
Les émigrations font en général un mouvement
qui porte les oifeaux fujets à cette
forte de changement , en automne, du
nord au midi, & au printemps , du midi
au nord. Cette première obfervation femble
indiquer qu’ils craignent le froid à l’approche
de l’h iv e r , & la chaleur au retour
du printemps ; mais li l’on fait attention à
4a nourriture dont ils v iv en t, aux befoins
de leurs petits , on fera, je crois , convaincu
que c’eft moins la température qui
détermine beaucoup d’efpèces .à changer
de lieu à l’automne, que la difette des
alimens & au printemps les befoins de leurs
petits, dont l’inftinâ, infpiré par la nature,
leur fait prévoir la naiffancë. Cette prévoyance
eft fans doute très-étonnante pour
nous, dans des êtres atifîi peu fufceptibles
de réflexion que le paroiffent être les oifeaux
; elle l’eft fur - tout dans les jeunes
qui fe difpofent à un aâe dont ils n’ont
pas encore d’expérience. Aufli n’éft - ce ni
par l’effet du raifonnement, ni par celui
delà mémoire, que les oifeaux prévoient
qu’ils feront bien-tôt pères, mais par la
fuite de quelques loix de la nature que
nous ne connoiffons pas & dont les faits
nous prouvent cependant l ’exiftence. C ’efl
l’effet de ces loix inconnues jufqu’à préfent
qu’on a indiqué par le mot d’inftinâ.
Voyons comment il eft au printemps la
caufe des voyages que les oifeaux entreprennent
, comme ils dépendent à l’automne
de la difette des alimens.
Un grand nombre d?oifeaux de partage
fe nourriffeijt d’infeâ es, de vers , de reptiles
; plufieurs de baies, de fruits ; d’autres
de certaines femences ou de grains pour
lefqiiels ils ont un goût de préférence. Les
derniers peuvent, à la v é r ité , vivre de
différentes fortes de grains, & même fe
paffer de ceux pour lefquels ils ont un
appétit de prédilection ; mais ce font ceux-
là qu’ils cherchent dans l ’état de liberté &
le defir réurii à la facilité de fatisfaire leur
g o û t , peut fuffire pour les déterminer à
quitter un lieu oit ils ne trouvent plus
l ’aliment qui leur plaît pour le chercher
dans un autre où il eft abondant. Ceux
qui vivent de fruits, d’infectes, font plus
contraints dans leur changement de féjour.
C ’eft pour eux un acte forcé au lieu d’être
volontaire, comme pour les premiers. Aufli
v o it-on quelques-uns de ces derniers demeurer
tous les ans dans le pays , que ceux
de leur efpèce ont quitté, tandis qu’il ne
refte aucun des individus qui ne vivent
que de baies , de fruits ou d’infeâes. On
trouve quelquefois, l’hiver , dans nos campagnes
, des cailles qui n’ont pas fuivi leur
efpèce à fon départ ; mais perfonne n’a
jamais dit avoir rencontré pendant la faifon
froide un lo r io t, une huppe, une hirondelle
, ou fi l’on a quelquefois obfervé de
ces oifeaux en hiver, on s’eft apperçu qu’ils
ont péri peu après leur apparition.
A mefure que les grains, pour lefquels
les oifeaux ont un goût de prédilection,
mûriffent & fe partent en avançant du midi
au nord, foit que l’homme les ait récoltés
& ferrés , foit que la nature les ait répandus
fur la terre, dans le fein de laquelle
ils ont germé ; les oifeaux, dont ils excitent
' l’appétit, en fuivent la maturité de contrées
en contrées, félon qu’elle a lieu. C ’eft ainft
qu’à là Caroline, au rapport dë Catesbi,
les oifeaux auxquels il donne le nom de
moineaux de ri{ , fe raffemblent dans les
premiers endroits oû cette femence mûrit,
& partent fucceflivement dans les pays plus
froids où elleparvientplus tard en maturité.
Les perroquets qui ont un goût particulier
pour les femences de certains arbres ou
: arbuftes ,-lorfque ces femences font en maturité
, fe raffemblent en troupes à la
Guiane , dans les lieux oit elles font abondantes
5 ils quittent ces ftations quand les
femences commencent à s’épuifer , pour
en aller établir de nouvelles dans des endroits
où les appelle la maturité d’autres
femences qui font aufli de leur goût. Ces
voyages courts & bornés ne méritent pas ’
le nom d'émigrations, mais ils prouvent que
le goût pour certaines femences par préférence
à' d’autres , peut déterminer les
oifeaux à paffer d’un lieu à un autre. A
plus forte raifon, fi la vie dépend dé la
rencontre de quelques efpèces de grains
en particulier, les oifeaux pafferont fuc- '
cefliyement dans le pays où ils les trouveront.
