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tables & relie conllamment couché jufqu’à ce
qu’on ait allégé fa charge. Ordinairement les grands
chameaux portent un millier &. même douze cents
pelant, les plus petits fix à fept cents.
Dans ces voyages de commerce on ne précipite
pas leur marche ; on règle leurs journées ; ils ne
vont que le pas, & ne font chaque jour que dix
à douze lieues ; tous les foirs on leur ôte leur
charge , on les lailfe paître en liberté. Si l’on
ell -en pays vert , dans une bonne prairie , ils
prennent en moins d’une heure tout ce qu’il leur
faut pour en vivre vingt-quatre, & pour ruminer
pendant toute la nuit; mais ils trouvent rarement
de ces bons pâturages, & cette nourriture ne leur
eft pas nécellaire ,-ils femblent même préférer aux
herbes les plus douces, l’abfynthe , le chardon,
l’ortie , le genêt, la caffie, & les autres végétaux
épineux ; tant qu’ils trouvent des plantes à brouter,
ils fe parient très-aifément de boire.
Rien de plus admirable que leur docilité. Au
premier figne ils plient les genoux & s’accrou-
piffent jufqu à terre pour fe laiffer charger dans
cette fituation ; dès qu’ils font chargés , ils fe relèvent
d’eux-mêmes fans être aidés ni foutenus ;
ils fuivent exaélement leur conducteur ; on n’a
befoin ni de fouet ni d’éperon pour les exciter :
mais lorlqu’ils commencent à être^ fatigués, on
foutient leur courage , ou plutôt on charme leur
ennui par le chant ou par le fon de quelque
infrrument. Leurs conduCteurs fe relayent à chanter,
6 lorfqu’ils veulent prolonger la route & doubler
la journée , ils ne leur donnent qu’une heure de
repos , après quoi reprenant leur chanfon , ils les
remettent en marche pour plufieurs heures de
plus, & le chant ne finit que quand il faut
s’arrêter ; alors les chameaux s’accroupiffent de
nouveau & fe lailfent tomber avec leur charge ;
on leur -ôte le fardeau en dénouant les cordes & Ïaiffant couler les ballots des deux côtés , ils
relient ainfi accroupis * couchés fur le ventre , &
sendorment au milieu de leur bagage qu’on rattache
le lendemain ’ avec autant de promptitude &
4e facilité qu’on l’avoit détaché la veille.
Ces animaux fi doux, fi patiens, fi dociles a
Javoix de l’homme , deviennent intraitables &
.prefque furieux dans le temps du rut qui dure
40 jours &. qui arrive tous les ans au printemps ;
on allure qu’alors ils écument continuellement,
& qu’il leur fort de la gueule une ou deux
veffies rouges de la groffeur d’une velfie de cochon.
Dans ce temps ils mangent très-peu , ils attaquent
& mordent les animaux ., les hommes & même
four maître : on ell fouvent obligé de les emmu-
;feler pour fe garantir de leur fureur.
Les Anciens ont dit que ces animaux font
en état d’engendrer à l’âge de trois ans , ce qui
paroît douteux, ; car à cet âge ils n’ont pas
encore pris la moitié de leur accroiflement ; la
femelle porte près d’un an 9 & ne produit qu’un
petit : fon lait ell abondant, épais, & fait une
bonne nourriture , même pour les hommes, en
le mêlant avec une plus gi ande quantité d’eau. Le
petit chameau tête fa mère pendant un an, 8c
lorfqu’on veut le ménager & le rendre plus fort,
on le lailfe têter & paître en liberté , 8c on ne
commence à le faire travailler qu’à l’âge de quatre
ans. On ne lailfe qu’un ' mâle pour huit ou dix
femelles, & tous les chameaux dè travail font
ordinairement hongres ; ils font moins forts , mais
ils font plus traitables 8c fervent en tout temps.
On loumet aulfi les femelles à la callration,
lorfqu’on veut les faire travailler , & l’on prétend
que cette opération ne fait qu’augmenter leur
embonpoint.
La durée ordinaire de la vie de ces animaux ell
de quarante à cinquante ans. Tous les ans au
printemps, le poil tombe au chameau, & il relie
tellement nud qu’on ell obligé de lui goudronner
la peau pour le garantir de la piquûre des mouches^
Sous quelque point de vue qu’on confidère le
chameau , on ne peut s’empêcher de le recônnoître
pour la plus utile 8c la plus précieufe de toutes
les créatures fubordonnées à l’homme ; il vaut
mieux que l’éléphant, car il travaille, pour ainfi
dire, autant, & dépente peut-être vingt fois moins.
