n’ayant jamais diftingué deux efpèces de cygnes ,
ne peuvent nous donner aucune lumière fur cet
ob jet, à moins qu’on ne les entende par-tout du
cygne fauvage, parce qu’ils parlent toujours du
chant des cygnes. Nous trouverions alors que cet
oifeau auroit autrefois habité les pays chauds;
car le Caïftre & le Méandre font des fleuves d’Afie,
& le Pô eft en Italie. LTnfpecteur de la ménagerie,
qui m’adonné tant de"renfeignemens fur
les cygnes chantans, pencheroit pour cette opi- .
nion ; il croit en effet que la Corfe, ou d’autres
contrées méridionales font leur patrie. Pour moi ,
je ne faurois être de cet avis, parce que le cygne
fauvage eft sûrement un oifeau de_ paffage , &
qu’il eft inouï de voir des oifeaux quitter lés pays
chauds pour aller dans les climats froids pendant
l’hiver. Habîie-t’il les régions feptentrianales?.....
Le pafl’age d’Olafis Worrpius h feroit croire ;
cependant Pontoppidan , dans fon Hiftoire de la
Norv/ége , dit ‘que les cygnes qu’on y aperçoit
font étrangers à cette contrée.
M. de T r o ï l, dans fes Lettres fur l’Iflande ,
( pag. ijQ. irad. Franf. ) affure pofîtivement que
les cygnes habitent cette ifle 5 qu’ils y pondent, &
qu ns
qu’ils l ’abandonnent pendant l’hiver, à l’exception
rie quelques pareflfeuxou traîneurs, & des petits,
qui ne quittent point dans l’année le lieu ae leur
naiffance. .«.Le chant des cygnes, ajoute-t-il, eft,
w à ce'que l ’on prétend, ries plus agréables daps
« les nuits froides & .noires de l’hiver ; mais il ne
nous a point paru tel au mois de Septembre ».
Cette obfervation eft conforme à ce que j’ai dit
plus haut du temps de la mue, où la voix de la
plupart des oifeaux s’affoiblit & fe perd même
dans certaines efpèces.
Le réfultat de ce Mémoire eft donc que le cygne
fauvage habite les pays Septentrionaux j que ceux
de cette efpèce, confervés à la ménagerie de Chan-:
t illy , ont un chant; & que les anciens ne fe font
pas trompés en parlant du chant du cygne. Ils.ont
erré feulement, en attribuant à tous les cygnes in-
diftinéleme'nt la faculté de chanter, qui eft particulière
aux cygnes fauvages. Enfin, on appréciera
aifément, d’après nos obfervations , les hyper- '
boles des Poètes, qui ont eu dans la Nature une
bafe réelle.
M. Thorkelin * Profeffeur de Copenhague,
natif d’Iflande , a affure depuis peu à M. Byres de
Tonlay à Londrès:r qu’il avoit entendu des cygnes
fauvages en Iflande, où ils;font en grand nombre',
chanter avec une 'certaine Cadence en volant.
| Ayant retrouvé le cygne chantant, & ayant
étudié fes moeurs, je dois, pour rendre aux anciens
la juftiee qui leur eft due, appliquer ces notions
à leurs écrits, & en rétablir le véritable
Sens.
