
On a fait mention , dans les Recueils de
Breflau, d’une fille de 17 ans, qui, pendant
le fommeil, faifoit des geftes extraordinaires,
pleurait, rioit, exprimoit diverfes pallions,
a la manière des pantomimes ; enfuite elle
:teaoit des difcours fuivis fur des matières
férieufes. Quand on lui adreffoit la parole,
elle répondoit fenfément.& foutenoit la
converlàtion avec fes foeurs , pendant des
demi-heures entières. Elle chantait aulîi ,
& li l’on jouoit en même-temps de quelque
infiniment , elle fe mettait exactement à
1 uniffon. Quelquefois elle commençoit à
jouer une pièce de clayecin, avant de s’endormir
, s’endormoit & continuoit, touchant
cependant à faux de temps.-en temps :
elle déclamoit, aulîi en dormant, des vers
qu’elle avoit appris dans fa jeuneffe : elle
deflinoit, brodoit, coufoit, écrivoit. Elle
prenoit des ferviettes , les plioit comme
des lettres, demandoit de la lumière pour
cacheter. Si on la quefiionnoit alors, elle
répondoit qu’elle écrivoit à telle ou telle de
fes amies, énonçoit diftinâement le contenu
de fa lettre, qui formoit un fens fu iv i, ache-
.voit de plier., & enfuite cachetoit la prétendue
lettre, y mettoit l’adreffe, & la don-
noit pour être portée à la pofte. Quand elle
s’imaginoit, la nuit, qu’il lui venoit des vi-
fxtes, elle fe paroit, agifloit comme li elle
les eût reçues en effet, fouhaitoit le bon
jour , remercioitfort poliment de l’honneur
qu’elle croyoit recevoir,‘ faifoit, pendant
quelque temps, la converfation fur un ton
j-aifonnable,& lafiniffoif par lesèxprêffions
ordinaires aux perfonnes qui fe féparent.
; Un des Somnambules les plus linguliers
qui aient été ohfervés , eft Jean-Baptifte
Negretti de Vicenze , domeftique du Marquis
Louis Sale. C’étoit un homme brun,
d’une conff itution fort lèche, ardent, colère,
.& adonné au vin. Il était Somnambule depuis
l ’âge de onze ans ; mais fes accès le pre-
noient feulement en Mars, & duraient tout
>au plus jufqu’à la mi-AvriL M. Pigatti, qui
a obfervé avec foin fon état, en f i t , en
,174 5 , une relation fort détaillée. Nous
.citerons ici une des fcènes que renferme
cette relation.
Le Marquis reçut un foir compagnie dans
fa chambre , ce qui n’arrivoit pas ordinairement.
A mefure que la compagnie augmentait
, on demandoit des lieges. Pendant
ce temps-là , Negretti s’endormit ; un inf-
tant après, il fe leva , fe moucha, prit du
tabac, & monta vite à un appartement pour
chercher des chaifes ; il revint tenant une
chaife à deux mains , rencontra une porte
fermée , à laquelle il ne frappa point ; mais
lâchant la chaife d’une main, il ouvrit la
porte, reprit la chaife comme auparavant,
& la porta précifément à l’endroit où elle
devoit être. Il alla enfiiite au buffet, en
chercha la clef, & fe fâcha de ce qu’il ne la
trouvoit pas. Il prit une chandelle, & regarda
dans tous les coins de la chambre &
fur toutes les marches de l’efcalier, allant
avec une grande vîteffe, lès yeux fixés à
terre, & tatant par-tout avec les mains. Le
Valet-de-chambre lui gliffa dans fa poche
la clef qu’il cherchoit. Après bien des mou-
vemens inutiles , Negretti. mit par hafard
la main dans fa poche , trouva la c le f, fe
fâcha de fa prétendue fottife ,. ouvrit le
buffet, prit une ferviette, un plat & deux
pains; referma le buffet, & alla à la cuifine.
La il apprêta une falade, tirant de l’armoire
toutes les chpfes dont il avoit befoin ; &
quand il eut fa it, il s’aflit à une table pour
manger. On lui ôta ce plat, & on en mit
à la place un de choux, affaifonr.és d’un
très-haut goût il continua.de mang#. On
fubflitua à ces choux un gâteau, qu’il avala
tout de même, fans paraître diftinguer cès
mets. En mangeant , il prêtait quelquefois
l’oreille , croyant qu’on l’appeiloit. Il fe
perfuada une fois qu’on l’avoit effectivement
appellé; il defeendit vîte le degré pour
fe rendreà la falle ; & voyant qu’on n’avoit
rien à lui dire; i l alla dans d’antichambre ,
& demanda aux domeftiques fi on nel’avoit
point appelle :.fur quoi il revint d’affez mau-
vaife humeur fe remettre .à table, dans , la
cuifine. Après avoir fini fon repas., il dit à
demi-voix, qu’il irait volontiers au cabare t
prochain, pour y boire un coup, s’il avoit
de l’argent. Il fouilla inutilement: dans fes
poches, A la fin rl fortit, en difant qu’il y
alloit pourtant, qu’il payerait le lendemain,
& qu’on lui ferait bien crédit II courut a#
cabaret, qui- était à deux portées de fiifil
de la maifon ; il frappa à la porte , fans
effayer fi elle étoit ouverte , comme s’il eût
fu qu’à ces heures-là elle devoit être fermée.