Il a en partage la force, la vigueur, la vîtelfe ,
la patience, la docilité , la febriété , toutes les
qualités qui fe trouvent éparfes dans le cheval,
le boeuf Ôc l’âne , & vaut par conféquent autant
que ces trois réunis.
Le chameau paroît être originaire d’Arabie , car
c’eft non feulement le pays où il fe trouve en
plus grand nombre , mais c’eft aulfi celui auquel
il ell plus approprié. Dans les fables brûhns du
défert,' le chameau e l l , pour ainfi dire , le feul
être qui puilfe fubfifter & lutter contre l’horrible
tourment de la faim & de la foif. Il a les pieds
faits pour marcher dans les fables , 8c ne peut au
contraire fe foutenir dans les terreins humides 8c
glilfans. Mais , quoique naturel aux pays chauds,
cet animal craint cependant les climats où la
chaleur ell exceffive : fon efpèce ne peut fubfifter
ni dans la zone torride , ni dans les climats
doux de la zone tempérée. Elle paroît être con*
finée dans une zone de trois ou quatre cents
lieues de largeur qui s’étend depuis la Mauritanie
jufqu’à la Chine. On a inutilement effayé
de multiplier les chameaux en Efpagne, on les a
vainement tranfportés en Amérique , ils n’ont
réuffi ni dans l’un ni dans l’autre climat, & dans
les grandes Indes , on n’en trouve guère au-delà
de Surate & d’Ormus.
Ce n’eft pas qu’abfolument parlant ils ne puiffent
fubfifter 8c même produire dans ces contrées, 8c
même dans des climats plus froids , comme en
France , en Allemagne , &c. En les tenant l’hiver
dans des écuries chaudes, en les nourriffant avec
choix, les traitant avec foin , ne les faifant pas travailler
, 8c ne les Ïaiffant fortir que pour fe promener
dans les beaux jours, on peut les faire vivre &
même
friême efpêrer de les voir produire ; mais leurs produirions
font chétives & rares ; eux-mêmes font
foibles 8c languiffans ; ils perdent donc toute leur
valeur dans cés climats, 8c au lieu d’être utiles ,
ils font très à charge à ceux qui les élèvent, tandis
que dans leur pays natal ils font toute la richeffe
de leurs maîtres. Qu’on fe figure un pays fans verdure
& fans eau , un foleil brûlant, un ciel toujours
fec, des plaines fablonneufes, des montagnes
encore plus arides , fur lefquelles. l’oeil s’étend 8c
le regard fe perd, fans pouvoir s’arrêter fur aucun
objet vivant ; une terre morte , & , pour ainfi
dire , écorchée par les vents , laquelle ne préfente
que des offemens , des cailloux jonchés , des rochers
debout ou renverfés, un défert entièrement
découvert, où le voyageur n’a jamais refpiré fous
l’ombrage , où rien ne l’accompagne , rien ne lui
rappelle- la nature vivante : folitude abfolue mille
fois plus affreufe que celle des forêts ; car les arbres
font encore des êtres pour l’homme qui fe voit
feuL: plus ifolé , plus dénué , plus perdu dans ces
lieux vides & fans bornes; il voit par-tout l’efpace
comme fon tombeau : la lumière du jour , plus
trifte que l’ombre de; la nuit, lie renaît que pour
éclairer fa nudité , fon impuiffance, & pour , lui
présenter l’horrèur de fa fituatiom, en reculant à
les yeux les barrières du vide, en étendant autour
de lui l’abyme de l’immenfité qui le fépare de la
terre habitée", immenfité qu’il tenteroit en vain de
parcourir-; car la faim, la foif, & la chaleur brûlante
preffent tous les inftans' qui lui relient entre
lë défefpoir 8c la mort.
Cependant l’Arabe,, à l’aide du chameau , a fu
franchir. & même s’approprier ces lacunes de ■ la
nature; elles lui fervent. d’alyle, elles affurent
fon repos , 8c le maintiennent dans fon indépendance
; ajulfi les Arabes regardent-ils le chameau
comme un préfent du ciel, un animal facré, fans
le fecours duquel ils. ne pourroient ni fubfifter , ni
commercer , ni voyager. Le lait des chameaux fait
leur nourriture ordinaire ; ils en mangent aulfi la
chair, fur-tout celle des jeunes, qui eft très-bonne
•à leur goût. Le poil de ces animaux, qui eft fin
8c moelleux-, leur fert à faire les étoffes dont ils
fie vérifient 8c fe meublent ; en Europe , on l’emploie
, mêlé avec le caftof , à la fabrique des chapeaux.
