
6 A N E
que pour le plaifir, ou plutôt il en eft furieux au
point que rien ne peut le retenir , & que' Ton
en a vu s’excéder & mourir quelques milans
après ; & comme il aime avec une efpèce de
fureur , il a aufli pour fa progéniture le plus fort
attachement. Pline nous affure que, lorfqu’on fé-
pare la mère de fon petit , elle palTe à travers
les flammes pour aller le rejoindre. Il s’attache
aufli à fon maître , quoiqu’il en foit ordinairement
traité fort mal, il le fent de loin &. le diftingue
de tous les autres hommes ; il reconnoît aufli les
lieux qu’il a coutume d’habiter, les chemins qu’il
a fréquentés ; il a les yeux bons , l’ouie très-
fine , l’odorat admirable, fur-tout pour les corpuf-
cules de l’ânefle. Lorfqu’on le furcharge , il marque
fa peine en inclinant la tête & baiflant les oreilles ;
lorfqu’on le. tourmente trop , il ouvre la bouche
& retire les lèvres d’une manière très-défagréable,
& qui lui donne un faux air moqueur ,& dérifoire.
Si on lui couvre les yeux, il refte immobile , &
lorfqu’il efl: couché fur le côté , fi on lui place
la tête de manière que l’oeil foit appuyé fur la
terre , & qu’on couvre l’autre oeil avec une pierre ,
ou un morceau de bois, il refte dans cette litua-
tion fans faire aucun mouvement. Il marche , il
trotte & il galoppe comme le cheval ; mais tous
fes mouvemens font petits & beaucoup plusffents ;
quoiqu’il puiffe d’abord courir avec aflez de vîtefle,
il ne peut fournir qu’une petite carrière , & quelque
allure qu’il prenne, il efl bientôt rendu.
L’âne brait par un grand cri très - long , très-
défagréable & difcordant par diflonances alternatives
de l’aigu au grave & du grave à l’aigu ;
ordinairement il ne crie que lorfqu’il efl prefîe
d’amour ou d’appétit ; l’ânefle a la voix plus claire
& plus perçante ; Xâne qu’on fait hongre ( châtré ) ,
ne brait qu’à baffe voix, & quoiqu’il paroiffe faire
autant d’efforts &. les mêmes mouvemens de la
gorge , il ne. fe fait pas entendre loin.
De tous lés animaux couverts de poil , Xâne
efl celui qui efl le moins fujet à là vermine,
jamais il n’a de poux, ce qui vient apparemment
de la dureté & de la fécherefle de fa peau , &
c’eft par la même raifon qu’il, efl bien moins fen-
fible que le cheval aux coups de fouetN & à la
piquûre des mouches. Ses dents incifives tombent
& fe renouvellent dans le même temps & dans
le même ordre que celles du cheval : ainfi l’on
connôît l’âge de Xâne , par les dents , ainfi que
l’âge du cheval.
Dès l’âge de deux ans , Xâne efl en état d’engendrer
; la femelle efl encore plus précoce que
Je mâle , &. elle efl toute aufli lafcive ; c’eft par
cette raifon qu’elle eft très-peu féconde , & même
fon accouplement ne feroit prefque jamais fructueux
, fi l’on n’avoit foin de lui ôter prompte-
snent l’irritation du plaifir , en lui donnant des
coups , pour calmer fes cônvulfions amoureùlës.
Le temps le plus ordinaire de la chaleur eft le
mois de mai &. celui de juin ; lorfque l’âneffe eft
A N E
pleine , bientôt la chaleur cefle , & , dans le
dixième mois, le lait paroît dans les mamelles ,
elle met bas dans le douzième , ôt fouvent il fe
trouve dans la liqueur dé^amnios des morceaux
folides , femblables à Xhyppomanls du poulain.
Sept jours après .l’accouchement, l’âneffe recommence
à entrer ven chaleur , & fe trouve en état
de recévoir le mâleenforte qu’elle peut, pour
ainfi dire, continuellement engendrer & nourrir ;
elle ne produit qu’un petit, & fi rarement deux ,
qu’à peine en a-t-on des exemples ; au bout de
cinq ou fix mois , on peut févrer l’ânon, & cela
eft même néceffaire , fi la mère eft pleine , pour
qu’elle puiffe mieux nourrir fon foetüs.
