
pour ces troupes errantes, que l’attachement à
un chef rebelle ou mécontent, l’amour de la nouveauté
, ou d autres motifs femblables éloignoient
de leur patrie , on lent bien que leur fortie n’étoit
rien moins que publique, & qu’elle avoit plutôt
1 air d une fuite que d’un voyage. Les anciens
nous ont confervé quelques-uns de ces ufages.
'1°. On dreffoit un rôle de tous ceux qui dévorent
former une colonie, & la levée s’en faifoit
a peu-pres comme celle d’une arméej on leur
donnoit un chef, & la patrie de ce chef étoit toujours
la métropole de la ville qu’ils alloient fonder.
C ’eft ainfï que tous les peuples de ITonie,
quoique fortis de différentes parties de la Grècè,
reconnoidoieat les Athéniens pour leurs fondateurs,
( Hê r o c c t . & Thucyd. pajfim. ) parce
que le chef de cette colonie avoit été un des def-
cendans de Codrus. De- là vint qu’ils refusèrent
d ’admettre les Phocéens d’Afîe dans leur affem-
blée générale, à moins qu’ils ne fe choififfent des
chefs dans cette famille.
Quelquefois les habitans de plufïeurs villes différentes,
mais fituées dans la même région , fe
reunifloient enfemble dans une habitation commune
, fans être conduits par aucun chef tiré
d une ville particulière. Alors la métropole de
cette colonie étoit la contrée entière dont ils
ctoient fortis. Tel eft le cas ou fe trouvoit Lacédémone
, fondée par les Dôriens ( Diod. /. //. p. 60.) proprement dits-, c’eft-à-dire , par les peuples
de cette petite province ( Strab. I. rx .p .427 .)
à qui on donnoit le nom de Tétrapole, à caufe
des quatre villes qu’elle renfermoit, & dont trois
fubiîlloiefit.encore au temps de la guerre du Pélo-
ponèfie.
- On faifoit précéder le départ de ceux qui
compofoient la colonie par des facrifîces folem-
nels , pour obtenir la proteérion des- Dieux
( Dionys. Halicar. I. i.p . 13 ) : on confultoit les
-augures & les préfages.
3q. L état leur fourniffoit des armes, des vivres
& toutes les provifîons néceflàires. ( Liban, in
argum. orat. Demofthen. de Cher fontfo
4°. On leur, donnoit au nom de la ré[ ublique
des diplômes ou patentes, revêtues de toutes les
formalités qui rendent un a&e authentique ( Hy-
peryd. apud Harpocrationem) ,, & l’original de ce
décret*étoït gardé dans les archives, fuivant la remarque
de M. de Valois.
50. On nommoit des commiffaires pour régler
le partage des terres ( P lato, de leg. L u . ) entre
les nouveaux habitans, pour donner au gouvernement
une forme convenable , & pour établir
les loix du pays.
6®. Des Miniftres dépofitaires du culte de la
patrie marchoient à la tête avec les images des
-Dieux tutélaires , & le feu facré qu’on droit du
•fan&uaire de la métropole. Cette cérémonie étoit
•fi efîentielle, cm’une colonie formée des habitans
de plufieurs villes, rectmnoiftbk pour fa métropôle
celle qui fourniffoit le feu facré, Sc que le
nom du Prytanée s’emploie indifféremment par
les auteurs pour celui de la ville dont un peuple
eft originaire. C’eft ainfï qu’Hérodote ( Hérod. I.
1• c. 146. ) parlant de la colonie Ionienne , dit
qu’elle étoit compofée de Phocéens, d’Abantes ,
de Pyliens, d’Arcadiens, St de gens fortis du Prytanée
d’Athènes, Tel eft le nom que l’on donnoit
au lieu dans une partie duquel brûloir cette flamme
fi précieufe : fan&uaire infiniment refpe&é ,
que des ténèbres majeftueufes déroboient aux
yeux prophanes , & dont l’intérieur renfermoit,
félon toute apparence, outre le feu facré, les
Dieux.Pénates de l’é ta t, & ces objets inconnus
auxquels la fuperftitieufe antiquité attachoit la
confervation des villes & des empires.
7°. Enfin, dans un certain cas, toutes les cérémonies
ci-deffus*décrites étoient précédées par une
autre affez fingulière, qui avoit lieu lorfque les habitans
étoient trop nombreux pour le territoire
qu’ils occupaient j alors , foit que cet excès vint
de la trop grande multiplication , qu’on regardoit
comme un effet de la faveur des Dieux ( Dionys.
