
Fille fauvage trouvée prés de Châlons - fur-
Marne, en <73/.
* Les détails que nous donnerons ici
fur cette fille fingulière , d’après le récit
de M. Racine le fils (a) , font voir juf-
qu’oit s’étend la portée de nos forces ,
lorfque le befoin nous oblige de fuppléer
par les feules reffources de la Nature , au
défaut de celles que l’Homme en fociété
tire de fon commerce avec fes fembla-
bl«s.
Au mois de Septembre 1731 , les do-
mefliques du château de Sognÿ , ayant
apperçu, pendant la n u it, dans le jardin ,
fur un arbre très-chargé de pommes , une
efpèce. de fantôme , s’approchèrent, fans
faire de bruit , & voulurent environner
l ’arbre ; mais tout-à-coup le fantôme fauta
par-deffus leur tête , & même par-deffus
les murs du jardin, & fe fauvadans un
bois voifin , fur un arbre fort élevé. Le
feigneur du château fit environner cet arbre
par fes domefliques 8c par fes payfans ,
& il falloit en environner plufieurs, parce
que le fantôme fautoit aifément d’un arbre
à l’autre. Il s’agiffoit de le faire defcendre.
La dame du château s’imaginant que la
faim 8c la fo if en viendraient aifément à
b out, fit apporter un feau d’eau , 8c ayant,
par hafard , trouvé une anguille , la fit
v o ir à la Sauvage. Celle-ci tentée en effet
à cette v u e , defcendoit à moitié & remon-
toit enfuite ; enfin elle defcendit jufqu’à
terre, 8c alla boire au feau. On remarqua
qu’elle buvoit en plongeant le menton
jufqu’à la bouche , & avalant l’eau à la
manière des chevaux. On la faifit, 8c l’on
v it que les ongles de fes pieds & de fes
mains , très-longs & très-durs , lui don-
noient cette habileté à monter fur les
arbres. Elle paroifioit noire ; mais le
changement de demeure lui rendit bientôt
fa blancheur naturelle.
Elle fut conduite au château , oit elle
fe jetta d’abord fur des volailles crues
que le cuifinier préparait. Ne connoiffant
aucune langue, elle n’articuloit aucun fon ,
8c formoit feulement un cri de la gorge,
qui étoit effrayant. Elle favoit auffi imiter
le cri de quelques animaux quadrupèdes
8c de quelques oifeaux. Le temps froid
l’obligeoit de fe couvrir de quelque peau
de bete ; mais en toute faifon, il falloit
qu’elle eût au moins une ceinture pour
mettre une arme , qu’elle appelloit fon
boutoir. C ’étoitun bâton court 8c rond par
le b ou t, dont elle fe fervoit pour, terraffer
les bêtes fauvages : elle en donnoit fur la
tête d’un loup un coup qui l’abattoit fur
le champ, ainfi qu’elle l’a raconté depuis.
Elle ajoutoit que quand , avec cet infiniment
, elle avoit tué un lièvre , elle le
dépouilloit & le dévoroit; mais que, quand
elle l’avoit pris à la courfe, elle lui ouvrait
une veine avec fon ongle, buvoit
tout fon fang, 8c jettoit le relie. La manière
dont elle courait après les lièvres,
efl furprenante : elle a doniÿ des exemples
de fa façon de courir. Il ne paroiffoit prefque
point de mouvement dans fes pieds, & aucun
dans fon corps ; ce n’étoit point courir,
mais gliffer.
Cette même agilité qu’elle avoit fur la
terre, elle l’avoit dans l’eau, où elle allùit
chercher les poiffons, qui étoient pour elle
des mets très-friands. Elle refloit longtemps
plongée , l’eau paroiffoit être fon
élément.
On n’a pu favoir au jufle quel âge elle
avoit ni d’où elle venoit. Lorfqu’on la quef-
tionna par lignes, pour favoir où elle etoit
née, elle montra un arbre; fans doute parce
que n’ayant jamais vu de maifons , elle fie
connoiffoit que les forêts. M. de la Con-
damine, pour tâcher de découvrir le lieu
où elle étoit née , lui préfenta des racines
de plufieurs plantes de l’Amérique , dans
l’efpérance qu’elle reconnoîtroit quelques-
unes de celles qu’elle pouvoit avoir vues
dans fon enfance ; mais cette expérience fut
inutile. La Sauvage fit feulement entendre
par fignes, qu’elle avoit traverféune grande
quantité d’eau ; ce qui a fait croire qu’elle
etoit venue de l’Amérique.
