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celui des cors-de-chafle & des trompettes, &
eupholmion une embouchure taire comme un
bocal 3 & à quoi bon cette efpèce d'embouchure,
fi la flûte avoit une anche placée comme celle
de nos hautbois? Ariftote, dans Ton traité de
audibilibus, que nous avons déjà c ité, dit « qu'il
33 efi difficile de jouer de la flûte 9 appellée bom-
33 fy * 3 à caufe de fa longueur, ce qui joint à
« ce nous venons de dire , femble prouver ef-
30 feélivement , que les flûtes les plus grandes
« des anciens avoient un bocal, une anche ren-
33 fermée dans le corps de l’inftrument, & qu’on
» en jouoit fans pnorbéïôn». Cette dernière
chofe eft confirmée par un paffage de Sophocle,
qu’il explique en même-temps; le voici. « Il
33 ne fouffle plus dans de petites flûtes, mais
» dans des foufflets épouvantables ôc fans ban-
» dage (phorbéion ) » . Enfin j je rapporterai encore
ce que dit Félins, en , donnant une étymologie
du mot Unguia ( languette ), lingula per diminu-
tionem lingus dlEla y alias à fimilitudine linguA
exertA ut in calceis infertA, id efi infra 'dentés
coercitA 3 ut in dbiis. ce Languette, diminutif de
» langue, tantôt à caufe de fa relfemblance avec
» une langue expofée ( ou tirée), comme dans
33 les chauffures, tantôt à caule de fa reffem-
33 blance avec une langue cachée, ou retenue
33 delfous lès dents33 5 ce qui ne femble convenir
qii'à une anche cachée dans Tinftrument.
Comme je n'ai nulle envie d'imiter les gens
à fyftême,, qui écartent de la meilleure foi du
monde tout ce qui peut endommager leurs édifices
, je vais rapporter ce que je crois qu’on
peut m'oppofer. raifonnablement, au moins je
rapporterai ce que j'ai trouvé de fufpeét dans le
cours d e ' mon travail. Bartholin, dans le chap.
V . du liv. J. de fon traité de tib. veter. raconte
comme un miracle, d’après le feholiafte de Pin-
dare, que les languettes, glottes, ou anches,
étant tombées dans un combat ou concours de
mufique, le joueur de flûte continua fa pièce avec»
les rofeaux feuls. Cette hilloire peut fournir trois
ôb je étions i° . Si la flû te n’ avoic d’autre principe
de fon que l’anche, comment le muiici.n a-t-il
pu continuer à jouer après que celle - ci étoit
tombée? II eft probable que fa flûte droit en
même - temps à bifeau & à anche, c’eft-à-dire,
que c ’étoit une flûte douce, à laquelle on avoit
adapté une anche. 20. Eft il probable que l’anche
d'un hautbois puiffe tomber fans la volonté de
celui qui tient l ’inftrument ? Et n'eft-il pas plus
naturel de fuppofer que c ’étoit une charlatanerie
du muficien, qui, s’ etant apperçuqu'onpouvoit
jouer de fa flûte fans anche, vouloit s'en' faire
honneur ?' 3 . Enfin , quoi qu’il en foit, puifque
le muficien a pu jouer une fois fans anche, ne
peut-il pas l’avoir fait plufieurs fois, & même
s ’en être fait une coutume , & l’avoir enfeigné
à d'autres? Quant à la première objection, je
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réponds que fi la flûte avoit un autre principe de
fon que l'anche, le feholiafte de Pindare n’auroit
pas rapporté ce fait comme un prodige > de plus*
eft-il vraifemblable que les anciens aient combiné
enfemble le bifeau & Tanche , & qu'aucun
de leurs auteurs ne parle du bifeau, tandis que
tous parlent de Tanche non équivoque ? Quant
à la fécondé objection, je réponds qu’ elle ne
prouve rien autre, linon que \zflûte en queflion
étoit à bocal, & avoit fon anche cachée 5 alors
celle-ci pouvoit très-bien tomber par accident,
& le muficien pouvoit continuer fa p iè te , en
embouchant fa flûte comme un cornet. La troi-
fième objeélion eft certainement la plus forte,
& je n'y peux répondre autre chofe , linon qu’il
riie femble très-peu probable que, fi cette aventure
avoit donné lieu d'inventer une nouvelle
forte de flû te , le feholiafte de Pindare, ni aucun
autre auteur n’en eulfent dit mot 3 ma réponfe
deviendra plus fo r te , fi Ton fait attention que
l’aventure étoit réellement fingulière, & devoit
naturellement intérelfer tous les fpeétateurs.
