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fuperbe animal , en mettant fous les yeux du lecteur*
, les relations de 'deux grandes chaffes aux
éléphans, dont le chevalier de Chaumont ôc le
Père Tachard fur ent témoins à Siam.
« J’allai, dit le premier, voir la grande chafle
des éléphans, qui le fait en la forme fuivante.
On envoie grand nombre de femelles de compagnie
; ôc quand elles ont été plulieurs jours dans
les bois , Ôc que l’on eft averti qu’on a trouvé des
éléphans, le roi commande trente ou quarante mille
hommes , qui font une très-grande enceinte à
l’entour du canton oh font les éléphans. Ils fe
poftent de vingt à vingt-cinq pieds de diftance
les uns des autres , ôc à chaque campement, on
fait .un feu élevé de trois pieds de terre ou environ.
11 fe fait une antre enceinte $ éléphans de
guerre , diftans les uns des autres d’envirort cent
& cent cinquante pas; ôc dans les endroits oh
les éléphans pourroient fortir plus aifément , les
éléphans de guerre font plus fréquens : en plu-
fieurs lieux, il y a du canon, que l’on tire quand
les éléphans fauvages veulent forcer le paflage ,
car ils craignent fort le feu. Tous les jours on
diminue cette enceinte , & à la fin elle eft très-
petite , & les feux ne font plus qu’à cinq ou
ïix pas les uns des autres ».
« Comme cës éléphans entendent du bruit autour
d’eux, ils n’ofent pas s’enfuir, quoique pourtant
il ne laide pas de s’en fauver quelques-uns;
( & l’on me dit qu’il y avoit quelques jours qu’il
s’en étoit fauvé dix ). Quand on les veut prendre ,
on les fait entrer dans une place entourée de
pieux, oh il y a quelques arbres entre lefquels un
homme peut facilement palier. Dans cette efpèce
de parc, eft une autre enceinte d'éléphans de
guerre & de foldats , dans laquelle entrent des
hommes montés fur dés éléphans, ôc fort adroits
à jètter des cordes aux jambes de derrière de
Y éléphant qui, lorfqu’il eft pris de cette manière ,
eft -mis entre deux éléphans privés , entre lefquels
il y en a un autre qui le pouffe par derrière ,
de forte qu’il eft obligé de marcher ».
<c J’en vis prendre dix de cette manière , &
on me dit qu’il y en avoit cent quarante dans
l’enceinte. Le Roi y étoit préfent ; il donnoit fes
ordres pour tout ce qui étoit néceffaire ».
« A un quart de lieue de Louvo , dit le P.
Tachard , dans la relation de fon premier voyage,
il y a une efpèce d’amphitéâtre dont la figure eft
un grand carré long , entouré de hautes murailles,
terraffées, fur lefquelles fe placent les fpéclateurs.
Le long de ces murailles, en dedans, règne une
paliffade de gros piliers fichés en terre à deux
pieds l’un de -l’autre, derrière lefqüek les chaffeurs
fe retirent lorfqu’iïs font pourfuivis par des éléphans
irrités. On a pratiqué une fort grande ouverture
vers la campagne , ôc vis-à-vis du côté de la,
ville, on en a fait une plus petite, qui conduit
dans une allée étroite par ou un éléphant peut
paffer à peine ; & cette allée aboutit à une manière
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de grande remife oh l’on achève de le dompter,
« Lorfqüe le jour deftiné à cette chàffe eft
venu, les chaffeurs entrent dans les bois, montés
fur des éléphans femelles qu’on a dreffés à cet
exercice, ôc fe couvrent de feuilles d’àrbres, afin
de n’être pas vus par les éléphans fauvages. Quand
ils ont avancé dans la forêt, ôc qui’ls jugent qu’il
peut y avoir quelqu’éléphant aux environs s,, ils
font jetter aux femelles certains cris propres à
attirer les mâles , qui y répondent aufli-tôt par
des hurlemens effroyables. Alors les chaffeurs les
fentant aune jufte diftance, retournent fur leurs
pas., & mènent doucement les femelles du coté
de l’amphitéâtre dont nous venons de parler ;
les éléphans fauvages ne manquent jamais de les
fuivre ; celui que nous vîmes dompter , y entra
avec elles, ôc dès qu’il y fut , on ferma la barrière
; les femelles continuèrent leur chemin'àu
travers de l’amphitéâtre , ôc enfilèrent queue à
queue la petite allée qui étoit à l’autre bout ».