L’âne étalon doit être choifi parmi les plus
grands & les plus forts de fon efpèce , il faut qu il
ait au moins trois ans., &. qü’il ne çaffe pas dix,
qu’il ait les jambes hautes , le corps étoffe , la tete
élevée & légère , les yeux vifs , les nafeaux gros ,
l’encolure un peu longue 3 le poitrail large , les
reins charnus , la côte large , la croupe platte ,
la queue courte , le poil luilant, doux au toucher ,
& d’ un gris foncé.
L’âne peut vivre vingt-cinq ou trente ans ; on
prétend que lés femelles vivent ordinairement plus
long-temps que les mâles ; mais cela vient peut-
être de ce qu’étant fouvent pleines , elles font un
peu plus ménagées que les mâles, qu’on excede
continuellement de fatigue &de coups. Ils dorment
moins que les chevaux, & ne fe couchent pour
dormir que quand ils font très - fatigués. Liane
étalon dure aufli plus long-temps que le cheval
étalon ; plus il eft vieux , plus il paroît ardent,
& , en général , la fanté de cet animal eft bien
plus ferme que celle du cheval ; il eft moins délicat,
& il n’eft pas fujet , à beaucoup près , a
un aufli grand nombre de maladies.
A confidéref cet animal , même dans un
aflez grand détail, il paroîtroit n’être qu’un cheval
dégénéré : la parfaite fimilitude de conformation
dans le cerveau , les poumons , l’efto-
mac , le conduit infêftinal, le coeur, le foie ,
les autres vifcères , & la grande reffemblance
du corps , des jàmbes , des pieds & du fqué-
lette en entier , femblent fonder cette opinion :
l’on pourroit attribuer les légères différences qui
fe trouvent entre ces deux animaux , à l’influence
très-ancienne du climat, de la nourriture , & à la
fucceflion fortuite de plufieurs générations de petits
chevaux fauvages à demi dégénérés , qui , peu à
peu auroient encore dégénéré davantage , fe
feroient énfuite dégradés autant qu’il ëft poflible ,
& auroient à la fin produit à nos yeux une efpèce
nouvelle & confiante , ou plutôt une fucceflion
d’individus femblables , tous conftamment viciés
de la même façon , & aflez différens des chevaux ,
pour pouvoir être regardés comme formant une
autre efpèce. '; .Jr ' v
Ce qui fembleroit encore favorifer cette idée ,
c’eft que les chevaux varient beaucoup plus que les
A N E
rânes, par là couleur de leur poil ; qu’ils font par
conféquentplus anciennement clomelhques, puilque
tous lés animaux domeftiques varient par la couleur
beaucoup plus que les animaux fauvages de la
: même eipèce ; que la plupart des chevaux lauvages
(dont parlent les voyageurs , font de petite taille ,
& ont, comme les ânes , le poil gris, la queue nue,
hériffée à l’extrémité , & qu’il y a des chevaux' fauvages,
& même des chevaux domeftiques qui ont
la raye noire fur le dos , & d’autres cara&ères qui
les rapprochent encore des ânes fauvages &. domeftiques.
D’un autre côté, fi l’on çonfidère les différences du
tempérament, du naturel, des moeurs, en un mot ,
du réfultat entier de l’organifation dë ces deux animaux
, & fur-tout l’impoifibilitè de les mêler , pour
en faire une efpèce commune, ou même une eipèce
intermédiaire , qui puiffe le renouveller, on fera
encore mieux fondé à croire que ces deux animaux
i font chacun d’une eipèce aufli ancienne l’une que
l’autre , & originairement aufli différentes qu’elles
le font aujourd’hui ; d’autant plus que Xâne ne laifl’e
pas de différer matériellement du cheval par la pe-
titeffe de la taille , la groffeur de la tête , la dureté
de la peau , la nudité de la queue, la forme de
la croupe, & aufli par les dimenfions des parties
qui en font voifines , par la voix, l’appétit , la
manière de boire, &c.
Il y a, parmi les ânes, différentes races comme
jparrni les chevaux , mais que l’on connoît moins,
parce qu’on ne les a ni loignés, ni fuivis avec
la même attention. Seulement on ne peut guère
douter qu’ils ne foient originaires des climats
chauds : car ils font d’autant plus petits & d’autant
moins forts, que les climats iont plus froids. Ils pa-
roiffent être venus primitivement d Arabie, & avoir
paffé de-là dans les autres pays. Dans les climats
excefîivement chauds , comme aux Indes & en
Guinée , ils font plus grands, plus' forts .& meilleurs
que les chevaux du pays, ils lont même en
-grand honneur à Maduré , où l’une des plus confi-
dérables & des plus nobles tribus des Indes , les
révère particulièrement , ‘par*.e qu’elle croit que
les âmes des nobles paiient dans le corps des ânes.
