
Ixxx I N T R O D U C T I O N
Enfin, il y a des familles dans lefquelles
la trame dé la vie paroît mieux ourdie
que dans les autres, pour me fervir de
l’expreflion de M. Haller. Telle fut celle
de Thomas Parre, où l’on compte quatre
générations dont les durées s’étendent depuis
cent douze jufqu’à cent vingt-quatre
ans.
M. Haller a effayé de déduire des obfer-
vations précédentes , les caufes à la faveur
defquelles un petit nombre d’hommes
échappent plus long-temps que les autres
à la loi commune.
Quelques-unes de ees caufes font indépendantes
de notre volonté. Nos foins les
plus aflidus ne nous fouflrairont pas aux
ravages de ces épidémies qui n’épargnent
aucun tempérament, & interrompent fou-
vent , dans les plus belles années de la v ie ,
le cours d’une fanté jufqu’alors inaltérable.
Il ne nous eft pas donné non plus d’éviter
ces peines & ces inquiétudes de
l ’efprit qu’excitent en nous les maux du
corps dont elles bâtent le dépériffement,
ou une longue fuite de revers.
Nous ne fommes pas plus libres furie
choix des pays les plus convenables aux
différens âges de la vie , tels que font,
pour les jeunes gens, les climats fepten-
trionaux, litués vers le cinquantième degré
de latitude , où les. maladies aiguës, font
moins à craindre , 8c où les pulfations du
coeur plus lentes retardent le développement
du corps.
Dans un âge plus avancé , lorfque la
fréquence du pouls eft ralentie , & que le
coeur a perdu une partie de fon irritabilité,
l ’expofition la plus avantageufe feroit celle
d’ un pa ys, fitué entre le trentième & le
quarantième degré de latitude, 8c même
plus près de l’equateur, jointe au féjour
de la campagne dans un terrein fe c , où
l ’on p u t, a volonté , jouir de la fraîcheur
que l’on refpire à l’ombre , 8c ranimer-, à
l’aide de la chaleur bienfaifante du foleil,
la vigueur d’une irritabilité qui fe perd.
Ajoutez à ces avantages une fortune affez
aifée pour donner l’exclulion à ces defirs
inquiets que fait naître le fentiment du
befoin 8c des privations,
Il faudrait encore être né d’un pere &
d’une mere qui euffent été fains , 8c qui
n’euffent punoustranfmettre avec lefang,
le germe de la goutte , de l’apoplexie, de
l’hydropifie ou de la phthifie , trilles héritages
qui s’attachent à nous malgré tous
les préfervatifs que peut leur oppoferle
régime leplus éxaft ,8c nous font éprouver,
à notre tour , le fentiment intime des
maux que nous avions déjà partagés par
notre fenfibilité 8c notre tendrelfe pour des
parens qui en furent les viâimes. ,
M. Haller compte aufli, parmi les gages
d’une longue v ie , l’irritabilité modérée du
coeur, la lenteur du pouls, le retard des
différentes périodes de la v ie , toutes caufes
qui rendent les parties folides mçins dif-
pofées à fe durcir.
Il confeille aux jeunes gens .de s’abftenir
du v in , qu’il ne regarde que comme un
remède , & de fe borner à l’ufage de l’eau,
qui eft la boiflon que la Nature a affortie
à no.s befoins. Peu de viandes, à cet âge, &
& beaucoup de légumes ; peu de tels &
d’aromates : aucune de ces plantes âcres-,
qui font connues fous le nom de cruci-
fires.
11 veut qu’en général on fe réduife à une
nourriture frugale , qui fe digère plus
aifément, 8c n’eft point fujette à fe corrompre
8c à vicier la maffe du fang, dont
la qualité le plus à defirer eft , félon lu i,
d’être fans âcreté 8c femblable à celui d’un
enfant.
Il accorde à la yieilleffe un peu plus de
liberté dans l’ufage des viandes.
Il déliré en tout une fage médiocrité,
avec une certaine difpolition à la gaieté ;
une fobriété dans les repas , qui nous laiffe
toujours en deçà de ce que demande l’appétit
; une modération qui aille prefque
jufqu’à la réferve dans l’ufage des plaifirs,
dans l’étude 8ç dans l’exercice du corps 111
préfère de céder trop facilement au fom-
meil, plutôt que de s’y refufer.
