
thème, qui eft plus petite que les autres ÿ auxquelles
on a donné le nom dë tigres , il fe trouve
encore en Amérique un animai qu’on peut leur
comparer 6c qui me paroît avoir été mieux dénommé
; c’eft le chat-pard, qui tient du chat &
de la panthère, & qu’il eft | en effet , plus aifé
d’indiquer par cette dénomination composée que
par fon nom Mexicain., tlacloofclotl ; il eft plus
petit que le jaguar, le jaguarète 6c le couguar ;
mais en même-temps il eft plus grand qu’un chat
fauvage , auquel il reflemble par la figure : il a
feulement la queue beaucoup plus courte & la
robe iemée de taches noires, longues fur le dos
& arrondies fur le ventre. Le jaguar , le jaguarète,
le couguar & le chat-pard font donc les animaux
d’Amérique auxquels on a mal-à-propos donné
le nom de tigres , & l’on peut afiurer que le vrai
tigre , ainfi que le lion & la panthère , ne fe font
pas plus trouvés en Amérique que l’éléphant, le
rhinocéros , l’hippopotame, la giraffe 6c le chameau.
Toutes ces efpèces ayant befoin d’un climat chaud
pour fe propager, & n’ayant jamais habité dans
les terres du Nord, n’ont pu communiquer ni parvenir
en Amérique. Ce fait général eft trop important
pour ne le pas appuyer de toutes les
preuves qui peuvent achever de le conftater : continuons
donc l’énumération comparée, des animaux
de 'fancien continent avec ceux du nouveau.
Perfonne n’ignore que les chevaux, non-feulement
causèrent de la furprife , mais même donnèrent
de la frayeur aux Américains , lorfqu’ils
virent pour la première fois ces animaux. Ils ont
bien réufli dans prefque tous les climats de ce
nouveau continent, & ils y font actuellement
prefqu’aufti commun que dans l’ancieij.
Il en eft de même des -, ânes , qui étoient également
inconnus & qui ont également réufîï dans
les climats chauds de ce nouveau continent ; ils
ont même produit des mulets qui font plus utiles
que les lamas , pour porter des fardeaux dans
les parties montagneufes du Chili ., du Pérou , de
la Nouvelle-Efpagne.
Le zèbre eft encore un animal de l’ancien contin
e n t , & qui n’a peut-être jamais été tranfporté
’ni vu dans le nouveau ; il paroît affe&er un climat
particulier, & ne fe trouve guère que dans
cette partie de l’Afrique, qui s’étend depuis l’é-.
quateur jufqu’au Cap de Bonne-Efpérance.
Le boeuf ne s’eft trouvé ni dans les ifles ,, ni
dans la terre-ferme de l’Amérique méridionale.
Peu de temps après la découverte de ces nouvelles
terres , les Efpagnols y tranfportèrent d’Europe
des taureaux & des vaches. En 1550, on
Jaboura pour la première fois la terre avec des
Boeufs dans la vallée de Cufco. Ces animaux multiplièrent
prodigieufement dans"ce continent, auflï-
bien que dans les ifles de Saint-Domingue , de
Cuba, de Barlovento ^ &c. ils devinrent, même
fanvages en plufieurs endroits.
Mais l’efpèce de boeuf qui s’eft trouvée au
Mexique , à la Louifiane , 6c que nous avons
appellé boeuf fauvage ou bifon , n’eft point iffue
de nos boeufs ; le bifon exiftoit en Amérique
avant qu’on y eût tranfporté le boeuf d’Europe ,
& il diffère de celui-ci en bien.des points : il
porte une boffe entre les épaules ; fon poil eft
plus doux que la laine , plus long fur le devant
du corps que fur le derrière, 6c crêpé fur le cou
& le long de l’épine du dos ; la couleur en eft:
brune , obfcurément marquée de quelques taches
blanchâtres. Le bifon a de plus les jambes courtes ;
elles font, comme la tête & la gorge , couvertes
d un long poil ; le mâle a la queue longue, avec
une houpe de poil au bout, comme on le voit
à la queue du lion.