Chardin dit, «'qu’il y a de deux iortes d’ânes
en Perle : les ânes du pays , qui l'ont lents &
pelans , & dont on ne fe.iert que pour porter des
fardeaux , &. une race àlânes d’Arabie, qui font
'de fort jolies bêtes 6c les premiers ânes du monde :
ils ont le poil poli, la ttte haute , les pieds légers ;
ils les lèvent avec aétion , marchant bien, Cx. l’on
ne s’en fert que pouf montures ; les lelles qu’on
leur met, font comme des bâts ronds &. plats
J>ar-deffus ; elles l'ont de drap ou de tapiflërie
avec les harnois & les étriers ; on s’aflied deffus
plus vers la croupe que vers le cou : il y a de
ces beaux ânes qu’on acheté julqu’à quatre cents
..livres , & l’on n’en fçauroit avoir, à moins de
. vingt-cinq piltoles ; on les panie comme les che-
y a u x , mais on ne leur apprend autre chofe qu’à
A N E 7
aller l’amble , & l’art de les y dreffer eft de leur attacher les jambes , celles de devant & celles de
derrière , du meme côté , par deux cordes de
•coton , qu’on lait de la mefure du pas de Xâne
qui va 1 amble, &, qu’on fufpend par une autre
corde paffee dans la fangle , à l’endroit de l’étrier :
des efpèces d’Ecuyer les. montent foir & matin
& les exercent a cette allure : on leur fend les
nafeaux afin de leur donner plus d’haleine , & ils
vont fl vite, qu’il faut galopper pour les luivre ».
On trouve les ânes en plus grande quantité
que les chevaux dans,tous les pays méridionaux ,
depuis le Sénégal jufqu’à la Chine.
. ^ exifte dans le Levant, & dans la partie fepten-
trionale cfe l’Afrique , une très-be}le race d’ânes ,
qui, comme celle des plus beaux chevaux, eft
originaire d’Arabie; cette race diffère de'la race
commune,, par la grandeur du corps , la légéreté
des jambes & le lùftre du poil. Ces ânes font
de couleur uniforme, ordinairement d’un beau gris
de fouris, avec une croix noire fur le dos & fur
les épaules ; quelquefois ils font d’un gris plus
ciair, avec une croix blanche. Ces ânes d’Afrique
oc d Afie , quoique plus beaux que ceux d’Europe
iortent egalement' des onagres ou ânes fauvages!
roye^ O n a g r e . °
On n a point trouvé d’ânes en Amérique ; mais
ceux que les Efpagnols y ont tranfporté d’Europe
ont beaucoup multiplié , & fon y trouve , en
plulieurs endroits , des ânes devenus fauvages
qui vont par troupes, & que l’on prend dans des
piégés , comme-les chevaux fauvages.
Les ânes fauvages , foit qu’ils le foient devenus
ou quils appartiennent à la race primitive , fe
le trouvent aufli dans quelques ifles de l’Ar-
chipel & particulièrement dans celle de Cérieo
en Perle dans l’Inde & les déferts de la Lille’
& de la Numidie. Ils font gris , & courent fi
BU <Iul1 n y a que les chevaux-barbes qui
puiffent les attemdre à la courfe. Lorfqu’ils voyent
un homme, ils jettent un cri, font une ruade .
s arrêtent & ne fuyent que lorfqu’on les approche :
on les prend dans des pièges & dans des lacs de
eorde , & on en mange la chair. Nous ne pouvons
pas dire fi cette chair eft bonne : mais
ce qu il y a de fur , c’eft que celle de l'âne domef-
j e eft. très-mauvaile & plus défagréable,tient
miçide que celle du cheval. Galien dit même que
ceit un aliment .pernicieux & qui donne des maladies.
Le lait d aneffe, au contraire , eft un remède
éprouvé & fpecifique pour certains maux. Pour
lavoir de bonne qualité, il faut choiûr une inefTe
jeune, faine , bien en chair , qui ait mis bas depuis
peu de_temps, & qui n’ait pas été couverte
depuis : il faut lui oter l'ânm qu’elle allaite , la
tenir P^pre la bien nourrir de foin . d’avoine,
dorge & d herbes, dont les qualités falutaires
puiffent influer fur la maladie , avoir attention de
ne pas laiffer refroidir le lait, & même ne le pas
expoler a 1 air, ce qui le gâteroit en peu de temps.