Cette lo i , impofée par le befoin,
eft fur - tout fenfible par rapport aux
efpèces qui vivent de fruits ou d’infeâes.
Ces deux fortes d’alimens manquant chaque
année fous les zones tempérées & froides
pendant une faifon dans certaines régions,
tandis qu’on peut les retrouver dans dîau-
tres ; cette viciflitude rend les émigrations
indilpenfables. Entrons dans le detail des
faits qui viennent à l’appui de cette théorie.
La bergeronette , la lavandière , les
traquets , le roflignol, les fauvettes , le
gobe - mouche , & c ., qui ne vivent que
d’infeâes , arrivent dans nos climats au
printemps , & dilparoifl'ent au commen-,
cernent de l’automne , lorfque le froid
commence à rendre les infeâes’ rares dans
nos campagnes ; mais comme il ne fufpend
pas leurs générations aufli promptement
dans les provinces méridionales , les
oifeaux que j’ai nommés & ceux qui ont
de la conformité avec eux par la manière
dé vivre , prennent vers ces provinces la
route qui leur eft tracée par la rencontre
des infeâes ; èn même-temps, le rouge-
gorge , le poul ou fo u c i, &c. chaffés pàr la
difette des contrées plus froides où ils
ont paffé l’é té , entrent par l’extrémité
ôppofée dans nos provinces où le manque
de vivres n’eft pas encore abfolu , les
traverfent promptement, & dirigés, comme
les premiers oifeaux dont j ’ai parlé , par
la rencontre des infeâes , ils rejoignent
ces oifeaux dans les provinces méridionales
de l’Europe , d’où ils partent tous
enfemble dans celles qui font le plus au midi,
où il y a des infeâes en tout temps , & où
ils demeurent pendant l’hiver. La route
que ces oifeaux fuivent à leur départ eft
donc connue ; la raifon de leur ablence eft
fenfible. Mais on ne revoit pas au printemps
le rouge - gorge & les oifeaux qui
ont en automne traverfé nos provinces,
y repaffer au printemps pour retourner à
leur ftation d’été ; le motif de leur départ
des lieux où ils ont hiverné, ainfi que
celui de la bergeronette & des oifeaux ,
q u i, comme e lle, reviennent au printemps
habiter nos campagnes, eft très-difficile à
pénétrer. On peut préfumer qu’il eft fondé
fur la pré voyance d’une chaleur trop forte,
le befôin d’une température moins chaude
pour les efpèces qui font venues des pays
plus au nord, & dont il ne demeure pas
d’individus dans les pays chauds : peut-
être aufli la féchereffe des contrées méridionales
, durant l’été, ne convient-elle pas
à’ la conftitution de ces efpèces ; il fiiffit
qu’il n’en demeure pas pour qu’on foit
affuré que quelque commodité ou quelque
befoin leur manqueroient : mais qui peut
rappeller dans nos provinces, au printemps,
les efpèces dont tous les individus fe font
réfugiées en automne dans les contrées
méridionales , dont une partie y reftè
quand l’autre les quitte & y demeure en
fout temps ? Quel peut être le motif
de les abandonner au moment où les vivres
vont devenir plus abondans, quand ceux
qui y demeurent y élèvent leurs petits aufli
heureufement que ceux qui s’en éloignent
le font ailleurs ? Seroit - ce que les individus
feroient trop preffés, que les petits
qui vont naître occafionneroient une trop
grande confommation ? Ou la nature, qui
fe plaît à étendre fes produâioiis par-tout
où elles peuvent profpérer, lorfqu’elle fait
renaître , dans les contrées que les oifeaux
ont quittées, les circonftances convenables
à leur conftitution , profiteroit - elle pour
les y rappeller de cette légéreté qui eft le
fond du caraâère des oifeaux ? Une partie
de ceux qui s’étoient réfugié par néceflité
dans les pays méridionaux en automne,
repafferoit-elle dans nos provinces au printemps
, par l’inconftance, par l’attrait qu’elle
trouveroit à changer de place, à jouir de
nouveaux objets, quand rien ne s’y oppofe?
Après ce coup d’oeil fur les efpèces dont
les courfes font bornées & connues , occupons
nous de celles qui paroiffent entreprendre
de longs voyages , dont nous ignorons
les retraites pendant leur abfence, ou
nous les foupçonnons fans en être affez certains
, foit que l’arrivée de ces efpèces ait lieu
au printemps & leur départ à l ’automne, foit
qu’au contraire elles cherchent notre climat
à l’approche de l’hiver, & le quittent lorl-
que le froid ceffe de fe faire fentir.
Le loriot qui v it d’infeâes au défaut