Il n’y a pas jufqu’à leurs exçrémens dont
on ne tire des chofes utiles ; car le fel ammoniac
fefait de leur urine , & leur fiënte defféchée leur
. fert de litière , aulfi bien qu’aux .chevaux avec
Jefquéls. ils voyagent ; l’on fait des mottes de
cette même fiente , qui brûlent aifément, & font
une flamme aulfi claire 8c prelque aulfi vive ,que
celle du bois fec.
Le dromadaire n’eft point une efpèce particulière
8c différente de celle du chameau ; ce n’eft
qu’une variété confiante de la même .efpèee , une
race qui ne diffère de l’autre que. par-ce qu’elle eft
.plus petite, moins forte , 8c ri’a qu’une boffe en
forme de petite montagne fur le dos , tandis que
jïijloire Naturelle. Tojn. l„ .
le chameau en a deux en forme de M e ; mais
ces deux races produifent enfemble ; 8çles individus
qui proviennent de cette race çroifee , font
ceux qui ont le plus de vigueur, 8c qu’on profère
à tous les autres.
Le chameau à deux boffes , autrement le chameau
turc , ou chameau proprement dit , ne fe
trouve guère que dans le Turqueftan SL dans
quelques autres endroits du Levant ; mais le dromadaire
ou chameau d’Arabie fe -trouve en grande
quantité , en Arabie , dans toute la partie fepten-
trionale de, l’Afrique jufqu’au fleuve Niger , en
Egypte , en Perte , dans la Tartane méridionale ,
& dans les parties feptentrionales de 1 Inde. _
Pour terminer l’hiftoire du chameau 3 nous ajouterons
ici (ce que, les relations de plufieurs voyageurs
nous apprennent en détail du naturel , de
l’éducation , du traitement 8c de 1 utilite. de ce
précieux animal. . - :
« Les Perfans , dit Olearius , ont plufieurs
elpèces de chameaux ; ils appellent ceux qui^ont
deux boffes bughur , 8c ceux qui n’en ont qu une
fehuttur. De ces derniers, il .y en a de quatre
fortes ; favoir , ceux qu’ils appellent par excellence
7zer, c’êft-à-dire mâle , qui s’engendrent d'un
dromadaire ou d’un chameau à deux boffes , Sc
d’une femelle à une boffe , que l’on appelle maje ;
8c ceux-ci ne fe font point couvrir par q autres.
Ce font- là les meilleurs &• les^ plus eftimés de
tous, les chameaux j il y en a qui fe vendenVcent
écus la pièce. Ils portent jufqu’à neuf ou dix quintaux
de charge, & font comme infatigables. Quand
ils font 'en chaleur, ils mangent peu , ecument
par la bouche, font colères &, mordent ; de forte
que pour les empêcher d’offenfer ceux qui les
gouvernent, on leur met des mufolieres que les.
Pertes nomment agrah. Les chameaux qui viennent
de ceux-ci, dégénèrent fort, 8çfoni Vaches & pa-
reffeux; les Turcs les appellent jurdakaidem ,• ils ne
te vendent que 30 ou 40 écus ».
« La troifième efpèce , continue Olearius ,. .eft
celle qu’ils appellent lokk ,• mais ils ne font pas
fi bons que .les bughur , aulfi n’écument-ils point
comme les'tiers, quand ils font en chaleur ; mais alors
il leur pouffe de deffous la gorge une velue rouge
qu’ils retirent, avec l’haleine ; ils dreffent la tête , &
ronflent fouvent. On les vend fioixante ecus ; il
s’en faut beaucoup qu’ils fioient aulfi forts que les
autres ; c’eft pourquoi quand les Pertes veulent
parler d’un homme vaillant & courageux , ils
difent que c’eft un ner ; & pour lignifier un lâche
un poltron, ils l’appellent lokk ».
u -Ils nomment la quatrième efpecé fehutturi
baad, & les Turcs jeldovefi, c’eft-à-dire chameaux de
vent ; ils font plus petits , mais plus éveillés que
les autres ; c^r, au lieu que les chameaux ordinaires
ne vont que le pas, ceux-ci yont le trot,
&. galoppent aulfi bien que les cheyaux ».
«.C’eft une grande commodité que les chameaux
pour la charge du bagage ôc des m.archandifes