
peut pas affûter fi les animaux du fiord de l’Êu-
rope s’y trouvent ou ne s’y trouvent pas.
Nous avons remarqué, comme une chofe très-
finguliere, que dans le nouveau continent, les
animaux des provinces méridionales font très-
petits en comparaifon des animaux des pays chauds
de 1 ancien continent. Il n’y a en effet nulle com-
jbaraifon pour la grandeur de l’éléphant, du rhinocéros
, de l’hippopotame, de la giraffe , du
chameau, du lion, du tigre, &c. tous animaux
naturels & propres à l’ancien continent ; & du
tapir , du "cabiai, du fourmitlier , du lama, du
jaguar, &c. qui font les plus grands animaux du
nouveau monde; les premiers font quatre, fix, huit
& dix fois plus gros que les derniers.
Une autre obfervation qui vient encore à l’appui
de ce fait général , c’eft que tous les animaux
qui ont été tranfjportés d’Europe en Amérique
, comme les chevaux, Ies.-ânes , les boeufs ,
les brebis, les chèvres, les cochons, les chiens, &c.
tous ces animaux , dis - je , y font devenus -plus
petits ; & que ceux qui n*y ont pas été transportés
& qui y font allés d’eux-mêmes, ceux,
en un mot, qui font communs aux deux mondes ,
tels que les loups, les renards, les cerfs, les chevreuils
, les élans , font aufli confidérablement
plus petits en Amérique qu’en Europe, & cela
fans aucune exception.
Au refte, nous ne prétendons pas afiurer affirmativement
& généralement , que de tous les
animaux qui habitent les climats les plus chauds
de l’un ou de l’autre continent aucun ne fe trouve
dans tous les deux à-la-fois ; il faudroit, pour en
etre phyfiquement certain, les avoir tous vus ;
nous prétendons feulement en être moralement
furs, puifque cela eft évident pour tous les grands
animaux, lefquels feuls ont été remarqués & bien
défignés par les voyageurs : que cela eft encore
allez clair pour la plupart des petits, & qu’il en
refte. peu fur lefquels nous ne puiffions prononcer.
D’ailleurs, quand il fe frouveroif à cet é^ard
quelques exceptions évidentes ( ce que l’on a peine
à imaginer) , elles ne porteroient jamais que fur un
très - petit nombre d’animaux, & ne détruiroient
pas la loi générale que l’on .vient d’établir, & qui
paroît être une bouffole allurée pour fe guider dans
la connoiffarice des animaux.
Cette loi qui fe réduit à les juger autant par le
climat & par lé naturel, que par la figure & la
conformation, fe trouvera très-rarement en défaut
, & nous fera prévenir ou reconnoîfre beaucoup
d’erreurs. Suppofons , par exemple, qu’il foit
queftion d’un animal d’Arabie, téî que l’hyëne,
nous pourrons affurer, fans crainte de nous tromper
, qu’il ne fe trouve point en Laponie, &
nous ne dirons pas, comme quelques-uns de nos
Naturaliftes , que l’hyène & le glouton font le
même animal. Nous ne dirons pas avec Kolbe, que
le t'èïlard croîfé, qui habite les parties les pîuf
boréales de l’ancien & du nouveau continent, fe
trouve en même temps au cap de Bonne-Efpé-
rance, & nous trouverons que l’animal dont il
parle n’eft point un renard, mais un chacal. Nous
reconnoîtrons que l’animal du cap de Bonne-
Efperance , que le même auteur défigne par le
nom de cochon de terre, & qui vit de fourmis ,
ne doit pas être confondu avec les fourmilliers
d’Amérique, & qu’il n’a vraifemblablement rien de
commun avec eux que de manger des fourmis.
De même , s’il eût fait attention que l’élan eft
un animal du Nord, il n’êût pas appellé de ce
nom un animal d’Afrique , qui n’eft qu’une gazelle.
La genette , qui eft un animal de l’Efpagne ,
de l’Àlie mineure , &c. & qui ne fe trouve que
dans l’ancien continent, ne doit pas être indiquée
par le nom du coati, qui eft américain, comme on
le trouve dans M. Klein. Uyfquiepatl ou mouffette
du Mexique , ne doit pas être pris pour un petit
renard ou pour un blaireau. Le coati-mondï d’A mérique
ne doit pas être confondu, comme l’-a
fait Al dr o van de , avec le blaireau-cochon , dont
on n’a jamais -parlé que comme d’un animal
d’Europe.
