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méchanceté & de l’infatiable cruauté ; il n’a pour
tout inftinél qu’une rage confiante une fureur
aveugle qui ne connoît, qui ne distingue rien,
& qui lui fait fouvent dévorer fes propres enfans
& déchirer leur mère , lorfqu’elle veut les défendre.
Heureufement pour le refte de la Nature, l’efpèce
n’en eft pas nombreufe Si. paroît confinée aux
climats les plus chauds de l’Inde orientale. Elle
fe trouve à Bengale , au Malabar ,. à Siam , dans
les mêmes contrées .qu’habitent l’éléphant &’ le
rhinocéros ; on prétend même que fouvent le
tigre accompagne ce dernier , & qu’il le fuit pour
manger fa fiente qui lui fert de purgation ou de
rafraîchiffement ;-il fréquente avec lui le bord des
fleuves & des lacs ; car , comme le fang ne fait
que l’altérer , il a fouvent befoin d’eau pour tempérer
l’ardeur qui le confume ; Si d’ailleurs il
attend près des eaux les animaux qui y arrivent
& que la chaleur du climat contraint d’y venir
plulieurs fois chaque jour ; c’eft là qu’il choifit
fa proie , ou plutôt qu’il multiplie fes maflacres,
car fouvent il abandonne les animaux qu’il vient
de mettre à mort, pour en égorger d’autres ; il
femble qu’il cherche à goûter de leur fang; il
le favoure, il s’en enivre , Si. lorfqu’il leur fend
Sl déchire lé corps c’eft pour y plonger la tête
& pour fucer à longs traits le fang dont il vient
d’ouvrir la fource qui tarit prefque toujours avant
que fa foif ne s’éteigne.
Cependant, quand il a mis à mort quelques
gros animaux, comme un cheval , un buffle,
il ne les. éventre pas fur la place , s’il craint d’y
être inquiété ; pour les dépécer à fon aife, il
les emporte dans les bois , en les traînant avec
tant de légéreté , que la vîteffe de fa courfe paroît
à peine ralentie par la maffe énorme qu’il entraîne.
Ceci feul fuffiroit pour faire juger de fa force ;
mais pour en donner une idée plus jufte, arrêtons-
nous un inftant fur les dimenfions & les proportions
du corps de cet animal terrible. Quelques
voyageurs l’ont comparé , pour la grandeur| à
un cheval , - d’autres à un buffle ; d’autres ont
feulement dit qu’il étoit beaucoup plus grand que
le lion ; mais des témoignages plus récens & qui
méritent une entière confiance , nous aflùrent
qu’on en a vu de quinze pieds de longueur , fans
doute en y comprenant la queue ; mais en la
fuppofant de quatre ou cinq pieds , ce tigre auroit
encore dix pieds de longueur.
• Celui dont on conferve la dépouille au jardin
du Roi, n’a qu’environ fept pieds , mais il avoit
.été pris, amené tout jeune & enfuite toujours
renfermé dans une -lqge étroite , à la ménagerie
où le défaut de mouvement & d’efpace , la
contrainte du corps & la nourriture peu convenable
ont dû retarder le développement & réduire
faccroiffement du corps * comme -abréger fa vie ;
& cependant la feule vue de fâ peau bourrée
donne encore l’idée d’un animal formidable , &
l’examen du fquelette ne permet pas d’en douter*
On voit fur les os des jambes des rugofités
qui marquent des attaches de mufcles encore
plus fortes que celles du lion ; ces os font auflï
lolides, mais plus courts, Si la hauteur des jambes
dans le tigre n’eft pas proportionnée à la grande
longueur du corps ; aufli cette vîteffe terrible
dont parle Pline , ( animal tremenda velocitatis ) Si
que le nom même Ae tigre ( fléche z n langue arménienne
) paroît indiquer, ne doit pas s’entendre
des moüvemens ordinaires de la démarche , ni
même de la célérité des pas dans une courfe
fuivie ; ayant' lès jambes courtes , il ne peut
marcher ni courir aufli vite que ceux qui les ont
proportionnellement plus longues ; mais cette
vîteffe redoutable s’applique très+bien aux bonds
prodigieux qu’il fait fans effort & qui rendent
en effet cet animal terrible , parce qu’il n’eft pas
poflible d’en éviter l’effet.
