
peuvent les donner que pour des probabilités.
Dumont (a) dit qu’il y a bien de
l ’apparence qu’il entroit de l’aloès, du bitume
ou afphalte, & du cinnamome dans
les drogues que l’on mettoit à la place des
entrailles des corps morts. Il dit encore
qu’après l’embaumement , on renfermoit
ces corps dans des cercueils faits de bqis de
fycomore , qui eft prefque incorruptible.
On trouve, dans le Catalogue du Cabinet
de la Société Royale de Londres , que M.
Grew remarqua dans une momie d’Egypte
de ce Cabinet, que la drogue dont on s’é-
toit fervi pour l’embaumer, avoit pénétré
jufqu’aux parties les plus dures , comme les
ps , ce qui les avoit rendus fi noirs, qu’ils
fembloient avoir été brûlés ; cette obier-
vation lui fit croire que les Egyptiens
avoient coutume d’embaumer les corps ,
en les faifant cuire dans une chaudière
pleine d’une .efpèce de baume liquide ,
jufqu’à ce que toutes les parties aqueufes
du corps fulTent exhalées, 8c que la fubf-
tance huileufe 8c gommeufe du baume l’eut
entièrement pénétré. Gre-w propofe à cette
.occafionpne façon d’embaumer les corps,
en les faifant macérer 6c enfiiite bouillir
dans de l’huile de noix (F).
Je crois qu’en effet il y auroit plufieurs
moyens de préferyer les cadavres de la
pourriture , 8c qu’ils ne feroient pas de
difficile exécution, puifque différens peuples
les ont employés avec fuccès : on en a eu
un exemple chez les Guanches , ancien
peuple de l’ifie de Ténériffe ; ceux qui
furent épargnés par les Efpagnols, lorfquils
firent la conquête de cette Ille , leur apprirent
que l’art d’embaumer les corps étoit
connu des Guanches, 8c qu’il y avoit dans
leur Nation une tribu de Prêtres qui en
faifoient un fecret, 8c même un myftère
facré; la plus grande partie de cette Nation
ayant été détruite par les Efpagnols ,
on ne put .avoir aucune connoiffance de
cet a r t, on a feulement fç u , par tradition,
une partie du procédé. Après avoir tiré les
entrailles , ils lavoient le corps plufieurs
fois de fuite avec une lefîive d’écorce de
pin féchée au foleil pendant l’été , ou dans
une étuve pendant l’hiver , enfiiite on
l’oignoit avec du beurre ou de la graiffe
d’ours , que l’on avoit fait bouillir avec
des herbes odoriférantes, qui étoient des
efpèces de lavande , de fauge , 8cc. Après
cette onétion , on laiffoit fecher le corps ,
8c on la réitéroit autant de fois qu’il le
falloit pour que le cadavre en fût entièrement
pénétré. Lorfqu’il étoit devenu fort
léger, c’étoit une preuve qu’il avoit été
bien préparé ; alors on l’enveloppoit dans
des peaux de chèvres paffées ; on y laiffoit/
même le poil lorfqu’ on vouloit épargner la
dépenfe (c). Purchas (F) dit qu’il a vu deux
de ces momies à Londres , 8c il cite
le Chevalier Scory , pour en avoir vu
plufieurs à Ténériffe , qui exiftoient depuis
plus de deux mille ans ; mais on n’a aucun®
preuve de cette antiquité.
On peut voir deux de ces momies ai»
Cabinet d’Hifloire Naturelle du Jardin du
Roi.. Elles, ont été apportées de l’ifle da
Ténériffe, en 1776, par M. le Comte de
Chaftenet de Puyfégur, Enfeigne de vaif-
feau, commandant alors le lougre YÈJpiègle,
Elles ont été prifes dans une caverne du
village. d’Arico. Elles font emballées dans
des peaux ; -l’une de ces momies a la tête
-découverte ; lapeau eft defféchée ; les traits
du vifage y font groflièrement apparens ;
mais les cheveuxtiennentâ la peau, 8c font
bien confervés. Les pieds manquent à cette
momie : .on y voit l’extrê-mjté.des os des
jambes , qui m’ont paru n’être altérés que
par le defféchement : il y a lieu de croire
que les vifcères font réduits en pouflière, car
il en fort de quelques parties de ces momies,
Le Père Açofta 8c Garcilaffo de la Ver-
ga (e) n’ont pas douté que les Péruviens
Voyage de M. Dumont en France, en Italie, &£, imprimé ,à la Haie, en 1699 > T«». H ,
pag. 290 & Juiv.
' (J,) Journal des Sçavans , année 1682 > Pag‘ '3?.
(c) Hiftoire de la Société Royale, par Sprat, peg. 209 & fuiv.
(d) Purchas, His Pilgrimes , pag. 783.