On ouvre , il entre, appelle l’hôte , & demande
un demi-feptier de vin. On lui donne
la même mefure d’eau , qu’il boit pour du
vin ; & après avoir fini, il dit qu’on lui
ferait bien crédit jufqu’au lendemain. Là-
deffus il for t, & retourne vîte au logis. Il
rentre dans l’antichambre, & demande aux
domeffiques fi fon maître ne l’a point appellé.
Il parut enfuite fort g a i, & dit qu’il étoit
forti pour aller boire , & qu’il fe trouvoit
mieux. On -lui ouvrit alors les yeux avec
les doigts,& il s’éveilla. D ’autres fois on lui
jetoit un peu d’eau au vifage, pour le tirer
de fon état de fomnambule.
M.Pigatti remarqua que Negretti faifoit,
chaque nuit, quelque chofe de nouveau. Il
dit aufli avoir obfervé que , tant que fon
état durait, il n’avoit aucun ufage de la
vue , de l’ouie , de l’odorat, ni du goût. Il
n’entendoit pas le plus grand bruit ; on a vu
qu’on pouvoit lui faire manger des mets
très-différens,fans qu’ils’apperçût du changement.
Il ne vo yo it pas une chandelle qu’on
tenoit affez près de fes yeux pour lui brûler
les paupières. Il ne fentoit pas une plume
avec laquelle on lui chatouilloit fortement
le nez ; en un mot, rien ne faifoit impreflion
fur lui. Quant au ta ft, il l’avoit quelquefois
affez fin, & d’autres fois aufli fort greffier *.
Mefure des nourritures folides & de la boiffon.
* On a beaucoup écrit fur les propriétés
falutairès ou nuifibles des alimens ; cependant
M. Haller dit avoir obfervé, pendant
long-temps, fur les autres & fur lui-même,
que la confervation de la fanté & la bonne
digeftion dépendoient moins du choix des
alimens , que du foin de fe borner à la jufte
mefure qui convient à l’état aâuel de l’ef-
tomac, & que ce vifeère digéroit facilement
de mauvaifes nourritures, pourvu que l’on
n’en prît qu’en petite quantité. C’en: par ce
principe que l’on peut expliquer comment
des hommes preffes par la faim, & manquant
des reffources ordinaires pour l’appaifer
, ont pu conferver leur vie en mangeant
du cuir & d’autres alimens extrêmement
difficiles à digérer.
Selon les expériences de Sanûorius, la
plus grande quantité, tant de nourriture
folide que de boiffon , qu’un homme fain
puiffe prendre fans s’incommoder, ne va
pas au-delà du poids de huit livres ; & la
plûpart même des hommes ne fe permettraient
pas impunément cette mefure.
La proportion qui fe rapproche le plus
de la précédente , eft celle de G. R y e , qui
prenoit chaque jour fept livres & quatre ou
fept onces de nourriture. Dans un autre1
temps , il fe bornoit à fept livres , ou à fix
livres huit onces. 11 fe contenta enfuite de1
fix livres &demie en été, & de quatre livres
& demie en hyver. Home a évalué la quan-:
tité de nourriture de chaque jour à quatre
livres trois onces, & Cheyne à quatre livres
& demie.
On peut fe conferver la vie en reliant
beaucoup au deffous des mefures précédentes.
Somis rapporte que trois femmes ,
qui étaient reliées enfouies fous la neige ,
pendant trente-fept jours , n’avoient pris,
chaque jour, qu’une livre de lait; & il ajoute
qu’il a nourri certaines perfonnes pendant
plufieurs mois, en ne leur accordant chaque
jour que douze onces de lait & trois livres
de ptifanne d’orge.
Le célèbre Cornaro prolongea fa v ie
pendant un grand nombre d’années, en fe
réduifant, pour chaque jo u r , à vingt-fix
onces , tant de pain , jaunes d’oeufs ; foupe
& viande , que de vin. Il ne laiffoit pas de
mener une vie occupée , fe livrant aux
foins du Gouvernement, & fe rendant
enfuite dans une campagne où il mefuroit
des terres, & marquoit les endroits où i l 1
falloit creufer des canaux pour l’écoulement
des eaux. ..
Cette grande exaâitude dans le régime
a été proferite par plufieurs Auteurs. » Ce-
» pendant , ajoute M. Haller, je me fuis
» affuré, par ma propre expérience, qu’une
» nourriture fobre, & fur-tout une extrême
» modération dans l’ufage des viandes, pro-
» cure un fommeil paifible , favorile les
» travaux de l’e fpr it, entretient le bon