Le tigre• eft peut-être le feul de tous les animaux
dont on ne puiffe fléchir le naturel : ni la force. *
ni la contrainte, ni la violence ne peuvent le
dompter. Il s’irrite des bons comme des mauvais
tr?’terne ns ; le temps , loin de l’amollir , ne fait
qu aigrir le fiel de fa rage; il déchire la main
qui le nourrit, comme celle qui le-frappe ; il
tugit à la vue de tout être vivant; chaque objet
. lui paroît une nouvelle proie qu’il dévore d’avance-
de fes regards avides, qu’il menace par des fré-
miffemens. affreux mêlés d’un grincement de dents
& vers lequel il s’élance fouvent malgré les
chaînes & les grilles qui brifent fa fureur fans
pouvoir la calmer.
Le tigre fut peu connu des. Anciens ; Ariftote
n’en fait aucune mention ; Augufte fut le premier
qui préfenta le tigre aux Romains pour la dédicace
du théâtre de Marcellus * tandis que dès le temps
de Scaurus, cet Edile avoit envoyé cent-cinquante
panthères , Si qu’enfuite Pompée en-avoit
fait venir quatre cent dix-, & Augufte lui-même-
quatre cent vingt, pour les fpeétacles de Rome*
Quoique l’efpèce du tigre ait toujours été plus
i rare & beaucoup moins répandue , non-feulement
que celle des panthères. Si des onces j. mais que
:—celle du lio n , cependant la tigrejfe produit ,
comme la lionne, quatre ou cinq petits. ; elle- eft
furieufe en tout temps , mais la rage devient
extrême , lorfqu’on les lui ravit : elle brave tous-
les périls ; elle, fuit les raviffeurs qui fe trouvant
preffés , font obligés de lui relâcher un de fes.
petits; elle s’arrête alors, le faifit, l’emporte pour le
mettre à l’abri , revient quelques inftans apres.
& les pourfuit jufqu’aux portes., des.- villes ou
jufqu’à leurs vaiffeaux ; & lorfqu’elle a perdu tout,
efpoir de recouvrer fa perte , des cris forcenés..
& lugubres, des hurlemens affreux expriment fa
douleur cruelle & font encore frémir ceux qui
les entendent de loin.
Le tigre fait mouvoir la peau de fa face, grince
des dents, frémit, rugit comme fait le lion,,
tuais fon rugiffement eft différent ; quelques
voyageurs l’ont comparé au cri de certains grands
oifeaüx ; ce qu’il y a dé certain , c’eft que le
fon de fa voix eft très-rauque : tigrides inaomitee
raücant > rugiuntque leones 3 ( dit l’Auteur du
Philomèle.'
, Le Père Tachard ( dans la relation de fon premier
voyage à Siam ) ’ décrit un combat du tigré' contre
des éléphans', dont il fut témoin , Si qui eft
bien propre à nous dônnèr une idée de la force
de ce redoutable animal. « On avoit élevé , dit-il,
une haute paliffàde de bambous d’environ cënt
pas en carré ; au milieu dé l’enceinte étoient
entrés trois éléphans deftinés pour combattre le
tigre. Ils avoient une efpèce de grand plaftron en
forme de mafque qui leur couvroit la tête Si
une partie de la trompe ».
« Dès que nous Tûmes arrivés, on fit fortir j
de la loge , qui étoit dans un enfoncement ,
un tigre d’une figure & d’une couleur qui parurent
nouvelles aux François- qui affiftoient à j
ce combat ; car \ outre qu’il étoit bien plus ,
grand , bien plus gros , & d’uiïe taillé moins
effilée que ceux que nous avions vu en France,
fa-peau n’étoit pas mouchetée de même ; mais ,
au lieu de toutes ces taches femées fans Ordrë,
il avoit de longues Si larges bandes en forme
de cerclé ; ces bandes , prenant fur le dos ,
fe rejoignaient par-deflous le ventre , & , cotïti^
tiuant le long de la queue , y faifoient comme
des anneaux blancs & noirs placés alternativement,
dont elle étoit toute couverte ».
« La tête n’avoit rien d’extraordinaire , non
plus que les' jambes , hors- qu’elles étoient plus ‘
grandes & plus groffes que celles des tigres communs
, quoique celui-ci nè fût qu’un jeune tigre
qui avoit encore à croître ; car M. Confiance
nous dit qu’il y en avoit dans le royaume de plus
gros trois fois que Celui-là, & qu’un jour , étant
à la chaffe avec le R o i, il en vit' un de fort près
qui étoit grand comme un mulet. Il y en a aufli
de petits dans le pays , femblables à ceux qu’on
apporte d’Afrique en Europe , Si on nous en
montra un le même jour à Loüvo ».