Halicarn. 1 .1. p. 1 3. ) , foit qu’il fut caufé par une
famine, marque certaine de leur colère , on con-
facroit à une divinité particulière autant de per-
fonnes qu’il en naiffoit dans une année , & on les
faifoit partir pour faire la.-conquête d’une nouvelle
patrie , fous les aufpices de ce Dieu , dont
-on croyoit la prote&ion affinée. Ce dernier ufage
avoit lieu chez plufieurs nations, tant grecques
que barbares, fuivant la remarque de Denysd’Ha-
licarnafre.
Il eft important, pour l’étude des Hiftoriens
.Grecs, de connoître les droits que les métropoles
confervoient fur leurs colonies, & le degré de
protection que les métropoles s’obligeoient à
donner à leurs colonies.
i°. Les colonies étoient obligées d’envoyer tous
les ans à leurs métropoles des députés chargés
d’offrir en leurs noms des facrifices aux Dieux de
la patrie, & de leur préfenter les prémices de leurs
fruits. Les villes grecques d’Afie envoyoient les
prémices de leurs moiffons à Athènes ( Ifocr.
panegyr. & Ariftid. in eleus. ') , comme a la ville
de qui elles tenoient à-la-fois & îeur^ origine &
les grains. 2°. Si le feu facré venoit à s’ éteindre
malgré les foins affidus de ceux qui veilloient a f i
confervation, les colonies ne poûvoient le rallumer
que dans le Prytanée de leurs fondateurs.
( Etymolôg. ) 30. Les colonies étoient obligées de
tirer leurs prêtres du fein de la métropole ( Scho-
liaft. Thucyd. ad l. 1. c. 25. ) 11 ne faut pas entendre
ceci d’une manière trop générale. Les miniftres
particuliers de cette foule de divinités fn-
balternesqui peuploient les villes, tnétoient pas
fans doute compris dans la loi. I f ne s’agifîbit que
des pontifes du Dieu tutélaire, de celui dont le
culte tenait le premier rang. 4°. Dans la diftr.bu-
tioi) des v ic tim e s , ©n commençoit'par les citoyens
de la métropole, s’il s’en trouvoit quelqu’ un pré-
fent. Les Corinthiens fe plaignent dans Thucydide
C /. /. c. 25. ) de ce que les Corcyreens ne
leur ont jamais rendu ce devoir, y9. Les premières
places dans les foîemnites publiques, dans
les jeux, dans les affemblées, appartenoient suffi
■ aux citoyens de la métropole. 6°. C’étoit 1 ufage
des colonies d’orner les temples de leur ancienne
•patrie, de préfens eonfidérables, de dépouilles
d’ennemis, de trophées, de ftatues & d autres
embelliffemens. Les auteurs Grecs en fournirent
plufieurs exemples, & Paufanias en particulier.
( 1. c. j8 . ) y0. La plupart des villes grecques
payoient tous les ans à celle d’Athènes quelques
mefures d’huile , comme un aveu de l’obligation
qu’ elles lui avoient de l’olivier. 8Q. Les citoyens
des métropoles avoient le droit de faire des alliances
dans les colonies , & d’y contracter des mariages,
de manière que leurs enfans étoient citoyens
en naiffant. 90. Ils avoient auffi le droit
d’acheter des terres ou d’autres, biens dans le territoire
des colonies. io ° . Ils y jouiffoient dans
toute fon. étendue du droit d’hofpitaüté, qui étoit
réciproque entre la métropole & les colonies.
i i °. Les métropoles avoient le droit de donner
• des Légülateiirs à leurs colonies , foit pour y éta- ‘
blir la forme de leur gouvernement, foit pour l’y
frire revivre , lorfque des difeordes inteftines ou
des guerres étrangères l’avoient renverfée ( Plutar.
in Dione.j n a. Elles avoient auffi , félon toute
apparence , le droit de faire paffer dans leurs colonies
de nouveaux habitans,que lesanciens étoient
obligés d’admettre à la participation de leurs biens
.( Liban, in arg. orat. de Cherfon. 8c Herodot. v i. c.
33. 4. ) 130. Les colonies étoient obligées, toutes
les fois qu’elles vouloient faire quelqu’établiffe-
ment, de demander un chef à leurs métropoles :
ufage très-ancien chez les Grecs, fuivant la remarque
de Thucydide ( 1. c. 32. ) 140. Spanheim
met encore au nombre des devoirs d’une colonie,
celui de tirer fes.généraux du fein de fa métropole.