Wj Hiftoire des Incas ; Rois dû Biron, Trad, de l’Efp. Tom.l, pag. ,%t & Jkiy^
to’euffent connu l’art de conferver les corps
pendant très-long-temps. Ces deux Auteurs
affurent avoir vu ceux de quelques Incas 8c
de quelques Marnas qui-étoient parfaitement
confervés ; ils avoient tous leurs cheveux
& leurs fourcils ; mais on leur avoit mis
des yeux d’or : ils étoient vêtus de leurs
habits ordinaires , 8c aflîs à la façon des
Indiens , les bras croifés fur l’eftomac.
Garcilaffo toucha un doigt de la main ,
qui lui parut aufîi dur que du bois ; le
corps entier n’étoit pas affez pefant pour
furcharger un homme foible qui auroit
voulu le porter. Acofta préfume que ces
corps avoient été embaumés avec un bitume
dont les Indiens connoiffent la propriété.
Garcilaffo dit qu’il ne s’étoit pas
apperçu, en les vo yant, qu’il y eût du
bitume; mais il avoue qu’il ne les avoit
pas obfervés exaftement, 8c il regrette de
ne s’être pas informé des moyens que l’on
avoit employés pour les conferver r. il
ajoute qu’étant Péruvien , les gens de fa
Nation ne lui auroient pas caché le fecret,
comme aux Efpagnols , au cas que cet art
eût encore été'connu au Pérou.
Garcilaffo, ne fachant rien de certain fur
les embaumemens des Péruviens , tâche
d’en découvrir les moyens, par quelques
induâionS ; il prétend que Pair eft fi fec 8c
fi froid à Cufco , que la chair s’y déffeche
comme du bois,, fans fe corrompre; 8c il
croit que l’on faifoit deftécher. Les.- corps
dans la neige,, avant que.d’y appliquer le
bitume dont parle le Pere Acofta. Il ajoute
que du temps des Incas, on expofoit à l’air
les viandes qui étoient deftinées pour les
provifions de guerre ,. 8c que lorfqu’elles
avoient perdu leur humidité, on pouvoit
les garder fans les faler 8c fans aucune autre
préparation.
On dit qu’au pays de Spitzberg , qui eft
à 79 & 80 degrés de latitude,. 8c par conséquent
, dans un climat extrêmement.froid,
il n’arrive prefque aucune altération appa-
: rente aux cadavres qui font enfevelis depuis
trente ans. Rien ne fe pourrit ni ne fe corrompt
dans ce pays ; les bois qui ont été
employés pour bâtir les huttes 011 on fait
cuire les grailles de baleine, paroiffent auffi
frais que lorfqu’ils ont été coupés (a).
Si Je grand froid préferve les cadavres
de la corruption, comme on peut le voir
par les faits que je viens de c iter, il n’eft
pas moins certain que la féchereffe qui- eft
caufée par la grande chaleur fait auffi- le
même effet. On fait que les hommes 8c les
animaux qui font enterrés dans les fables
de l’Arabie fe defsèchent promptement, 8c
fe confervent pendant plufieurs fiècles ,
comme s’ils avoient été embaumés. Il eft
fouvent arrivé , que dès caravanes entières
ont péri dans les déferts de l’Arabie,. foit
par les vents brûlans qui s’y élèvent, 8c
qui raréfient l’a ir, au point que les- hommes
ni les animaux ne peuvent plus refpirer ,
foit par les-fables que les- vents impétueux
foulèvent- à une grande hauteur, 8c
qu’ils déplacent à une grande diflance. Ces
cadavres fe confervent dans leur entier ,
8c on les retrouve dans la fuite par quelque
effet du hafard. Plufieurs Auteurs , tant
anciens que modernes, en ont fait mention ;
M'. Shaw (F) dit qu’on lui a affairé qu’il y
avoit un grand nombre d’hommes, d’ânes
8c de chameaux qui étoient confervés-de--
puis un temps immémorial dans les fables
brûlans de Saibah, qui eft un lieu que' cet
Auteur croit fitué entre Raffem 8c l’Egypte;.
La corruption des cadavres n’étant caufée
que par la fermentation des humeurs-, tout:
ce qui eft capable d’empêcher, ou de retarder
cette fermentation, contribue à leur confer- -
vation. Le froid 8c le chaud , quoique contraires,
produifent le même effet à cet égarft,,
par le defféchement qu’ils caufent; le froid,,
en condenfant 8c en épaifliffant les Humeurs-
du corps, 8cla chaleur, en les-raréfiantSteii
accélérant, leur évaporation avant qu’elles
puiffent- fermenter 8c agir fur les parties
folides : mais il faut que ces deux extrêmes
foi'ent conftamment les mêmes; car s’i l y
avoit une viciflitude du chaud au froid ,
8c de. la féchereffe à l’humidité , comme il
f ) ■ ! Voyages- au Nord. Rouen i7i<5. Tom. 1 . pag.
“ Voyages de. M. - Shaw- dans- plufieurs Provinces de l’Afrique.-'La Haie m-40, Tom, TI g ÿag.’jcf,