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l ’auteur en a donnée. En l’examinant avec attention,
on s’apperçoit qu’il s’y eft gliffé bien des
fautes : & cette raifon a engagé le comte de
Caylus aie publier de nouveau, & le plus exactement
qu’ il a été poflible. Il a fallu pour cela l’ é tudier
avec foin , détacher toutes les lettres bien
marquées, les arranger dans un certain ordre, &
s’en fervir pour difeerner celles qui ne font pas li*
fibles. Quand des efforts réitérés n’ont pu refti-
tuer des mots dont il ne reftoit plus que de foibles
traces, il a mieux aimé les négliger & les remplacer
par des points, que de les préfenter fous
une forme étrangère ; c’eft ce qui a augmenté .
dans la copie le nombre des lacunes que l’on voit
dans l’original ; mais il a tâché de rapporter les
différentes fortes de lettres que l’on y v o it, &
c ’eft ce qui doit fuffire.
Suivant le P. de Montfaucon, ce morceau de
toile fervoit à couvrir, une momie. L’on voit en
effet qu’il avoir été enduit de bitume. La cou- ,
leur brune que cette préparation lui avoit donnée ,
paroît moins aujourd’hui qu’elle ne paroiffoit |
quand il appartenoit au favant comte , parce que
dans la vue de le conferver on l’ a collé depuis
fur une toile; mais fans la première préparation
il ne feroit pas vraifemblablement venu jufqu’à
nous.
Les égyptiens traçoient quelquefois fur les
bandelettes des momies, des hiéroglyphes ou des
lettres proprement dites. Kirckher a fait graver
plufîeurs morceaux de toile, chargés de fymboles,
qu’il a expliqués avec le même fuccès que ceux
des obélifqiies; & au commencement de ce fiècle,
Maillet, conful de France au Caire, dit avoir vu
une momie, autour de laquelle on trouva une bande
de toile ornée de figures & de caraCtères. Cette
bande avant été mife en lambeaux, Maillet en
rinnaffa fîx ou fept aunes en huit pièces , qu’ il envoya
en France au chancelier de Pontchartrain :
elles ont enfuite été difperfées ; mais il y a appa
rence que le morceau gravé dans ces planches en
faifoit partie. ( Caylus. I. p .p . 65
Le même comte a publié ( f. pl. 16. ) un autre
morceau Récriture égyptienne. Les caractères dont
cette toile eft chargée, font écrits de droite à gauche
: ils occupent par une feule ligne le tiers de
fa largeur, qui peut être de deux pouces. L’écriture
eft formée par une très-belle main , qui doit avoir
fait ufage du pinceau. La canne & toutes les ef-
pèces de rofeau ne pourroientformer des contours
déliés & renflés avec autant de fineffe & de pré-
ci fion que ces caractères en préfentent ; ce qu’il
y a d’affuré, & ce qui eft fondé fur l’expérience
que ce favant en a faite , c’eft qu’ on ne peut les
bien imiter que par le moyen du pinceau. Il eft bon
dobfecver que cette pratique eft celle que les chi-
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noîs emploient encore aujourd'hui pour leur teri*
ture, donc on ne peut s’empêcher d’admirer 1a
netteté.
Voici les raifonnemens dufavant comte fur ces
relies précieux & prefque uniques de l'écriture
égyptienne non hiéroglyphique ( rec.l.pag. 70. ).