« L’éléphant fauvàge qui les avoit fuivies juf-
ques-là , s’étant arrêté à l’entrée du défilé, on
fe fervit de toutes fortes de moyens pour l’y engager
; on fit crier les femelles qui étoient au-delà
de l’allée, quelques Siamois l’irritant en frappant
des mains & criant plufieurs fois pat pat, d’autres
avec de longues perches armées de pointes, le
harceloient , ôc quand ils en étoient pourfuivis,
ils fe gliffoient entre les piliers, & s’alloient cacher
derrière la paliffade ; enfin, après avoir pourfuivi
plufieurs chaffeurs, il s’attacha à un feul avec une
extrême fureur ; l’homme fe jetta dans l’allée ,
Y éléphant courut après lu i, mais dès qu’il y fut
entré , il fe trouva pris , car celui-ci s’étant fauvé ,
on laiffa tomber deux couliffes à propos, l’üne
devant ôc l’autre derrière, de forte que ne pouvant
ni avancer ni reculer, ni fe tourner , il fit des
efforts étonnans , & pouffa des cris terribles ».
u On tâcha de l’adoucir en lui jettant des féaux
d’eau fur le corps , en le frottant avec des feuilles,
en lui verfant de l’huile fur les oreilles,. & on fit
venir auprès de lui des éléphans privés mâles &
femelles, qui le careffoient avec leurs trompes ;
cependant on lui attachoit des cordes par-deffous
le ventre ôc aux pieds de derrière , afin de le tirer
de-là ; & on continuoit à lui jetter de l’eau fur
la trompe ôc fur le corps pour le rafraîchir. Enfin ,
on fit approcher un " éléphant privé , de ceux
qui ont coutume d’inftruire les nouveaux venus.
Un officier étoit monté deffus , qui le faifoit
avancer & reculer , pour montrer à Y éléphant
fauvage qu’il n’avoit rien à craindre ,ÔC qu’il pouvoit
fortir ; en effet, on lui ouvrit la porte , ôc il fuiVît
l’autre jüfqu’au bout de l’allée : dès qu’il y fut,
on mit à les- côtés deux éléphans que l’on attacha
avec lui ; un autre marchoit devant & le tiroit
avec une corde dans le chemin qu’on vouloit lui
faire faire , pendant qu’un- quatrième le faifoit
avancer à grands coups de tête qu’il lui donnoit
par derrière jufqu’à une efpèce de remife , oh on
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l’attacha à un gros pilier fait exprès, & tournant
comme un cabeftan de navire ».
« On le laiffa là jufqu’au lendemain , pour lui
laiffer paffer fa colère ; mais tandis qu’il le tour-
mentoit autour de cette colonne, un Bramine-,
habillé de blanc , s’approcha , monté fur un
éléphant, $c tournant doucement autour de celui
qui étoit attaché , l’arrofa d’une certaine eau con-
facrée à leur manière, qu’il portoit dans un vafe
d’or : on croit que cette cérémonie fait perdre à
Y éléphant fa férocité naturelle , ôc le rend propre
à fervjr le Roi. Dès le lendemain, il commença
à aller avec les autres , ôc au bout de' quinze
jours , il fut entièrement apprivoifé ».
« On n’eut pas , dit ailleurs le même voyageur
, plutôt defcendu de cheval Ôc monté fur des
éléphans qu’on avoit préparés, que le Roi parut,
fuivî d’un grand nombre de Mandarins montés
fur des éléphans de guerre. On fuivit ôc on s’enfonça
dans les bois environ une liëue , jufqu’à l’enclos
ou étoient les éléphans fauvages. C’étoit un parc
carré de trois ou quatre cents pas géométriques ,
dont les côtés étoient fermés par de gros pieux ;
on y avoit pourtant laide de grandes ouvertures
de diftance en diftance. Il y avoit quatorze
éléphans de toute grandeur. D’abord qu’on fut
arrivé, on fit une enceinte d’environ cent éléphans
de guerre, qu’on pofta autour du parc pour em-\
pêcher les éléphans fauvages de franchir les pa-
liffades; nous étions derrière cette haie ôc tout
auprès du Roi. On pouffa dans l’enceinte du parc
une douzaine d'éléphans privés des plus forts,
fur chacun defquels deux hommes étoient montés
avec de groffes cordes à noeuds coulans ,
dont les d>oùts étoient attachés ' aux éléphans
qu’ils montoient. Ils couroient d’abord fur
Y éléphant qu’ils vouloient prendre, qui, fe voyant
pourfuivi , fe préfentoit à la barrière pour la
forcer ôc pour s’enfuir ; mais tout étoit bloqué
d'éléphans de guerre , par lefquels il étoit repouffé
dahs l’enceinte , & comme il fuyoit
dans cet efpace , les chaffeurs qui étoient montés
fur les éléphans privés', jéttoient leurs noeuds
fi à propos dans les endroits^ ou ces animaux dévoient
mettre leurs pieds, qu’ils ne manquoient
guère de les prendre : en effet, tout fut pris en
une heure ».