Neanmoins, on pourroit imaginer, avec quelque
forte de vraisemblance, ( fur-tout fi le bifon
d Amérique produifoit avec nos vaches d’Europe
que notre boeuf auroit autrefois paffé par les
terres du Nord contiguës à celles de l’Amérique
feptentrionale , & qu’enfuite ayant defcendu dans
les régions' tempérées de ce nouveau monde , il
auroit pris avec le temps les impreflions du climat ,
& de boeuf feroit devenu bifon. Mais jufqu’à ce
que le fait effentiel , ç’eft-à-dire , la faculté de
produire enfemble , ne foit connu , nous nous
croyons en droit de dire que notre boeuf eft un
animal appartenant à l’ancien continent, & qui
n’exifloit pas dans le nouveau avant , d’y avoir
été tranfporté ; ce qui, en attendant, eft exaéfe-
ment vrai pour toute l’Amérique méridionale*
II y avoit encore moins de brebis que dé boeufs
en Amérique. Elles y ont été tranfportées d’Europe
, & elles ont réufli dans tous les climats
chauds & tempérés, de ce nouveau continent ;
mais ^quoiqu’elles y foient allez prolifiques, elles
y font communément plus maigres, 6c les moutons
ont en général la chair moins fucculente &
moins tendre qu’en Europe : k climat du Bréfil
eft apparemment celui qui leur convient le mieux
car c’eft le feul du nouveau monde où ils deviennent
exceflivement gras. L’on a tranfporté à
la Jamaïque , non-feulement des brebis d’Europe,
mais aufil des moutons de Guinée, qui. y ont
également réufli : ces deux efpèces , ou , pour
mieux dire , ces deux races de brebis appartiennent
également 6c uniquement à l’ancien continent.
y U; en eft des chèvres comme des brebis ; elles
n’exiftoicnt point' en Amérique , & celles qu’on
y trouve aujourd’hui , & qui y font en grand
nombre, viennent toutes des chèvres qui y ont été
tranfportées d’Europe. Elles ne fe font pas autant
multipliées au Bréfil que les brebis ; dans les premiers
temps , lorfque les Efpagnols les tranfportèrent
au Pérou , elles- y furent d’abord fi rares , qu’elles s’y vendoient jufqu’à cent dix ducats
pièce ; mais elles s’y multiplièrent enfuite fi prodigieufement
, qu’elles fe dormoient prefque pour
rien , & que'l’on n’eftimoit que la peau ; elles
y produisent trois , quatre & jufqu’à cinq chevreaux
d’une feule portée, tandis qu’en Europe
elles n’en portent qu’un ou deux. Les grandes &
les petites ifles de l’Amérique font aufil peuplées
de chèvres que les terres du continent; les Efpagnols
en ont porté jufques dans les ifles de la ;
mer du Sud ; ils en avoient peuplé l’ifle de Juan-
Fernandès, où elles avoient extrêmement multiplie
; mais, comme c’étoit un. fecours pour les
flibuftiers, qui dans la fuite coururent ces mers ,
les Efpagnols réfolurent de détruire lès chèvres
dans cette ifle, & pour cela, ils y lâchèrent des
chiens qui, s’y étant multipliés à leur tour , dé-
truifirenf les chèvres-dans toutes les parties accef-
fibles de l’ifle ; & ces chiens y font devenus fi
féroces, qu’aéhiellement ils attaquent les hommes.
Le fanglier, le cochon domeftique , le cochon
de Siam ou cochon de la Chine, qui tous trois ;
ne font qu’une feule 6c même efpèce, 6c qui fe
multiplient fi facilement en Europe & en Afie ,
ne fe font point trouves en Amérique : le pécari,
qui a une ouverture fur le dos ,■ eft l’animal de
ce continent qui en apprqçhé le plus ; mais l’on a
vainement effayé de le faire produire avec le cochon
d Europe ; d ailleurs il en diffère par un
fl grand nombre d’autres caraéières , que nous
fommes bien fondés à prononcer qu’il eft d’une
efpèce différente.