« Tous ces monumens donnent une première
forte d'écriture affez uniforme. En les rapprochant
les uns des autres, on formera une lifte de caractères
en ufage parmi les égyptiens ; mais afin de ne
pas trop grofïir cette lifte» il faut obferver que
dans Vécriture dont nous parlons , on plaçoit quelquefois
plufîeurs lettres au deffus l’une de l’autre ,
& que d’autres fois certaines lettres ne paroiifent
diltinguées entr’elles que par des efpèces d’accens
8c de points. Il faut avoir égard à ces Angularités,
8c l’on trouvera qu’après les réductions qu’elles
donnent occafion de faire , la lifte des caractères
égyptiens eft encore très-nombreufe ; ce qui vient
peut-être de ce que la même lettre fe configurait
diverfement, fuivant laplace qu’elle occupoit da «
un mot. Mais comme.it s’ agit bien moins ici de
découvrir l’ alphabet de la langue égyptienne
que de s’ affurer qu’ il émanoit des hiéroglyphes ,
il fuffira d’avoir une affez grande quantité de lettres
ifolées, & de les comparer avec les figures re-
préfentées fur les monumens égyptiens. Or je puis
aflurer que l’on appercevra entr’elles la liaifon la
plus intime, & les rapports les plus fenfibles ; &
pour s*en convaincre, on n’a qu’à jetter les yeux fur
le n°. 1. de la X X V Ie. planch^. J’y ai fait graver
fur une première colonne une fuite d'hiéroglyphes »
tirés la plupart des obélifques, & dans une colonne
correfpondante, les lettres égyptiennes qui
viennent de ces hiéroglyphes. On trouvera , par
exemple , quele premier hiéroglyphe, repréfentant
une barque , a produit un élément d'écriture^, d< nt
la valeur a pu varier, fuivant les points ou les traits
dont il étoit affeCté ; que le troifième hiéroglyphe ,
qu’on croit être l ’image d’une porte , en perdant
fon arrondiffement, a formé la lettre qui lui eft
parallèle; que la figure d?homme ou d’animal accroupie
, au n°. I V . , eft devenue une lettre qui
ne conferve que les linéamens du fymbole original
; enfin que le ferpent, figuré fi fouvent fur
les monumens égyptiens, n°. X IX . , s’eft changé
en un caraCtère qui retrace encore aux yeux les
finuofités de ce reptile. On trouvera auffi que
d’autres hiéroglyphes, tels que le 2, le y, le 6 ,
le 1 1 , le Ig » & c . ont paffé dans Y écriture courante,
fans éprouver le moindre changement. Au
re lie , ce n’ell ici que le léger effai d’une opération
qui pourroit être pouffée plus loin, 6c dans
laquelle on appercevroit peut-être des rapports
différens de ceux que j’ ai établis entre certaines
lettres & certains hiéroglyphes ; frais en général,
l’examen des lettres égyptiennes prouve vifibls-
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ment leur origine ; & plus il eft approfondi, plus
il fert à confirmer le fentiment de Warbur-
ton * ' •’/ ■‘".î iu; u‘ ' f'"
« C e n’eft pas feulement à cette efpèce de
lettre que lé principe de cet auteur s’applique.
On doit l’ étendre encore à une forte d’écriture
égyptienne que les monumens nous prefentent,
& dont on trouvera un modèle au n°. IL de la
planche X X V I. C ’eft une infeription publiée affez
peu correCte.ment par M. Rigord, ( mém. de Trévoux
, juin , 1704 ) & par le P. de Montfaucon ,
l'antiq. expl. t. II. pl. L IT . ) & dont je donne une
copie plus exaCte, d’après l’original quej’avois vu
dans le cabinet du préfident de Mazaugues.il s’en
trouve de femblables & en grande quantité fur les
rochers du montSinaï,8i Pocock en a rapporté plus
de quatre-vingt dans la relation de fon voyage; mais
il auroit dû nous avertir que quelques-unes de ces
inferiptions font en arabe, & que d’autres fois
©n voit des mots de cette langue mêlés confu-
fément avec des mots égyptiens. Cependant, quoique
Pocock ait tout copié fans choix 8ç fans dif-
tin&ion , fa copie même prouve le fentiment que
j ’avance. \Jécriture y eft difpofée dans un ordre
naturel ; on u’y voit pas ces efpèces de points,
d’accens & de traits qui font fur n-tre bande de
loile ; en un mot , elle eft affez reffemblante à
celle de l’infcription que je produis ».
« En admettant cette double efpèce de lettre,
on eft d’accord avec les anciens qui reconnoiffent
deux fortes d'écritures égyptiennes, celle qu ils ap-
pelloiént facerdotale, & celle qui étoit connue
fous le nom de vulgaire. La première, confa-
crée à des ufages religieux, & propre à voiler
les myftèues de la théologie, étoit fans doute
très-difficile à lire, 8c c ’eft peut-être celle des
bandelettes des momies ; la fécondé de voit etre
plus fimple & plus familière. C ’eft, à mon avjs,
celle de la plupart des inferiptions du mont Sinaï,
& de l’infcription gravée dans la planche XXVI.