Mais l’on n’entreprendra pas d’indiquer ici tontes
les erreurs de la nomenclature des quadrupèdes 9
iDuffit de prouver qu’il y en airroit moins , fi l’on
eut fait quelque attention à la différence des climats
, & fi l’on eût allez étendu l’hiftoire des
animaux, pour reconnoître que ceux des parties
méridionales de chaque continent ne fe trouvent
pas dans tous les deux à-la-fois, & enfin fi l’on fe
fût en même temps abftenu de faire dés noms
génériques , qui confondent enfemble une grande
quantité d’efpèces , non - feulement différentes ,
mais fouvent très-élcignées les unçs des autres.
Un autre point de vue fous lequel les animaux
viennent s’offrir à nous, eft celui de leur plus
ou moins d’utilité , de leur inftiné! innocent ou
nuilible , de leurs appétits , principes de leurs
diverfes affe&ions, en un mot de leurs qualités
relatives, entre eux , & fur-tout avec nous. Les
uns font farouches & langumaires , les autres doux
& paifibles ; les uns aiment à fe raffembler 9
d’autreS fe tiennent folitaires.
La plupart vivent conftamment loin de nous &
nous fuient, ou par crainte ou par haine ; quelques
uns ont confenti à s’approcher de nos demeures,
à les adopter même ; ils ont reconnu
dans l’homme , un maître, & partagent aujourd’hui
avec lui les biens de la fociété oc les maux.de
l’efclavage. Ces efpèces font généralement du
nombre de celles dont le naturel eft doux , dont
les appétits font modérés & qui vivent des fruits
de la terre, ou du moins peuvent fe nourrir
d’autre chofe que de chair ôc de fang, car le
fcfiien & ïè chat ne font ici qu’une légère exception.
Mais les animaux carnaffiers & deltru&eurs
paroiffent être en plus grand nombre que les
animaux utiles ; &' quoiqu’en tout, ce qui nuit
paroifle plus abondant que ce qui fert, cependant
tout eft bien , parce que, dans l’Univers phyfique,
le mal. concourt au bien , & que rien en effet ne
nuit à la Nature.
Si nuire , eft détruire des êtres animés,
l’homme, confidéré comme faifant partie du fyftême
général de ces êtres, n’eft-il pas l’efpèce la plus
nuifible de toutes ? Lui feul immole, anéantit plus
d’individus vivans que les animaux carnaffiers n’en
dévorent. Us ne font donc nuifibles que parce
qu’ils font rivaux ’ de l’homme , parce qu’ils ont
les mêmes appétits , le même goût pour la chair,
Ôl que pour fubvenir à un befoin de première
néceffité, ils lui difputent quelquefois une proie
qu’il réfervoit à fes excès : .car nous facrifions
plus encore à notre intempérance, que nous ne
donnons à nos befoins. Deftruâeurs nés des êtres
qui nous font fubôrdonnés , nous épuiferions la
Nature, fi elle n’étoit inépuifable , fi par une fécondité
àuffi grande que notre déprédation , elle
ne favoit fe réparer elle-même & fe renouveller.
Mais il eft dans l’ordre que la mort fervê à la
vie , que la reproduction naiffe de la deftruéfion ;
uelque grande , quelque prématurée que foit
onc la dépenfe de l’homme & des animaux car-
naffiers, le fonds , la quantité totale de fubftance
vivante n’eft point diminuée, & s’ils précipitent
les deftruéfions, ils hâtent en même temps des
naiffances nouvelles.