Les longues vies étant de beaucoup les
plus rares , il femble d’abord que l’on
devrait entendre , par la durée naturelle
de la vie , celle qui a lieu le plus communément
, c’eft-à-dire , celle qui eft refferrée
ferrée dans des bornes affez étroites. Mais,
comme nous l’avons déjà remarqué , il faut
bien diftinguer ce qui appartient à la conf-
titution de l’Homme, de ce qui eft une fuite
afîfez ordinaire de fa condition. La première
tend à en faire un être vivace ; mais
l’influence des caufes locales, qu’il eft très-
difficile d'éviter, arrête la Nature dans fa
courfe, 8c brife le vafe avant qu’il foit
ufé ; d’où il arrive qu’une longue carrière
qui devroit être dans l’ordre commun &
ordinaire des chofes , devient une forte
d’exception à laquelle il n’y a que peu
d’Hommes.qui puiffent prétendre.
Nous allons faire le dénombrement de
ces différentes caufes , en reprenant la vie
de l’Homme dès Ta naiffance. .
Sur,mille enfans , dont M. Haller a fait
le relevé, d’après les regiftres mortuaires
de Londres , vingt - trois étoient morts
prefqu’aufli-tôt après avoir vu la lumière.
La pouffe des dents en avoit fait périr
cinquante -, & les convulfions deux cens
foixante 8c dix-fept. Il en étoit mort quatre-
vingt de la petite-vérole , préfent funefte
que l’Abyflinie a fait au -relie du monde,
où jufqu’alors cette maladie avoit été inconnue.
Sept autres avoient eu,pour caufe
de mort, la rougeole , autre maladie également
récente, 8c qu’on croit originaire
de l’Arabie. Parmi les femmes adultes ,
huit au moins étoient mortes des ; fuites
d’une couche malheureufe. La. phthifie 8c
l’afthme, maladies communes chez les An-
glois-, en avoient enlevé cent quatre-vingt-
onze du même fexe , & environ la cinquième
partie des hommes faits. Cefit
cinquante avoient été emportés par les
fièvres aiguës. Dans un âge plus avancé,
il en étoit mort douze d’apoplexie , 8c
quarante-un d’hydropifie , fans parler de
ceux pour qui des maladies moins graves
en elles-mêmes étoient devenues mortelles.
Il n’eft refté que foixante 8c dix-
huit hommes dont on puiffe attribuer la
mort à la yieilleffe , 8c parmi lefquels
vingt-fept ont pouffé leur carrière jufqu’à
quatre-vingts ans & au delà.
Des differentes maladies dont on vient
de: voir les funeftes effets , il n’en eft au-
Hijloire Naturelle., Tom, I.
cune qui foit une fuite de la conftitution
de l’homme. En général, les Anglois font
peu fujets aux maladies , fi on excepte la
petite-vérole 8c la rougeole , 8c il y en a
beaucoup parmi eux qui jouiffent d’une
fanté confiante jufqu’à la vieilleffe, ce qui
fait voir que ce n’eft point dans notre
nature qu’il, faut chercher le principe des
maladies qui ont été citées ci-deffus , quoiqu’elles
enlèvent plus des neuf dixièmes
des hommes , & même plufieurs vieillards,
avant le terme où ils fe feroient éteints
d’eux-mêmes.
Dans les autres p a y s, il y a d’autres maladies
régnantes, qui abrègent pareillement
la vie humaine.
Dans les climats feptentrionaux, le fcor-
but , la colique des Lappons 8c les maladies
de poitrine, font les caufes les plus ordinaires
de la mort.
Dans certaines régions tempérées, ( M;
Haller cite ici la Suiffe, fa patrie,) l’hydro-1
pifie arrête une multitude d’hommes à l’entrée
de la vieilleffe, qui eft, pour la plûpart
des perfonnes de l’un & l’autre fe x e , le
terme de la v ie , lorfqu’elles ont échappé
aux maladies aigues. Il ajoute que les fièvres
milliaires 8c petechiales, auparavant étrangères
à la Suiffe, y ont été apportées depuis
peu, 8c que parmi les maladies aigues,
il n’y a pas long-temps que la fièvre putride
a commencé à y devenir d’un très-
mauvais caraflère.
Les régions chaudes font le féjour des
maladies les plus aigues. Il y a des pays où
les coups de foleil font fouvent périr , en
peu d’heures , les gens de la campagne ,.
tandis qu’ils travaillent ou qu’ils dorment
expofés aux brûlantes ardeurs de cet. aftre.
L’air de l’Egypte 8c de l’Afie mineure,
engendre la pelle, qu i, dans ces pays ,
emporte la moitié des habitans.
Entre les tropiques , les fièvres ardentes
régnent lorfque le ciel eft ferain, 8c font
place ,- pendant les temps pluvieux , à la
diffenterie, 8c à une efpèce de fièvre qui
pouffe à travers les pores de la peau, une
partie du fang , & change le relie en une
lanie de couleur jaunâtre.
I Le froid de la nuit eft encore, dans les
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