
fondée que fi l’on prétendoit que lorfqu’il
y a une efpèce en un endroit, il ne doit y
avoir que celle-là. La nature, libre dans
fés opérations , place dans chaque lieu des
efpèces auxquelles les circonftances locales
conviennent ; elle les varie , ou elle en
borne le nombre à fon gré : elle fait naître
les unes d’un côté & les autres d’un
autre, & quelques-unes également dans les
lieux qui fe correfpondent. Peut-être efl-ce
auffi à quelques circonftances particulières
que nous ignorons , que tient la différence
de certaines efpèces dans les lieux oîi d’autres
font les mêmes.
§ I V.
Des oifeaux erratiques.
J’ai parlé , au commencement de ce dif—
cours, des oifeaux erratiques; j’obferverai
feulement en cet endroit qu’ils fréquentent
le bord des eaux pour chercher leur nourriture.
Je ne eonnois jufqu’à préfent qu’un
petit nombre de ces oifeaux. Il efl borné
à quelques efpèces-de hérons & d’autres
oifeaux , que je vais, faire connoître ; mais
les efpèces que j’ai comparées & reconnues
, m’ont paru très-répandues.
Plufieurs hérons blancs , apportés de
Madagafcar, d’Egypte , de Cayenne , de
la Louifiane, comparés entr’eux & au héron
blanc, qui fe trouve en Europe , à un
individu tué aux environs de Paris , ne
m’ont offert aucune différence ; ils m’ont
paru parfaitement femblables fous tous
les rapports, & je les a i , par cette rai-
fo n , jugés de la même efpèce. Le héron
cendré , qui efl commun fur le bord de nos
rivières & de nos étangs; celui qui efl
huppé, & qui fe trouv e, quoique plus rarement
en France , ne m’ont paru différer
des mêmes oifeaux apportés de la Guiane
& de la Louifiane, que par des dimenfions
de quelque chofe plus fortes dans les deux
hérons d’Amérique ; mais ces oifeaux n’ont
pas tous la même taille dans nos climats,
& peut-être varie-t-elle en raifon du fe x e ,
de l’âge, du lieu de la naiffance ; car fi
l ’individu efl né fous un climat chaud ,
propre au développement, il aura, par la
fuite, une taille au-delfus de celui qui aura
reçu la naiffance fous un ciel moins doux.
Ainfi cette différence de taille ne fuffit pas
pour féparer, dans une efpèce erratique,
des individus-oui, fuivant que leurs peres
fe feront arrêtes dans un pays chaud, tempéré
ou froid, auront acquis un développement
plus prompt, & qui aura influé
fur la taille pour toute la vie.
Le bihoreau, qu’on voit de temps à
autre dans nos campagnes, où il fe fait
remarquer des chaffeurs par l’élégance de
fon -plumage , fe trouve également à la
Guiane & à la Louifiane. J’ai vu plufieurs
individus de cette efpèce, apportés de ces
deux contrées , & , comme dans nos climats
, la femelle n’y a pas d’aigrette. Le
poacre, qui ne fe trouve qu’affez rarement
en Europe , ne paroît pas non plus être
commun en Amérique, d’où il n’a été apporté
qu’un petit nombre de fois. J’ai vu plufieurs
hérons pourprés, apportés de Madagafcar,
qui m’ont paru les mêmes que le héron
pourpré d’Europe.
L’échaffe d’Europe, celle des grandes Indes
& celle de l’Amérique, d’où je l’ai reçue
de Cayenne & de la Louifiane, m’ont paru
toutes les trois ne faire que la même efpèce ,
q u i, comme le bihoreau & le poacre, partagée
dans un efpace immenfe , n’efl nulle
part abondante. J’ai vu des pluviers dorés,
dont M. Briffon diflingue deux efpèces ,
qui ne font peut-être qu’une variété l’une
de l’autre , apportés par M. Sonnerat dans
fon premier voyage de différentes parties
des grandes Indes ; j’en ai vu qui avoient
été envoyés de Sibérie, d’autres du Cap de
Bonne-Efpérance ; j’en ai reçu bien des fois
de Cayenne & de la Louifiane : tous ces
pluviers, comparés les uns aux autres &
aux pluviers dorés d’Europe, fe réffem-
bloient parfaitement entre eux. Quelques
individus étoient un peu plus grands les
uns que les autres, comme parmi les nôtres
; ce qui les a fait diflinguer en grands
& en petits. On vo yo it de même, comme
cela efl ordinaire à nos pluviers , beaucoup
plus fur le plumage des' uns que fur celui
des autres , de ces taches jaunes qui ont
fait donner à cet oifeau l’épithète de doré.