J'ajouterai de plus que Pollux diftingue fort bien
la flûte de la fyringe, dont le fon a un principe
différent, & qu’ ainli il auroit bien parlé d’une
autre forte de flû te , fi elle avoit exifté. Voye£
P o il. Onom. lib. I . chap. IX .
Ordinairement Ton dérive le nom latin de la
flûte ( tibia ) de tibia , l’os de la jambe , parce
que, dit-on, les premières flûtes étoient faites
d’os , matière peu propre à faire des anches,
d’où Ton conclut qu'elles n’en avoient point. A
cela je réponds : i°. qu’on peut très-bien faire
une anche d’os , en le choiiiffant & l’aminciffant
convenablement 3 Pollux parlant delà trompette,
dit qu’on la faifoit d’airain ou de fer, & fon
anche ( glotta ) d’os , chap. IL liv. I V . Ono-
mafticon. 2°. Bartholin , chap. I I . liv. I . de tib.
veter.- affine qu’ un auteur , nommé Coldingus ,
dopne d’après d’anciens gloffaires une autre
étymologie au mot tibia, & le fait venir de
tybin , c’eft-à-dire, jonc ou rofeau , matière dont
on a fait les premières f lû t e s , fuivant la plus
grande .partie des auteurs; loin donc que tibia
( flûte ) vienne de tibia ( o s de ta jambe ) , c’eft
peut-être ce dernier qui vient de l'autre à caufe
de fa reffemblance.
Remarquons encore, qu’aucune des flûtes qui
fe trouvent dans les -Antiquités romaines, de Boif*
fard , & dans les defîins des peintures antiques
d‘Herculanum , n’ont de bifeau. On voit dans
le Mufeum romanum de la Chauffe j tome I I . une
flûte faite d’os , à ce que prétend l’auteur
comme elle le paroît effectivement ; ce lte flûte,
qui elt auffi dans le liv . V I I I . du tom. I I I . du
fupplément a l'antiquité expliquée de Montfaucon ,
a le bifeau bien marqué. C e dernier, auteur dit
qu’elle a été copiée d’ un bas-relief qui eft à
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Naples , dans le palais du prince Diomède Ca-
raffa. Ce bas-relief, s il exifte tel qu’on le rapporte
, femble renverfer de fonds en comble
mon édifice ; mais je demande à tout leéteur impartial,
fi une feule figure peut détruire le témoignage
unanime de tant d’écrivains, fur-tout lorsqu'on
n’indique pas ds quelle antiquité eft le bas-
relief dont on Ta tiré, & lorfqu’on a des preuves
convaincantes que fbuvent les deffmateurs
copient mal les antiquités. N e fe peut - il pas
meme qu’un auteur voyant un initrument peu
différent des nôtres, mais manquant d’uné partie
effentielle, à fon avis, y ait ajouté cette partie
de fon chef? Cette conjecture paraîtra plus que •
probable à ceux qui connoiffant la fadture des
inftrumens de mufique, auront lu quelque traite
des modernes à ce fujet, ils y auront fans dôute
trouvé , comme moi, une quantité de bévues ,
provenant uniquement du peu de connoiifance
pratique de la mufique. Je terminerai cet article
en tâchant d’éclaircir quelques difficultés qui
regardent les flûtes des anciens.
On voit fur la plus grande partie de ces inftru-
mens de petites éminences folides , les unes de
figure cubique, les autres de figuré cylindrique,
& même terminées par un bouton. Bartholin
( chap. V . liv. I . de tib. veter. ) rapporte que ,
fuivant l’avis de plufieurs auteurs, ces efpèces
de, chevilles tiennent lieu de c le f, & fervent à
fermer les trous latéraux. Je crois la même
chofe; j'ajouterai feulement que , comme les airs
ou nomes de flûte éteient réglés, on bou-
choit avec des chevilles les trous latéraux qui
n’ entroient pour rien dans le nome qu’on alloit
exécuter, parce qu’ il auroit été fort incommode
de tenir un ou deux trous bouchés pendant tout
un air; cette idée fe fonde, i ° . fur ce que les
anciens avoient d’abord une flûte particulière pour
chaque nome , & que Pronome le thébain fut le
premier à faire des flûtes fur lefquelles on pouvoit
exécuter plufieurs nomes, comme le rapporte
Paufanias au liv . I X de. fa defeription de
la Grèce. i ° . Sur ce que les flû tes qui ont plu- j
fieurs de ces chevilles en ont ordinairement deux !