Cherchons d’abord pourquoi le plus grand
nombre de£ Auteurs qui ont fait chantçr les cygnes
3 entre lefquels on compte Héfiode, Homère,
Efchyle, Euripide , Théocrit'è Platpn,
«Callimaque, Ariftofe , Antipater, Cicéron , Virgile
, Lucrèce, Ovide, &c. & c . , ont fixé-au
moment du trépas cette faculté des cygnes. Nous
avons déjà obfervé en général que les anciens n’en
diftinguoierit pas de deux efpèces. Ariftote. ( De
Animal, lib. I , cap. 4 ,6 * lib. 8 , ‘.cap. 12. ) feul
parle, en deux endroits de fon Hiftoire des Animaux
, de cygnes qui vivoient efffaciété , ’àTiex-
clufion fans doute d’une efpèce folitahe. On ne
connoît point encore cette farouche efpèce , qui a
été appelée par quelques Grecs aropyot, «aâj*a
a^XijXocpayoi , fans tendreffe pour leurs petits,
s’entre-tuant & fe mangeant les unsries autres ;
car on ne fauroit donner ces qualités odieufes au
cygne fauvage. Bien-loin de tuer fes petits1, iPles
défend vigoureufement , comme je l’ai dit plus
haut. Ce même cygne d’ailleurs a vécu longtemps
avec les cygnes domeftiques. On ne peut donc pas
entendre le paffage d’Ariftote du cygne fauvage,
mais d’une autre efpèce qui nous refte encore à
découvrir. Pindare l’a voit appelée, avant Ariftote,
oifeau féroce ; mais Ovide l’a vengée par l’épithète
ijinoc\uûs. Euripide avoit plus fait encore pour ce
volatile , calomnié fi injuûement ; il a «comparé ,
Antiquités j Tome TI*
dans fon EleCtre, les çris de cette infortunée fille
d’Agamemnon, au chant plaintif du jeune cygne ,
qui pleure fon père arrêté dans des pièges meurtriers.
,
Il paroît, par la variété des opinions que les
Anciens ont eues fur les moeurs du cygne, qu’ils
l’avoient mal obfervé, ou plutôt que le cygne
fauvage ou chantant étoit très-rare dans leurs
contrées. Ils ne l’avoient pas apperçu fouvent.
Voulant doric-concilier l’ancienne tradition du
chant des cygnes avec le filence des cygnes qui
vivoient dans leurs canaux, & des individus
fauvages reconnus par hafard & très-mal étudiés
; ils aflurèrent qu’ils ne chantoient qu’à,
l ’heure de leur mort., & dans des endroits reti-
- rés où ils n’avoient pas même d’autres oifeaux
pour témoins de leur trépas. Ce font les propres
termes d’Oppien ( De venatione ). Il etoit difficile
de combattre cette manière d’expliquer l’ancienne
tradition: on fe feroit efforcé en vain de fuivre
le cygne mourant dans le creux des rochers, ou
au travers de déferts impraticables ; quoique
•dans Athenée ÇLib. 9. ) , Alexandre Myndien
affure le contraire, d’ après fa prétendue expérience.
Le cygne d’ailleurs vit fi long-temps,,
qu’on lui attribue jufqu’à trois fiècles de v ie , &
qu’il , éft très-rare d’en voir mourir.
Le phénomène qui Texcitoit à chanter dans
ce moment fatal, étoit encore plus furprebant.
On difoit que les plumes de1 fa tête prenoient un
accroiffement fubit en dedans'du crâne , & qu’en
déchirant fon cerveau, elles lui arrachoient par
la, force de la douleur ces fans mélodieux. Ovide
a chanté cette merveille :
. . : • . . Veluti canentia dura
Trajeftus penna tempora , cantat olor.
Au refte, 5
. . . . Nec fo li célébrant fua funera cygni.
( Sta c è , lib. 2 , Sylv.,J
Le perroquet, félon lu i , & l’éléphant félon
Oppien , pleuroient leur mort prochaine. Le$
Anciens attribuèrent auffi cette propriété àToi-
feau.de Vénus, ,& cherchèrent à juftifier, par
cet innocent fubterfuge, la tradition conftante
du chant des cygnes. Les Auteurs modernes ont
été .moins refervés-; ils en ont nié formellement
1-exiftence. Nous voyons aujourd’hui combien a
été nuifible cette facilité à.nier tout ce que nous
n’avons pas encore retrouvé,; l’indiilgençe & la
réferve dont les Anciens ont ufé envers leurs
prédéccffeurs, devroient nous fervir de modèle t
mais que nous fommes éloignés de les imiter!
Heroum filii , noxe.
Les Anciens avoient mieux connu la nature de
ce chant célèbre , que les époques auxquelles on
pouvoir l’entendre. Le cygne fauvage feul entre
N n