Les animaux qui par leur grandeur figurent dans
l’Univers, ne font que la plus petite partie des
fubftances vivantes ; la terre fourmille de petits
animaux, Chaque plante , chaque graine , chaque
particule de matière organique contient des milliers
d’atomes animés. Les végétaux paroiffent être lé
premier fonds de la Nature ; mais ce fonds de
fubfiftance , tout abondant, tout inépuifable qu’il
eft, fuffiroit à peine au nombre encore plus
abondant d’infe&es de toute efpèce. Leur pullulation
, toute auffi nombreufe & fouvent plus
prompte que la reproduâion des plantes j, indique
affez combien ils font furabondans ; car les plantes
ne fe reproduifent que tous les ans ; il faut une
faifon entière pouf en former la graine, aü lieu
que dans les infe&es , fur-toùt dans les plus petites
elpèces , comme celle des pucerons, une feule
faifon fuffit à plufieurs générations. Us multi-
plieroient donc plus que les plantes , s’ils n’étôient
détruits par d’autres animaux dont ils paroiffent
être la pâture naturelle , comme les herbës & les
graines femblent être la nourriture préparée pour
eux-mêmes. Auffi , parmi les infe&es , y en a-t-il
beaucoup qui ne vivent que d’autres infeftes ;
il y en a même quelques elpèces qui, comme les
araignées , dévorent indifféremment les autres
elpèces & la leur : tous fervent de pâture aux
oifeaux ", & les oifeaux domèftiques & fauvages
nourriffent l’homme ou deviennent la proie des
animaux carnaffiers.
Ainfi, la mort violente eft un ufage prefque
auffi néceffaire que la loi de la mort natürelle ;
ce font deux moyens/de deftru&ion &. de renouvellement,
dont l’un fert à entretenir la jeuneffe
perpétuelle de la nature , & dont l’autre maintient
l’ordre de fes productions, & peut feul limiter le
nombre dans les efpèces. Tous deux font des
effets dépendans des caufes générales ; chaque
indiyidu qui naît tombe de lui-même au bout d’un
temps, ou lorfqu’il eft prématurément détruit
par les autres , c’eft qu’il étoit furabondant. Eh
combien n’y en a-t-il pas de fupprimés d’avance ?
Que de fleurs moiffonnées au printemps ! Que
de races éteintes au moment de ’leur naiffance ï
Que de germes anéantis avant leur dévelop-
, pement ! • '
L’homme & les animaux carnaffiers ne vivent
que d’individus tout formés ou d’individus prêts
à l’être ; la chair , les oeufs, les graines , les
! germes- de toute efpèce font leur nourriture
■ ordinaire ; cela feul peut borner l’exhubérance
de la Nature. Que l’on confidéré tnvinftant quelqu’une
de ces efpèces inférieures: qui: fervent de
pâture aux autres , celle des harengs, par exemple ;
ils viennent par milliers s’offrir à nos pêcheurs ,
& apres avoir nourri tous les monftres de la
mer du Nord, Ils fourniffent encore à la fùbfif*
tance de tous les peuples de l’Europe pendant
une partie de l’année. Quelle pullulation prodi-
gieufé parmi ces animaux, & s’ils n’étoient détruits
en grande partie par les autres , quels feroient les
effets de cette immenfe multiplication ! Eux feuls
couvriroient la furface entière de la mer. Mais^
bientôt le nuifant par le nombre , ils fe cor-
remproient, ilsfe détruiroient eux-mêmes ; faute
de nourriturefuffifante, leur fécondité diminueroit;
la contagion & la difétte feroient ce que fait la"
confommation ; le nombre de ces animaux né feroit'
qu’inutilement augmenté , & Te nombre de J ceux
qui s’en nourriffent feroit diminué ; & -comme
l’on peut dire la même chofe de toutes les autres
efpèces , il eft donc néceffaire que les unes vivent
fur les autres ; & dès-lors la mort violente des
animaux eft un ufage légitime , innocent, puifqu’il
eft fondé dans la Nature, • & qu’ils ne naifiènt
qu’à cette condition.
Avouons cependant que le motif par lequel
on voudroit en douter , fait honneur à l’humanité ;
les animaux, du moins ceux qui ont des fens
de la chair & du fang, font des être£ fenfibles;
comme nous ils font capables dé plaifir & fujets
a la douleur. Il y a donc une efpèce d’infenfi—
bilité cruelle à'facrlfier , fans néceffité, ceux
fur-tout qui nous approchent, qui vivent avec
nous , & dont le fèmiment fe réfléchit vers nous
en fè marquant par les lignes de la douleur ; car
I ceux dont la nature eft différente de la nôtre,