ou trois petites, & trois ou quatre plus grandês,
différence qui me paroît faite exprès pou« que
le muficien ne fe trompât pas, & pour qu’il
débouchât fulement les trous qui appartenoient
au même nome 3 trous qui font indiques par les
chevilles de même figure.
Un tableau qui fé trouve dans le tome I I I .
des peintures antiques d’Herculanum, pag. IOI >
femble nous indiquer en même-tems, & que les
chevilles fervoient cffeéhveïnent à boucher ies
trous latéraux, & que les anciens-commençoient
par enfeigner à leurs élèves à donner d abord^ le
ton fur une f lû te , tous les trous étant bouches ;
puis fur deux ; puis enfin à pofer les doigts fur
les trous après avoir enlevé les chevilles. C e
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même tableau femble encore confirmer que les
flûtes étoient à anches ; car on n’a guère plus de
peine à faire raifonner deux flûtes douces, qu une î
mais il en eft tout autrement de deux hautbois. Le
tableau dont je parle , repréfente Marfyas donnant
leçon à Olympe encore enfant. Le difciple
tient deux fiâtes qui paroiffent égales; celle de
la main gauche il la porte à la bouche , & Mar-
fyas l’aide en lui tenant le bras ; quant a la
flûte d e là main droite, l'enfant paroît vouloir
la porter auffi à la bouche ; mais fon maître 1 en
empêche. Ces deux flûtes ont chacune deux chevillés,
8c point-d’autres trous latéraux.
On trouve encore des fiâtes entourées d anneaux
fut les anciens monumsns , & alors on
- n’y apperçoit point de trous latéraux..: comme
ces flûtes font toutes coniques , il m’étoit venu
dans- l’efprit que ces anneaux couvtoient chacun
fon trou, 8c tenoient par conféquent lieu des
chevilles ; la figure de l’inftrument les obligeant
à fe pofer toujours au même endroit ; mai' en
comparant la diftance deS anneaux à la longueur
de la flû te , & celle ci à la hauteur du muficien.,
il m’à paru que ces anneaux étoient trop écartes
les uns des autres, pour que les doigts d un
homme puffenc couvrit les trous que je fuppo-
fois. deffous , en forte que mon idée.ne me paroît
vraifemblable qu’en fuppofant qu’on ait mal
obfetvé les proportions en copiant les flûtes.
Dans le Mufsum romanum de la Chauffe on
rapporte qu’ on déterra , il y .a plufieurs années-, à Rome , des morceaux de flûte d’ivoire , revetus
dune plaque d’ argent ; cela explique clairement
ce morceau de l’art poétique d .Horace , que
les commentateurs ont tant tourne 8c retourne.
Tipia non ut nunc orichalco vinéta, tub&quc
Æmula, &e.
Car effectivement un hautbois qu’on garniroit
de cuivre, approcheroit beaucoup du fon de la 1 trompette ; il en approcheroit davantage encore
fi on; le doubloit de ce métal.
On eft auffi très-embaraffé du grand nombre
de flûtes des anciens , je crois que cela vient uniquement
de ce qu’on a pris pour des noms, ce
qui n’étoit que des épithètes données par les
auteurs r ainfi, par exemple, on parle d’une/ûcc,
appeilée plagiaule, d’une fécondé., nomméepAo-
tinge, 8c d’une troifième, défignée pat le mot
lotme ; toutes trois ne font qu’une feçfe 8c même
flûte , appellée photinge , furnommée plagiaule
( oblique ) , parce qu’elle fe terminoit par une
corne de veau recourbée, comme nous l’avons
déjà dit; 8c lotine, parce qu’on la faifoit de
bois de lotos ; de même encore on a fait de l’ élé-
j phantine un t flûte particulière, 8t ce u’ eft pro-
1 bablement qu’un épithète donné aux flûtes d'ivoire.
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