« On ne lâcha pas d’abord le tigre qui devoit
combattre ; mais ori lë'tint attaché par deux cordes ,
de. forte que , n’ayant pas la liberté de s’élancer ,
le premier éléphant qui l’approcha, lui donna
deux ou trois coups de fa trompe fur le dos ; ce
choc fut fl rude que le tigre en fut renverfé &
demeura quelque temps étendu lur la place fans
mouvement, comme s’il eût été mort ; cependant,
dès qu’on l’eût délié, quoique cette première
attaque eût bien rabattu de fa furie , il fit un cri
horrible Si voulut fe'jetter fur la trompe de l’élé-
pliant qui s’aVançoit pour lé frapper ; mais celui-
ci'la repliant adroitement ; la mit à Couvert* par
fes défenfes , qu’il préfenta en même-temps, Si.
dont il atteignit le tigre' fi à propos , qu’il/ lui fit
faire 1$ grand faut en l’air.; cet animai en fut flétourdi,
qu’il n’ofa plus approcher. Il fit plulieurs
tours le long de la paliflade , s’élançant quelquefois
vers les personnes'qui paroiffoient vers les galeries;
on pouffa enfuite trois éléphans contre lui ,
lefquels lui donnèrent tour-à-tour de fi rudes coups,
qu’il fit encore une fois le mort, & ne penfa plus
qu’à éviter leur rencontre ; ils l’euffent tué, fans
doute 5 fl l’on n’eût fait finir le combat ».
La peau de ces animaux eft affez eftlmée ,
Fur-tout à la Chine; les Mandarins militaires en
couvrent leurs chaifes dans les marches publiques ;
ils en font aufli des' couvertures de couffins pour
l’hiver ; en Europe , ces peaux, quoique rares ,
ne font pas d’un grand prix. On fait beaucoup
plus de cas' de celle du léopard de Guinée Si du
Sénégal, que’nos foureurs appellent tigre. Au refte,
c’eft la feule petite utilité qu’on puiffe tirer de cet
animal très-nuiflble , dont on a prétendu que la
fueur étoit Un venin, & le poil de la mouftache
un poifon fûr pour Jes hommes Si. pour les animaux
; mais c’eft affez du mal réel qu’il fait de
fon vivant, fans chercher encore des poifons dans
fa dépouille , d’autant que les Indiens mangent
de fa chair & ne la trouvent ni mal-faine ni mau-.
vaîfe, Sc que fl le poil de fa mouftache, pris en
pillule, tue , c’eft qu’étant dur & roide , une telle
pillule fait dans l’eftomae le même effet qu’un
paquet de petites éguilles.
Le tigre, en latin, Si. chez tous les anciens
écrivains naturaliftes , tigris , eft au nombre des
chats , (fêlés )-dans les Methodes dé MM. Linneus
Si. Briffon , felis caudâ elongatâ , corporis maculis
omnibus virgatis. Linn. felis flava , maculis longis ;
tigris variegata, Briffon.
T igre des Iroquois, nom appliqué , mais très-
improprement au couguar de Penfllvanie. Voye^
ce' mo,t.
T igre - rouge de la Guiane , de quelques - relations, eft le ctfugtiàr. Voye^ C ouguar.
TLÀLOCELOTL, au Mexique. F. Sarigue.
TLAQUACUM, félon quelques Auteurs Efpa-
gnols -, eft encore le farigue.
TLAQUATZIN , au Mexique. V. Sàrigue.
TLATLAUHQUI- OCELOTL , au Mexi- què. F b y ë ç OCELOT.
TOLAï , animal fort commun dans les terres
voifmés du lac Bàikàl en Tartarie. 11 eft un peu •
plus grand que le lapin , aüquel il reffèmble par
la forme du corps, par le poil, par les allures-,
par la qualité, la faveur, la couleur de la chair ,
& aufli par l’habitude de creufer de même la
terre pour fe faire une retraite ; il n’en diffère
que par la queue, qui eft confidérablement plus
fonguë ,que-celle du lapin-, il eft aufli conformé
.de même à l’intérieur. Ainfl le tolaï ne nous
paroît être qu’une Variété deTefpèce du lapin.
TRAGELAPHE dé Pline , eft le même que
Yippetaphe d’Ariftote , & tous, deux doivent' fe
rapporter au cerf des Ardennes. Voye^ l’article
- ‘ -■
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