
qui lui manquent en haut & en bas, il reffemble
pour tout le refte du corps , au phoque ; il eft
feulement beaucoup plus grand, plus gros , plus
fort, ayant communément douze & même feize
pieds de longueur , & huit ou neuf pieds de
tour. Il habite auffi les mêmes lieux que les
phoques ; & on les trouve prefque toujours' ensemble
; ils ont beaucoup d’habitudes communes ;
ils fe tiennent également dans l’eau ; ils vont
egalement à terre ; ils montent de même fur les
glaçons ; ils allaitent & élèvent de même léurs
petits ; enfin ils fe nourriffent des mêmes alimens,
vivent de même en fociété & voyagent en grand
nombre.
Il y a , comme dans les baleines, un gros &
grand os dans la verge du morfe mâle ; la iemelle
met bas eh hiver fur la terre ou fur la glace ,
& ne produit ordinairement qu’un petit, qui eft,
en naiflant, déjà gros comme un cochon d’un
an. Ces animaux ne peuvent pas toujours relier
•dans l’eau : ils font obligés d’aller a terre , foit
pour allaiter leurs petits , foit pour d’autres befoins.
Lorfqu’ils fe trouvent dans la néceflité de grimper
fur des rivages efcarpés & fur'des glaçons , ils
fe fervent de leurs défenfes pour s’accrocher, &
de leurs mains pour faire avancer la lourde malle
de leur corps.
On fait la guerre à ces animaux pour avoir
leurs défenfes. Lorfqu’on en a joint un fur la
glace ou dans l’eau , on lui jette un harpon
fort & fait exprès ; lorfque ce harpon a pénétré
la peau, on tire l’animal avec un cable vers le
timon de la chaloupe , & on le tue en le perçant
a coups de lance ; on l’amène enfuite fur la
terre la plus voifine ou fur un glaçon plat ; il
e# ordinairement plus pefant qu’un boeuf ; on commence
par l’écorcher & on jette fa peau ; on
•fépare de la tête , avec une hache , les deux
dents, ou mieux, pour ne pas endommager les
dents, on coupe la tête & on la fait bouillir
dans une chaudière , & on en tire d’ailleuçs la
graille.
Les morfes font auffi difficiles à fuivre à force
de rames que les baleines ; leur peau dure &
épailfe eft très-mal-aifée à percer , fur-tout aux
endroits où elle prête , &. il eft néceffaire de
chercher à frapper fur un endroit où elle foit
bien tendue, Dès qu’on a porté le coup , on
retire la lance au plus vite pour empêcher que
l ’animal ne la prenne dans la gueule , & qu'il
nebleffe celui qui l’attaque, foit avec l’extrémité
de fes doigts , foit avec la lance même : car,
quand ils font bielles , ils deviennent furieux ,
frappant de côté & d’aujre avec leurs dents ; ils
brifent les armes & les font tomber des mains
de ceux qui lçs attaquent, & à la fin, enragés
de colère & de douleur , ils mettent leur têtç
entre leurs pattes ou nageoires, & fe 1 aillent ainfi
rouler dans l’eau. Quand ils font en grand nombre,
jls deviennent fi audacieux, que pour fe ffcourir
les uns les autres , ils entourent les chaloupes ^
cherchant à les percer avec leurs dents ou à les
renverfer eh frappant contre le bord. L’huile de
ces animaux eft prefqu’auffi eftimée que celle de
la baleine, & le prix de leurs dents dépend de
leur grandeur & de leur poids ; les plus chères
font celles qui pèfent vingt livres^ mais elles font
fort rares , & leur poids ordinaire n’eft que de
cinq ou fix livres.
L’efpèce du morfe ne varie pas autant que
celle du phoque ; il ne va pas fi loin & parcît
plus attaché à fon climat. Cette efpèce eft auffi
bien moins nombreufe qu’elle ne l’étoit jadis :
ces animaux fe font retirés vers le Nord & dans
les lieux les moins fréquentés par les pêcheurs.
On ne les trouve plus en grand nombre que
dans la mer glaciale de l’A fie, depuis l’embouchure
de l’Oby jufqu’à la pointe la plus orientale
de ce'continent. Ils peuvent néanmoins vivre
dans les climats tempérés.
Les paffages fuivans extraits des voyageurs ,
confirment les faits que nous venons de rapporter ,
& y ajoutent quelques détails.
