
pommés ou en tige, 8c de racines de perfil,
8c enfuite un gros morceau de jambon ,
coupé par tranches longues 8c minces 8c
faupoudré de lu c re , des boudins 8c des
faucilles, quelques alouettes ou un canard
fauvage, 8c une épaule de mouton, le tout
avec une quantité convenable de pain. Mais
on a remarqué qu’il ne buvoit que médiocrement.
Quelquefois cette avidité immodérée
n’épargne pas même le premier âge. Une
payfanne Angloife , étant enceinte , s’étoit
guérie, par des remèdes, d’une colique qui
la tourmentait. Une faim dévorante fuccéda
à cette maladie : enfin elle mit au monde
un fils qui avoit déjà hérité de fon avidité.
Quoique la mère eut du lait en abondance,
elle fut obligée d’appeller à fon fecours,
pour nourrir fon fils , une femme du vo i-
finage qui avoit perdu le fien mais l’enfant
épuifoit fes deux nourrices fans pouv
o ir être raffafié : enfin on fut obligé de
lui donner du v in , qui modéra festbefoins
8c le rendit plus fobre.
On a vu auffi des hommes qui fëm-
bloient avoir le tempérament 8c la raifon
à l’épreuve du vin, Sénèque nous a con-
ferve un trait de Cambife,.roi de Perfe,
qui , offenfé des repréfentations qu’un de
fes favoris lui faifoit fur fa paffion pour
le v in , lui promit de lui montrer bientôt
qu’après avoir bu , il n’en avoit ni le
coup-d’oeil moins jufle , ni la main moins
fûre. Il fe met alors à boire beaucoup plus
que de coutume , 8c dans, de plus grands
verres. Déjà plein de vin , il ordonne au
fils de fon cenfeur d’aller fe placer au
delà de la porte , la main gauche élevée
fur la tête : alors il bande fon arc , annonce,
qu’il en veut au coe u r , le perce,
puis ouvrant la poitrine du jeune homme,
il montre le trait enfoncé dans fon coeur.
Barbare vanité , qui fuppofbit dans ce
Prince un délire beaucoup plus affreux que
celui do l’ivreffe.
L’Empereur Tibère ne- rougiffoit point
d’exciter fes fujets, par l’appât des récom-
penfes, à des exploits bachiques.' Il admira
lur-tout un certain- Novellius Torquatus,
de Milan , qui avaloit trois Ronges ou
environ quinze pintes de vin d’un feu!
trait. Il préféra pour la queflure, à des
candidats diflingues , un homme fans nom,
q u i, fur fon invitation, avoit vuidé dans
un repas une amphore de vin , contenant,
comme nous l’avons d it , à-peu-près vingt-
huit de nos pintes'.
Jonflon parle d’un buveur q u i, aux
noces d’une perfonné de qualité, avoit
porté l’effort de l’ivrognerie jufqu’à fix
congés , c’efl-à-dire , trente pintes.
L’exercice de ce talent honteux a, eu auffi
fes rafiinemens. On cite un officier 8c un
joueur d’inftrumens qui avaloient le vin
qu’on leur verfoit dans la bouche, fans faire
aucun mouvement du gofier , à l’exemple
de cet Athénien , nommé Diotime , à qui
une femblable adreffe avoit fait donner le
furnom d’entonnoir.
On a v ii, en Bohême , un payfan boire',
dans l’efpace de trois heures , deux cents
quatre-vingt verres de bière , pour gagner
une gageure. Il s’étoit préparé par une
diète de trois jours , durant lefquels il ne
but que de l’huile d’olives ; 8c pendant
l’opération, il fe fit enfoncer dans la terre
jufqu’aux aiffelles-
Les Allemands ont eu long-temps la
même réputation que les anciens Thraces ,
dont l’intempérance à l’égard du vin avoit
paffé en proverbe. En Allemagne, l’ivreffe
raifoit partie des devoirs de la fociété-
C’était traiter civilement un hôte que de
l’engager à vuider ,. d’un feul trait , une
grande coupe pleine de vin qu’on lui pré-
lentoit, 8c la manière dont il fe tiroit de
cette épreuve décidoit de l’opinion qu’on
devoit avoir de lui. Barklei raconte, dans
fon Euphormion , qu’un officier Allemand „
qui amenoit en France des troupes auxiliaires
de fa nation, fut invité à un grand
repas par un feigneur François. Celui-ci
qui favoit à quel prix les Allemands mettaient
leur amitié , s’efforçoit de gagner
celle de fon h ô te , par l’abondance 8c la
variété des. vins..Les verres- âuffi-tôt remplis
que yuidés paffoient d’une main à
l’autre fans interruption. Mais l’Allemand
qui n’avoit fait jufqu’alors que s’efîàyer,.