J ’ignore fi ces deux fortes d'écritures ont été formées
l’une de l’autre; mais il me paroît qu’elles
avoient quelques lettres qui leur étoiént communes
; & ce qui eft plus effentiel à i? r , ob jet,
qu’e’les tiroknt également leur origine des hiéroglyphes.
Cette dernière propofition a été prouvée
plus haut par rapport à la première efpèce
de lettres égyptiennes, & elle le fera, je crois,
quant à la fécondé , fi l’on veut faire attention au
ntt. III. de la planche X X V I . , où l’on a repré-
fenté dans une colonne quelques^ lettres égyptiennes,
tirées de l’infcription gravée au n°. I I . , &
dans une colonne relative les hiéroglyphes qui
ont produit ces lettres. Ainfi, fous quelque af-
peCt qu’ on envifageles caractères égyptiens , tout
concourt à prouver qu’ils viennent des hiéroglyphes,
& à donner une forte d’évidence au principe
de Warbuton ».
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Écriture des phéniciens.
( Cet article fe lie immédiatement avec le précédent 3
Cf nous eft fourni par le même favant comte ).
« C e point une fois établi, il faudroit examiner
fi les lettres égyptiennes ont formé les phéniciennes.
Cette question eft d’autant plus difficile à réfoudre,
que les monumens phéniciens font encore
plus rares que ceux des égyptiens. Nous ne con-
noiffons qu’ une de leurs inferiptions, qui n’a pas
même été trouvée en Phénicie. Nous avons quel?
ques médailles frappées à T y r , àSidon , en Si-
cil«, à Carthage , à Malthe, & c . avec des caractères
qui, relativement à ces divers pays,
femblent avoir éprouvé quelqu’ahération. C e pendant
il paroît en général qu’ils ont une très-
grande affinité avec les égyptiens; & j’en donnerai
pour preuve les monumens donc j’ai parlé, &
fur-tout l’infcription de la planche X X V I. L'écriture
reffemble fi fort à la phénicienne, que
Rigord ( mém. de Trévoux , juin 1704. ) n’a pas
craint de lui donner ce nom. Mais le P. de Montfaucon
& le P. Calmet en ont mieux jugé , en la
déclarant égyptienne. En effet, elle eft gravée
au deffous d’un bas-relief égyptien ; & de plus ,
elle ne préfente point de lettre qui »e foit dans
notre bande de toile, & dans les inferiptions du
mont Sinaï. Qu’il me foit donc permis d’avancer
comme un principe prefque démontré, que les
lettres égyptiennes doivent leur origine aux hiéroglyphes,
& comme une très-forte conjecture
qu’elles ont, à leur tour, donné naiflance aux
phéniciennes : les grecques viennent des unes ou
des autres. Les lettres femblent donc avoir paffé
des égyptiens amç phéniciens , aux grecs, aux
latins, & c . »
« Il fuit de l à , que rien ne faciliteroit plus
l’intelligence de Yécriture égyptienne que celle
des caraCtères phéniciens , dont on nous a donné
quelques alphabets, avec lefquels on ne peut rien
expliquer. On fera peut-être plus heureux dans
la fuit e , & j’ ofe le préfager fur deux rai fous
également fortes ; i° . parce que le phénicien ref-
ferobloit extrêmement au famaritaiD , tant par
rapport au fond de la langue , que par rapport
à la forme des lettres ; 2°. parce que fur des
médailles frappées en Phénicie on croit voir le
nom de quelques villes exprimé dans la langue
du pays. Si ces monumens fe multiplient, s*il
s’ en découvre de plufieurs villes différentes qui
donnent lieu à des interprétations également fui-
vies, également certaines, on pourra fe flatter
d’avoir un véritable alphabet phénicien ; & c’eft
alors qu’on devra s’exercer fur Yécriture égyptienne,
dont on voit un fragment au n°. IL de la planche.
Je doute cependant que le fuccès réponde pleinement
aux efforts qu’on fera. Pour retrouver l’alphabet
d’une langue qu’on ne parle plus, il faut