« Cn trouvoit autrefois, dit Zordrager, dans
la baie d’Horifont, dedans celle de Klock, beaucoup
de morfes & de phoques ; mais aujourd’hui
il en refte fort peu...... Les uns & les autres fe
rendent , dans les grandes chaleurs de l’été , dans
les plaines qui en /ont voifines, & on en voit
quelquefois des troupeaux de quatre-vingts, cent,
& jufqu’à deux cents , particulièrement des morfes y
qui peuvent y refter quelques jours de fuite , &.
jufqu’à ce que la faim les ramène à la mer. Ils
ont cinq doigts aux pattes comme les phoques ;
mais leurs ongles font plus courts , & leur tête eft
plus épaiffe ,. plus ronde & plus forte ; la peau
du morfe, principalement vers le cou, eft épaiffe
d’un pouce, ridée , & couverte d’un poil très-*
court de différentes couleurs. Sa mâchoire fupé-
rieure eft armée de deux dents d’une demi-aune
ou d’une aune de longueur ; ces défenfes, qui
font creufes à la racine, deviennent encore plus
grandes à mgfure que l’animal vieillit; on en voit
quelquefois qui n’en ont qu’une, parce qu’ils ont
perdu l’autre en fe battant, ou feulement én vieil-
liffant. Cet ivoire efl: ordinairement plus cher que
celui de l’éléphant, parce qu’il eft plus compare
& plus dur ».
a La bouche du morfe, continue le même auteur,
reffemble à celle d’un boeuf ; elle eft garnie en haut
& en bas de poils creux , pointus , & de l’épaif-
feur d’un tuyau de paille ;• au-deffus de la bouche
il y a deux nafeaux, defquels-ces animaux fouillent
de l’eau comme la baleine, fans^, cependant faire
beaucoup de bruit ; leurs yeux font étincelans ,
rouges & enflammés pendant les chaleurs de l'été ;
& comme ils ne peuvent fouffrir alors Firnprefiion
que l’eau fait deffus, ils fe tiennent plus volontiers
alors dans les plaines que dans tout autre temps,
Qn vçit beaucoup dç mçrfes vçr$ le Spitzberg...*
On les tue fur terre avec des lances. On les chafle
pour le profit qu’on tire de leurs dents & de leur
graiffe. Leurs deux dents valent autant que toute
leur graiffe ; l’intérieur de ces dents a plus de
valeur que l’ivoire, fur-tout dans les plus groffes ,
qui font d’une fubftance plus compare & plus dure
que les petites : & fi l’on vend un florin la livre
de l’ivoire des petites dents, celui des groffes fie
vend trois ou quatre , &. fouvent cinq florins.
Un morfe .ordinaire fournit une demi - tonne
d’huile ».
« Autrefois, dit toujours Zordrager, on trouvoit
de grands troupeaux de ces animaux fur terre ; mais
»os vaiffeaux, qui vont tous les ans dans ce pays
pour la pêche de la baleine^ les ont tellement
épouvantés, qu’ils fe font retirés dans des lieux
écartés, & que ceux qui y relient ne vont plus fur
la ferre en troupes, mais demeurent dans l’eau , où
difperfés çà & là fur les glaces. On ne les trouve
plus que dans des endroits peu fréquentés, comme
dans . l’ifle de Moffen , derrière le Worland ,
& ailleurs dans les plaines fort- écartées, & fur
des bancs de fable dont les vaiffeaux n’approchent
que rarement : ceux-mêmes qu’on y rencontre ,
inftruits par les perfécutions qu’ils ont effuyées,
font tellement fur leurs gardes, qu’ils fie tiennent
tous affez près de l’eau pour pouvoir s’y précipiter
promptement ». ;
« Anciennement, &. avant d’avoir été perfé-
cutés , les morfes s’avançtûent fort avant dans les
terres ; de- forte que dans les hautes marées, ils
étoient affez loin de l’eau , & que dans le temps
de la baffe mer, la diftance étant encore beaucoup
plus grande , on les abordoit aifément. On
marchoit 4e front vers ces animaux pour leur couper
la retraite du côté de la mer : ils voyoient
tous ces préparatifs fans aucune crainte ; &. fou-
vent chaque chaffeur en tuoit un avant qu’ils
puffent regagner l’eau. On faifoit une barrière de
leurs cadavres , & on laiffoit quelques gens à l’affût
pour afffimmer ceux qui reftbient ; on en tuoit
quelquefois de cette manière trois ou quatre cents.