porte enfin un défi à fon hôte ,. en epuifant,
d’une feule haleine , une coupe d’une
grandeur confidérable. Le François , après
avoir d’abord répondu au défi, remplit de
nouveau la coupe, 8c donne, à fon tour, un
exemple qui efl bientôt fuivi. Alors l’officier
etranger, ravi d’avoir trouvé un ami
fi confiant dans fes démonflrations , lui
promet, en reconnoiffance , de pourvoir,
pendant deux mois, à la folde des troupes
qu’il avoit amenées ; 8c cette promette,
faite dans un de ces momens où l’on efl
de fi bonne f o i , fut exécutée de même *,
Exemples de perfonnes qui ont paffé un temps
confidérable fans prendre de nourriture,
* Quelqu’ étonné que l’on foit,lorfque
l ’on confidèrë jufqu’où s’étendent quelquefois
les forces de la Nature dans l’ufage
exceffif des alimens , l’extrême oppofé
femble avoir quelque çhofe de plus merveilleux
encore. Je parlé de cette longue
abflinence de toute nourriture occafionnée
dans certains hommes par un accident, ou
par une difpofition particulière du tempérament
, qui amortit ou même éteint en
eux ce befoin inné, cet appétit fi défira-
ble , lorfqu’il efl fage 8c réglé , lorfqu’il
nous follicite fans importunité à prendre
des mets dont il efl le plus doux affaifon-
nement, 8c ne nous laiffe fentir l’aiguillon
du defir qu’autant qu’il faut pour nous
rendre plus agréables les reffources nécef-
faires à l’entretien ou au renouvellement
de nos forces. —
Un jeune Saxon, d’un tempérament mélancolique
, fe trouvant empêché par les
loix du pays , de fe défaire de quelques
biens qu’il vouloit vendre , tomba dans
une trifleffe fi profonde , qu’il paffa quatorze
jours , fans vouloir manger ni boire _
quelque chofe que ce fût. Enfin , vaincu
par les inflances qu’on lui faifoit, il con-
fentit à prendre un peu de bouillon , 8c
ce léger repas fut fuivi d’une nouvelle
abflinençe de quatorze jours.
Cardan parle d’un certain Léonard qui
s’étoit accoutumé par degrés à ne manger
qu’une fois la femaine, 8c d’un jeune Ecof-
fois , qui étant en prifon, paffoit volontairement
vingt jours à jeun, 8c quelquefois
jufqu’à trente jours.
En i6z-o , un feigneur Anglois , mélancolique
, s’étant rendu à Spa, y paffa les
dix premiers jours , en fe privant abfolu-
ment de toute nourriture 8c de toute boif-
fon. Il refloit au l i t , 8c ne vouloit ni voir
la lumière , ni parler à perfonne , pas
même à fa femme, qui étoit dans la fleur
de l’âgé 8c de la beauté ; il n’y avoit d’exception
qu’en faveur d’un feul domeflique.
Les dix jours fuivans , il fe levoit de grand
matin , 8c prenoit l’exercice de la chaffe
jufqu’à fe fatiguer, après quoi il revenoit
faire un repas, qui auroit fuffi pour raffa-
lier trois perfonnes.
Le trait fuivant , dont Schurigius dit
avoir été témoin dans fa jeuneffe, offre un
paffage encore plus frappant d’un extrême*
à l’autre. L’an 1663 , cet auteur avoit
connu un foldat, qui mangeoit en un feul
repas la nourriture de fix ou huit perfonnes.
Sa voracité fournit même un jour à
fon capitaine l’occafion d’pne gageure, qui
devoit procurer un beau cheval à l’officier
, 8c un ducat au foldat, avec tous les
mets que l’on avoit préparés pour fix perfonnes
; mais à condition qu’il n’en feroit
qu’un repas. Comme il rentroit gaiment
chez lu i , après le gain de fa gageure , il
trouva que fon hôte 7qui étoit un cordonnier
, venoit de fe mettre à table avec
fes compagnons. Qn leur avoit fervi des
fauciffons avec des choux , du beurre 8c
du fromage. Le foldat gage qu’il mangera
tout ce qui efl fur la table , 8c le parti
ayant été accepté, il dîne une fécondé fois
aux dépens des convives. Et cependant' ce
même loldat, au rapport de fes officiers 8c
de fes compagnons , fe trouvant au camp ,
était capable de fupporter une abflinence
de trois, cinq, 8c quelquefois huit jours.
Et comme fa paye ne fuffifoit pas pour
fournir à fçs befoins , il fe ferroit tous les
jours à l’endroit de i’eflomac , avec une
large ceinture de cuir , pour fe mettre en
état de réfifler plus aifément à la faim ;
8c il bandoit ou lâchoit cette ceinture à
proportion de la difettç ou de l’abondanee
OÙ il fe ttouvpit,