I Ees cochons, tranfportés d’Europe en Amérique
, y ont encore mieux réufli 6c plus multiplie
que les brebis 6c les chevres. Les premières
triiies, dit Garcilaffo, fe vendirent au Pérou encore
plus cher que les chèvres. La chair du
boeuf 6c du mouton, dit Pifon, n’eft: pas fl
bonne au Bréfil qu’en Europe , les cochons feuls
y font meilleurs & y multiplient beaucoup ; ils
font aufli, félon Jean de Laët, devenus meilleurs
à Saint Domingue qu’ils, ne le font en Europe.
En général, on peut dire que, de tous les
animaux domeftiques qui ont été tranfportés d’Europe
en Amérique, le cochon eft celui qui a le
mieux 6c le plus univerfellement réufli. En Canada
comme au Bréfil, c’e ft-à-dire, dans les
climats très-chauds & très-froids de ce nouveau
monde, il produit, il multiplie, & fa chair eft
egalement bonne à-manger. L’efpèce de la chèvre,
au contraire , ne s’eft multipliée que dans les-
pays chauds ou tempérés, & n’a pu fe maintenir
en Canada ; il faut faire venir de temps en
temps d Europe des boucs & des chèvres pour
renouveler l’efpèce, qui, par cette raifon, y-
eft très-peu nombreufe.
L’âne, qui multiplie au Bréfil, au Pérou, &c. J
n’a pu multiplier en Canada ; l’on n’y voit ni
mulets ni ânes, quoiqu’en différens temps l’on y
ait tranfporté plufieurs couples de ces derniers
animaux auxquels-le froid femble ôter cette force
de tempérament , cette ardeur naturelle qui,
dans ces climats , les diftingue fl fort des autres
animaux. Les chevaux ont a-peu-près également
multiplié dans les pays chauds & dans les pays
■ froids du continent de l’Amérique ; il paroît feulement
qu’ils font devenus plus petits, mais cela
leur eft commun avec tous les autres animaux
qui ont été tranfportés d’Europe en Amérique ;
car les boeufs, les chèvres , les moutons , lés
cochons, les chiens, font plus petits en Canada
qu’en France, & ce qui paraîtra peut-être beaucoup
plus fmgulier,c’eft que tous les animaux d’Amérique
meme ceux qui font naturels au climat, font
beaucoup plus petits en général que ceux de 1 ancien continent. La Nature femble s’être fervie
dans ce nouveau monde , d’une autre échelle dé
grandeur ; ^l’homme eft le feul qu’elle ait mefuré
avec le même module ; mais avant de donner les
laits fur lefquels fe fonde cette obfervatiôn générale
, il faut achever notr.e énumération. °
Les chiens dont les races font fi variées & Ci
nombreulement répandues , ne fe font, pour ainfi
J-Æ ’.,tro:lvés en Amérique, que par échantillons
dimcifes a comparer & à rapporter au total de
lefpece. 11 y avoit à Saint-Domingue des petits
animaux appelles gofchis ou gofquis, femblàbles à
des petits chiens ; mais il n’y avoit point dé chiens
lemblables a ceux d’Europe , dit Garcilaffo , & il
ajoute que les chiens d’Europe qu’on avoit tranfpor-
■ tés a Cuba & à Saint-Domingue, étant devenus
lauvages, diminuèrent dans ces ifles la quantité du
bétail auffi devenu fauvage; que ces chiens marchent
par troupes de dix ou douze ou plus , & font, auffi
médians que des loups*
U n’y avoit pas de vrais chiens aux Indes
Occidentales dit Acofta, mais feulement des
animaux femblàbles a de petits chiens , qu’au
Pérou ils appelloient alco , & ces alcos s’attachent
a leurs maîtres , & ont à-peu-près auffi le naturel
du chien. Si l’on en croit le Père Charlevoix.
qm fur cet article ne cite pas fes garants , « les
gofchis de Saint-Domingue étoient des petits chiens
muets qui fervoient d’amufement aux dames • on
•*eB fervoit auffi à la chaffe pour éventer d’aéfres
animaux ; ils étoient bons -à manger & furent
dune grande reffoutce dans les premières famines
que les Efpagnols effuyèrent : l’efpèce auroit
manque dans l’ifle fi on n’y en avoit pas rapporté
de plufieurs endroits, du continent. Il y en avoit
de plufieurs fortes ; les uns avoient la peau tout-
a-rait Jiüe d autres avoient tout le corps couvert