( «) Eclair cillement ajouté à la fuite de l’Epitre fecqnde , fur l’Homme,
Lorfque
Lorfque peu à peu apprivoifée, elle eut
appris notre Langue, elle raconta comment
elle avoit perdu une compagne de fon âge,
avec laquelle elle avoit vécu.
Toutes deux nageant dans une riviere ,
la Marne, fans doute, entendirent un bruit
qui les obligea de plonger. C’étoit un Chaf-
feur, q u i , de loin , ayant cru voir des
poules d’eau, avoit tiré fur elles. Elles
pouffèrent leur voyage beaucoup plus loin;
& fortant de la riviere pour entrer dans un
bois, elles trouvèrent un chapelet, qu’il
fallut fe difputer, parce que toutes deux
vouloient s’en faire un bracelet. Notre
Sauvage ayant reçu un coup fur le bras ,
répondit à fa compagne par un coup fur la
tête, mais fi violent , que, fuivant fon
expreffion , elle la fit rouge. Aufîi-tôt, par
cé mouvement de la Nature qui nous porte
à fecourir nos femblables, elle.va chercher
un endroit où il y eût un chêne , & monte
jufqu’au haut ; y ayant trouvé une certaine
gomme, propre, félon elle, à guérir le mal
qu’elle avoit fa it, elle retourne au lieu où
elle avoit laiffé fa compagne ; mais elle n’y
étoit plus, 8c elle ne l’a jamais revue. *
La refpiration.
* Tout le méchanifme de la refpiration
dépend, comme l’on fa it, de deux mouve-
mens ; l’un d’infpiration , par lequel l’air efl
introduit dans la poitrine ; & l’autre d’expiration
, par lequel il en efl chaffé.
On a vu des Hommes fe donner volontairement
la mort , en faifant un effort
violent pour retenir l’air dans leurs poumons.
Valere Maxime (a) parle d’un fameux
chef de brigands , nommé Coma, q u i,
ayant été pris 8c conduit au Çonful Rupi-
lius , s’étouffa au milieu de fes gardes, en
arrêtant fa refpiration. On dit que les
efclaves d’Angola ont recours à cet affreux
artifice , pour s?ôter une vie que la cruauté
de leurs maîtres leur ont rendue odieufe.
Selon M. Haller , la refpiration efl entièrement
foumife à la volonté; nous prolongeons
à notre gré l’infpiration, 8c nous
çonfervons plus long-temps l’air dans nos
{« ) L. ix. e. ia.
flijloire Naturelle, Tom, I,
poumons, foit pour faire quelque effort,
foit pour mettre notre corps dans un repos
parfait. Nous pouvons auffi donner un jeu
très-étendu à Ist refpiration, 8c introduire
dans nos poumons une grande quantité
d’a ir , pour favorifer le développement de
la voix dans le chant. Nous pouvons augmenter
l’infpiration , lorfqu’un exercice
pénible nous fait haleter ; nous pouvons la
reflreindre au point d’être prefque infen-
fible, lorfqu’un mal de côté nous la rend
douloureufe. Nous fommes libres encore
de nous procurer une expiration tres-abon-
dante, lorfque nous voulons jeter un cri:
Nous pouvons rendre le mouvement alternatif
de la refpiration tellement inégal ,
qu’une profonde infpiration foitfuivied ime
expiration prefque nulle. Nous pouvons
enfin demeurer pendant un certain temps
fans refpirer; la néceflité même d'introduire
de nouvel air dans les poumons , diminue
pat l’habitude. C ’efl ainfi que les Plongeurs
apprennent par l’exercice ? à relier longtemps
fous l’eau, 8c temperent peu a peu,
par un effet de la même habitude, la gene
occafionnée par la diminution de la denfite
de l’air à mefure qu’ils remontentà lafurface.'
Pour déterminer combien de temps on
peut vivre fans refpirer, il faut bien distinguer
entre l’état d’un Homme fain 8c
vigoureux, que l’o n plongerait, par exemple,
Subitement dans l’eau, 8c l’état d’un Homme
languiffant 8c refpirant à peine, qui entrerait
dans ce même fluide par une immerfion
■ lente. On dit que les hirondelles des pays
Septentrionaux , engourdies aux approches
de l’h ive r , s’enfoncent infenfiblement dans
les étangs, & y refient dans un état de
mort apparente , jufqu’à ce que la douce
chaleur du Printemps vienne leur rendre
le mouvement 8f la vigueur. Il en efl à-peu-
près de même de ces Hommes qui refient
pendant des jours entiers , 8ç , fi l’on en
croit certains Auteurs , pendant des fe-
maines , 8c quelquefois jufqu’à quarante
jours,fans pouls&fansrefpirationapparente.
Mais un Homme ou un animal que l’on
plongerait fubitement dans l’eau , y feroit
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