On voit par la prodigieufe quantité d’offemens de
ces animaux dont la terre eft jonchée, en quel
nombre ils étoient autrefois. Au refte, cet éléphant
de la mer, avant de connoître les hommes ,
ne craignoit aucun ennemi, parce’ qu’il avoit fu
dompter les. ours cruels qui fe tiennent dans le
Groenland, & qu’il n’en avoit rien à craindre ».
. « On trouve , dit M. Gmelin, des dents-de.morfe
aux environs de la nouvelle Zemble & dans toutes
les ifles jufqu’à l’Obi ; on prétend même qu’il s’en
trouve aux environs de jenifei, & qu’on en a vu
autrefois jufqu’au Pjafida : il s’en retrouve enfuite
en quantité vers la pointe de Schalanginskoi, chez
les Schutktschiï, où elles font très-groffes.... Il eft
croyable que ces animaux fe trouvent en grande
quantité depuis cet endroit jufqu’au fleuve Anadir,
puifque toutes les dents qu’on apporte pour vendre
à Jakutzk viennent d’Anadirskoi ».
« On en trouve auffi , continue le même obfer-
vateur , au détroit de Hudfon , à l’ifle Phélipeaux,
où elles ont une aune ( de Ruffie ) de long & font
groffes comme le bras ; elles donnent d’aufli bon
ivoire que les défenfes de l’éléphant ».
“ J’ai vu à Jakutzk , ajoute-t-il , quelques-
unes de ces dents de morfe qui avoient cinq
quarts d’aune de Ruffie , & d’autres une aune
& demie de longueur : communément elles font plus
larges qu’épaiffes ; elles ont jufqu’à quatre pouces de
largeur à la bafe... Je n’ai pas entendu dire qu’au-
près d’Anadirskoi , l’on ait jamais fait la chafle
ou pêche du morfe, pour en avoir î es dents, qui
neanmoins en viennent en fi grande quantité : on
m a affure , au contraire , que les habitans trouvent
ces dents détachées de l’animal fur la baffe côté
de la mer, & que par conféquent on n’a pas be—
foin de tuer auparavant les morfes ».
“ Le cheval marin (morfe), eR-U dit dans le
recueil des voyages du Nord, reffemble affez au
veau marin (phoque), fi ce n’eft qu’il eft beaucoup
plus gros, puifqu’il eft de la groffeùr d’un boeuf; fes
pattes font comme celles du veau marin , & cellés
du devant, auffi bien que celles du derrière , ont
cinq doigts ou griffes ; mais les ongles en font plus
courts : il a auffi la tête plus -groffe , plus ronde
& plus dure que le veau marin. Sa peau a bien un
pouce d’épaiffeur ; fur-tout autour du cou : les
uns 1 ont couverte d’un poil de couleur de fouris
les autres- ont tres-peu de poil. Us font ordinairement
pleins de galles & d’écorchures ; de forte
qu on diroit qu’on leur auroit enlevé la peau > fur-
tout-; autour des jointures où elle eft fort ridée W
« Ces animaux ont louverture.de la «meule
auffi large que celle d’un boeuf; & au-defîus,&
au-deffous des babines, ils ont plufieurs foies qui
font creufes en dedans & de la groffeùr d’une
paille.,,. Leurs oreilles font peu éloignées de leurs
yeux , & reffemblent a celles des veaux marins :
leur langue eft pour le moins auffi groffe que celle
d’un boeuf..... Us ont le cou fi épais , qu’ils ont
de la peine à tourner la tête ce qui les oblige à
tourner extrêmement les yeux ; ils ont la queue
courte comme celle des veaux marins ».
« Il y a apparence que ces animaux vivent d’herbes
& de poiffon ; leur fiente reffemble à celle du
cheval.... Quand ils plongent, ils fe jettent la tête
la première dans l’eau comme les veaux marins; ils
dorment & ronflent non feulement fur la glace „
mais auffi dans 1 eau ; de forte qu’ils paroiffent
fouvent comme s’ils étoient morts. Us font furieux
& courageux tant qu’ils font en vie ; ils fe défendent
les uns les autres.... Us font tous leurs
efforts pour délivrer ceux qu’on a pris; ils fe
jettent a 1 c-nvi fur la chaloupe , mordant & fai-
iant des mugiffemensépouvantables; & fi, par leur
grand nombre , ils obligent les hommes à prendre
la fuite , ils pourfuivent la chaloupe jufqu’à ce
qu ils la perdent de vue,».
Qn retrouve les morfes fur les côtes de l’Ame