Le pluvier doré de Saint-Domingue, celui
de la baie d’Hudfon, dont parle M. Briffon
, & qu’il dit fe trouver auffi en Suède,
ont trop de rapports avec celui d’Europe,
comme on peut s’en convaincre par la def-
cription que cet auteur en fa it , pour ne
les pas regarder comme la même efpèce.
Quelques nuances différentes fur le plumage
, font d’autant moins des raifons
pour les diflinguer, que le plumage des
pluviers dores,, tués dans la même bande,
offre des différences d’individu à individu,
& qu’un auteur qui décrivoit avec autant
d’exactitude que M. Briffon, s’il ignoroit
que ces pluviefti euffent été pris enfemble
dans le même lieu , feroit auffi fondé à en
faire différentes efpèces , que M. Briffon à
diflinguer des pluviers dorés en général
celui de Saint-Domingue & celui de la baie
d’Hudfon. L’efpèce de cet oifeau efl donc
très-répandue , & fe trouve dans toutes
les « régions du globe. L’huîtrier , qu’on
trouve en Europe fur les bords de la mer,
m’a paru le même que deux huîtriers qui
avoient été apportés de la Louifiane.
Parmi les oifeaux rapportés depuis peu
des Indes orientales, par M. Sonnerat, j’ai
remarqué, avec cet habile voyageur, plu-
fieurs peaux d’un vaneau , qui efl abfolu-
ment le même que celui qui fe trouve en
Europe. Je pourrois groffir cette lifle ; mais
les exemples que je viens de rapporter fuf-
fifent pour prouver que plufieurs efpèces
d’oifeaux qui fuivent le bord des eaux pour
y ramaffer des v e r s , des reptiles, des
poiffons , dont ils fe nourriffent, fe trouvent
également dans toutes les contrées ;
& ceux de ces oifeaux qu’on voit dans
toutes les faifons, q u i, par l’ampleur de
leurs aîles, font propres à foutenir un long
voyage , font ceux auxquels le nom d’erratiques
convient ; car leur apparition en tout
temps ne permet pas qu’on les range parmi
les oifeaux de paffage, & leur rencontre
dans tous les pays oblige à penfer, ou
que leurs efpèces fe font étendues de
proche en proche, ou que les individus
paffent eux-mêmes leur vie à errer & voyager
, hors le temps de multiplier. Mais leur
manière de vivre rend plus probable ce
dernier fentiment, qui efl également propre
à expliquer comment leurs efpèces fe trouvent
dans tous les pays ; car fi on les y
v o y o it , parce qu’elles fe feroient étendues
de proche en proche , une fois qu’on les
auroit découvertes, on pourrait les obfer-
ver conflamment, & les retrouver dans
une certaine latitude, au lieu, que les oifeaux
erratiques paroiffent inopinément,
demeurent quelque temps aux environs du
même lieu, & qu’on efl quelquefois longtemps
fans en re vo ir , quand ils fe font
écartés. Il paroît donc que c’efl l’abondance
des vivres qui les détermine ; que
quand ils les ont épuifés fur le rivage où ils
ont vécu quelques temps, ils le fuivent, ou
en remontant, ou endefcendant,&qu’ainfi
le cours des eaux, qui mène par-tout d’un
rùiffeau à une riv ière, des fleuves à la mer ,
& de la mer aux fleuves , les conduit dans
tous les lieux. Ils leur font tous égaux ,
parce que les eaux qu’ils y trouvent leur
offrent la nourriture qui leur convient, &
que leur conflitution plus robufte les rend
moins fenfibles aux impreffions de la température
, qui d’ailleurs diffère moins d’un
lieu à un autre fur les eaux ou leur rivage
que dans l’intérieur des terres.
§• V.
Des oifeaux de paffage. Opinion fu r les
émigrations.
Si les voyageurs avoient été à portée
d’obferver quelles font les efpèces d’oifeaux
de paffage dans chaque p a y s , quel efl le
temps de leur a rrivée, & celui de leur
départ, on auroit pu en les comparant, &
les époques de leùrs voyages , parvenir à
les connoître, à les fuivre dans leur route,
& à diflinguer ceux qui font les mêmes
dans les différentes contrées. Mais le défaut
d’obfervation fur cet objet, efl caufe que
l’hifloire des oifeaux de paffage efl peu
connue 8c la partie de l’ornithologie la
moins avancée. Pour mettre de l’ordre dans
cette matière très-difficile & compliquée,
je crois qu’on peut divifer les oifeaux de
paffage en ceux qui font de longs voyages,
& ceux qui n’en font que de courts, en
comparaifon des premiers,