( Diod. x x .p . 828. ) 1 y°. Enfin, le plus important
de tous les droits des villes Grecques fur
.celles qui leur dévoient la naiffance, c’eft, fans
^contredit, celui quelles avoient d’exiger d’elles
dans toutes fortes d’occafions des fecours proportionnés
à leurs forces. Au moindre fignal les colonies
étoient obligées de joindre leurs troupes à
celles des métropoles 5 d’ouvrir leurs ports , leur
-territoire aux flottes, aux armées ae ces dernières,
d’en recevoir même les habitans lorfqu’ils
-avoient befoin d’un afyle; & dans ce cas, non-
-ftulement de partager leursterres avec eux (Thucyd.
/. u l . c. 34. ) a mais de leur céder encore la principale
autorité. 11 fuffit de parcourir l’antiquité
Grecque pour en trouver des exemples nombreux.
Le nombre des privilèges généraux attribués
aux métropoles, relativement à leurs colonies,
s’étoit accru de quelques .privilèges partieUrliers,
dont il feroit trop long de1 faire ^mention.
On doit conclure de tout ce qui précède, qu’il
y avoit entre les métropoles & les villes qu?elles
avoient fondées, une alliance naturelle qui lub-
fiftoit réellement fans avoir befoin d’être marquée
par aucun trait pofitif. Cette union étoit fi forte ,
qu’elle paffoit par-defFus tous les traites faits avec
des étrangers'. Dès qu’une métropole étoit en
guerre avec quelque peuple allié de fa colonie,
cette alliance difparoifïoit auffitôt. La fidélité inviolable
que les filles dévoient à leurs mères, les
obligeoit d’y renoncer , quelque avantageuse
qu’elle leur fu t, & malgré le danger qu’il y avoit
fouvent à la rompre.
C’étoit un principe univerfellement reçu chez
les Grecs $ & Thémiftocle voulant détacher les
Ioniens du parti de Xercès, à qui ils avoient fourni
cent -vaiffeaux , ne manqua pas de leur^ mettre
devant les yeux un tel m o tif, comme fupérieur à
toutes les raifons qui avoient pu les déterminer à
fuivre ce Prince. ( Hérodot. I. vm . c. 22. )
Si la qualité de métropole donnoit tant de privilèges
honorifiques, tant de droits utiles, elle
impofoit auffi des devoirs réels, indifpenfables,
auxquels l’honneur des métropoles étoit engagé ;
devoirs d’une efpèce précifément la même que
ceux dont la nature charge les pères envers les
enfans. Le droit quelles avoient pour la plupart
de donner des M agi fixais, des Généraux, des Lé-
gîfîateurs à leurs colonies3 en montrant leur fupé-
riorité , marquoit en. même temps 1e foin qu’elles
en prenoient. Elles étoient obligées de leur fervir
en quelque forte de tutrices, de les foutenir, de
les protéger, de partager leurs difgrâces, de leur
donner toutes fortes de fecours dans la guerre,
de veiller en toute occafion à leurs intérêts $ &
ce n’eft qu’à ce prix que les colonies leur dévoient
& leurs hommages & leur obéiffance. Les enga-
gemens avoient des deux côtés la même force , &
la négligence des unes à les remplir, mettoient
les autres en droit de les rompre ( Thucyd. I. 1.
c. 34. ) « Que les Corinthiens apprennent, clifent
H ceux de Corcyre, qu’une colonie n’eft obligée
»3 de refpeéler & d’honorer fa métropole qu’au-
» tant qu’elle en reçoit des bienfaits : « principe
général dont la vérité eft évidente, quoique l’application
particulière que les Cocyréeris s’en fai-
| foient, ne fût pas jufte.
Il paroît, par un fait très remarquable, & peut-
être même l’unique de ce genre dont nous ayons
connoiffance, qu’une colonie abandonnée par fa
métropole pouvoit alors en fecouer le joug, Sc
s’adreffer 'à fon aïeule, c’eft-à-dirc , à la ville qui*
avok fondé celle à qui elle devoit la naiffance 5
auquel cas celle-ci acquéroit fur le champ les
droits de métropole immédiate, qui avoient juf-
qu’à ce moment appartenus à l’autre. Ce trait fe
lit dans. Thucydide, qui le rapporte comme la
fource apparente de la guerre du Péloponèfe.
Tant que les villes mères jiiftifioient par leur