Et dans la relation de fon fécond voyage ",
«nous eûmes , dit-il, le plaifir de la chalfe aux
éléphans. On en avoit ramaffé une affez grande
troupe , parmi lefquels il n’y en avoit qu’un grand
ôc affez difficile à prendre ôc à dompter. L’homme
qui conduifoit la femelle , fortitde cet enclos par
un paflage étroit, fait en allée , de la longueur d’un
éléphant ; tous les autres petits éléphans ïuivirent ,
les uns après les autres, les traces de la femelle a
diverfes reprifes ; mais un paflage fi étroit étonna
le grand éléphant fauvage , qui fe retira toujours ;
on fit revenir là femelle plufieurs fois : il la fuivoit
jufqu’à la porte , mais il ne voulut jamais paffer
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outre, comme s’il eût eu quelque preffentimerif
de la perte de fa liberté ».
« Alors plufieurs Siamois qui étoient dans le
parc , s’avancèrent pour le faire avancer par force,
oc vinrent l’attaquèr avec de longues- perches ,
de la pointe defquelles ils lui donnoient de grands
coups. éléphant en -colère les pourfuivoit avec
beaucoup de fureur ôc de vîteffe , & aucun d’eux
ne lui auroit aflurément échappé , s’ils ne fe biffent
promptement retirés derrière des piliers qui for-
moient la paliffade , contre laquelle cette bête
irritée rompit trois ou quatre fois fes groffes dents.
Enfin, il fe trouva pris. Pour l’appaifer , on lui
jetta de l ’eau à plein feau , ôc cependant on lui
attachoit des cordes aux jambes Ôc au cou; après
qu’il fe fût bien fatigué | on le fit fortir par le
moyen de deux éléphans privés qui le tiroient
pardevant avec des cordes, ôc par deux autres qui
le pouffoient par derrière , jufqû’à ce qu’il fût
attaché à un gros pilier autour duquel il lui étoit
feulement libre de tourner. Une heure, après ri
devint fi traitable, qu’un Siamois monta fur fon
dos , ôc le lendemain on lé détacha pour le
mener à l’écurie avec les autres ».
« Quoique cet animal foit grand ôc fauvage*,
dit Marmol jon ne laiffe pas d’en prendre quantité
en Éthiopie , de la façon que je vais dire. Dans
les forêts épaiffes oh il fe retire la nuit, on fait
une enceinte avec des pieux entrelacés de groffes
branches, ôc on lui laiffe un paflage qui a une
petite porte tendue contré terre. Lorlque Y éléphant
eft entré, on la tire en haut de deffus un arbre
avec une corde , ôc on l’enferme , puis on defcend
ôc on le tue à coups de flèches ; mais fi par
hafard on le manque , ôc qu’il forte de l’enceinte,
il tué tout ce qu’il rencontre ».
On lit dans le Recueil des Voyages de la compagnie
des Indes, « que les habitans de Ceylan font
des foffes profondes, qu’ils couvrent de planches
qui ne font pas jointes, ôc que l’on recouvre de
paille ;la nuit, lorfque les éléphans paffent fur ces
foffes, ils y tombent & n’en peuvent fortir, fl
bien qu’ils y périrOient de faim fi on ne leur faifoit
porter à manger par des efclaves, à la vue
defquels .ils s’accoutument, ôc ainfi ils s’apprivoi-
fent-peu-à-peu ; alors on les tire des foffes ôc on
les conduit dans l’Inde ».
« Comme les Européens, dit le Père Philippe,
payent les dents d'éléphant affez cher , c’eft un
motif qui arme continuellement les nègres contre
Y éléphant. Ils s’attroupent fréquemment pour faire
cette chaffe, avec leurs flèches ôc leurs zagayes;
mais leur méthode la plus commune eft celle
des foffes, qu’ils creufent dans les bois, fur le
paflage des éléphans, ôc qui leur réufliffent d’autant
mieux, qu’on ne peut guère fe tromper à
la trace que laiffent ces grands animaux ».
É l é ph a n t d e m e r , nom donné au morfe,
autrement ôc vulgairement appellé vache marine,
Voyei M o r s e .